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Portails et offres de « communauté »

Si l’accès aux programmes passe par des moteurs de recherche et devient donc indépendant d’un distributeur qui est alors réduit à un rôle technique, la constitution d’entités éditoriales autour de logiques de distribution n’aura plus de raison d’être, comme ce fut le cas pour les chaînes thématiques qui s’étaient développées pour justifier l’abonnement à l’opérateur qui les contrôlait.

Le contrôle des portails peut relever de l’exclusivité d’un protocole technique ou être acquis par notoriété, en captant et en redistribuant des publics, en fonction d’un point d’intérêt éditorial, qui formeraient alors une « communauté virtuelle ». La télévision relève encore pour l’essentiel d’accès fermés liés à des protocoles techniques de diffusion spécifiques. Inversement, l’accès à Internet est par définition ouvert. En effet, les différents portails sont en concurrence et ne peuvent s’imposer qu’en additionnant intérêt éditorial, fonctions commerciales (commerce électronique, enchères, publicité), fonction de service (dont les fonctions de recherche) et effets de « communauté » qui passent eux-mêmes par l’exclusivité de protocoles dont l’interopérabilité devient en soi un enjeu.

Communauté et protocoles de messagerie

L’offre de « communauté » passe par des moyens de rencontre, de discussion, de communication et de publication personnelle. Elle recoupe et renforce une offre de services axée sur des messageries écrites, visiophoniques ou vocales, compatibles ou non avec ceux des concurrents et des opérateurs téléphoniques, mais impliquant toujours la maîtrise de technologies ou la licence de logiciels spécifiques.

Microsoft et Yahoo ont ainsi signé un accord, en octobre 20051, visant à rendre leurs systèmes de messageries compatibles. Cette association vise très certainement à consolider leur position par rapport à leur principal concurrent, AOL, historiquement adepte de l’usage de technologies spécifiques.

Effectivement, AOL a fusionné avec Time Warner en janvier 2000, AOL engageant pour cela 140 milliards de dollars, l’entreprise résultante étant alors évaluée à 350 millions de dollars, contrôlée à 55% par AOL. AOL Time Warner comprend à ce moment AOL, Time, CNN,

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Conférence de presse commune aux deux sociétés tenue le 12 octobre 2005, relayée par le Wall Street Journal et Associated Press. La compatibilité effective est donnée pour mi-2006.

Communiqués originaux :

http://www.microsoft.com/presspass/press/2005/oct05/10-12MSNYahooMessengerPR.mspx

CompuServe, Warner Bros., Netscape, Sports Illustrated, People, HBO, ICQ, AOL Instant Messenger, AOL MovieFone, TBS, TNT, Cartoon Network, Digital City, Warner Music Group, Spinner, Winamp, Fortune, AOL.COM, Entertainment Weekly et Looney Tunes. Or, la capitalisation boursière effective est de 290 milliards de dollars en 2000, pour n’être plus que de 50 milliards en août 2002 du fait de son surendettement, de ses pertes (54,2 milliards sur le premier semestre 2002, 98,7 milliards sur l’exercice 2002) et de résultats commerciaux décevants. En 2005, sa valeur en bourse ne représente encore que 25% de sa valeur initiale, soit environ 80 milliards de dollars. Les principaux actionnaires vont jusqu’à reprocher la fusion aux administrateurs qui l’avaient entérinée : Carl Icahn, investisseur représentant également plusieurs fonds, diffuse en ce sens une lettre à l’ensemble des actionnaires le 11 octobre 2005. Steve Case, co-fondateur historique d’AOL (1991) et maître d’œuvre de la fusion, démissionne de son poste d’administrateur le 31 octobre 20051

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Ces actionnaires iront jusqu’à proposer de scinder le groupe en quatre entités distinctes, séparant donc les activités audiovisuelles, presse et Internet. Carl Icahn, qui détiendrait 3% du capital, a présenté en ce sens un rapport d’analyse de la situation de la société, commandé à la banque Lazard, présenté le 7 février 2006, à New-York2. Cette séparation pourrait faciliter le recentrement de l’activité d’AOL de prestataire d’accès à portail généraliste. Or, une dizaine de jours plus tard, le 17 février 20063, la direction de Time Warner et Carl Icahn annonçaient avoir trouvé un accord mettant fin à leur différent, celle-ci se déclarant prête à racheter ses actions. Le titre a vu ,effectivement, son cours repartir vers la hausse, après l’annonce de cet accord qui prévoit également la prise en compte des actionnaires minoritaires dans la désignation des administrateurs. Des enjeux, semble-t-il stratégiques, peuvent donc renvoyer avant tout à des enjeux capitalistiques et financiers. L’accès à la direction des groupes est aussi un enjeu de luttes intenses, les moyens de cette lutte passant par le contrôle capitalistique et la communication financière.

La particularité de l’offre d’AOL était d’intégrer un contenu éditorial propre, lié à la souscription à un abonnement exclusif. Ce modèle, associant abonnement à une offre éditoriale particulière, à des services exclusifs et à un accès Internet (initialement développé également sur le réseau Compuserve), a notamment été imité par Vivendi au moment de la

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Il avait déjà quitté son poste de PDG en 2003 à la suite du scandale sur les comptes d’AOL. Voir Le Monde et AFP du 31 octobre 2005. Il demeurerait, néanmoins, un des principaux actionnaires individuels du groupe.

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« Lazard propose d’éclater Time Warner en quatre » Libération 9 février 2006, Laurent Mauriac.

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mise en place de son offre Internet, après l’abandon de celle d’Havas (HOL) et la remise en cause de ses accords avec AOL, pour un échec complet.

La diminution progressive de son activité de fournisseur d’accès, face à l’arrivée du haut débit, amène néanmoins AOL à se recentrer en quatre ans sur l’activité de portail gratuit. La messagerie d’AOL, AIM, utilise cependant toujours une technologie particulière, acquise après avoir été développée par une société indépendante, Mirabilis (ICQ). Google est également présent sur ce marché, mais en utilisant un logiciel basé sur un code ouvert (XMPP, issu comme Jabber de protocoles développés pour Linux) et une communauté fermée (Gmail), offrant des services limités mais efficaces et garantis sans « publicité intempestive », formule qui a fait le succès de son portail. La ‘publicité intempestive’ fait référence à l’ouverture automatique de fenêtres non désirées (pop-up), aux spams ou « pouriels » (piratage des adresses de messagerie électronique pour envoyer automatiquement des courriers non souhaités), ou au parasitage des logiciels de messagerie par des logiciels malveillants, susceptibles de remplacer les fonctions d’usage de l’ordinateur par des fonctions pirates, comme l’inscription définitive dans le navigateur d’un lien vers un site particulier. Ce sont ces raisons de sécurité qui ont été invoquées depuis 2000, par les acteurs dominants du secteur, en particulier AOL, pour justifier la non-compatibilité avec les services concurrents. Apple (iChat) est également présent sur ce marché, bien que son implantation dépende essentiellement de la diffusion de ses machines1.

À terme, l’enjeu pour les portails est de renforcer leur position en offrant un ensemble complet de services de télécommunications, permettant, aussi bien, l’envoi de messages écrits vers un téléphone mobile que la communication vocale avec n’importe quel abonné téléphonique. On assiste donc à un double phénomène de re-convergence, de prestataires Internet vers les télécommunications, et des opérateurs télécoms vers Internet à travers l’intégration de ce type de fonctionnalités aux téléphones mobiles. Yahoo et MSN ont ainsi passé des accords avec Bouygues et SFR (par Vodafone) pour assurer la présence de leur messagerie chez ces abonnés. Yahoo a également passé des accords avec les constructeurs

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En octobre 2005, MSN revendique 8,6 millions d’internautes actifs en France, dont 5,4 via Hotmail ; au niveau mondial, les services de Microsoft et de Yahoo seraient utilisés par 275 millions de personnes, dont près de 9 millions pour la France ; d’après Nielsen Netrating la messagerie d’AOL serait utilisée par 53 millions de personnes sur le marché américain, celle de MSN par 29 millions, 23 millions pour Yahoo ; le cabinet Radicati Group voit, pour sa part, MSN et Yahoo occuper 44% du marché ; Gmail serait utilisé par 0,06 millions de personnes en France. Au moment de l’annonce de la fusion avec Time Warner en janvier 2000, AOL était réputé contrôler 90% du marché des messageries instantanées, soit 180 millions d’utilisateurs.

Motorola et Nokia pour intégrer sa messagerie et son portail au sein des fonctionnalités pré- installées sur les téléphones.