• Aucun résultat trouvé

1-2 La notion de temps

3- Quel statut catégoriel pour quand ?

Les grammaires traditionnelles considèrent quand comme une ConjS dans ses emplois non interrogatifs. S’il peut dans certains cas72 être effectivement considéré comme "subordonnant", de nombreux linguistes s’accordent pour remettre en cause ce statut de ConjS.

Les études menées penchent pour une interprétation de quand comme pronom relatif temporel indéfini (Sandfeld (1936), Chétrit (1976), Riegel et al. (1994 ; 2009), Muller (1996a), etc.).

Nous ne reviendrons pas sur chacune de ces analyses, et nous nous appuierons sur celles de Maurel (1992) et Benzitoun (2007b ; 2008) qui, tout en allant dans le sens des propositions

72 Lorsque les propositions introduites sont dans la dépendance du verbe de PP, donc dans le sens où quand serait un indicateur de la dépendance syntaxique d’une proposition par rapport à une autre.

antérieures, sont sinon novatrices, du moins systématiques et convaincantes, dans leur façon d’aborder la question.

Pour Maurel (1992), quand est dans tous ses emplois un relatif. Il s’appuie sur les propriétés suivantes : 1. le relatif introduit une structure syntaxiquement complète dans laquelle il joue un rôle fonctionnel ; 2. la relative est une "expression ouverte" dans laquelle le relatif « manifeste la présence d’une variable (non quantifiée) » (ibid. : 77)73 ; 3. par conséquent la relative a le même statut catégoriel que la variable qu’elle contient et qui l’introduit, ainsi dans je t’apporte le livre que je viens de lire (ibid. : 77), la relative est un élément de type nominal, ce que Maurel (ibid. : 78) symbolise (N(S)) sur la logique de Milner. Il démontre le fonctionnement de son hypothèse pour l’exemple (96) suivant, dans lequel (ibid. 78) « quand est un "circonstanciel" modifiant le prédicat il pleut ; quand est une variable temporelle (il pleut (t)) ; la relative introduite par quand a la même nature catégorielle que quand », i.e. adverbiale :

96. Quand il pleut, je sors (Maurel, 1992 : 74)

Cela le conduit à proposer que la relative de (96) soit une relative "thème", dont il donne l’exemple Qui délasse hors de propos, il lasse en français classique ; tandis que dans (97) ci-dessous, quand-p serait une relative "libre", et dans (98) une relative "continuative", capable de marquer une « étape décisive dans la stratégie narrative du locuteur, [ce qui en fait] la "principale" » (ibid. : 79) d’un point de vue de l’énonciation74 :

97. Je sors quand il pleut (Maurel, 1992 : 74)

98. On était à peine sorti, quand il se mit à pleuvoir (Maurel, 1992 : 76)

Benzitoun (2007b) ne va pas à l’encontre de l’analyse de Maurel (1992) et pour lui, le problème de la catégorisation de quand rejoint celui de la catégorisation des mots qu-. Par conséquent, se réclamant d’Abeillé (2002 < ibid., 2007b : 135), il distingue deux types de mots qu- : proforme qu- et particule qu- :

« Les complémenteurs (que, dont et qui relatif sujet) n’ont aucun trait nominal (ni genre ni nombre ni trait sémantique), et se trouvent toujours en position complémenteur (préphrastique), ils peuvent introduire des complétives avec les mêmes contraintes de mode. Les mots qu- (adverbes ou pronoms relatifs ou interrogatifs comme lequel) ont un indice référentiel, peuvent varier en genre et nombre, peuvent renvoyer à des animés et occupent des positions variées dans la phrase. »

73

Cela le conduit pour la relative de je t’apporte le livre que je viens de lire à formuler l’expression logique suivante pour N : ( livre (x) je viens de lire (x) ) (ibid. : 77).

74

Les complémenteurs d’Abeillé (2002) correspondent à ce que Benzitoun (2007b : 135) appelle « particules qu- introductrices de construction » et les mots qu- à ce qu’il appelle « proformes qu- ».

Pour distinguer entre particule et proforme qu- Benzitoun (2007b) s’appuie sur des critères sémantiques et morphosyntaxiques, et ces critères lui permettent de distinguer quatre classes catégorielles pour les mots qu- :

Cas 1 Cas 2 Cas 3 Cas 4

Proforme qu- Support75 + proforme qu- Support + particule qu- Particule qu- Tableau 13. Classes catégorielles des mots qu- selon Benzitoun (2007b).

Quand n’est concerné que par les cas n°2 et 3 du tableau.

Pour Benzitoun (2008 : 133) la proforme qu- « possède un trait sémantico-syntaxique référentiel, peut être suivie par un verbe à l’infinitif76, par la tournure c’est que/est-ce que, par que et enfin être précédée par une préposition » :

99. Quand s’arrêter ? Le plus tard possible ! (Pratique, Sports < Benzitoun, 2008 : 134)

100. Quand est-ce que nous allons nous affranchir des peurs ancestrales irrationnelles ou religieuses à la noix et faire un bon vers l’avenir ! (Forum, Culture < Benzitoun, 2008 : 134) / Je reprends ma plume quelque peu rouillée pour tenter d’arracher quelques rires à mes contents porains, comme avant, quand c’est que j’avais du talent. (www < ibid. : 136)

101. Alors quand que vous me donnerez les cinquante francs ? (France, Crainquebille < Benzitoun, 2008 : 135)

102. À partir de quand les conditions ne seront-elles pas remplies ? (Monde Diplo < Benzitoun, 2008 : 135)

Il conduit alors un examen morphosyntaxique des emplois de quand-p, qui l’amène à préciser que dans ses emplois interrogatifs quand est clairement une proforme qu-, car dans un tel emploi il répond positivement aux critères permettant de définir une proforme qu-

75 Le terme de Support dans la terminologie de l’Approche Pronominale correspond à la notion d’antécédent en grammaire traditionnelle, et à celle de contrôleur chez Berrendonner (1983). Cette hypothèse d’un quand =

[support + que] va dans le sens de ce qu’affirmait Chétrit (1976), qui considérait quand comme un morphème

plurifonctionnel, fonctionnant comme un relatif comprenant en lui-même sa « base d’incidence », soit : quand = « au moment où » au même titre que ; que = « ce que », qui = « les personnes qui », si = « à la condition que », et comme = « de la manière que ». Benzitoun (2007b : 349) définit ainsi la notion qui « remplace le terme "antécédent" […] à cause notamment du fait que celui-ci peut être indispensable à la bonne formation de l’énoncé. »

76 Pour quand suivi d’un infinitif, il ne propose que des emplois dans lesquels quand est interrogatif, mais en précisant que (ibid. : 137) « la frontière entre emploi interrogatif et non interrogatif est poreuse. »

(ibid. : 133). L’hypothèse de Benzitoun (2007b, 2008) est d’étendre cette analyse de quand proforme qu- aux autres types d’emploi. L’objectif est donc de démontrer qu’il possède bien un trait référentiel [+Temporel], et pour Benzitoun (2008 : 135) :

« L’effet de sens de datation d’une situation pourrait provenir d’un trait sémantique relationnel. Quand indiquerait simplement qu’il faut mettre en relation temporelle les deux situations évoquées par les constructions verbales, celle qui le régit et celle qu’il introduit, et serait alors analysé comme une particule. Si quand est une proforme, au contraire, elle définit une référence temporelle qui est mise en relation avec le verbe principal. […] »

L’enjeu pour quand serait donc le suivant (ibid. : 135) :

« Pour montrer que quand peut être défini par des traits référant à une entité et non pas par des traits caractérisant une relation, il faut démontrer qu’il occupe une position syntaxique, car ainsi on pourra déterminer son trait par référence au paradigme dans lequel il s’inscrit. L’agrammaticalité de à ce moment-là et quand entretenant la même relation syntaxique par rapport au verbe permet d’atteindre cet objectif. »

Il propose alors à titre d’illustration la manipulation suivante que nous reproduisons :

103. Bonsoir. Tu remettras la clef au concierge quand tu seras prête. (Maupassant < ibid. 136)

a. ? Tu remettras la clef au concierge quand tu seras prête à ce moment-là. Toutefois on observe la possibilité ci-dessous :

104. Tu remettras la clef au concierge à ce moment-là, quand tu seras prête

(104) est permis en raison de la récursivité des constituants temporels, aussi il vaut mieux s’appuyer sur la manipulation suivante qui indique sans conteste que quand occupe bien une place syntaxique dans quand-p :

105. * Tu remettras la clef au concierge quand tu seras prête quand ?

L’agrammaticalité provoquée par l’insertion de quand ? dans quand-p permet de montrer que quand et quand ? sont en relation d’équivalence paradigmatique, et de fait, une place paradigmatique ne pouvant être occupée qu’une seule fois dans la proposition, l’insertion de quand ? pose nécessairement problème et permet de statuer sur le fait que quand ait bien une fonction rectionnelle dans la proposition qu’il introduit.

Quand possède donc dans cet emploi traditionnellement défini comme "conjonctionnel"77 un trait référentiel [+Temporel] qui, pour Benzitoun (ibid. : 136), est en soi « un indice très fort d’un statut de proforme. »

77

Pour Benzitoun (2008) un autre critère allant dans le sens d’une analyse de quand proforme qu-, serait son affiliation paradigmatique avec où qui est un représentant prototypique de cette catégorie, il donne alors l’exemple suivant à titre d’illustration :

106. Même si Luther et Calvin ont pris soin de préciser que le texte devient parole de Dieu par la seule action d’un Saint Esprit qui souffle où et quand il veut, le texte est parfois sacralisé aux risques du contre-sens et de l’obscurantisme. (Divers < ibid. : 137)

Cette affiliation paradigmatique permet de dire que quand a un fonctionnement équivalent à celui d’un relatif sans antécédent.

L’autre argument en faveur d’une telle interprétation vient, pour Benzitoun (2008), de la possibilité de quand d’être précédé d’une préposition :

107. L’image que j’ai de Zizou remonte à quand j’étais en sélection en cadets nationaux ou juniors, je ne sais plus trop. ([www] < ibid. : 138)

108. Il suffit d’avoir une bonne connaissance de (qui a fait le coup / où il faut aller / quand il faut partir / combien ça va nous coûter) (ibid. : 138)

Pour Benzitoun (2008) donc, quand serait dans la majorité de ses emplois une proforme qu- ce qui pencherait en faveur de l’unicité catégorielle de quand.

Toutefois, cette thèse de l’unicité de quand vs son polymorphisme, ou polycatégorisation, est légèrement mise en défaut par des exemples tels que ceux-ci, dans lequel Benzitoun précise (ibid. : 142) que quand ne possède pas de trait [+Temporel] et qu’il n’y a pas de contexte interrogatif correspondant :

109. Quand on est maladroit comme ça, on reste chez soi. (Bat-Zeev Shyldkrot < Pierrard < ibid. : 150)

110. Pourquoi laisser périr nombre de citoyens américains dans la misère et la maladie quand il serait si facile de les sauver. (Forum, Monde < ibid. : 140)78

111. Malgré tout, à la fin du VIIe Plan (1986-1990), la Chine ne pourra former que 500 000 enseignants du secondaire, quand il en faudrait 900 000. (Monde Diplo < ibid. : 142) Dans ce type d’énoncé, quand serait particule qu-.

Dans sa thèse, Benzitoun (2007b) propose encore d’autres exemples dans lesquels quand serait une particule qu- dont :

112. Quand bien même Allègre remettrait le 93 aux normes, Auguste-Blanqui clopinera toujours loin derrière Henry-IV. (PRES:Satirique < ibid. 2007 : 299)

78 Dans cet exemple, quand est classé par Benzitoun (2008) proforme qu-, alors que dans sa thèse (2007b : 299) il le classait dans la catégorie particule qu-.

113. Quand même ton palais serait plus beau que le cristal, je ne sortirais pas de cette maison pour te suivre. (LITA:PoesieA < ibid. 2007 : 299)

mais dans ce cas il est accompagné des adverbes même, bien même.

Pour notre part, nous ne nous inscrirons pas en faux par rapport aux analyses présentées ci-dessus, et considèrerons quand essentiellement comme proforme qu-, ou relatif temporel indéfini, allant plutôt dans le sens de l’univocité de l’introducteur.

Pour nous, quand aurait effectivement un fonctionnement comparable à celui des relatifs sans antécédents de type quiconque. Quand comprendrait, incorporerait, donc en lui même son antécédent (soit son référent temporel [+Temporel/+Indéterminé]).

Ce sème inclus dans le marqueur ne serait selon nous jamais abandonné au profit d’autres sémantismes, et en effet quand serait toujours paraphrasable par <à un moment x>. Aussi, si variation sémantique il y a, elle n’est pas due au marqueur lui-même mais à l’interprétation de quand-p, comme c’est le cas dans les exemples où il est catégorisé par Benzitoun (2008) comme une particule qu-.

Le fonctionnement de quand serait donc double, sur le modèle des pronoms relatifs : 1. il apporte une caractérisation temporelle indéterminée ([Tindet.]) à la proposition qu’il introduit ; 2. par son statut de connecteur, il signale son incomplétude, i.e. le fait qu’il faille lui trouver un ancrage référentiel.

Cet ancrage référentiel est indéterminé dans le sens où il peut se faire aussi bien par rapport au contexte gauche (la relation est alors anaphorique) que droit (et la relation devient cataphorique).

Cet ancrage référentiel exigé par quand peut prendre différentes formes syntaxiques, et c’est ce que nous avons désigné par les différents types d’intégration de quand-p.

Schématiquement nous pouvons proposer la formule suivante pour quand : Quand = support [Tindet.] + connecteur sous-spécifié