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contextes géographiques et chronologiques

IV. Problématique archéo-anthropologique commune des sites de Provins et Blandy-les-Tours : la pratique du répit et ses estimateurs archéologiques

De nombreux arguments bio-archéologiques et historiques ont amené les chercheurs à proposer l’hypothèse de l’existence de la pratique du répit (Cf. supra, chap. I, III.3.) sur les sites de Provins et de Blandy-les-Tours. La question s’est posée en premier lieu pour le site du prieuré Saint-Ayoul, face à la concentration extraordinairement élevée d’individus décédés en période périnatale (figure 77) dans les parcelles 223 et 52 (Portat, 2018). L’hypothèse est appuyée par la mise en évidence d’un culte particulier dont faisaient l’objet respectivement la Sainte Vierge et Sainte-Marguerite, toutes deux faisant partie des saints auxiliateurs, groupe de quatorze saints identifiés comme particulièrement accessibles aux prières. La ville comporte plusieurs sanctuaires en l’honneur de la Vierge, dont une chapellenie dans l’église Saint-Ayoul. Sainte Marguerite est quant à elle mentionnée par la légende comme sortant indemne de la gueule du diable incarné en dragon, et cela à l’issue de nombreuses tortures (Portat, 2018). D’après le mythe populaire, elle aurait adressé au ciel avant de mourir la requête selon laquelle « toute femme en couches en danger qui l’invoquerait mettrait au monde un enfant indemne » Jacques de Voragine, XIIIe siècle, traduction de Brunet, 1967, p. 453, citée par Portat 2018, p. 488).

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La légende devient un véritable succès au XIIIe siècle, période durant laquelle l’Église réaffirme le caractère impératif du baptême pour bénéficier du Salut. La sainte fait alors l’objet de nombreuses dévotions de la part des parturientes. C’est probablement à cette même période qu’une chapelle dédiée à Sainte-Marguerite est édifiée contre le bras nord du transept de l’église Saint-Ayoul (Portat, 2018). Bien que détruite entre 1826 et 1828, les vestiges de cet édifice sont aujourd’hui identifiables notamment par le portail en arc brisé et une colonnette conservée (figure 78).

Figure 73. Plan de situation d’après le plan du cadastre de 1988 (service cadastral de la ville de Provins). Localisation des deux secteurs principaux de la fouille dont les individus de notre corpus

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Comme à Provins, le recrutement spécifique d’individus en très bas âge (72 sujets âgés entre 24 s.a. et 30 mois post-partum) constitue également un indice pour l’hypothèse d’un fonctionnement de l’église anonyme de Blandy-les-Tours en tant que sanctuaire à répit (Delattre, 2008). Le site a en effet pour particularité d’avoir livré 22 individus âgés de 24 à 38 s.a., soit près d’un tiers de l’effectif total de sujets immatures. La présence parmi eux d’individus mort-nés (n’ayant donc pas pu faire l’objet d’un baptême in vivo) est donc certaine. L’inhumation des tout-petits est par ailleurs datée par l’édification du chevet entre 1000-1050 et le XIIIe siècle, et se trouve géographiquement limitée au pourtour de celui-ci, le reste de la zone semblant faire l’objet d’une utilisation funéraire classique.

L’identification de la pratique du répit et de ses « estimateurs archéologiques » (Portat, 2009, 2018) dans ces deux sites soulève cependant plusieurs difficultés. Pour le site de Provins, aucune trace écrite de cette pratique (récit de miracle) n’est jusqu’alors venue confirmer son existence. La mention répétée à l’identique dans les registres paroissiaux d’inhumations d’enfants ayant vécu « une demi-heure », vraisemblablement des sujets ayant fait l’objet de la pratique, apparaît néanmoins comme une confirmation écrite indirecte (Portat, 2009, 2018), que seules des preuves bio-archéologiques pourraient définitivement entériner. L’enjeu est encore plus complexe pour le site de Blandy-les-Tours, puisque l’obstacle principal à l’identification d’un sanctuaire à répit est la précocité du geste observé. La mise en place de la pratique est en effet identifiée comme remontant au XIIIe siècle (Gélis, 1984 ; Lett, 1997), et non pas au XIe. Les indices archéologiques en faveur de cette pratique posent donc, de fait, la question de la manifestation du geste avant l’apparition du lieu dédié à ce dernier.

Figure 74. Vestiges actuels de la chapelle Sainte-Marguerite, la flèche jaune indique la colonnette, modifié d’après les photos de M. Guillon

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Deux fonctionnements distincts peuvent alors être évoqués, et cela en particulier pour le site de Provins. S’il s’agit de sanctuaires à répit au sens strict, ils fonctionnent alors comme un point de convergence où les enfants décédés avant le baptême peuvent être amenés afin de tenter d’obtenir le miracle du répit, puis le sacrement. Ils peuvent autrement se limiter à faire office de zone d’inhumation dédiée aux enfants ayant bénéficié d’un répit à la maison, enterrés à proximité du lieu consacré pour remercier du miracle la sainte auxiliatrice (et notamment Sainte-Marguerite). Les deux fonctionnements peuvent être envisagés comme concomitants.

Synthèse

Les sites de la nécropole 8B-51 de l’île de Saï (54 individus répertoriés avec la lettre « S »), de l’église dite « anonyme » de Blandy-les-Tours (27 individus notés avec la lettre « B ») ainsi que de l’église et du prieuré de Saint-Ayoul à Provins (35 individus notés avec la lettre « P ») se distinguent autant par leurs recrutements exceptionnels (ils sont en tout ou partie dédiés aux individus décédés en période périnatale), que par leur conservation et la qualité des informations issues de la fouille. Si l’ensemble des sujets appartenant à cette classe d’âge a pu être étudié pour la collection soudanaise, des problèmes d’accessibilité aux collections de Blandy et Provins ont malheureusement contribué au fait que certains individus n’ont pas pu être inclus dans notre corpus. Celui-ci s’avère cependant et à notre connaissance être inédit par ses effectifs, puisqu’il comporte un total de 116 individus.

En rassemblant des individus issus de contextes géographiques et chronologiques diversifiés, la constitution du corpus répondait à une partie des prérequis nécessaires pour les études sur les variabilités inter-populationnelles, voire séculaires. La collection de l’île de Saï, témoin de la diversité biologique de l’Antiquité africaine, est issue d’un milieu à la fois semi-désertique et insulaire (Cf. supra, chap. IV, I.2.). Bien que localisé sur le Nil, un des principaux axes de communication nord / sud du continent, le site demeure potentiellement propice à une relative endogamie. Le fait que la nécropole semble avoir été en activité sur une période courte octroie à la collection un statut « d’instantané » de la diversité locale. L’absence d’écriture est, de plus, en partie responsable d’une méconnaissance du contexte culturel et des pratiques funéraires de ce qui constitue pourtant l’un des plus grands royaumes du territoire africain.

L’échantillon médiéval et moderne est au contraire issu d’un contexte de flux populationnels importants, autant à l’échelle historique de par l’essor démographique occidental qui caractérise la période du Moyen-Âge, que par la localisation toute particulière

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de la ville de Provins. Sous l’impulsion de ses foires pluriannuelles, le centre urbain fait office de pôle commercial majeur à l’échelle européenne (Cf. supra, chap. IV). Avec des milliers de personnes s’y rendant et y séjournant, la ville acquiert une forte densité populationnelle et devient un important foyer de mise en nourrice. Quoique d’ampleur urbaine bien inférieure, la ville de Blandy-les-Tours est elle-aussi inscrite dans le maillage déjà dense du Bassin parisien. Son échantillon constitue, avec celui de l’église Saint-Ayoul, un corpus médiéval et moderne à la fois géographiquement cohérent et en continuité chronologique sur plusieurs siècles. La très bonne connaissance historique de la période et du statut social théorique du tout-petit ajoute encore à l’intérêt d’une recherche biologique.

La caractérisation biologique de cet échantillon (Cf. infra, chap. V) représente une seconde étape permettant de valider l’étendue du spectre des âges. Ce second critère constitue un prérequis pour l’étude des variations anthropométriques autant que pour celle des marqueurs de vitalité, morbidité et mortalité.

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Chapitre V.