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1-4.3 Fonctionnement pragmatique et anaphorique des connecteurs

Reichler-Béguelin (1992) traite des emplois des connecteurs pragmatiques considérés comme "anomaux" par jugement normatif, soit (ibid. : 55) « des anomalies qui peuvent affecter les phénomènes d’enchaînement entre deux constituants de phrase ou de texte ».

Elle distingue (ibid. : 56 et suiv.) ainsi quatre groupes d’"anomalies" qui permettent de mettre en lumière les processus en jeu dans l’encodage et le décodage d’un connecteur pragmatique – et donc dans la connexion interpropositionnelle. Un connecteur jouerait selon l’auteure sur tous les niveaux de l’énoncé : 1. sémantique, en rapport avec son sémantisme propre ; 2. syntagmatique, en rapport avec les énoncés qu’il corrèle ; 3. pragmatique, en rapport avec les présuppositions de l’encodeur ; et 4. extralinguistique, i.e. au niveau socioculturel (stéréotypes) donc au niveau des connaissances partagées (soit directement au niveau de la construction de M) par le locuteur et le destinataire.

Dans son article, Berrendonner (1983) met plus clairement en lien le fonctionnement des connecteurs pragmatiques et des anaphoriques. Pour lui ce fonctionnement se laisse décrire selon les trois notions suivantes :

- 1. la notion d’évènement, « qui recouvre à la fois celle d’« état de chose » et d’« acte », un acte étant conçu comme une pratique gestuelle extralinguistique. Les « événements » sont les realia constitutifs de la situation de discours » (ibid. : 216), ils appartiennent donc à une réalité extralinguistique ;

30 M correspond à ce que Berrendonner appelle la mémoire discursive ou savoir partagé. Nous reviendrons également longuement sur cette caractérisation dans le chapitre 2.

- 2. la notion de proposition ou « contenu énoncé » (ibid. : 217), « une proposition est […] une unité (complexe) de la langue, que l’on peut définir comme le nom d’une classe d’événements possibles [en tant qu’elles] font l’objet d’un acte d’énonciation » ;

- 3. la notion d’énonciation, qui est « un acte complexe, analysable […] en deux composantes : d’une part l’actualisation de schèmes gestuels et intonatifs, ressortissant au code de la mimogestualité, d’autre part, l’actualisation d’une proposition. Du fait qu’elle est conçue comme acte, gesticulation locutoire, une énonciation est un cas particulier d’événement extralinguistique. L’interprétation de cet événement se fait, entre autres, par référence à divers corps de normes, et conduit à lui affecter inférentiellement certaines valeurs […] » (ibid. : 217).

Par conséquent pour Berrendonner (1983), la problématique liée aux connecteurs pragmatiques est triple : 1. ils sont « aptes à opérer sur des objets de natures diverses (tantôt propositions, tantôt énonciations, tantôt événements extralinguistiques) » (ibid. : 221) ; 2. le statut de l’énoncé complexe résultant de la connexion est délicat à définir ; et 3. le « terme gauche » (ibid. : 222) d’un connecteur pragmatique n’est pas nécessairement explicite mais rétablit par calculs inférentiels, « le connecteur « embraye » alors non sur un objet qui puisse être identifié comme segment de discours, mais sur un sous-entendu, une conjecture en tout cas sur une information non littérale, à caractère inférentiel31. » (ibid. : 222).

De ce dernier cas de figure il donne l’exemple suivant :

18. Monsieur-Météo quelconque déclare : « Demain, il fera beau sur toute l’Europe », Mr X enchaîne à l’intention d’un tiers : « Alors, tu feras bien de prendre ton parapluie » (ibid. : 222)

Pour (18), Berrendonner (1983 : 222) décrit le processus inférentiel complexe en jeu dans l’énoncé complexe, description qui présente l’avantage de mettre en jeu tous les niveaux d’analyse dans ce type de calculs :

1. X énonce "Il fera beau demain", soit E(p) ;

2. De cet événement d’énonciation, [il peut] conclure par raisonnement, en utilisant comme prémisse la norme dite "loi de sincérité", à la proposition implicite q : "Probablement, X tient p pour vraie."

3. De q, [il peut] parvenir inférentiellement à diverses conclusions, selon l’avis qu’[il aurait] de la clairvoyance des météorologues. [Son] exemple suggère qu’[il] en appelle à

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Nous donnons ici la définition de l’inférence proposée par Reichler-Béguelin (1993 : 335-336) : « […] l’inférence [est] un calcul interprétatif, non strict, souvent abductif, consistant, à partir de l’existence d’un référent donné, de considérer ipso facto comme acquise l’existence d’un autre référent, en vertu d’une connaissance préalable du type "s’il y a x, il y a (forcément, ou seulement probablement) aussi y" ». Nous adoptons cette définition.

une prémisse quelque peu désabusée, du genre "X a l’habitude de se tromper", pour, grâce à elle, parvenir au sous-entendu de second rang r : "Probablement, p est faux" 4. A partir de là [ses] connaissances encyclopédiques concernant les phénomènes atmosphériques et la géographie ("nous sommes en Europe", "S’il ne fait pas beau, alors, souvent, il pleut") [lui] permettront de conclure à une inférence de troisième ou quatrième rang, soit s : « Probablement, il pleuvra demain".

5. C’est, selon toute vraisemblance, sur ce sous-entendu s que alors connecte [son] énonciation ultérieure de "Tu feras bien de prendre ton parapluie".

S’appuyant sur son analyse et sa définition de l’anaphore32, Berrendonner (1983 : 237 et suiv.) propose de modéliser le fonctionnement des connecteurs pragmatiques, et donc en premier lieu, si ces connecteurs pragmatiques sont bien des anaphoriques, alors ils doivent avoir pour "antécédent" un état antérieur de M, donc « toujours et uniquement une information qui se trouve déjà en mémoire » (ibid. : 237). Toutefois, selon l’auteur – et sur le modèle du fonctionnement des anaphoriques, ce n’est pas cette « source » (qui peut être événement, énonciation, proposition ou sous-entendu) en elle-même qui constitue le « terme gauche » du connecteur, mais c’est son reflet dans M, soit : « ce qu’il en reste une fois qu’elle a été convertie en savoir partagé, c'est-à-dire une information stockée sous un état original et neutre. » (ibid. : 237)

Cette hypothèse unifie donc le fonctionnement syntagmatique des connecteurs pragmatiques puisqu’ils sont, comme les anaphoriques, des morphèmes présupposant et pour Berrendonner (ibid. : 237) : « […] dire donc p, ou mais p, ou alors p etc., c’est caractériser l’énonciation de p comme impliquant la présence en mémoire d’une certaine information φ, variable selon le connecteur. »

Il illustre ainsi son postulat :

« Mais p présuppose : il y a une information q telle que p est un argument pour non-q [et] En effet p présuppose : il y a une information q telle que q est la conséquence logique de p »

Cela induit que M est le domaine d’application des diverses quantifications de connecteurs, ce qui fait de M une « entité paradoxale » (ibid. : 238) dans la mesure où sont incluses dans M des propositions qui « quantifient sur M », qui décrivent, parlent de M, ce sont donc des

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propositions que l’on pourrait dire méta-informatives ou "méta-mnésico-discursives", mais le terme est lourd.

Pour Berrendonner (ibid. : 239) :

« Le rôle du connecteur […] est ainsi de marquer une énonciation comme relative à (= impliquant) un état particulier de la mémoire. Rien d’étonnant alors à ce que les dits "connecteurs" paraissent avoir une fonction tout à fait analogue à celle des adverbes d’énonciation : la seule différence entre les deux classes est que la qualification attribuée "sui-référentiellement" à l’énonciation est absolue dans un cas, interactive dans l’autre. »

Pour lui (ibid. : 241-242), « l’évaluation pragmatique d’une connexion argumentative […] se fait par référence à un corps de lieux communs inférentiels, ou de normes argumentatives [donc en lien avec les topoï], l’emploi des connecteurs se trouve donc bien soumis à des contraintes pragmatiques et se voit évalué selon des processus normatifs qui régissent communément l’usage des anaphores. » et pour illustrer son propos il donne l’exemple (19) commenté :

19. Pierre déteste les enfants. Il ne peut DONC pas être totalement mauvais. ≅ valable s’il existe entre les interlocuteurs le topos suivant : <il est bien de détester les enfants> donc <si on déteste les enfants alors on est quelqu’un de bien> (ibid. : 240-241)

qu’il compare à l’anaphore associative suivante :

20. Victor entra dans un cinéma des grands boulevards. L’ouvreuse le plaça AU BALCON. ≅ valable s’il existe entre les interlocuteurs le topos suivant : ‘s’il y a un cinéma, alors, il y a généralement un balcon à l’intérieur’ (ibid. : 241)

Il poursuit sa démonstration en l’appliquant à ce que Ducrot appelle des « instructions » (ibid. : 243) :

« […] un opérateur argumentatif comme mais constitue sémantiquement une "instruction" d’avoir à rechercher, dans l’univers de discours, diverses informations (en l’occurrence, deux conclusions antagonistes) liées à son énonciation (qui, en l’espèce, prend parti pour l’une d’elles). »

et selon Berrendonner, ces instructions résulteraient de deux facteurs (ibid. : 244) :

- le premier est le « signifié littéral du connecteur, qui sous forme d’un présupposé φ, dénote ou affirme l’existence (en mémoire) d’une information (munie de telle ou telle propriété interactive ou argumentative). φ est en effet […] une proposition existentielle du type : M :

p, f(p) ».

- le second facteur est le suivant : le présupposé φ des connecteurs pragmatiques se prête à une interprétation contre-inférentielle. Ce processus interprétatif est lié au fait que « l’on [n’]énonce [pas] l’information que l’on veut transmettre [signifié littéral], mais seulement, […] l’une ou l’autre de ses implications. Un décodeur aura donc

généralement tendance, sauf contre-indication particulière à considérer toute information littérale I comme la trace impliquée de ce que l’énonciateur veut faire entendre, et cherchera à constituer un J tel que J ⊃ I, c'est-à-dire à remonter l’implication pour atteindre le contenu visé. »

Berrendonner (ibid. : 244 et suiv.) donne ensuite une liste d’exemple et d’emplois privilégiés de ce processus interprétatif contre-inférentiel, dont nous ne citons ici que l’exemple commenté suivant à titre d’illustration :

21. (dans le cadre d’une publicité) : Les connaisseurs apprécieront : cette énonciation suggère la prémisse <mon produit est bon> construit sur le raisonnement implicatif suivant : <Or les connaisseurs apprécient ce qui est bon ; donc [prémisse]>

2- La structure corrélative : propriétés