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Une action a été intentée, puis arrêtée, envers une parodie de la Star Academy. En novembre 2004, Endemol et Niouprod, producteurs de l’émission, enjoignaient, par le biais de leurs avocats les webmestres d’un site parodique, Bofacademy.com, à renoncer à toute utilisation des termes « star » et « academy », en les accusant de « parasitisme commercial »1. Or, le site, assumé comme un site personnel et amateur, ne générait quasiment aucun profit. Il changera néanmoins son nom en « étoile école » pour éviter toute poursuite. La production renoncera alors à toute procédure, reconnaissant même la maladresse de sa tentative d’action judiciaire. Si le risque réel de confusion par le consommateur paraît faible2, la facilité avec laquelle les noms de marque peuvent être parasités, sur Internet, pose de nombreux problèmes d’images que l’action juridique ne permet pas forcément de résoudre3

. Bien que les règles de l'ICANN imposent, depuis 1999, le respect de la propriété industrielle, il est toujours possible d’utiliser la désinence (TLD, Top Level Domain)d’un État peu strict ou d’utiliser des sous-domaines à l’intitulé trompeur, voire simplement d’utiliser une forme différemment orthographiée.

La caricature et le détournement se voient donc ouvrir un espace d’expression et de visibilité sans équivalent, qui ira jusqu’à investir la parodie de journaux personnels avec la

1

Le Journal du Net, entretien avec Didier Gruet, co-animateur du site www.bofacademy.com, Emilie Leveque 18 mars 2005.

2

La question se pose aussi pour les institutions gouvernementales, si l’on considère www.whitehouse.gov, le site officiel de la présidence américaine, par rapport à www.whitehouse.com, site pornographique, et www.whitehouse.net et www.whitehouse.org, sites parodiques.

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multiplication des faux blogs d’hommes politiques ou de personnalités. Or, la télévision avait contribué à initier ce genre à travers, par exemple, la publication de l’Agenda secret de Jacques Chirac par Les Guignols de l’Info (Canal Plus), en 19931. Paradoxalement, cette initiative et la caricature générale du personnage ont souvent été jugées comme des facteurs de sympathie qui auraient contribué à son élection.

Danone

Dans le cas d’une attaque manifeste contre une société puisqu’il s’agissait d’un appel au boycott2, les poursuites engagées par Danone contre le site Jeboycottedanone3 n’ont, par exemple, pas permis de mettre fin à la campagne. En première instance, le juge des référés a certes reconnu en partie le droit à l’utilisation polémique d’un nom de marque, mais il en a interdit le détournement du logo4.

Logo Danone détourné

Avant ce jugement, le droit des marques était considéré, en France, comme ne souffrant pratiquement aucune exception : tout utilisateur d’une marque doit disposer de l’autorisation de son propriétaire-déposant. Or, il aurait suffi de domicilier ce site hors du territoire français pour rendre toute poursuite à peu près impossible. La « maladresse » juridique des auteurs de ce site va entraîner un retournement considérable de la jurisprudence.

La société Danone va précisément tenter d’utiliser l’ensemble de l’arsenal juridique et technique à sa disposition, allant, si l’on suit les informations données par ses contre-

1

L’Agenda secret de Jacques Chirac Benoît Delépine, Bruno Gaccio, Jean-François Halin, Le Livre de Poche, Paris 1993.

2

Voir Flore Trautmann « Pourquoi boycotter ? Logique collective et expressions individuelles : analyse de systèmes de représentations à partir du cas Danone » dans Le Mouvement Social n°207 avril-juin 2004, éditions de l’Atelier / CNRS / Centre d’Histoire Sociale Université Paris I.

3

Site ouvert le 10 avril 2001 par des collaborateurs du magazine Technikart en réaction au plan de licenciements du groupe présenté le 29 mars 2001. Le site est édité officiellement par une association, le Réseau Voltaire, que Danone ne poursuit pas à ce moment.

4

Gervais-Danone contre l’association Boycott! et Olivier Malnuit, tribunal de grande instance de Paris, Evelyne Delbes, juge des référés, jugement rendu le 20 avril. Voir également 01.net du 23 avril 2001.

lobbyistes, jusqu’à se mettre dans une position de pirate informatique. Ce jeu d’influence et de contre-infuence va donner lieu à plusieurs actions réciproques :

 La société gestionnaire du nom de domaine Jeboycottedanone décide de fermer l’accès au site le 20 avril 2001, pour éviter, semble-t-il, de s’exposer aux poursuites de Danone, mais officiellement, à la suite d’un différent avec son client qui avait mis en cause sa neutralité.

 Le 21 le site est de nouveau disponible avec une désinence « .net », édité directement par le Réseau Voltaire.

 Le site fait l’objet d’une attaque informatique le 23 avril, trois jours après le

premier procès. Le Réseau Voltaire, éditeur du site, annonce avoir identifié une société prestataire de Danone comme étant à l’origine de l’attaque.

 Le 24 avril le service juridique de Danone menace alors de poursuites l’hébergeur

du site, la société Gandi de Valentin Lacambre.

 Le 27, il assigne effectivement le Réseau Voltaire, la société Gandi et Valentin Lacambre

 Le 2 mai, ceux-ci portent plainte, plainte médiatisée lors d’une conférence de presse à l’Assemblée Nationale, pour « entrave à la liberté d'expression, à la liberté du travail, menaces et chantage ».

 Le deuxième procès en référé a lieu le 11 mai : rendu par Jean-Jacques Gomez, premier vice-président du Tribunal de grande instance de Paris, il donne globalement la même interprétation que le jugement précédent : autorisation relative d’utilisation du nom de marque, interdiction de détournement du logo. Le site original est fermé mais demeure accessible depuis de nombreux sites miroirs.

 Le procès sur le fond a lieu le 30 mai : le jugement rendu le 4 juillet, confirme l’illégalité de la reproduction d’un logo déposé à l’Inpi : « l'exception de parodie (...) n'existe pas en droit des marques ».

Il existe pourtant des précédents : un arrêt de la cour de cassation du 12 juillet 2000 dans l’affaire qui opposait les Guignols de l’Info à Jacques Calvet, président de PSA, leur donnait raison, reconnaissant donc la légalité d’une parodie de marque. Un jugement de la Cour d'Appel de Riom, du 15 mai 1994, avait déjà écarté la qualification de contrefaçon dans le cas d’une utilisation du Bibendum Michelin déguisé en homme préhistorique, pour contester la politique sociale de l’entreprise.

La cour d’appel de Paris1

finira par se rendre à ces arguments. Dans son jugement du 30 avril 2003, elle met en cause l’appréciation de contrefaçon de marque, basée sur l’article L 713 -3 du Code de la propriété intellectuelle, donnée dans les jugements précédents, son utilisation polémique ne risquant pas, suivant son appréciation, d’entraîner de « risque de confusion pour le public », l’intention polémique étant claire ainsi que l’identité des émetteurs.

On entre donc dans le domaine de la liberté d’expression en sortant de celui du droit des marques2 :

 […] Le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression, par ailleurs

reconnu tant par les traités et conventions internationales rappelés par l'association RÉSEAU VOLTAIRE, implique que cette association et Olivier Malnuit puissent, sur les sites Internet litigieux, dénoncer sous la forme qu'ils estiment appropriée les conséquences sociales des plans de restructuration mis en place par les intimés.

 […] [Ils] ne visent manifestement pas à promouvoir la commercialisation de

produits ou de services, concurrents de ceux des sociétés intimées, […] mais [la reproduction du logo] relève au contraire d'un usage purement polémique étranger à la vie des affaires.

 […] Leurs produits n'étaient nullement dénigrés ni même visés

 […] La référence à la marque DANONE était nécessaire pour expliquer le

caractère politique ou polémique de la campagne