• Aucun résultat trouvé

perspective anthropologique et sociale

II. Morbidité et mortalité périnatale, perspective anthropologique et sociale dans les sociétés actuelles

II.1. Statistiques générales

La réduction des taux de mortalité infantile et périnatale est une dynamique extrêmement récente à l’échelle de l’humanité, avec un infléchissement brutal à partir de la seconde moitié du XXe siècle (Schalk, 2017). Cette évolution touchant en premier lieu les pays à fort développement économique, elle s’est réellement confirmée en France après 1945 avec la création de la Sécurité Sociale et la gratuité des soins (Schalk, 2017). À l’échelle mondiale également, les campagnes internationales visant à améliorer les soins de santé se sont multipliées à partir des années 80. C’est le cas par exemple du World Summit for Children en 1990, de l’United Nations Millenium Declaration, ou encore de l’United Nations Special Session on Children en 2002 (Zupan et Åhman, 2006). En 2000, 189 pays se sont par ailleurs engagés à atteindre les objectifs fixés par les Millennium Development Goals concernant la pauvreté mondiale et la santé, dont le 4e concernait la réduction des deux tiers de la mortalité infantile (Haines et Cassels, 2004). Toutes ces initiatives ont permis de faire passer l’indicateur qu’est le taux mondial de mortalité des enfants de moins de 5 ans (TM5) de 210 ‰ en 1955 à 150 ‰ en 1979, puis à 93 ‰ en 1990 (World Health Organization, 1998 ; Zupan et Åhman, 2006). Le TM5 était à cette date quatre fois plus élevé dans les pays en voie de développement que dans les pays considérés comme développés (Bhutta et al., 2008). Malgré ce fort recul, le TM5 restait en l’an 2000 supérieur à 200 ‰ dans certains pays à bas revenus (Zupan et Åhman, 2006).

42

Cette diminution globale du taux de mortalité dans la petite enfance masque toutefois de fortes disparités, les premières étant d’ordre socio-géographique. Sur les 130 millions de naissances mondiales par an, plus de 10 millions de sujets décèdent avant leur cinquième anniversaire, dont 8 millions avant leur premier (Zupan et Åhman, 2006). On compte encore 3,3 millions de mort-nés, chiffre qui serait sous-estimé du fait d’un défaut d’enregistrement dans de nombreux pays (Zupan et Åhman, 2006 ; Frøen et al., 2009, 2011 ; Lawn et al., 2010, 2011). Un tiers de ces décès a lieu au cours de l’accouchement et 98 % dans des pays en voie de développement (Zupan et Åhman, 2006). On dénombre également 4 millions de décès néonataux, dont 3 millions de décès au cours de la première semaine de vie (figure 2), la période la plus à risque étant au cours du premier jour (Lawn et al., 2005 ; Zupan et Åhman, 2006 ; Frøen et al., 2009, 2011).

Plus de 70 % de l’ensemble des décès en période périnatale surviennent dans des pays à faible niveau de développement (figure 3), lesquels comptent un risque de décès périnatal neuf fois plus élevé que dans les pays à hauts revenus (Ntambue et al., 2013). L’écart est encore plus grand si l’on considère uniquement les décès néonataux, qui surviennent à hauteur de 98 % dans les pays à faibles revenus (Nguyen Ngoc, 2006). Les chiffres pourraient là encore être sous-estimés dans certaines régions, du fait des différences d’enregistrement des données entre les différents systèmes de santé, ou encore de la sous-déclaration des naissances à la maison (Zupan et Åhman, 2006).

Figure 2. Risque journalier de décès pour 1000 survivants au cours du premier mois de vie, données obtenues sur 10048 sujets entre 1995 et 2003, d'après Lawn (2005, p. 13)

43

La diminution du taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans dissimule également des disparités entre les différentes sous-classes d’âge. Si le TM5 a globalement diminué, la baisse n’a pas touché toutes les classes d’âge de la même manière. Le taux de mortalité a diminué pour la période post-néonatale, mais pas pour la période périnatale au sens médical (entre 22 s.a. et sept jours partum) et pour la période néonatale jusqu’à 28 jours post-partum (World Health Organization, 1998 ; Zupan et Åhman, 2006). Entre 1980 et 2000, la mortalité périnatale dans les pays en voie de développement n’est passée que de 64 à 57 ‰ naissances, et la mortalité néonatale de 40 à 36 ‰ naissances vivantes, ce qui reste dix fois plus élevé que les taux dans les pays à hauts revenus (World Health Organization, 1998). Le taux de décès en période néonatale a même par la suite été identifié comme étant de nouveau en hausse (Lawn et al., 2005).

La stabilité des taux de mortalité périnatale et néonatale pourrait en partie refléter les différences de stratégies sanitaires adoptées en fonction de l’âge des individus dans les pays en voie de développement. Il est en effet possible d’améliorer l’état de santé des sujets au cours de la petite enfance grâce à des mesures comme la vaccination, l’accès aux soins médicaux, une modification des conditions de vie (dont une meilleure nutrition). Les individus décédant en période périnatale et néonatale souffrant de problèmes nécessitant souvent des soins médicaux immédiats et de haut niveau (prématurité, asphyxie, etc.) seraient ainsi plus difficilement pris

Figure 3. Taux de mortalité périnatale en l’an 2000 en fonction des pays, d’après Zupan et Ahman (2006, p. 15)

44

en charge et donc plus à risque (Kulmala et al., 2000). D’autres facteurs en jeu dans la stabilisation, voire la hausse des taux de mortalité périnatale, sont liés au fait que les progrès de la médicalisation permettent de prendre en charge des sujets toujours plus petits et à l’état de santé de plus en plus défaillant (et donc davantage susceptibles de décéder dans les semaines qui suivent). La tendance générale est, de plus, à la hausse des enregistrements, et l’influence de ces facteurs sur les taux de mortalité périnatale est difficile à évaluer (Zupan et Åhman, 2006).

Les causes premières de décès estimées (86 % d’entre elles), à savoir la prématurité (dans 28 % des cas), l’asphyxie de la naissance (23 %) et les infections (26 %, dont le tétanos, la pneumonie ou les diarrhées), ne laissent aucun signe osseux (Lawn et al., 2005, 2010 ; Lawn et Kinney, 2014). Sur les 14 % de décès relatifs à d’autres étiologies, seule la moitié est due à des maladies congénitales (Lawn et al., 2005). L’asphyxie est estimée comme responsable de 7 ‰ des décès dans les pays en voie de développement contre moins d’1 ‰ dans les pays à hauts revenus (Zupan et Åhman, 2006). Elle est souvent accompagnée de traumatismes de la naissance et fréquemment responsable de décès en cas de dommages au cerveau (Zupan et Åhman, 2006). Le travail de Nguyen Ngoc et collaborateurs (2006) avec l’OMS a permis de préciser ces principales causes de décès périnatal à partir de l’analyse d’un échantillon actuel de femmes enceintes participant à une étude sur la supplémentation en calcium dans des hôpitaux en Argentine, Égypte, Inde, Pérou, Afrique du Sud et Viêt Nam. On compte parmi ces causes de décès la naissance prématurée spontanée et les maladies maternelles comme l’hypertension, puis les hémorragies antepartum, le défaut de croissance intra-utérin ou la mort subite intra-utérine. Un poids de naissance insuffisant est souvent aussi associé au décès, tout en n’étant pas considéré comme une cause directe. En 1998, on comptait 24 millions de bébés à faible poids de naissance (c’est-à-dire inférieur à 2500 g) par an dans le monde (World Health Organization, 1998). Autour de 15 % des nouveau-nés pèsent moins de 2500 g, c’est-à-dire 6 % dans les pays développés contre 30 % dans certaines régions à faibles revenus (Zupan et Åhman, 2006). Les complications de la naissance, comme par exemple les mauvaises présentations fœtales, une rupture précoce des membranes ou un travail prolongé (supérieur à douze heures), augmentent les risques d’infection et sont un facteur important de décès (Zupan et Åhman, 2006). On estime que 26 % des décès de nouveau-nés sont dus à une infection périnatale, les plus fréquentes étant le HIV et la syphilis. La majorité des décès suite à une infection par le tétanos (entre 1 et 7 ‰ du total des décès dans les pays en voie de développement) survient entre le 7e et le 10e jour de vie extra-utérine (Lawn et al., 2005 ; Zupan et Åhman, 2006). Les

45

grossesses multiples constituent de même un facteur de risque, autant pour la mère que pour les enfants. La moitié des grossesses gémellaires, et presque 10 % des grossesses de triplés, aboutissent à des accouchements prématurés (Zupan et Åhman, 2006). Dans les pays en voie de développement, le risque de décès néonatal est six fois plus élevé dans les cas de grossesses multiples par rapport à des grossesses uniques (Zupan et Åhman, 2006). Le risque est maximal dans les cas de grossesses monochoriales (avec un seul placenta), où le fœtus peut être exposé au syndrome transfuseur-transfusé. Les causes prépondérantes de décès périnatal varient toutefois en fonction des contextes, et en particulier en fonction du lieu de naissance, qu’il soit en structure médicalisée ou non. Les données pour les contextes non médicalisés restent toutefois difficiles à obtenir (Kulmala et al., 2000).

On constate pour finir un déséquilibre en fonction du sexe des sujets, les garçons étant généralement 5 à 6 % plus nombreux à naître que les filles, mais présentant un taux de décès supérieur (Henry et Blum, 1988). Ils sont également plus nombreux à présenter des anomalies congénitales, lesquelles peuvent actuellement aboutir à des interruptions médicales de grossesse (Bromen et Jöckel, 1997). L’hypothèse d’une meilleure résistance des sujets féminins aux pathogènes a été soulevée (Zuk et Stoehr, 2010), mais cette situation est parfois équilibrée, voire inversée dans les cas où les garçons bénéficient de meilleurs soins pour des raisons culturelles (McMillen, 1979 ; Lawn et al., 2005).