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Le terme de macro-syntaxe n’est pas utilisé uniquement par l’équipe du GARS, il l’est aussi avec de nombreuses variations par l’équipe fribourgeoise à partir des travaux de Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) et Berrendonner (1990a).

C’est dans l’acception fribourgeoise que nous emploierons désormais ce terme.

Phrase versus acte énonciatif ; clause et période

Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) émettent une critique49 sévère à l’égard de la notion de phrase, résumée en ces termes par Berrendonner (1990a : 25) :

« La "phrase" traditionnelle, parce qu’elle n’est que l’approximation graphique, intuitive et informelle d’une unité de langue (…] constitue, de l’aveu commun, un instrument grammatical à peu près inefficace lorsqu’il s’agit […] d’analyser à l’écrit certaines configurations syntaxique non rectionnelles (apposition, détachements, incises, etc.) »

Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) distinguent deux constituants non intra-phrastiques, ou participant de l’acte énonciatif : la clause et la période.

L’acte énonciatif est ainsi défini par Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989 : 113) :

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Cette proposition pourrait être acceptable si on considère au Secours Catholique comme un complément locatif et non plus comme une entité susceptible de ‘recevoir les vêtements de Marie’.

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« Un acte énonciatif ne se réduit pas à l’expression d’une valeur illocutoire ou interactive […], bien qu’il comporte ordinairement ces aspects. C’est, plus largement, une conduite à la fois verbale et mimo-gestuelle, apte à opérer des transformations dans la mémoire discursive (= le stock structuré d’information M que suggère coopérativement les interlocuteurs). »

Les actes énonciatifs sont donc reconnus comme tels à partir du moment où ils enrichissent M, i.e. la mémoire discursive. Ils sont fondamentalement dotés d’une fonction communicative et de fait, Berrendonner (1990a : 25)précise que « si l’on entend par fonction communicative le fait d’opérer une transformation quelconque dans M, on peut alors faire l’hypothèse qu’il existe un niveau auquel la chaîne parlée s’articule en unités minimales à fonction communicative », soit les unités clauses – ou énonciation, et période.

Pour Berrendonner & Reichler-Béguelin (ibid. : 113 et suiv.) la fonction spécifique de la clause est de servir à l’accomplissement de cet acte énonciatif, « une clause est ainsi une unité minimale virtuelle de comportement, un rôle langagier élémentaire » (ibid. : 113). Pour ces auteurs la reconnaissance de l’unité clause en ce qu’elle est à la fois « comportementale et mimo-gestuelle » (ibid. : 113-114) induit les conséquences suivantes :

« D’une part, toute clause incorpore des traits prosodiques. On peut y voir un composé formé de deux termes solidaires : une séquence de signes et une unité de contour intonatif. D’autre part les clauses appartiennent au même paradigme que certains gestes non verbaux, qui peuvent, dans le discours, occuper les mêmes positions et remplir les mêmes fonctions qu’elles. […] Cela veut dire qu’à partir du rang de la clause, LA SYNTAXE CHANGE DE NATURE : un texte ne doit pas être regardé comme une séquence de signes, mais comme un assemblage d’actes ou de comportements, dont tous ne sont pas nécessairement énonciatifs. »50

Ils illustrent leur propos par l’exemple dans lequel une clause mimo-gestuelle occupe le même paradigme qu’une clause énonciative :

58. On l’a opéré, et trois mois après, « le tranchant de la main, paume vers le haut, coupe transversalement l’espace » (Cabris < ibid. : 114)

Pour Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) cet exemple témoigne de l’existence des différents niveaux en jeu dans l’acte énonciatif et démontre que « la clause constitue un seuil entre deux ordres de la combinatoire. Car elle est à la fois l’unité maximale de la syntaxe de rection, et l’unité minimale de la syntaxe de présupposition » (ibid. : 114).

Les relations internes à la clause – appelées de « rangs inférieurs » – reposent sur une combinatoire qui relève de la rection, « c'est-à-dire sur des implications de cooccurrence entre des segments. Chaque unité s’y laisse donc décrire en termes d’environnements segmentaux,

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par sa distribution » (ibid. : 114), soit comme le précisera Berrendonner (1990a : 27) selon deux types de « relations formelles établies entre des segments signifiants : [1.] la concaténation (« x précède y ») et/ou [2.] rection (« x implique la co-occurrence de y ») ».

En revanche la syntaxe externe de la clause elle-même n’est pas descriptible en termes de distribution mais en ce que Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989 : 114) appellent des « conditions d’appropriété », c'est-à-dire qu’elle implique un certain état de M pour l’enrichir. Effectivement « son emploi requiert que soient valides, donc présents en mémoire discursive, certains éléments de connaissance, faute desquels l’acte énonciatif qu’elle accomplit paraîtra impropre ou déplacé. »

Pour illustrer cette contrainte d’appropriété propre à la clause ils rappellent l’exemple suivant Le roi de France est sur le paillasson, en précisant que dans M doit être déjà validé l’information d’existence d’un roi en France – soit le présupposé <la France a un roi> faute de quoi il est impossible d’ajouter une suite narrative à cet évènement.

Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) concluent donc qu’une clause présuppose un « état informationnel » établi dans M, ce qui entraine à l’oral des énoncés qui incluent le « rattrapage » d’actes énonciatifs omis :

59. i’ pêchait sa friture ↑ i’faisait sa friture ↑ il la mange-… il la faisait cuire et il la mangeait ↑ au bord de l’eau ↑ (ibid. : 115)

Berrendonner (1990a : 27) confirme ce caractère particulier de la combinatoire externe à la clause qui repose donc sur des « rapports d’implications pratiques (« pour faire/avoir x, il faut avoir/faire y »), dont il existe au moins deux espèces. » L’auteur reconnait que les conditions d’appropriété internes à la clause sont dirigées – en toute logique – vers la gauche, c’est donc un rapport de présupposition.

Mais les clauses jouent aussi un rôle vers la droite en vertu de ce que l’auteur (op. cit.) nomme une règle de production qu’il formule ainsi :

« Pour que p ∈ M, il faut accomplir une énonciation de p »

Pour l’auteur (op. cit.), « ces relations macro-syntaxiques sont cognitivement motivées, et leurs termes ne sont plus des segments signifiants, mais des informations et des actions communicatives […]. Il s’ensuit que les unités intégratives de rang supérieur aux clauses ([qu’il nomme] « périodes ») ont une structure de programme praxéologique, descriptible en termes de but et de sous-buts. »

Béguelin (2004 : 3) proposera la définition suivante de cette unité de rang supérieur qu’est la période :

« […] les énonciations de clauses sont groupées en périodes, unités délimitées par un intonème conclusif, et réalisant une phase spécifique du programme d’actions communicatives du locuteur […] La combinatoire des clauses à l’intérieur de la période repose, quant à elle, sur des relations d’une autre nature, à caractère pragmatique-inférentiel, du type “présuppose” [soit selon un processus anaphorique dans M] ou “laisse prévoir” [soit selon un processus cataphorique]. »

Liage vs pointage

Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989 : 115) remarquent que « la distinction entre rection et présupposition s’applique notamment, avec de grandes conséquences, à la description des "anaphoriques", i.e. des constituants dont le signifié est une variable V, qui demande pour prendre une valeur de désignation, à être instanciée en discours. Cela s’obtient par la mise en identité de V avec un contenu référentiel manifesté ailleurs, et que [ils] appelle[nt] son contrôleur. »

L’anaphore – entendue dans un sens très large – est donc primordiale dans ce cadre d’analyse, et pour Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989), deux cas de figures sont à distinguer. Dans le premier « le contrôleur est un signifié présent dans la même clause que V : il existe alors entre les deux segments de la clause (l’anaphorique et son antécédent au sens traditionnel du terme), un rapport de rection » (ibid. : 115), visible notamment par les contraintes d’accord. Les auteurs désignent cette relation anaphorique sous le terme de liage, reconnaissable par la contrainte d’accord, comme c’est le cas dans l’exemple suivant :

60. Nuli n’est persuadé qu’ili est seul maître de soni destin.

Le second cas de figure est plus complexe en ce qu’il peut mettre en jeu des relations inférentielles51. Dans ce cas Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) déterminent que « le contrôleur est hors de la clause, car celui-ci ne peut plus être caractérisé comme segment, mais seulement comme information support : du fait qu’elle contient V la clause présuppose la présence dans M d’une information d’existence I » (ibid. : 115) et en illustration de cette hypothèse ils rappellent le présupposé <la France a un roi>, contenu dans la proposition : Le roi de France est sur le paillasson.

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Les relations de liage sont donc internes à la clause et relèvent de la rection, contrairement aux relations de rappel qui sont constitutives de la période et donc, qui ne relèvent pas de la rection. Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989 : 116) proposent le test de reconnaissance suivant : « un pronom n’est remplaçable par un N’’démonstratif que s’il joue une forme de rappel et non celui de forme liée », en vertu justement de la non-contrainte d’accord entre les constituants d’une forme de rappel.

Les auteurs illustrent leur démonstration par les exemples suivants comprenant une forme de rappel (61) opposée à une forme liée (62) :

61. Le chat est malade. Il ne mange plus ≅ le chat est malade. Cette pauvre bête ne mange plus. (ibid. : 116)

62. Le chat sait qu’il est malade. ≅ # le chat sait que cette pauvre bête est malade. (ibid. : 116)

Ils remarquent de surcroit que dans les constructions détachées du type (63) ci-dessous, l’anaphore52 est une forme de rappel et non de liage, par conséquent « ces formes doivent être analysées comme des suites ou périodes formées de deux clauses distinctes, et la virgule interne y marque donc une frontière de même rang que le point final » (ibid. : 116) :

63. La chasse à l’étudiant, la police l’a toujours considérée comme un sport très agréable. ≅ La chasse à l’étudiant, la police a toujours considéré cette activité comme un sport très agréable. (ibid. : 116)

Comme le précisera Reichler-Béguelin (1993 : 347), « la logique inférentielle caractéristique de la macro-syntaxe comporte donc des incidences sur la micro-syntaxe, et, diachroniquement, sur le système. »

Au sujet de cette perspective inférentielle Reichler-Béguelin (1989) précise qu’elle s’appuie fondamentalement sur une perspective d’encodage et de décodage qui invite à ne pas considérer l’anaphore uniquement sur un plan syntactico-sémantique, comme un phénomène de "substitution sémantique", et effectivement pour l’auteur (1989 : 311) :

« Loin de respecter par instinct les contraintes d’un chaînage syntagmatique, les sujets tendent à procéder par actes de références autonomes et successifs, de nature fondamentalement déictique, à des contenus mnésiques de toute manière évidents pour eux, et qui, de leur strict point de vue, n’ont pas besoin d’être actualisés dans le discours. […] Dans bien des cas, il arrive donc que l’accès à l’information anaphorisée ne soit pas garanti par des moyens linguistiques : même si cela se passe parfois au

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détriment du principe de coopération, la construction d’un référent sera alors laissée à la charge de la compétence inférentielle du destinataire. »

La reconnaissance de deux types de relations anaphoriques (liage et rappel ou pointage), permet de rendre compte des niveaux infra- et extra-clausaux, donc de rendre compte de ce qui relève de la micro- et de la macro-syntaxe.