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Le troisième groupe oppositionnel distingué par Lehmann (ibid. : 204) est nommé isolation vs linkage. Il comprend l’imbrication référentielle (interlacing, ou identité référentielle66) ou l’asyndète (explicitness of the linking) de deux clauses, ces deux paramètres étant envisagés de façon graduelle.

Le premier paramètre est ainsi explicité par Lehmann (ibid. : 204) :

« The semantic aspect of interlacing is that the two propositions share some elements of their meanings. Its syntactic correlate are the non-specification of the common elements in one of the propositions and/or the syntagmatic interweaving of the two propositions. »

Ce qui est donc en jeu ici, ce sont les relations anaphoriques entre deux clauses.

Cette notion de "partage" (sharing) est envisagée selon trois éléments : « the sharing of predicates, of tense and aspect, and of actants. » (ibid. : 204)

Pour le partage du prédicat entre deux clauses, l’auteur parle alors de brachylogy ou gapping, donne l’exemple suivant :

72. Lat. : [ut ager ... sine cultura fructuosus esse non potest], sic sine doctrina animus. Ang. : As a field cannot be fertile without cultivation, so the mind (cannot be fruitful) without instruction." (Cic. < ibid. : 204)

Ici le verbe esse non potest n’est pas répété dans la seconde partie de la proposition, ce que Lehmann (ibid. : 205) décrit ainsi : « the whole predicate of the main clause except for the privative adjunct is gapped on identity with the preceding subordinate clause », il donne que l’inverse est possible, soit que PS postposée fournisse le verbe de PP.

Il précise alors (ibid. : 205) que ce processus de gapping est sensiblement équivalent que l’on soit dans une relation hypotaxique ou parataxique.

Pour le partage du temps et de l’aspect entre clauses, cela signifie que (ibid. : 205) : « [...] the tense and aspect of the subordinate clause are partly or wholly determined by those of the main clause. [...] Partial dependence of the tense of the subordinate clause on that of the main clause occurs already at a level of weak desententialization in the form of consecutio

temporum. » Dans (73) par exemple, la PS fortissime pugnans signale la simultanéité avec

PP, et de fait le temps et l’aspect de PP sont projetés sur le verbe de PS :

73. Latin : L. Petrosidius aquilifer...pro castris [fortissime pugnans] occiditur.

Ang. : ‘L. Petrosius, the coulour-beared, is killed in front of the camp, fighting most bravely. ’ (Caes. < ibid. : 184)

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Pour le troisième élément, soit le partage des actants et circonstants de PS, comme c’est le cas notamment dans la SC, Lehmann (ibid. : 205) formule ainsi :

« [he] will skip […] the whole issue of relative clauses and just observe that the correlative diptych, as in [74] and [75], is essentially held together by anaphora, i.e. by the fact that the two correlative clauses share an actant (or another nominal or adverbial concept). The fact that backwards anaphora is allowed in subordinate clauses but heavily constrained in main clauses is another instance of the interlacing of actants. »

74. Hittite : nu kwit LUGALu-s tezzi [CONN REL:ACC.SG.INAN king-NOM says]

nu apat iyami.

CONN D3:ACC.SG.INAN do:1.SG

Ang. : ‘And what the king says that I do’ (KBo < ibid. : 184)

75. Latin : [quei ager ex privato in publicum commutatus est], de eo agro siremps lex esto. Ang. : ‘any land that has been converted from private into public, to such land the law shall apply in the same way’ (CIL < ibid. : 184)

Nous pouvons donc récapituler ces propriétés dans le tableau ci-dessous:

IDENTITE REFERENTIELLE (INTERLACING)= RELATION ANA- OU CATAPHORIQUE ENTRE PP

ET PS : DISJUNCTNESS > MAXIMAL IDENTITY

REFERENTS PARTAGES PROPRIETES

Prédicat Le verbe explicité peut être indifféremment dans PS ou dans PP

IR du prédicat qui peut se trouver aussi bien dans une relation sociative que dépendancielle

Temps et aspect Phénomène de consecutio temporum :

= lorsque le temps et l’aspect de du verbe de la PS ne sont pas explicites, alors ce sont les temps et aspect du verbe de la PP qui sont projetés par défaut sur le verbe de la PS

Actants ou circonstants La reprise d’un actant ou circonstant de PS dans PP, dépend de la syntaxe interne (valence) du verbe de la PP

Tableau 10. Récapitulatif des propriétés permettant de mesurer l’IR entre PS et PP.

Lehmann ne prétend pas ici proposer à partir de ces seuls critères un continuum de l’entrecroisement de clause, toutefois il précise (ibid. : 209) la chose suivante :

« We may abide by accepting as plausible the idea that two clauses may be more or less interlaced, variation being between a pole of complete disjunctness of the two clauses and a pole of maximal identity. The tightness of the linking does not so much depend on the semantic nature of the linking relation as rather on the amount of material that the two propositions have in common. The principle that we have found to be operative at

the level of the (complex) sentence has a close analog at the text level. Recent research in discourse analysis has led to the following thesis regarding the mechanism of text cohesion at the paragraph level (Thompson & Longacre 1985:211): "Lexical overlap is the primary mode of intersentential connection". »

Se pose alors la question d’un continuum dans le marquage (linking device) ou le non marquage du couplage de clauses. Avant d’avancer dans sa démonstration Lehmann (ibid. : 210) pose le présupposé fondamental suivant (que nous suivrons dans notre analyse et pour l’utilisation de la terminologie) :

« […] the presence or absence of a connective device between two clauses has nothing to do with parataxis vs. hypotaxis, but is exclusively a question of syndesis. In particular, it is not the case that either the concept of hypotaxis or the concept of subordination require the use of a conjunction, as has been claimed variously. »

La notion de connective device, que nous traduisons par marque de connexion, est donc entendue chez Lehmann – ainsi que la notion de co-jonction chez Rebuschi (2001 ; 2002) – pour elle-même et non en ce qu’elle indiquerait une quelconque relation syntaxique. Nous entendrons le terme de connecteur ainsi que ces deux auteurs à partir de maintenant, i.e. sans présupposer aucunement du type de relation entre les deux clauses.

Pour Lehmann (1988), le passage de la syndète (over-explicit syndesis) à l’asyndète est aussi graduel (continuum of decreasing explicitness). Il propose une série d’exemples qui illustrent les variations entre ces deux pôles, commentant les types de marquage, dont le premier (ibid. : 211) :

« First, the explicit linking devices have a clear anaphoric internal structure », comme c’est le cas pour les exemples suivants dans lesquels les marques de connexion sont mis en gras par l’auteur :

76. Lat. : [Several chapters on a repelled assault of the enemy. First sentence of new section:] HIS rebus gestis cum omnibus de causis Caesar pacatam Galliam existimaret atque ita hieme in Illyricum profectus esset, quod eas quoque nationes adire et regiones cognoscere volebat, subitum bellum in Gallia coortum est.

Ang. : ‘These things being done, Caesar had every reason to assume that Gaule was now pacified. Thus in the winter he set off for Illyria, because he wanted to visit those peoples too, and to learn about the area. There a sudden war broke out in Gaule.’ (Caes.< ibid. : 210)

77. All. : Ihr Angebot befriedigt meine Ansprüche vollkommen; DESwegen nehme ich es dankend an. (ibid. : 211)

Pour Lehmann (ibid. : 211 et suiv.) chacun de ces pronoms anaphoriques (signalés en petites majuscules) reprend une proposition antérieure qu’il intègre dans la proposition qu’il introduit. L’anaphore est ici reconnue au niveau lexical, comme une forme de substitution.

Lehmann poursuit (ibid. : 211) en postulant que les marques de connexion des énoncés (76) ou (77) sont de véritables PS adverbiales (adverbial clauses) ayant subit un processus de réduction : « […] the connective phrases themselves […] are clearly reduced adverbial clauses. It is intriguing to observe that in order to connect two paratactic sentences explicitly, we use a subordinate clause ».

Lehmann (1988) propose ensuite une série d’exemples de relation de subordination graduellement présentées selon leur plus ou moins grande connexité :

78. Port. : O estudante comprou um monte de livros especializados, [a fim de que o professor o tivesse por inteligente]. (ibid. : 212)

Ang. : ‘The student bought a heap of specialized books in order that the professor should consider him intelligent.’

79. It. : [Nonostante l'òpera fosse molto rumorosa], mi addormentai nel secondo atto. Ang. : ‘Although the opera was very noisy, I fell asleep in the second act.’ (ibid. : 212)

80. Lat. : [Postquam aurum abstulimus], in navem conscendimus.

Ang. ‘After we had taken away the gold, we boarded a ship.’ (Pl. < ibid. : 212)

81. Lat. : [Haec cum Crassus dixisset], silentium est consecutum.

Ang. : ‘When Crassus had said this, silence followed.’ (Cic. < ibid. : 212)

82. Port. : A verdade é [que todos saíram]. Ang. : ‘The truth is that they all left.’

83. Lat. : Si vis [amari], ama.

Ang. : ‘If you want to be loved, love.’ (Sen. < ibid. : 212)

Dans ces exemples, le procédé méthodologique est identique à celui évalué précédemment, c'est-à-dire (ibid. : 212) : « the connective and subordinating device is maximally explicit at the start and then is gradually reduced to zero. The linking phrases are again adverbial in nature. »

Ce qui signifie pour chacun des exemples : pour (78), la proposition connectée est structurée comme un syntagme prépositionnel ; en (79), la marque de connexion comprend un verbe au participe qui construit PS comme un complément (sujet) ; la marque de connexion de

(80), comprend une préposition post et la conjonction que ; en (81), Lehmann interprète la marque de connexion comme un pronom relatif. Seules les marques de connexion des exemples (82) & (83) n’ont pas un "caractère adverbial" : pour (82), que est considérée comme non marquée et en (83) l’absence de marque de connexion est supplée par la marque d’inflexion de l’infinitif en latin -i.

Pour Lehmann ce continuum est loin d’être évident, et pour lui les choses se compliquent encore au regard de la possibilité de construire la marque de connexion, non dans la PS mais dans la PP, comme le fait le latin dans l’énoncé suivant :

84. Lat. : Atque ibi [vehementissime perturbatus] Lentulus tamen et signum et manum suam cognovit.

Ang. : ‘And there Lentulus, being extremely embarrassed, yet recognized his signature and hand.’ (Cic.< 213)

En (84), « the subordinate construction [vehementissime perturbatus] is strongly desententialized, but its semantic relation to the matrix clause is made explicit in the main clause conjunction tamen "nevertheless". »

Il propose alors le continuum suivant (ibid. : 213) résumant la thèse d’« explicitness of linking » :

Explicitness of linking

syndesis asyndesis

anaphoric subordinate clause gerundial verb

prepositional phrase connectiv adverb

specific conjunction

universal subordinator non finite verb form

Figure 18. Continuum de l’évolution des connexions entre PS et PP.

Ce troisième groupe oppositionnel peut se représenter ainsi :

Groupe 3

ISOLATION LINKAGE

Disjunctness Maximal identity

Syndesis Asyndesis

Figure 19. Continuum entre isolation vs linkage.

Les trois groupes de paramètres évalués par Lehmann (ibid. : 214 et suiv.) fonctionnent de concert : plus une clause rétrograde du rang de parataxe à celui d’intégration (embbeding), plus alors sa désénonciation est avancée (desententialization), mais l’inverse n’est pas vrai.

La grammaticalisation du verbe de PP suppose aussi une désénonciation avancée de PS et une forte IR entre PP et PS. Cet effet sur le verbe de PP est pour Lehmann (ibid. : 215) le résultat de ce que le processus de grammaticalization « turns the governing predicate into a grammatical operator on the subordinate construction, but at the same time cuts down its syntactic scope [...]. Thus the grammaticalized predicate must be an operator on a construction of relatively low complexity. »

L’IR des clauses est aussi liée aux autres paramètres en ce que celle-ci présuppose le déclassement de PS et de fait son IS dans PP.

Enfin le dernier paramètre (explicitness of linking) est en corrélation avec le degré d’IS de PS dans PP, « because the semantic relation linking clause A to clause B is rather constrained if the linkage pertains to a low syntactic level of B, whereas more diverse semantic relations may obtain on higher levels of B [...]. ». Ce paramètre entre aussi en lien avec la désénonciation de PS.

Les marques de connexion, qu’elles soient coordinative ou subordinative67, peuvent avoir une fonction adverbiale dans la proposition connectée, toutefois les "pure subordinators" (ibid. : 216) n’ont pas une telle fonction dans PS68, sinon celle d’"operators".

En dernier lieu, l’asyndète est en corrélation avec l’IR des clauses et le contrôle du sujet notamment, parce que :

« The syntactic relation of the subordinate construction to the matrix clause may be determined either by some property of the former or by some property of the latter. If the subordinate clause is linked to the main clause by some explicit connective, this determines its syntactic relation to the main clause and makes the subordinate clause seek its own place in the complex sentence. However, this is unnecessary and even impossible when the subordinate clause is controlled by the main verb. » (ibid. : 216)

Tous ces paramètres s’intègrent dans des "processus", de fait ils n’ont pas valeur de "lois" mais représentent des "tendances" (ibid. : 216), et ces six paramètres se situent entre deux pôles génériques qui sont un pôle d’"élaboration" maximale et un pôle dit de « maximal compression (or condensation) of lexical and grammatical information ».

Lehmann (ibid. : 216) propose alors le schéma d’interaction suivant :

67 Les termes subordinative et coordinative sont de l’auteur.

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Parallelism of clause linkage continua

ELABORATION COMPRESSION

Downgrading of subordinate clause

weak strong parataxis embedding Syntactic level high low sentence word Desententialization weak stong clause noun

Grammaticalization of main predicate

weak strong

lexical verb grammatical affix

Interlacing

weak strong

clauses disjunct clause overlapping

Explicitness of linking maximal minimal asyndesis asyndesis Groupe 1 Groupe 2 Groupe 3

Figure 20. Schéma représentant le parallélisme du le continuum du couplage de clauses.

Nous verrons au fil de notre démonstration comment utiliser ces éléments mis en évidence par Lehmann (1988), et nous utiliserons, ainsi que Benzitoun (2007c : 123), cette notion d’échelle « […] à la fois comme une notion sémantique (marque d’identité) et méthodologique (degrés d’intégration syntaxique). »

CONCLUSION

Les modèles descriptifs présentés dans cette partie, serviront d’appui à notre analyse qui se veut, on le redit, à l’interface d’une description syntaxe, sémantique et pragmatique, donc se situant nécessairement et simultanément aux niveaux micro- et macrosyntaxique.

Nous nous appuierons au niveau micro-syntaxique sur les hypothèses de Allaire et Smessaert et al.. Pour l’analyse macro-syntaxique, c’est Berrendonner et Béguelin qui seront nos modèles, cela présuppose la prise en compte des relations anaphoriques lorsqu’elles seront en jeu, pensant qu’elles sont fondamentales dans la description et ce à tous niveaux (syntaxique, sémantique et pragmatique).

Les travaux de Lehmann nous serviront en tout point pour tenter d’établir un continuum dans le fonctionnement de quand-p.

A partir des modèles méthodologiques que représentent les ouvrages des auteurs cités, nous opterons pour la démarche suivante : nous étudierons en premier lieu les clauses non-dépendancielles, i.e. celles qui n’entrent pas dans les descriptions traditionnelles et qui sont généralement considérées comme des « exceptions » ou littéralement non décrites.

PARTIE II – INTÉGRATION DE ‘QUAND-P’ ET

FONCTIONNEMENT