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La tradition veut que l’on distingue la classe des conjonctions (en raison de l’isomorphisme entre classe catégorielle et relation syntaxique) et la classe des connecteurs. Or nous verrons dans notre étude qu’il n’y a pas de frontière infrangible entre conjonctions et connecteurs, et que de fait, il est possible de remettre en cause cette distinction. La question pour l’instant n’en est pas encore à ce stade, aussi cette section est consacrée à la simple définition des connecteurs.

Riegel et al. (2009 : 1044 et suiv.) définissent les connecteurs en les enfermant dans une enclave fondamentalement textuelle :

« Dans l’enchaînement linéaire du texte, les connecteurs sont des termes de liaison et de structuration ; ils contribuent à la structuration du texte et du discours en marquant des relations entre les propositions ou entre les séquences qui composent le texte en en indiquant les articulations du discours. Pour rapprocher ou séparer les unités successives d’un texte, les connecteurs jouent un rôle complémentaire par rapport aux signes de ponctuation (…]. Les connecteurs ne sont pas des termes anaphoriques qui représentent un antécédent, même s’ils articulent la proposition où ils s’insèrent avec une proposition antérieure. »

Ils regroupent alors sous ce terme (ibid. : 2009 : 1044) tous les éléments qui participent de l’organisation d’un texte ou d’un discours, soit :

- des ConjC (mais, ou, et, donc, or, car) ;

- des adverbes dit traditionnellement de liaison (alors, puis, ensuite, pourtant, cependant, enfin, etc.) ;

- des syntagmes prépositionnels (en effet, du coup, au contraire, par contre, d’une part, d’autre part, en tout cas, en fin de compte, etc.) ;

- des présentatifs (voici, voilà, c’est, etc.) ;

- des locutions (disons, c'est-à-dire, autrement dit, etc.).

Toutefois, ils précisent (id. : 1045) que ces connecteurs ne sont pas « de simples opérateurs textuels qui marquent des relations entre les propositions, mais [qu’]ils ont aussi une fonction énonciative : ils marquent les stratégies d’organisation du discours mises en œuvre par le locuteur », c’est alors que l’on parle de "connecteurs pragmatiques" qui sont par nature des unités polyvalentes et polysémiques.

Cette nature polyvalente et polysémique des connecteurs proviendrait de leur ancrage diachronique ce que rappellent brièvement Le Draoulec & Bras (2006 : 235) citant Creissels (1995) :

« […] l’émergence d’un connecteur pourrait être le résultat d’une évolution historique de la langue, d’un processus au cours duquel un constituant anaphorique à l’origine doté d’une fonction de modifieur perdrait cette fonction pour n’avoir plus qu’une fonction de mise en relation discursive. […] Creissels ajoute que la difficulté à identifier une unité linguistique comme connecteur peut s’expliquer par le fait que l’évolution de cette unité n’est pas achevée au moment où elle est prise comme objet d’étude. »26

Michiels (1998 : 112) va aussi dans le sens de Creissels expliquant que le problème des connecteurs est double, « sémantique et catégoriel » et que ce problème s’examine à partir du processus de grammaticalisation, donc dans une optique à la fois synchronique et diachronique.

Le Draoulec & Bras ajoutent (2006 : 235) que l’étude de Creissels « suggère[…] qu’au lieu d’une classe aux frontières bien définies, la classe des connecteurs temporels serait à revoir comme une sorte de continuum entre divers éléments dont le rôle discursif est plus ou moins marqué, et sensible à la position syntaxique. » Elles analysent alors comme connecteurs des éléments comme quand ou avant que/avant de27 dans des exemples tels que les suivants :

16. Elle dormait profondément, quand soudain un grand bruit la réveilla. (ibid. : 220)

26

Nous reviendrons dans la section suivante (connecteur et fonctionnement pragmatique) sur le rapport entre connecteurs et anaphoriques.

27

17. Jean-Pierre Raffarin avait caressé l’idée de pousser à ce poste son conseiller chargé de la communication, Dominique Ambiel, avant d’y renoncer. Politiquement trop voyant. (Télérama < Le Draoulec 2005 : 19)

Le Draoulec & Bras expliquent (2006 : 220) qu’elles désignent comme connecteurs pragmatiques « les éléments permettant une connexion entre propositions assertées [non présupposées] ».

Dans le même article ces auteures (ibid. : 230) déterminent une contrainte d’interprétation établie par ces connecteurs pragmatiques : « en l’absence d’un lien de dépendance évident [le connecteur pragmatique] amène à en chercher un », il signe donc l’incomplétude énonciative des énoncés qu’il relie. Pour elles donc (ibid. 222) :

« La classe des connecteurs temporels n’appartient pas […] à une classe syntaxique, mais bien à une classe fonctionnelle : la classe des constituants temporels ayant pour fonction de conjoindre des énoncés en établissant entre eux des relations d’ordre discursif. »

Cette interprétation est à chercher dans la gamme des relations de discours.

Encore une fois donc, reconnaître une classe de connecteurs pragmatiques, c’est reconnaître trois niveaux au moins de description : syntaxique, sémantique et pragmatique.

Ainsi nous opterons pour une position équivalente à celle de Le Draoulec (2005 : 19), à savoir que « nous regarderons comme connecteur [les éléments] qui impliquent une relation logico-pragmatique – i.e. ceux qui jouent un rôle au niveau des relations de discours. »

Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) assimilent le fonctionnement des connecteurs pragmatiques à celui des anaphoriques28, et n’hésitent pas à comparer les deux éléments.

En effet, ils considèrent (1989 : 123-124) qu’au lieu de « s’acharner à décrire leur portée en termes de séquences verbales, pour finalement conclure que l’étendue peut en être quelconque, mieux vaudrait sans doute tenter de distinguer parmi eux : 1) les opérateurs binaires internes à la clause29 […] ; 2) les outils d’enchaînement sur un état de M30 […] ; 3) les morphèmes qui admettent indifféremment les deux rôles […]. »

28 Ce que prônait déjà Berrendonner dans son article de 1983.

29 La clause est dans la terminologie de la macro-syntaxe fribourgeoise initiée par Berrendonner, une unité minimale discursive dont les constituants entretiennent des rapports descriptibles en termes de rection. Nous reviendrons sur cette notion dans le chapitre 2.

Pour Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989), il existerait donc trois classes de connecteurs pragmatiques, comme pour les anaphoriques, dont le fonctionnement s’inscrirait au plan diachronique – au même titre que pour Creissels < Le Draoulec & Bras (2006) – ce qui expliquerait ainsi l’ambigüité qu’il peut y avoir quant à la reconnaissance de certains d’entre eux.

En tout état de cause, en dehors des différences entre les définitions abordées, toutes s’accordent à décrire le fonctionnement pragmatique et anaphorique des connecteurs, et c’est à cela qu’est consacrée la section ci-après.