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1-2 La notion de temps

2- Cum inversum et quand inverse

Haudry (1973) précise que le diptyque corrélatif normal à corrélatif elliptique a donné la proposition temporelle ordinaire du latin (qui correspond au gérondif français), et que le cum inversum n’a rien à voir avec l’inversion de la SCN, mais serait le véritable cas de subordination dite traditionnellement inverse.

Pour Haudry (1973) le cum inversum n’est que le remplacement stylistique du corrélatif tum par le relatif cum, et cette substitution est identique à celle qui a produit le relatif de liaison du latin. Bien que n’ayant aucun rapport avec l’inversion de la SCN, cette structure inverse aurait donc aussi pour racine une structure corrélative.

Il précise encore que la modification segmentale (remplacement de tum par cum) induit les conséquences syntaxiques suivantes en latin : 1. une contrainte temporelle sur PP et sur PS : <PP = imparfait ou plus-que-parfait et PS = présent ou parfait> ; et 2. la hiérarchie du signifié peut être marquée par une reprise anaphorique (adverbe anaphorique) dans PS.

Pour Haudry (1973), il est probable que ce que l’on appelle le quand inverse en français provienne du cum inversum latin. Par contre il précise que le When-inverse de l’anglais est d’évolution plus récente et que ce when se serait substitué à un véritable relatif de liaison then.

D’un point de vue pragmatique, le cum inversum est un phénomène phrastique dans lequel le procès logiquement principal est exprimé dans PS, le procès secondaire étant exprimé dans PP.

Il y a donc une inversion de la structure informationnelle canonique et elle consiste en ce que la hiérarchie du signifiant (structure formelle : [PP + PS]) est inversée par rapport à la hiérarchie du signifié (structure informationnelle : [information secondaire + information principale]). S’il y a subordination, elle est donc énonciative, mais certainement pas syntaxique.

Nous considérons qu’il est donc presque inexact, vu la connotation structurelle du terme, de parler encore de subordination. Cependant on pourrait même considérer que parler d’inversion, même énonciative, est abusif dans la mesure où, il est fréquent de trouver ce type de structure informationnelle70 en langue, et donc pourquoi en faire un cas à part pour certaines quand-p, si l’on supprime l’idée de subordination syntaxique. En cela l’étude de Benzitoun (2007b) présente un intérêt particulier, il n’utilise pas la terminologie traditionnelle et parle de quand-p associées dont il distingue au moins quatre types que nous détaillerons dans la section 2 de ce chapitre.

Les études antérieures (Imbs, 1956 ; Brunot, 1965 ; Olsson, 1971 ; Chétrit, 1976 ; Borillo, 1988 ; Maurel, 1992 ; Declerck 1997 ; Vogeleer, 1998 ; Le Draoulec, 2006b) interprètent généralement comme quand inverse des propositions comme (91) ci-dessous71 :

91. Et prenant à deux mains, du bout des doigts, le petit angle d'os qu'il est si plaisant de faire craquer, elle s'apprêtait à le briser, quand soudain elle se rappela : Vincent détestait entendre craquer les os. (FT : de Romilly, Les œufs de Pâques, 1993)

Au niveau discursif, ce qui distingue ce type de clause des canoniques quand-p rectionnelles (ou traditionnellement PSC temporelles) comme (92), c’est le fait que le fait principal (i.e. ce qui fait avancer la narration) ne se trouve pas dans PP mais dans PS, ce qui produit cette impression d’énonciation inverse :

92. Je me promène quand il fait beau

70 En effet en français la position postverbale est considérée comme comportant l’information saillante, ainsi de

quand-p dans Je me promène quand il fait beau, à l’inverse de Quand il fait beau, je me promène où quand-p

consitue le cadre temporel de PP.

71 Certains citent aussi des clauses telles que : Monsieur Goudineau était dans on hôtel de ville quand le

téléphone a sonné (JLM 12/99). Nous reviendrons sur l’analyse de ce type de propositions dans la partie II,

De surcroit, s’ajoute à l’énonciation un effet de surprise qui provient de ce que le fait contenu dans quand-p vient interrompre celui exprimé dans la PP, ou comme le dit Olsson cité par Le Draoulec (2006b : 5) : « un fait inattendu qui interrompt soudain l’action de la principale sans que le lecteur y soit préparé par ce qui précède. »

Au plan syntaxique, ces propositions se distinguent des quand-p rectionnelles en ce qu’elles répondent négativement aux tests de rection comme le montre le tableau ci-dessous :

PROPRIETES QUAND-P RECTIONNELLES QUAND-P INVERSES

Facultative + : (93a) - : (94a)

Proportionnelle à un quand interrogatif (désormais quand ?)

+ : (93b) - : (94b)

Précédées d’un adverbe paradigmatisant

+ : (93c) - : (94c)

Négation + : (93d) - : (94d)

Tableau 12. Comparatif des propriétés de quand-p PSC vs inverse. Les manipulations ci-dessous illustrent le tableau précédent :

93. a. Je me promène Ø

b. Quand est-ce que tu te promènes ? – quand il fait beau / tu te promènes quand ? – quand il fait beau

c. Je me promène même quand il fait beau d. Je me promène mais pas quand il fait beau

94. a. ? elle s'apprêtait à le briser Ø

b. ? elle s'apprêtait à le briser quand ? – quand soudain elle se rappela … c. ? elle s'apprêtait à le briser même quand soudain elle se rappela … d. ? elle s'apprêtait à le briser mais pas quand soudain elle se rappela …

Ces manipulations montrent que les quand-p dites inverses ne sont pas régies par le verbe de la PP : elles sont donc syntaxiquement autonomes par rapport au verbe de la PP, et ne se laissent pas décrire, au niveau de leur syntaxe externe, en termes de micro-syntaxe.

De plus, ces exemples répondent aux exigences et contraintes de temps et d’aspect qui président à la formule quand inverse, soit l’association aspectuelle suivante : couple [inaccompli duratif – accompli ponctuel], porté par l’emploi de l’imparfait associé au passé simple (91).

Imbs (1956), Brunot (1965), ou encore Chétrit (1976), ajoutent que dans ce type de structure inverse, l’OS est contraint : quand-p doit être nécessairement postposée :

« Tout se passe […] dans cette structure comme si on voulait mettre en relief le second procès, contraint à la position II [postposition], mise en relief qui est particulièrement nette dans les énoncés où [une] expression verbale […] de contenu sémantique très tenu fait figure de procès matrice ». (Chétrit, 1976 : 110)

Cette contrainte de l’OS se vérifie pour (91) :

95. ? Quand soudain elle se rappela : Vincent détestait entendre craquer les os, elle s'apprêtait à le briser

L’inacceptabilité de (95) vient d’une entorse à la logique discursive. En effet, le procès contenu dans quand-p vient interrompre celui donné dans PP, de fait si l’on antépose l’interruption avant le cadre, la logique discursive s’en trouve remise en cause. C’est ce que nous confirme Le Draoulec (2003 : 11) :

« La postposition de la subordonnée, si elle n’est pas suffisante à l’interprétation inverse, est cependant nécessaire pour que l’ordre des propositions soit iconique de l’ordre dans lequel les situations se sont déroulées : sans ce rapport iconique, il n’y aurait pas de « suspense », et donc pas d’effet de surprise. »