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Le CTBPW et le BPWCM pour la promotion des femmes à la direction d’entreprise

Chapitre 5. Des associations de femmes d’affaires

5.3. Des groupements politiques

5.3.3. Le CTBPW et le BPWCM pour la promotion des femmes à la direction d’entreprise

À partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, la FNSJB et, dans une moindre mesure, le MLCW constatent une réduction de leurs effectifs, une tendance qui serait due notamment, selon certains témoins, à un vieillissement de la population fondatrice de ces associations et au développement du travail salarié des femmes mariées87. Nous n’avons pas retrouvé de trace de la dissolution de l’AFA qui semble cesser ses activités vers 1945, même si La Bonne parole mentionne toujours son existence lors de la célébration du 50e anniversaire de la Fédération en 195788. Le BPWCM, au contraire, compte encore 250

membres en 1959, mais ce total baisse à 98 en 1973 et 80 en 198189. À ses débuts, comme nous l’avons vu précédemment, ce club était tourné, du fait de son affiliation avec le CFBPWC et le IFBPW, vers le Canada anglais, les États-Unis et l’international. À partir de 1955, en revanche, il s’associe aussi avec les BPWC de la province de Québec comme

87 Denyse Baillargeon, Brève histoire des femmes, p. 177.; BAC – Ottawa, Fonds CF BPWC MG 28 I55, Vol. 19, Jean Sharp, « Les associations nationales féminines perdent du terrain », Le Devoir? , Mars 1966; « Les associations féminines nationales. Le recrutement est devenu difficile : perte de temps, disent les non-membres », Le Devoir? , mars 1966; « Les sections locales des grandes associations féminines manquent d’organisation », Le Devoir? , mars 1966.

88 Inconnu, La FNSJB célèbre le cinquantenaire de sa fondation 1907-1957, Son action sociale, éducative et charitable, Montréal, La Bonne Parole, 1956-1957, p. 45.

89 Charlotte Van Dine, « Montreal Owns Clubhouse », The Business and Professional Woman, mars-avril 1959, p. 7., BAC – Ottawa, Fonds CF BPWC MG 28 I55, vol. 88, Lettre de Mrs Shirley Côté à Mlle Georgette Leblanc, 24 avril 1973 et Procès-verbal de l’assemblée du Conseil d’administration des Clubs de Femmes de carrières libérales et commerciales de la province de Québec, 31 janvier 1981.

ceux de Québec, Sherbrooke, Stanstead et Trois-Rivières pour créer une fédération provinciale90. Vingt ans plus tard, en décembre 1975, il adopte un nom bilingue et devient

le « Business and Professional Women’s Club of Montreal – Club de femmes de carrières libérales et commerciales de Montréal », un titre qu’il garde jusqu’en 1993. Le nom, en français, devient alors l’Association des femmes de carrières commerciales et professionnelles de Montréal. Le groupement est dissout en avril 201591.

À partir de la fin des années cinquante, le BPWCM et le CTBPW du MLCW amorcent des réflexions sur l’accès des femmes à des postes de direction dans les entreprises privées et publiques. Par exemple, dès 1955, la CFBPWC organise une

Business Women’s Week annuelle au niveau national et invite les clubs locaux à y

participer92. Cet évènement a pour but « to direct attention of the Canadian public to the contribution women in business were making to the economic, political, social, cultural and spiritual life of the country »93. Entre 1958 et 1963, la thématique de cette semaine d’évènements est « More Power With Women Power », un titre traduit en français par « Plus de responsabilités pour les femmes responsables »94. De plus, en janvier 1964, le BPWCM organise un séminaire annuel de deux jours, « Operation Perspective » destiné aux femmes « just below the executive level » pour les préparer au travail de direction et à la prise de responsabilité95. Du côté du MLCW, le CTBPW organise, le 17 février 1960, une table ronde sur la question : « How best can women qualify for more responsible posts in business and professions ? »96. Mlles Evelyne Cornell, « regional co-ordinator of Women’s Employment, National Employment Service », Elizabeth Monk, avocate, Cécile

90 BAC-Ottawa, Fonds CF BPWC, MG 28 I 55, vol. 81, « Québec », The Business and professional women, octobre 1956, p. 12. Le BPWC de la ville de Québec, qui deviendra l’Association des femmes de carrières du Québec métropolitain, est mis en place en 1947. Voir Cheryl Gosselin, Vers l’avenir !, pp. 112 et 314-315.

91 Gouvernement du Canada, Information concernant les sociétés de régime fédéral [en ligne], https://www.ic.gc.ca/app/scr/cc/CorporationsCanada/fdrlCrpDtls.html?corpId=331791 (page consultée le 21 juin 2017).

92 BAC – Ottawa, Fonds CF BPWC MG 28 I55 vol. 81, Elizabeth Bess Forbes, With Enthusiasm and Faith, p. 118.

93 Ibid.

94 « L'apport des femmes d'affaires », La Presse, 17 octobre 1961, p. 2.

95 BAC – Ottawa, Fonds CFBPWC MG 28 I55 vol. 81, Elizabeth Bess Forbes, With Enthusiasm and Faith, p. 17; « Association des femmes d'affaires », Le Devoir, 1964[?].

Décarie, « traductor and copy-writer » pour la compagnie Eaton de Montréal et Mme Yvonne Rialland Morissette, journaliste, en sont les invitées97. Dans son rapport sur

cet évènement, le CTBPW célèbre le fait que les femmes sont de plus en plus acceptées au niveau de la direction des entreprises, ce qui représente « a great improvement in the status of women workers »98. Il dénonce, cependant, les exigences élevées, en termes de formation et d’expériences, auxquelles les femmes doivent répondre pour y arriver et en appelle à une solidarité féminine envers celles qui s’engagent dans cette voie professionnelle99. Dix ans plus tard, le 17 mars 1971, le MLCW organise une autre

conférence sur les opportunités ouvertes aux femmes dans les affaires et les responsabilités que les femmes doivent accepter lorsqu’elles atteignent des « posts of importance »100.

La répartition des propriétaires anglophones et des francophones selon les différents secteurs d’activités apparaît comme le facteur explicatif le plus évident pour justifier l’absence d’intérêt du BPWCM et du CTBPW du MLCW pour l’entrepreneuriat montréalais stricto sensu et leur préoccupation plutôt centrée vers l’accès des femmes à des postes à responsabilité dans les entreprises. En effet, dans la première moitié du XXe siècle, au niveau provincial, la concentration des Canadiens anglais à la tête des entreprises des secteurs manufacturiers, de la construction, du transport et des communications et des commerces de gros équivaut à celles des Canadiens français dans le commerce de détail101. Plus précisément, en 1931, la représentation des anglophones dans la propriété de commerces de détail est de 17 % contre 81 % de francophones. Dix ans plus tard, en 1941, ces deux taux diminuent respectivement à 3 % et 73 % ; les propriétaires des autres groupes ethnolinguistiques qui formaient 3 % de cet ensemble en 1931 augmentent donc à 23 % dix ans plus tard102. Malgré la hausse de ce taux, les francophones restent donc largement majoritaires dans ce secteur. Au contraire, en 1941, les anglophones forment 81,2 % des propriétaires et gérants dans les manufactures et 67 % dans le commerce de

97 Ibid. 98 Ibid. 99 Ibid.

100 BAnQ, MLCW, Annual Report, 1970-1971, p. 44-45.

101 Paul-André Linteau, Histoire de Montréal, p. 320 et 326; Yves Bélanger et Pierre Fournier, L'entreprise québécoise; Sylvie Taschereau, Les petits commerçants de l'alimentation, p. 36 et s. 102 Yves Bélanger et Pierre Fournier, ibid., pp. 49-50.

gros103. Autrement dit, comme l’exprime Yves Bélanger, « sauf pour quelques rares

exceptions, le développement de la grande industrie dont la croissance connaît un bond spectaculaire pendant et après la Seconde Guerre mondiale était demeuré pratiquement inaccessible [à la classe d’affaires francophone québécoise] »104. Or, les femmes qui ont atteint des postes à la direction d’entreprise (propriétaires, gérantes, directrices ou administratrices) dans la première moitié du XXe siècle sont principalement concentrées dans le commerce de détail comme le montre le chapitre 3. Les membres de l’AFA appartiennent à ce groupe. En revanche, les femmes de l’élite anglophone qui sont membres du MLCW ou du BPWCM semblent plutôt évoluer dans les sphères des grandes entreprises des autres secteurs d’activités que dans le monde de la propriété de petits commerces de détail. Cette disparité linguistique reste de mise jusqu’au début des années soixante, alors que l’élite d’affaires francophone s’impose progressivement comme acteur central de la construction du modèle de « Québec inc. ». L’intérêt porté par le BPWCM aux autres clubs francophones de la province, conjugué à la hausse exponentielle du nombre de Montréalaises (et de Québécoises) à la direction d’entreprise peut expliquer le soudain intérêt que ce groupement porte alors à l’enjeu de l’accès des femmes aux postes de responsabilité.

Conclusion

Dès le début du XXe siècle, certaines entrepreneures montréalaises se sont associées pour défendre leurs intérêts. Les francophones ont rejoint, dès 1910, l’Association des femmes d’affaires de Montréal (AFA) de la Fédération nationale Saint- Jean-Baptiste tandis que les anglophones ont fondé, en 1930, le Business and Professionnal Women’s Club de Montréal (BPWCM) et participé, à partir de 1939, au Committee of Trades, Business and Professions for Women (CTBPW) du Montreal Local Council of Women. L’étude de la composition de ces groupements, du réseautage qu’ils créent et des combats politiques qu’ils mènent permet de cerner la perception de l’entrepreneuriat féminin — et, plus largement, de l’implication des femmes dans le monde des affaires — qu’elles ont construit et véhiculé publiquement.

103 Everett C. Hughes et Margaret L. McDonald, « French and English », p. 501. 104 Yves Bélanger, Québec inc., pp. 2-3 et 49-50.

L’adhésion à l’AFA et au BPWCM n’est pas réservée aux seules entrepreneures

stricto sensu. En effet, dans l’une comme dans l’autre association, les femmes sont autant

propriétaires, employeures, à leur propre compte que salariées, professionnelles ou tout simplement intégrées aux milieux d’affaires grâce à leur appartenance familiale. Cependant, le groupement francophone, qui compte jusqu’à 175 personnes en 1927, est dirigé principalement par des propriétaires de petits commerces et, notamment des modistes. Les activités des membres et des dirigeantes du BPWCM, composé de quelque 300 membres entre 1930 et 1960, restent largement inconnues. Cependant, les principaux indices retracés concordent pour dire qu’il s’agit d’un groupement homogène non pas sur le plan de la profession de ses membres, mais plutôt en termes d’appartenance sociale à une certaine élite.

Le réseautage et la charité sont au fondement de l’existence de ces deux groupements. En effet, leurs activités sont principalement organisées dans le but de créer un espace de rencontres, d’échanges et de solidarité, un sentiment d’appartenance à une collectivité et, par conséquent, une certaine « sororité ». Le BPWCM, en particulier, s’inspire, en ce sens, plus clairement que l’AFA, des fonctionnements des Clubs d’hommes d’affaires comme ceux du Rotary, Kiwanis ou Lions. Les choix qu’elles font de leurs lieux de rencontres ou des associations qu’elles soutiennent confirment l’idée du cloisonnement ethnolinguistique de Montréal, les francophones et les anglophones travaillant chacune dans les sphères associées à leur groupe linguistique.

Enfin, les combats politiques de l’AFA, principalement menés entre 1910 et 1930, en faveur de l’enseignement commercial des femmes d’affaires et du petit commerce (notamment les modistes) contre les commerces de gros, les manufacturiers et leurs propres employées, témoignent de l’intérêt porté par cette association à la défense des commerçantes. Dans les discours relatifs à la mise en place du cours commercial pour femmes, la nécessité d’une formation en ce domaine qui soit identique pour les femmes et les hommes, les unes et les autres faisant face aux mêmes difficultés dans l’exercice du commerce, est un argument récurrent. Par ailleurs, à une époque marquée par l’avènement de la production et de la distribution de masse, la défense par l’AFA du petit commerce trahit également l’intérêt que celle-ci porte à la situation des femmes en affaires en tant que propriétaires de ce type de commerce, plutôt qu’en tant que femmes partageant le sort de leurs consœurs. En revanche, le BPWCM et le CTPBW ne semblent pas avoir

explicitement défendu les entrepreneures avant la fin des années 1950 ; à partir de cette date, ils ont organisé l’un ou l’autre évènement épars autour de la question de l’accès des femmes aux postes de direction des grandes entreprises privées et publiques et ils ont souligné les difficultés auxquelles elles font face plus spécifiquement en tant que femmes.

Ainsi donc, la commune hétérogénéité des membres de l’AFA et du BPWCM, de même que les activités de réseautage et de charité que chacune organise pourraient laisser croire, a priori, à d’importantes similitudes entre ces deux groupements. L’examen des engagements politiques de l’AFA comme celui de l’intérêt limité du BPWCM pour la question de l’entrepreneuriat féminin dévoilent surtout que les unes et les autres participent à la division linguistique du monde des affaires montréalais de cette première longue moitié du XXe siècle. En effet, jusqu’en 1960, au Québec, alors que les francophones sont concentrés dans le petit commerce de détail, les anglophones dominent les grandes entreprises, notamment les manufactures et les commerces de gros. Les membres de l’AFA appartenant à l’« élite commerciale » de Montréal rejoignent les rangs de l’élite d’affaires francophone du commerce de détail. Les femmes membres du BPWCM ont, elles, sans doute été plus proches des réalités des grandes entreprises et des enjeux de carrières professionnelles de leurs salariées. De plus, l’AFA semble défendre les intérêts commerciaux des entrepreneures tandis que le BPWCM souligne plutôt les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées lorsqu’elles tendent d’accéder aux postes salariés de direction. En fin de compte, de l’entrepreneuriat féminin montréalais dans son ensemble, seules les petites commerçantes francophones du secteur du vêtement (et les modistes en particulier) sont rendues visibles dans les prises de positions de l’AFA, soit une très petite minorité.

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