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Dans cette perspective, la télévision apparaît relever essentiellement du régime de la gratuité. Cette gratuité est relative, le budget des chaînes publiques est alimenté par des taxes parafiscales ou des contributions gouvernementales et par la publicité. Par le biais des systèmes d’aide à la création, le budget des chaînes privées est également alimenté, en partie, par l’État, puisque celui-ci prend à sa charge une part des coûts. Le capital nécessaire à l’activité marchande est donc tributaire de décisions relevant de l’espace politique.

Les processus de vente induits par les différentes formes de publicité sont indirects, et ils sont, en même temps, un moyen de proposer des spectacles gratuits : spots publicitaires, invités d’émissions assurant la promotion de leurs contributions en offrant leur performance à l’antenne, etc.

La réversibilité de prestations symboliques

Le principe de la vente d’espaces publicitaires repose lui-même sur un ensemble de croyances fortes en la réversibilité de prestations symboliques en prestations marchandes. Les publicitaires doivent convaincre les annonceurs que leurs spots contribuent à vendre leurs produits. Les acteurs du marché, dans leur ensemble, doivent adhérer au principe de mesure d’audience, pourtant évolutif et directement lié aux positions des différentes chaînes sur le marché.

La dimension stratégique ne repose donc pas sur le contrôle de la production, mais sur la maîtrise des moyens qui assurent la réversion de l’offre symbolique en demande marchande. La notion de « produit dérivé » correspond à cette réversion, au point de constituer le modèle économique des nouveaux médias.

Les concepteurs du jeu en ligne « Ryzom »1 entendaient, par exemple, réaliser essentiellement leur marge financière à partir de la diffusion de produits reprenant des caractères de l’univers graphique mis en place pour le jeu. Si l’abonnement payé par les joueurs devait assurer à lui seul la rentabilité de l’entreprise, les tarifs risqueraient d’être prohibitifs. En effet, l’utilisation

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The Saga of Ryzom, « Monde persistant » (jeu de rôle en ligne) développé par la société franco-anglaise Nevrax fondée à Paris en 2000, puis diffusé dans le cadre d’un partenariat avec Wanadoo, disponible depuis septembre 2004 : http://www.ryzom.fr .

On emploi le terme de « MMOG » massive multi-players online games pour désigner ce type de plate-forme de jeu.

du jeu lui-même implique des coûts très élevés (disponibilité des serveurs, bande passante utilisée) : la vente de produits est beaucoup plus rentable. Le jeu assure simplement leur exposition symbolique.

Un certain nombre de moyens industriels, qui pourraient sembler stratégiques, sont également placés dans ce régime de gratuité. Chacun peut avoir accès au code source du programme et proposer ses améliorations : l’entreprise peut ainsi les réutiliser à son profit ; ce régime lui permet également de bénéficier de subventions au titre de la promotion des technologies informatiques ouvertes. En outre, la possibilité de « jouer » avec les techniques d’un jeu (comprendre et modifier certains aspects du programme) fait expressément partie de son attrait.

Dans les cas où cette « rematérialisation » d’un monde virtuel n’est pas prévue initialement, des usagers peuvent la prendre en charge. Deux artistes suédois, Jakob Senneby et Simon Goldin ont ainsi mis en place le projet Objects of virtual desire1 à partir du monde en ligne Second Life2, une plate-forme précisément entièrement gérée par les joueurs, tant pour la programmation que pour le design virtuel. Les deux artistes se sont donc lancés dans la fabrication artisanale d’objets dessinés, dans ce monde virtuel, par ses usagers, ceux-ci pouvant dès lors posséder dans le monde matériel des objets virtuels auxquels ils s’étaient sentimentalement attachés3.

La prostitution figurerait également parmi les activités virtuelles4 possibles dans ce jeu, les échanges s’effectuant alors suivant le principe classique d’une messagerie rose. Un site personnel, « SL Escort », est même consacré à l’évaluation de la qualité des différents services offerts5.

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Les artistes présentent leur démarche et leurs créations sur leur site : http://www.objectsofvirtualdesire.com .

2

Jeu en ligne de simulation et de socialisation « massivement multijoueur » développé par Linden Lab : Près de 170000 personnes feraient partie de cette communauté virtuelle, dont l’économie est organisée autour d’une monnaie virtuelle, le « Linden Dollar », convertible en dollars américains. L’économie du jeu, suivant son éditeur, générerait 500000 dollars américains chaque semaine. Les investissements personnels dans le jeu, comme le fait de commander à un prestataire graphique le design de son avatar, impliquent cependant une mise de fond concrète. Site de l’éditeur : http://secondlife.com/ .

3

Libération du 9 décembre 2005 « où est la valeur d’un bien virtuel » par Marie Lechner.

4

« La prostitution virtuelle s’invite dans le jeu en ligne Second Life » Le Monde du 1er mai 2006, Alexandre Piquard.

5

Second Life, objets virtuels d’une économie concrète

Maisons et terrains à vendre, images provenant du site officiel de l’éditeur du jeu

Prostituée, capture publiée sur le site du Monde, dossier sur le « sexe virtuel », mai 2006

Les comptes virtuels correspondent également à une forme de capitalisation de la confiance des partenaires d’achat et de vente, à la base du principe et du succès du site de vente entre particuliers E-bay ; or ils ont pu être piratés, ce qui renvoie donc aussi à une forme de rematérialisation d’un univers virtuel. Les vendeurs et les acheteurs se notent en effet mutuellement, pour que leur fiabilité puisse être comparée, cette comparaison servant de base de confiance aux transactions suivantes. La rematérialisation se faisait en utilisant la crédibilité de ces annonceurs pour réaliser de fausses ventes ou de faux achats.

Les comptes étaient piratés sur le principe du phishing, un abus de confiance consistant par courrier électronique à demander à un utilisateur de se connecter sur un site1. Il est alors redirigé vers un site pastiche, où on lui demande ses codes d’accès, ceux-ci étant enregistrés et utilisés frauduleusement ensuite. Ils étaient revendus par le bais d’un site immatriculé en Russie par l’intermédiaire de sociétés américaines et canadiennes, eBayseller.cc. E-bays a obtenu la fermeture de ce site à la suite de la révélation de l’escroquerie sur le site d’une société de sécurité informatique, Sunbelt2.