• Aucun résultat trouvé

caractérisation biologique et sélection des individus

III. Sélection de la méthode d’estimation de l’âge

Le choix d’un protocole d’estimation de l’âge représente toujours un compromis dépendant autant du type d’échantillon analysé que des objectifs de l’étude. Dans le cas présent, la finalité était double :

(i) distinguer dans un premier temps dans les trois séries archéologiques les individus décédés en période périnatale telle que définie ici (entre le stade fœtal et 2 mois post-partum) des individus plus âgés afin de constituer le corpus ostéologique,

(ii) disposer d’une estimation assez précise pour permettre de différencier des sous-ensembles et d’étudier la variabilité en fonction de l’âge à une échelle plus fine. Le choix de la méthode à utiliser a donc été réalisé par exclusion, en s’appuyant notamment sur la revue critique des méthodes d’estimation de l’âge des individus immatures réalisée par Corron (2016). Ce travail de thèse a abouti à la mise en évidence de critères permettant de juger, pour chaque méthode, la fiabilité et la précision des échantillons utilisés ainsi que des démarches statistiques employées. Il avait pour objectif de faciliter et d’homogénéiser le choix des méthodes dans les études biologiques de sujets immatures. Dans la perspective de choisir la méthode adéquate, nous avons sélectionné, parmi celles identifiées par Corron (2016) comme acceptables au regard de ces critères, les protocoles utilisables d’une part sur l’individu décédé en période périnatale, et d’autre part sur os sec (tableau 1).

178

Élément osseux

considéré Méthode

Âges

concernés Éléments de décision Germes

dentaires

Liversidge et al. (1998, 1999) 0-20 + estimateur moins soumis à la variabilité environnementale - précision relative

- germes non conservés dans une partie de notre corpus

Moorrees et al. (1963) 0-25

Gustafson et Koch (1974) 0-16

Hägg et Taranger (1985) 0-18

Os iliaque

Rissech et al. (2003) 0-97 - pas d’individu au stade fœtal

- un seul élément osseux utilisé Rissech et Malgosa (2007) 0-97 - pas d’individu au stade fœtal - un seul élément osseux utilisé Os longs

Micheletti Cremasco et

Boccone (2004) 0-15 - pas d’individu au stade fœtal

Stull et al. (2014 a) 0-12 - pas d’individu au stade fœtal

Fémur Rissech et al. (2008) 0-97 - pas d’individu au stade fœtal - un seul élément osseux utilisé

Tableau 1. Méthodes applicables sur l’individu décédé en période périnatale et sur os sec, parmi celles considérées comme fiables après la revue critique de Corron (2016), + : avantage ; - :

inconvénient ; âges concernés en années

L’applicabilité de ces méthodes a été discutée par rapport aux impératifs de la présente étude. L’obtention d’un âge dentaire « absolu » à partir d’analyses histologiques portant sur la minéralisation (Cf. supra, chap. V, II.1.) a été exclue, bien qu’il s’agisse d’une méthode à la fois fiable et précise. Le choix a été fait de conserver dans cette première approche l’intégrité des collections, les méthodes non invasives d’histologie virtuelle étant encore inaccessibles pour des raisons pratiques et notamment financières (Nava et al., 2017b). Les autres méthodes d’estimation de l’âge dentaire ont également été écartées. Les germes dentaires ne sont en effet pas systématiquement conservés dans notre corpus, ce qui aurait impliqué, pour ne pas évincer des individus, d’utiliser conjointement d’autres paramètres.

L’obtention d’un âge à partir de paramètres corrélés à la croissance osseuse a donc été privilégiée. Les méthodes concernées présentent cependant plusieurs inconvénients au regard de la nature de notre corpus :

(i) celles applicables sur un seul élément osseux sont difficilement utilisables sur un échantillon archéologique au sein lequel la représentation et la conservation des éléments osseux ne sont pas parfaites. Leur utilisation amène donc, soit à exclure du corpus une partie des individus pour lesquels cet élément n’est pas conservés, soit à utiliser une, voire plusieurs, méthodes en complément, ce qui soulève le problème de leur compatibilité.

(ii) il n’existe pas, parmi les méthodes mises en valeur par Corron (2016), de protocole élaboré sur un corpus comprenant à la fois des individus au stade fœtal, et des individus au stade post-natal. Or, si la relation entre la stature et les dimensions du corps est plutôt linéaire au stade post-natal, elle est en revanche

179

de type logarithmique pour le fœtus (Bruzek et al., 1997). Les méthodes élaborées sur l’un ou l’autre des échantillons n’étaient donc pas applicables en l’état à notre corpus comprenant des individus de 24 s.a. à 2 mois post-partum. Là-encore, l’utilisation conjointe de plusieurs méthodes n’allait pas sans soulever un certain nombre de biais.

D’un point de vue statistique autant que biologique, effectuer la moyenne de plusieurs estimations d’âge différentes ne permet pas d’aboutir à une estimation plus fiable, bien au contraire (Portat, 2018). Dans la mesure où celles-ci n’ont pas la même fiabilité et sont élaborées sur des populations de milieux et périodes différentes, cela revient à multiplier les biais. La seule possibilité était d’associer les intervalles de confiance, ce qui permet de gagner en fiabilité mais implique de perdre énormément en précision. L’utilisation de méthodes différentes en fonction du sous-échantillon (l’une élaborée sur un corpus de fœtus pour les individus d’âge inférieur à 40 s.a., de même qu’une autre élaborée sur des individus de plus de 40 s.a. pour les sujets plus âgés) était, comme expliqué ensuite, difficilement envisageable. Ces éléments empêchant l’utilisation des méthodes mises en valeur par Corron (2016) pour l’estimation de l’âge dans notre corpus, plusieurs méthodes non sélectionnées par Corron (2016) mais couramment utilisées ont été reconsidérées.

La méthode d’Olivier et Pineau (1958, 1960), qui repose sur une régression logarithmique faisant intervenir la stature, est applicable sur plusieurs éléments osseux et est très souvent employée, y compris en contexte médico-légal. Le corpus utilisé pour élaborer les équations est toutefois très peu documenté (absence d’origine géographique et méconnaissance de l’âge réel). Sa fiabilité est également partiellement contestée par Sellier et collaborateurs (1997), qui obtiennent en la testant sur des échantillons composés d’enfants d’âges connus des résultats concordants avec les âges réels pour les individus décédés en période périnatale, mais discutables, voire non concordants pour les individus plus âgés. La formule de Balthazard et Dervieux (1921) est également fréquemment utilisée en contexte médico-légal, même si la nature de l’échantillon sur lequel elle a été établie, à savoir « les restes osseux de 25 fœtus retrouvés en curant un puits à la campagne » (Adalian, 2001, p. 73), pose particulièrement problème. La méthode d’Akiyoshi (1976), élaborée sur 300 fœtus japonais, offre quant à elle des résultats précis pour des enfants proches du terme, mais n’est pas applicable pour des individus plus âgés. Les tables de Sempé et collaborateurs (1979) ne sont au contraire utilisables qu’après la naissance.

180

Les équations de Telkkä et collaborateurs (1962), bien qu’intégrant les variations de croissance entre les différentes périodes de l’enfance, sont identifiées par Sellier et collaborateurs (1997) comme applicables uniquement à des enfants entre 5 mois et 1 an en raison des particularités de la population de référence utilisée. Elles ne sont pas non plus utilisables pour des sujets d’âge inférieur à 40 s.a.

Des équations qui ont pour caractéristique de ne pas passer par l’intermédiaire d’une estimation staturale ont été proposées, par exemple celles de Scheuer et collaborateurs (1980). Elles sont destinées aux os longs des membres supérieurs et inférieurs. L’étude a cependant été élaborée sur un échantillon réduit composé de 17 sujets entre 27 et 46 semaines et 65 sujets entre 24 et 40 s.a., ce qui ne permet pas, là-encore, une application au-delà du premier mois post-partum théorique. Il s’agit, de plus, de mesures prises au cours d’examens radiographiques, et il n’a pas été appliqué de facteur correctif limitant les problèmes de déformation visuelle et de mise à plat de la diaphyse. Ces éléments ont conduit à ne pas prendre en compte la méthode de Scheuer et collaborateurs (1980).

La méthode développée par Adalian et collaborateurs (2002) est une des plus récentes et une des plus à même de prendre en considération la variabilité, car elle a été élaborée à partir d’un large effectif de 344 radiographies de fœtus d’âges connus, et présente de plus l’avantage de proposer des intervalles de confiance. Le problème de la concordance entre les mesures obtenues sur radiographies (où l’os est frais et la limite entre l’os et le cartilage difficile à distinguer) et les mesures prises sur os sec (après rétractation de la diaphyse) est soulevé par les auteurs, qui ont intégré l’application d’un correctif. Leur formule n’est toutefois applicable qu’au fémur, ce qui limite son utilisation dans le cadre de l’étude d’un échantillon où la représentation et la conservation de cet élément osseux ne sont pas suffisantes. Elle n’est, de plus, élaborée qu’à partir d’individus d’âge inférieur à 41 s.a. (terme théorique conventionnel en France, à la différence du terme théorique anglo-saxon de 40 s.a. (Cf. supra, chap. I, I.1.), ce qui pose problème pour notre échantillon.

Parmi les méthodes fréquemment utilisées, la méthode de Fazekas et Kósa (1978) permet d’obtenir un âge diaphysaire par l’intermédiaire d’une estimation de l’âge statural, tout en étant applicable à 80 éléments osseux. Elle a été élaborée à partir d’une collection de l’institut médico-légal de Szeged en Hongrie composée de 138 individus âgés de 3 à 10 mois lunaires, dont les squelettes ont été mesurés à l’état d’os sec afin d’établir des équations de régression. La méthode repose toutefois sur un échantillon composé d’individus dont l’âge a lui-même été estimé, ce qui représente un obstacle fondamental à son utilisation (Garcin, 2009).

181

Cette méthode a cependant fait l’objet d’une révision par Sellier présentée lors d’une communication orale en 1993, testée dans Sellier et collaborateurs (1997) et publiée dans Schmitt et Georges (2008)15. Les coefficients de corrélation et les écart-types des formules ont été corrigés, et de nouvelles régressions polynomiales logarithmiques ont été proposées pour plusieurs variables. La révision des formules effectuée par Sellier a été testée sur deux échantillons composés de sujets d’âges connus, à savoir une collection de fœtus (échantillon de Finck, 1921) et une collection de nourrissons de cinq à douze mois (échantillon de Maresh, 1943). L’étude des écarts entre stature estimée et stature réelle a confirmé la fiabilité de l’ensemble des équations révisées, de même que la fiabilité des résultats obtenus avec les équations logarithmiques sur des individus d’âge fœtal jusqu’à quatre ans. Malgré les problèmes méthodologiques concernant l’élaboration de la méthode, il s’avère donc que les équations logarithmiques de Fazekas et Kósa (1978) révisées par Sellier permettent d’obtenir des résultats fiables, les longueurs diaphysaires prises en compte étant de bons estimateurs de l’âge périnatal. Elles définissent les estimateurs les plus fiables pour l’estimation de l’âge osseux, à savoir les longueurs maximales de l’hémi-mandibule, de l’humérus, du fémur, du tibia, de la clavicule, de l’ulna, de la fibula et du radius.

Nous avons privilégié dans un premier temps pour les individus d’âges inférieurs à 41 semaines la méthode d’Adalian (2002), considérée comme la plus rigoureuse en raison de son large échantillon de référence, de la présence d’intervalles de confiance et de l’application du correctif réduisant le biais induit par la mesure sur radiographie. Nous avons étudié pour cela la possibilité de compléter les âges avec les résultats obtenus par la méthode de Fazekas et Kósa (1978) révisée par Sellier. La concordance entre les âges fémoraux obtenus par les deux méthodes a été testée grâce à un test de concordance de Lin (I-Kuei Lin, 1989), test que nous avons privilégié à un test de corrélation pour des raisons explicitées ci-après (Cf. infra, chap. VI, I.2.1.). Le coefficient de concordance obtenu pour l’ensemble des individus de notre corpus pour le côté gauche était inférieur au seuil de 0,95 habituellement considéré pour valider la concordance (pc = 0,82), alors qu’il était supérieur au seuil pour les individus d’âge identifié comme inférieur à 39 s.a. (pc = 0,97). Ces résultats ont confirmé que la concordance entre les deux résultats ne s’obtient que pour les individus les plus jeunes, et que la variation de croissance entre la période ante- et post-partum est responsable d’un écart systématique au-delà de 41 s.a. entre les résultats des deux méthodes, caractérisé par un âge estimé moindre avec la méthode d’Adalian et collaborateurs (2002).

15 Pour faciliter la lecture, cette méthode sera par la suite désignée sous l’appelation de Fazekas et Kósa (1978) révisé par Sellier

182

Il n’était donc pas possible d’utiliser de manière conjointe ces deux méthodes. Celle de Fazekas et Kósa (1978) révisée par Sellier a donc été privilégiée pour plusieurs raisons (les équations correspondantes sont reproduites en annexe (Cf. annexe 1) :

• elle a été validée sur des populations de référence par l’étude de Sellier (1997) et sa fiabilité est donc avérée, malgré les problèmes d’échantillon sous-jacents,

• elle appartient aux méthodes applicables sur plusieurs longueurs diaphysaires et s’adapte donc à la représentation et à la conservation des échantillons archéologiques,

• il s’agit de la seule méthode validée sur un corpus correspondant à celui étudié ici, à savoir une série composée à la fois d’individus au stade fœtal et de nouveau-nés.