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Chapitre 6. Des femmes dans une association d’hommes d’affaires

6.3. Des entrepreneures montréalaises à la CCDM

En septembre 1960, la description de la composition et des buts du CFM de la CCDM est, à nouveau, modifiée et calquée littéralement sur celle de la Chambre de commerce. Ce comité devient dès lors « un groupe de citoyennes éclairées qui mettent en commun leur compétence, leur influence et certains fonds pour promouvoir et défendre leur intérêt collectif ou individuel compatible avec le bien commun, pour s’entraider et pour entretenir et développer le bien-être économique, civique et social »171. Ces « citoyennes éclairées » sont, dans les faits

les femmes qui répondent aux exigences de tous les membres de la Chambre, dont l’honorabilité, les femmes qui par leur situation dans l’administration et la direction d’entreprise, dans les diverses branches professionnelles, etc. se trouvent dans des situations de commande ou de responsabilité ; ou tout simplement les femmes qui désirent jouer un rôle utile dans la société172.

Il ne s’agit donc plus uniquement de regrouper les femmes qui atteignent des « postes de commande et de responsabilité » comme il était énoncé lors de la création du CFCE, mais d’intégrer aussi toutes les femmes qui souhaitent s’engager dans l’association, quels que soient leur profession et les postes qu’elles occupent.

Plus concrètement, entre 1943 et 1975, sur les 331 candidates-membres de la CCDM dont l’appartenance professionnelle est repérable, seuls 52 % d’entre elles font partie de la sphère de direction et de la propriété d’entreprise (tableau 3)173. De cet

171 HEC, CCDM, Bulletin du CFM de la CCDM, septembre 1960. Les mots utilisés pour décrire la composition et les buts de la Chambre sont très similaires. En effet, dans le bulletin de la Chambre, il est indiqué que « La Chambre de commerce du district de Montréal [...] est une association de citoyens éclairés, d’institutions, de corporations et de maisons d’affaires, mettant en commun leur expérience, leur influence et certains fonds pour « travailler au bien-être économique, civique et social » ainsi que pour promouvoir et défendre leurs intérêts individuels et collectifs compatibles avec le bien commun. » (Commerce-Montréal, 21 octobre 1957, p.1).

172 HEC, CCDM, Conférence de presse par Mme Annette B. Vennat, présidente du CFCE de la CCDM, 11 septembre 1957 et Commerce-Montréal, 12 mai 1952, p. 4.

173 Ces résultats proviennent du dépouillement systématique de la rubrique « Nouveaux membres » du journal Commerce-Montréal de 1956 à 1975. Nous postulons le fait que les candidates deviennent systématiquement membres. Vu la procédure pour devenir membre (candidature,

ensemble, 69 se disent explicitement « propriétaires » et 5 « copropriétaires » d’entreprises, ce qui représente un total de 22 % de l’ensemble étudié. L’autre moitié du groupe se répartit effectivement entre les secteurs du travail de bureau, les petits commerces et services, la vente, les agences, l’enseignement, la santé et les professionnelles. Dans ces différents secteurs d’activité, il n’est pas évident de savoir si les femmes y sont employées, employeures ou à leur propre compte. Pourtant, ce dernier statut peut avoir été, par exemple, celui des coiffeuses, des modistes, des agentes, des pharmaciennes ou des avocates. Cependant, ces femmes ne considérant pas qu’elles font partie de la direction d’entreprise ou qu’elles sont (co) propriétaires et elles ne sont donc pas comptabilisées dans ces deux ensembles. Ainsi donc, un peu plus de la moitié des femmes membres de la CCDM portent officiellement des titres de postes directionnels d’entreprise ; l’autre moitié est concentrée dans des secteurs « traditionnellement » féminins comme le travail de bureau, le petit commerce et les services, la santé, l’enseignement et la vente et quelques- unes sont à la tête d’entreprises de domaines a priori masculins comme le transport ou la construction174.

parrainage, publication du nom dans le journal Commerce- Montréal, enquête et décision d’acceptation par le conseil de nomination), ce n’est pas nécessairement le cas. Cependant, nous n’avons pas relevé d’incidents majeurs à ce sujet et nous considérons que le parrainage par un membre de la Chambre doit avoir participé à l’acceptation systématique des candidats et candidates. Ces données sont sensiblement les mêmes que celles présentées par Laure Hurteau (HEC, CCDM, Laure Hurteau, « La fondation d’un comité de femmes chefs d’entreprise », La Presse, 2 février 1956.) et par la présidente de l’Assemblée annuelle du Conseil des FCE de mai 1956 (« Assemblée des Femmes chefs d’entreprise », La Presse? , mai 1956?, p. 6.).

174 À titre de comparaison, les hommes membres de la CCDM, eux, disent « se recrute[r] dans tous les secteurs de l’activité économique [et] sont manufacturiers, grossistes, détaillants, financiers, professionnels », Commerce-Montréal, 12 mai 1952, p. 4.

Tableau 3. Répartition des candidates membres de la CCDM, 1943-1975, des femmes membres du conseil exécutif et des présidentes du CFM de la CCDM 1956-1971, selon les

professions, en nombre et en pourcentage Candidates membres Membres du conseil exécutif Présidentes Professions Comprend Nb % Nb % Nb Direction (secteur inconnu) Administratrice, adjointe,

associée, chef (de département, de service, de secrétariat),

coordinatrice, directrice

(générale), gérante, gouvernante en chef d’hôtel, (vice-) présidente

100 30,2 % 15 27 % 6

(Co) propriétaires

(secteur inconnu) 74 22,3 % 12 21 % 3

Travail de bureau

Analyste, assistance, conseillères, inspectrice, interprète,

responsable des relations publiques, représentante, secrétaire (–trésorières), traductrice 56 16,9 % 15 27 % 3 Petits commerces et services

Artisane, aménagiste, coiffeuse, corsetière, décoratrice, épicière fleuriste, modéliste, modiste, photographe, restauratrice, éditrice ou journaliste 31 9,3 % 4 7 % Agents Agente d’assurances, d’immeubles, de manufactures, de placements, de publicité, de succession, de voyages et comptables 24 7,2 % 6 11 % 1 Santé Chiropraticienne, diététicienne, esthéticienne, garde-malade, infirmière, opticienne, optométriste, pédicure, pharmacienne, physiothérapeute 18 5,4 % 1 2 %

Enseignement Éducatrice, enseignement, institutrice, professeur, principale d’école, bibliothécaire

11 3,3 % 0 0 %

Professionnelles Avocates et notaires 8 2,4 % 3 5 % 2

Vente Vendeuse, hôtesse, caissière, préposée 8 2,4 % 0 0

Rentière 1 0,3 % 0 0 %

Total 331 100 % 56 100 % 15

Sources : Commerce-Montréal, 1943-1975 et Annuaires des membres, Bulletin du CFM et PV des assemblées du CFM

La comparaison de cette répartition professionnelle des membres de la CCDM avec celles des membres du conseil exécutif (conseillères) du CFM de la CCDM montre que cette instance est relativement représentative de ses membres (tableau 3). En effet, près de 50 % des conseillères du CFM appartiennent à la direction d’entreprise (27 % à la direction et 21 % comme [co] propriétaires). Cependant, les femmes qui font du travail de bureau ou qui sont agentes ou professionnelles sont proportionnellement plus nombreuses dans ce conseil exécutif que dans l’ensemble des membres de la CCDM. Au contraire, les femmes qui œuvrent dans le petit commerce et les services ou dans les domaines de la santé, de l’enseignement et de la vente y sont moins bien représentées. Cette différence est d’autant plus évidente quand on examine la présidence du CFM de la CCDM. En effet, sur les quinze présidentes qui ont été en fonction, six sont des femmes à la direction d’entreprise, trois propriétaires, deux avocates, deux secrétaires, une responsable des relations extérieures et une dernière agente d’immeubles175.

Ces données signifient donc que le conseil exécutif du CFM de la CCDM est dirigé par des femmes qui représentent un assez large éventail des professions exercées par les femmes membres de la CCDM. Cependant, les femmes dont le métier est plus proche de l’administration ou qui demande une formation plus longue (travail de bureau ou avocate) y sont surreprésentées, autant dans le conseil exécutif qu’au niveau de la présidence. Les femmes dont la profession est à dominance féminine comme la santé, l’enseignement ou la vente sont, en revanche, moins bien représentées au conseil exécutif et aucune d’entre elles n’est présidente. Excepté pour ces catégories professionnelles, les activités menées par le conseil exécutif du CFM et les discours qu’il énonce devraient donc correspondre aux aspirations de la collectivité de femmes qu’il dirige. En revanche, la réalité des

175 Il s’agit de Mme Flore D. Jutras, assureure-conseil (1956-57) ; Mme Annette B Vennat, propriétaire Raoul Vennat Enrg (1957-58) ; Mme Estelle Séguin, secrétaire-trésorière Mitchell- Houghton Ltd (1958-59) ; Mlle Alice Saint-Arnaud, présidente St-Arnaud & Bergevin (1959-60) ; Mme Yvette Rousseau, propriétaire Artistic Decalcomania Ltd (1960-61) ; Mme Symone Beaudin, propriétaire de Créations Symone (1961-62) ; Mme Laurette Gravel, présidente Livraison Métropole Delivery Inc. (1962-63) ; Mme Gervaise Brisson, avocate (1963-64) ; Mme Laurette Robillard, surveillante des relations extérieures Service national du placement puis directeur des services français Office Overload Co.Ltd.(1964-65) ; Mme Thérèse Duranceau, agent d’immeuble au Trust General du Canada (1965-66) ; Mlle Yolande Gingras, secrétaire au South Shores Construction Inc. puis directrice du personnel de l'ACFAS (1966-67) ; Mme Henriette Girard, directrice des services français, Foote, Cone & Belding Canada Ltd (1967-68) ; Mme Renée Rivard, Directrice de la Société des Infirmières visiteuses (1968-69) ; Micheline Corbeil, avocate (1969-70) ; Jacqueline Nault, associée dans un groupe d'hommes d’affaires spécialisés en valeurs mobilières et investissements, Gestad Inc. (1970-71).

propriétaires stricto sensu y est minoritaire bien qu’il s’agisse de celle d’au minimum une membre candidate ou membre du CE sur cinq.

De plus, vu les quelque 3 000 Montréalaises qui sont à la direction d’entreprise en 1961 (un chiffre qui grimpe à 7 000 en 1971) et les 540 Montréalaises qui sont propriétaires d’un petit commerce ou d’un établissement de service la même année (chapitre 3), les quelque 200 candidates-membres qui sont à la direction d’entreprise (comme salariées ou propriétaires) ou qui travaillent dans le petit commerce de détail et les services (sans doute comme entrepreneures) représentent clairement une minorité de leurs groupes professionnels. Cependant, vu l’importance de la Chambre de commerce dans le paysage des affaires montréalaises et le rôle crucial de son comité féminin pour y porter la voix des femmes, l’étude de son fonctionnement, de ses activités et de ses revendications permet, comme celle de l’AFA ou du BPWCM, de comprendre les enjeux de la visibilité des femmes en affaires à Montréal et, in fine, de la construction discursive du caractère exceptionnel de l’entrepreneuriat féminin.

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