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Le soutien aux femmes d’affaires par le CFM de la CCDM

Chapitre 6. Des femmes dans une association d’hommes d’affaires

6.4. Le soutien aux femmes d’affaires par le CFM de la CCDM

De sa fondation en 1956 à sa dissolution en 1971, le CFCE/CFM de la CCDM s’organise comme une petite chambre de commerce, avec son propre exécutif, ses propres comités, son propre bulletin, ses propres mémoires et ses propres activités et services aux membres. Sur l’ensemble de ses activités, seuls deux types visent directement à apporter un soutien aux femmes propriétaires d’entreprise : les activités de formation (dîner- causerie, journées d’éducation par le film, cliniques d’étude et cours) et celles de promotion (visites industrielles et défilés de mode).

6.4.1. De la formation des femmes « chefs d’entreprise » à l’éducation citoyenne

Pendant ses quinze années d’activités, le CFCE/CFM offre des espaces de formation réservés à ses membres sous la forme de dîners-causeries, de cours, de cliniques d’étude, de journées d’éducation par le film et de visites industrielles. Ces initiatives ont comme premier objectif l’éducation des femmes cheffes d’entreprise. Toutefois, plus les années passent, plus le public se diversifie et plus ce but s’élargit à l’éducation des citoyennes.

En effet, à partir de décembre 1955, des conférenciers et conférencières sont invitéEs aux assemblées générales des membres féminins de la CCDM. En février 1956, ces assemblées deviennent des dîners-causeries. Il s’agit d’y discuter d’un sujet qui les intéresse plus directement176. Durant cette première année, les six intervenantEs, dont une seule femme (avocate), proposent des exposés sur des sujets liés à la direction d’entreprise. Ils et elles évoquent, notamment, l’organisation d’une entreprise, les finances et les impôts, le principe des contrats, les placements mobiliers, la condition juridique de la femme mariée dans les affaires, la CCDM et les fonctions d’un chef d’entreprise. Le journal La

Patrie, relayant l’une de ces conférences, indique, par exemple, que

cet exposé fut vivement apprécié des femmes qui tiennent en mains les destinées de leurs affaires. Si l’on tient compte qu’elles y ajoutent leur point de vue personnel et que leur intuition sert souvent leurs intérêts, on comprend qu’elles possèdent plusieurs atouts dans les rouages économiques où elles se sont engagées et qu’elles peuvent entrevoir, par un travail soutenu, les succès qu’elles espèrent177.

Par la suite, les thèmes abordés varient davantage. Sur un total de 48 conférences retracées entre 1957 et 1971, seules 19, dont 14 avant novembre 1961, portent à proprement parler sur les femmes et l’entrepreneuriat. Il s’agit par exemple, de discuter de droit commercial (contrats et obligations ou patrimoine), de finances (crédits, impôts, placements), de l’organisation d’une entreprise et des fonctions d’un chef d’entreprise, de la publicité, de la communication, des relations publiques, de la Chambre de commerce ou encore de la place des femmes dans les affaires. Les autres conférences portent plutôt sur les voyages, l’administration municipale, le journalisme, la santé ou certains sujets d’actualité comme l’aviation, la peine de mort, l’Expo 67 ou les droits des femmes. Cet examen des sujets de conférence dévoile le changement de public ciblé par le CFCE, puis par le CFM, au tournant des années soixante. Alors qu’avant 1961, les femmes propriétaires sont les premières concernées, après cette date, le public est élargi à toutes femmes salariées, voire à toutes citoyennes concernées par des questions de société. Les discours portant sur les relations publiques prononcés par M. Philippe Hurteau et par Mme Laure Hurteau sont exemplaires de ce tournant. En effet, dans son exposé de septembre 1957, M. Philippe Hurteau, conseiller en relations « extérieures » et professeur à l’École des HEC, s’adresse à des femmes propriétaires d’entreprise. Il leur conseille

176 Voir aussi Élise Detellier, « S’unir pour être plus fort », p. 56.

d’accorder leur attention d’abord, avec leur public immédiat : leurs employés, qu’elles choisiront bien, et qu’elles traiteront comme des associés et des amis. [...] En plus d’un service au-dessus de tout reproche, intéressez-vous à vos clients, établissez un contact plus humain et plus personnel.178

Mme Laure Hurteau, qui s’exprime en juin 1961, insiste, quant à elle, sur les carrières féminines dans la publicité et les relations extérieures comme salariées ou conjointes aidantes :

L’hôtesse professionnelle est devenue un métier très prisé, parce qu’il demande beaucoup de personnalité, de savoir-vivre, de tact et des connaissances spécialisées, selon la nature des services que ces femmes sont appelées à rendre. [...] Quantité de femmes remplissent des fonctions analogues officiellement ou officieusement, soit pour leur propre compte, soit pour le bénéfice [sic] de leur mari. Imbues de tact et de délicatesse, elles savent opportunément et discrètement faire valoir son [sic] travail ou mettre sa [sic] personnalité en évidence, sous le couvert de la femme aimante, attentive aux travaux et aux succès de son compagnon.179

En plus des dîners-causeries, Mme Marguerite Germain de Lom, sur une suggestion de M. Gilbert A. LaTour, président de la CCDM, propose, en janvier 1959, des soirées d’« éducation par le film »180. L’idée est de projeter des films qui font la « promotion de la

femme en affaires »181. Cette année-là, les 2 et 9 avril, deux séances sont organisées. La première porte sur « les délibérations d’une assemblée » tandis que la seconde est « destinée à développer le sens d’observation et le processus de réflexion des auditeurs »182. Les deux films sont commentés par le président de la CCDM. Les années suivantes, en revanche, ces « soirées d’éducation par le film » deviennent des « journées d’étude par le film »183. Seules cinq journées de ce type sont réellement organisées. Dans ce cas également, l’évolution des sujets abordés témoigne de l’élargissement du public et des intérêts du CFM de la CCDM. En effet, la première journée (novembre 1959) s’intitule « Autopsie d’une vente manquée » alors que les films diffusés durant les journées suivantes

178 HEC, CCDM, Simone Gélinas, « Chez les « femmes chefs d’entreprises » », Notre Temps, 28[?] septembre 1957.

179 HEC, CCDM, Messager de Verdun, janvier 1961? 180 HEC, CCDM, PV - CFM de la CCDM, 8 janvier 1959. 181 HEC, CCDM, PV - CFM de la CCDM, 5 février 1959.

182 HEC, CCDM, PV - CFM de la CCDM, 15 mars 1959 et 7 avril 1959. Commerce-Montréal, 7 mai 1959, p. 3. et 29 juin 1959, p. 7.

(entre 1960 et 1966) sont « Douze hommes en colère » ou des documentaires sur la France, l’Italie, la Cie transatlantique ou sur l’artisanat canadien184.

Parallèlement, à partir de 1961, le CFM de la CCDM organise des « cliniques d’étude » qui seront consacrées aux affaires au sens large185. La première, proposée le 16 novembre 1961, porte sur la comptabilité et les méthodes de contrôle, et plus particulièrement sur les moyens de contrôle du crédit et des inventaires, la nature, l’utilisation et l’analyse des états financiers. Les intervenants sont tous des hommes et vingt-cinq femmes y participent en moyenne186. En septembre 1964, la Maison Office

Overload propose, quant à elle une journée d’étude sur « l’administration du personnel de bureau, les méthodes d’embauche du personnel de bureau, le personnel de bureau et la rentabilité de l’entreprise, les politiques de la direction envers le personnel de bureau »187. En mars 1965, le CFM organise un colloque sur les différentes formules de placements en bourse188. Enfin, en 1969-1970, six journées d’étude sont proposées sur l’administration, l’éducation économique, le civisme, la réforme fiscale des particuliers et des familles, la société d’acquêts et l’avenir du CFM de la CCDM189. Ainsi donc, si les conférences des diners-causeries et les journées d’éducation par le film ne portent progressivement plus sur des sujets intéressant directement les femmes propriétaires d’entreprise, les journées et cliniques d’étude restent consacrées à ce type de sujet jusqu’à la fin des années soixante. Cependant, le placement en bourse concerne quant à lui clairement un plus large public

184 HEC, CCDM, Assemblée générale du CFM de la CCDM, 11 novembre 1959, 1er septembre 1960 et 17 janvier 1961 et Bulletin du CFM de la CCDM, février 1966. Commerce-Montréal, 26 mars 1962, p. 7 et 16 décembre 1963. Le film « Douze hommes en colère » est un drame judiciaire américain réalisé par Sidney Lumet datant de 1957. Il traite de la question du jury de cours d’assise américaine.

185 HEC, CCDM, PV - CFM de la CCDM, 16 mars 1961 et 16 août 1961.

186 Les intervenants sont M. Roger Charbonneau, comptable agréé, président de Anglo-French Drug et directeur Adjoint de l’École de HEC ; M Hervé Belzile, comptable agréé, gérant général Alliance Mutuelle d'Assistance ; M. Raymond Morcel, comptable agréé, chef du contrôle des HEC et M. Jean-Jacques St-Pierre, comptable agréé, directeur des cours du soir de l'école des HEC. HEC, CCDM, Rapport annuel du CFM de la CCDM, 1961-62.

187 HEC, CCDM, PV - CFM de la CCDM, 9 septembre 1964.

188 HEC, CCDM, Paule Sainte-Marie, « Des femmes deviennent spécialistes dans le monde des affaires », Non identifié, mars 1965.

puisque d’autres femmes, fortunées sans être nécessairement cheffes d’entreprise, peuvent s’y intéresser.

Enfin, entre 1958 et 1969, le CFM de la CCDM propose aussi des cours plus réguliers consacrés au droit (civil et commercial), à « la maîtrise de la parole », aux relations humaines et, enfin, aux placements et investissements190. Le cours de droit civil et commercial et celui consacré à la maîtrise de la parole s’organisent sous la forme d’une série de 12 cours par an et ont une audience de 25-30 personnes en moyenne. Celui consacré aux placements et aux investissements, quant à lui, n’est proposé qu’en 1967- 1968, sous la forme de cinq cours successifs, mais atteint un public plus important de 56 personnes.

Quel que soit le sujet abordé et quelle que soit la forme de l’activité (dîners- causeries, journées d’éducation par le film, journées/cliniques d’études ou cours), ces évènements sont réservés aux femmes membres de la CCDM puisqu’organisés par le CFM, mais la grande majorité des intervenantEs sont des hommes. En effet, en ce qui concerne les dîners-causeries, sur le total des 60 conférencièrEs recenséEs, seules 21 sont des femmes (dont 13 avant novembre 1961). De plus, elles sont, pour la plupart, journalistes ou avocates et aucune n’est propriétaire d’entreprise. Les femmes ne forment également que le tiers du total des professeurEs qui assurent des cours et il en est de même pour les autres évènements ponctuels. La proposition, énoncée en 1959 par Mme Germain de Lom, une conseillère du CFM, au sujet de ces dîners, « de mettre à l’honneur les Canadiennes de langue française qui ont des postes supérieurs et qui font un travail magnifique dans tous les domaines, en les invitant à faire des causeries à nos dîners », bien qu’approuvée, n’a donc pas été réellement mise en œuvre191. Bien que l’intention ne semble pas y être et que la situation ne soit jamais commentée, le CFCE/CFM privilégie, dans les faits, la formation des femmes par les hommes plutôt que la formation des femmes par leurs consœurs.

190 HEC, CCDM, Rapport annuel du CFM de la CCDM, 1960-61, 1961-62, 1962-63 et 1963-64, 1965-66; 1967-68; Commerce-Montréal, 25 décembre 1967. HEC, CCDM, « Nul n’est censé ignorer la loi », projet d’article soumis à la Revue Moderne, 1957; « Des cours de droit sous l’égide de la C.de C., Le Monde féminin, La Presse, 5 novembre 1959 ; PV - CFM de la CCDM, 5 novembre 1958; 1 octobre 1959; 31 août 1961; 28 août 1963; 20 août 1964 et 15 novembre 1968. 191 HEC, CCDM, PV - CFM de la CCDM, 30 juin 1959.

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