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Nous nous appuierons essentiellement sur les articles de Reichler-Béguelin (1988) et notamment (1988a) dont l’objectif est de « préciser le fonctionnement, intra- et extra-phrastique de l’anaphore et de la cataphore » (1988a : 16).

Elle rappelle (1988a) les définitions traditionnelles d’anaphore et cataphore, en disant que la première est un processus de renvoi à un segment d’énoncé déjà actualisé dans la chaîne discursive, et la seconde est un processus dans lequel l’interprétant se situe après l’expression qui appelle une interprétation.

Il s’agit donc de « phénomène[s] de dépendance interprétative entre deux unités » (ibid. : 17), l’auteure faisant remarquer que ces définitions sont « de nature à accréditer l’idée qu’anaphore et cataphore seraient deux phénomènes de dépendance contextuelle par essence symétrique, un élément linguistique donné se trouvant tantôt repris, tantôt anticipé à l’aide d’un segment jouant par rapport à lui le rôle de "substitut" […] » (ibid. : 17).

Or pour Reichler-Béguelin (1988a), il s’agit justement de remettre en cause deux idées communément admises dans la définition et la reconnaissance de ces relations discursives. La première est que ces types de relations sont symétriques, i.e. vers la droite ou la gauche, or selon elle, cette idée nie les processus d’encodage et décodage en jeu.

La seconde est que tout pronom anaphorique remplace une expression référentielle (le pronom serait "mis pour le nom"), et qu’ils sont liés par coréférence. En effet, on observe que dans de nombreux exemples cette coréférence est absente ce qui entraine des « discordances [d’ordre] morpho-syntaxiques, sémantique et/ou référentielles » (ibid. : 18) entre pronom et contrôleur.

Un autre cas de figure peut se présenter : l’expression référentielle peut être absente du contexte discursif antérieur et l’on doit alors la rétablir par inférence à partir de l’implicite du texte, l’expression référentielle appartient alors au non-dit.

Pour illustrer ce cas Reichler-Béguelin (1988a) donne l’exemple suivant :

64. Il fallait entre autre chose que cette pauvre enfant allât deux fois le jour puiser de l’eau à une grande demi-lieue du logis, et qu’elle en rapportât plein une grande cruche. Un jour qu’elle était à cette fontaine, il vient à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire (Perrault < ibid. : 18)

dont elle explicite (ibid. : 18) ainsi le raisonnement inférentiel :

[64’] ‘’Si (p) l’on puise de l’eau, alors (q) il y a une fontaine (au sens ancien de « source », « eau vive qui sort de terre et se répand à la surface du sol » (Robert))’’

Pour l’auteure donc, (ibid. : 18) :

« L’anaphore ne consiste pas, selon l’idée communément répandue, en une simple réitération, plus ou moins économique, d’un interprétant préalablement actualisé [mais] se caractérise dès lors comme un phénomène de rappel informationnel relativement complexe où sont susceptibles d’intervenir : 1. le savoir construit linguistiquement par le texte lui-même ; 2. les contenus inférentiels qu’il est possible de calculer à partir des contenus linguistiques pris pour prémisses et cela grâce aux connaissances lexicales, aux prérequis encyclopédiques et culturels, aux lieux communs argumentatifs ambiants dans une société donnée53. ».

Ces contenus implicites, une fois fournis, sont susceptibles d’être actualisés dans M par le biais de l’anaphore dans certaines conditions.

Anaphore

Berrendonner (1983) définit aussi l’anaphore selon la grande variété des contrôleurs possible pour un anaphorique. Pour lui aussi, la fonction de "substitut" accordée traditionnellement aux anaphoriques n’est pas valide, ne serait-ce que par la diversification des "antécédents"54 possibles, et il reconnait – au même titre que le fera Reichler-Béguelin (1988) – qu’un même anaphorique peut avoir pour "antécédent" aussi bien un « événement extralinguistique qu’un segment de discours antérieur. Il faut ajouter dans ce second cas, que le « segment de discours antérieur jouant le rôle d’antécédent doit être considéré à divers niveaux : tantôt en tant que simple contenu propositionnel, tantôt en tant qu’acte d’énonciation » (ibid. : 225-226).

53 C’est le cas par exemple dans les « anaphores associatives » dont l’auteur précise (ibid. : 19) qu’elles reposent sur « un savoir partagé relatif aux rapports de type méréologique et métonymique qui existent entre les réalités dénotées, dont certaines peuvent ainsi devenir des objets de discours sans avoir été introduites au préalable ».

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Il arrive aussi que l’anaphorique soit dépourvu d’"antécédent" explicite, et alors « on doit admettre que c’est à une information implicite que se fait l’anaphore : l’antécédent (si antécédent il doit y avoir) ne peut être qu’un sous-entendu accessible seulement par inférence » et ce « processus inférentiel […] confronte un point variable du discours avec des prémisses complémentaires de diverses natures : axiomes de déduction naturelle, "postulats de sens" lexicaux, savoirs encyclopédiques, évidences situationnelles, etc. » (1983 : 227)

Berrendonner pour illustrer sa théorie (ibid. : 228) prend divers exemples dont celui-ci qui comprend un anaphorique en /ton N/ susceptible de référer : « 1. soit à un événement : Laisse moi TA PLACE ! ; 2. soit à une proposition antérieure : Ainsi, tu écris un livre sur les connecteurs pragmatiques. Eh bien, TON LIVRE, ça m’étonnerait qu’il ait le Goncourt ! ; 3. soit à une énonciation antérieure : X : Chomsky dit qu’il n’y a plus de transformations. Y : TON

CHOMSKY, il sait pas ce qu’il veut ! ; 4. soit enfin à un sous-entendu : Ah, tu es marié ! Et qui est TA FEMME ? ».

L’anaphore joue donc sur les plans suivants :

NIVEAUX SOUS-NIVEAUX Extra-linguistique = événements Intra-linguistique = proposition/ intra-clausal Enonciation Dans M antérieure Présupposition (sous-entendu) ANAPHORE

Figure 10. Schéma représentant les différents niveaux sur lesquels joue l’anaphore.

Pour Berrendonner, ces données, qui montrent qu’un anaphorique n’a pas toujours un antécédent verbal déterminé « doté d’un statut de constituant grammatical » (1983 : 229), infirment la notion d’"antécédent", à laquelle il renonce bien volontiers. Pour lui (ibid. : 229) :

« L’anaphore ne doit pas être conçue comme un phénomène purement syntaxique de substitution, liant des "constituants" du discours, mais comme un processus sémantico-pragmatique beaucoup plus complexe. »

Cette complexité vient de ce que pour lui le processus d’anaphorisation est un processus de présupposition et Berrendonner précise (1983 : 230) que « présupposer n’est pas seulement incorporer à son propos un propos antérieur, réel ou imaginaire ; c’est nommer l’état de choses qui résulte de la validation de ce propos. » C’est dans cette mesure qu’intervient la notion de "mémoire discursive" modifiée par le discours en cours d’élaboration.

Pour Berrendonner donc, employer un anaphorique, c’est référer à un certain état de M, « autrement dit, [il] propose de voir dans le présupposé de l’anaphorique un élément de contenu dont le rôle est identique à celui d’un adverbe d’énonciation du genre de sincèrement. » (1983 : 232)

Pour lui, la seule différence entre le fonctionnement de l’anaphorique et celui des adverbes de types sincèrement, réside (ibid. : 232) en ce que « le prédicat attribué à E55 par E n’y est pas unaire, mais binaire, et relie E par un lien implicatif à un certain état de la mémoire. »

Pour l’auteur (1983 : 235-236), l’anaphore repose sur une proposition qu’il nomme φ, qui est définie comme étant la plupart du temps une inférence implicative et qui « emporte avec elle une source d’information explicite X [qui peut être un événement, une énonciation ou un contenu propositionnel], et que X entraîne avec elle lors de sa mise en mémoire. Réaliser une anaphore, ce n’est alors que dénoter la présence en mémoire de l’information φ. » Dans la suite (ibid. : 240 et suiv.) il compare le fonctionnement des anaphoriques à celui des connecteurs pragmatiques56.

Cataphore

En ce qui concerne la cataphore, Reichler-Béguelin précise (1988a : 36) que « l’identification cataphorique d’une expression référentielle n’intervient probablement que si aucun contrôleur potentiel n’est fourni par le contexte précédent », et elle appuie cette hypothèse à partir d’exemples dont nous donnons le suivant :

65. (Titre) tribunal correctionnel d’Avignon : le chien aboyait trop. Il tire sur son maître.

Au même titre qu’il existe des anaphores liées, Reichler-Béguelin (ibid. : 37) explicite le liage en cataphore et pour elle, « en syntaxe phrastique, le pronom cataphorique peut être une forme liée ». Elle s’appuie sur l’analyse de l’exemple (66a) qu’elle compare à (66b) :

66. a. Lorsqu’ili est malade, mon voisini m’appelle. b. Mon voisini m’appelle lorsqu’ili est malade.

Elle conclut (ibid. : 37) que « les cataphores de ce type-là découlent semble-t-il d’une inversion, de la structure phrastique à anaphore liée, inversion permettant de modifier les relations de thématisation/focalisation entre principale et subordonnée ».

55 L’énonciation, ou l’énoncé.

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Pour elle, dans (66a) l’expression « mon voisin m’appelle est, à l’écrit du moins, en position focalisée » alors que dans (66b) « lorsqu’il est malade porte l’information maximalement pertinente, focalisée »57.