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Le sport : énonciation de l’implication par emboîtement

Les programmes sportifs peuvent être catégorisés à partir de leurs modalités de diffusion : direct, différé, résumés, reportages et documentaires, émissions à propos du sport. Celles-ci peuvent, par exemple, présenter des extraits à partir d’un plateau pouvant réunir des invités. À l’inverse de la plupart des programmes, les retransmissions sportives en direct ont, en outre, pour particularité, d’avoir une conclusion à la fois imprévisible, immotivée, le gain d’un match pouvant s’avérer arbitraire : les discussions d’après-match comme les pronostics jouent de cette dimension. Tout un ensemble d’institutions extra-télévisuelles (fédérations sportives, contrôles anti-dopages, justice) garantissent l’imprévisibilité des résultats. Ceux-ci ne doivent relever que des règles du sport. Les enjeux économiques peuvent en effet être considérables, en particulier évidemment dans le cas du football. Néanmoins, acheter l’adversaire ou se doper ne ternit pas forcément l’équipe qui gagne, pas plus que le fait d’investir dans des joueurs étrangers. L’existence de malversations discrédite surtout les instances de contrôle qui devraient les prévenir et les réprimer.

Le gain et le prix des joueurs font en effet partie intégrante du prestige sportif dont ils constituent les deux faces, symboliques et financières1 : l’incommensurabilité des chiffres renvoie à la dimension mythique, voire mythologique du sport. L’or et l’argent se doivent d’exister tant sur les médailles que dans les comptes, pour signifier et cette valeur, et l’investissement qu’une communauté est prête à sacrifier pour acquérir ce prestige. Il ne s’agit pas d’un simple potlatch, ce prestige peut permettre aussi un retour économique sur l’investissement financier.

Les émissions sportives peuvent donc, c’est même une litote, provoquer une implication très forte des spectateurs. On retrouvera peut-être une implication proche dans les campagnes politiques, surtout quand les émissions qui les accompagnent sont vues comme des « matches ».

Néanmoins, ce qui nous intéresse le plus dans la définition des spécificités télévisuelles, c’est la puissance de l’implication que peut produire une offre limitée : un club dispose parfois de

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Voir Jules Gritti : Sport à la Une Armand Colin, Paris 1975 et Bernard Jeu, le Sport, la mort et la violence Editions Universitaires, Paris 1972, ainsi que bien évidemment les textes de Roger Caillois.

soutiens antagonistes1, mais ce qui caractérise la diffusion du sport à la télévision c’est bien le resserrement des enjeux sur quelques disciplines, quelques équipes, quelques joueurs.

Les retransmissions sportives fonctionnent dans la logique d’une prééminence de l’offre : dans une logique de prééminence de la demande, chacun verrait son équipe gagner. Le relatif insuccès des systèmes interactifs de changement d’angle de vue, à la demande du spectateur, pour certaines retransmissions, s’explique peut-être ainsi. Si un tel habitus ne s’est pas imposé, c’est sans doute que l’attente d’évènements dramatiques, ou du moins de duels ou d’évènements dramatisés, demeure prépondérante dans la motivation des téléspectateurs. Le fait que, seul un assez petit nombre de sport et de sportifs soient fortement médiatisés, contribue aussi à la construction d’une sorte de diégèse, un univers de personnages dont on pourra suivre le récit des exploits. Nous proposerons d’utiliser la modélisation de la construction d’un « méso-récit » sportif, par rapport à la télé-réalité, pour voir dans quelle mesure les logiques de sanction, de performance et d’exploits seraient comparables2.

En effet, d’autres types d’émission vont tenter de capitaliser le type d’implication que peuvent provoquer les exploits sportifs.

Ainsi, beaucoup d’émissions joignent la mise en scène de l’implication physique du communicateur à la thématique de l’exploit et de la durée : ce sont les émissions de type « raid », les courses sportives de longue durée organisées par un média, ou les émissions de type « téléthon » dont nous avons vu les principes. Si les émissions de Nicolas Hulot3 ou les retransmissions du Paris-Dakar et du Tour de France (sans oublier l’intérêt essentiel pour les paysages que l’on découvre ou redécouvre tout au long des retransmissions) n’ont pas un caractère caritatif impliquant un don, celles-ci semblent néanmoins tendre vers une même forme, s’appuyant sur la même « rhétorique marathon » qui pourrait être proche des stratégies de persuasion décrites par Merton. Effet de contiguïté thématique, ou bien format télévisuel spécifique, la rhétorique-marathon (indépendamment de toute intention caritative ou patriotique4, voire de l’idée sportive de compétition au profit de celle d’exploit et d’aventure) s’avère un catalyseur d’audience efficace, et la logique assez anti-télévisuelle de l’émission

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Voir le PSG.

2

Cet aspect est abordé du point de vues des sanctions, qui, pour les chaînes, sont d’ordre légal et réglementaire, nous le présentons page 304.

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Les cinq premières émissions d’Ushuaïa, présentées en studio, n’ont pas rencontré une audience suffisante. C’est à la suite de cet échec que la formule connue a été initiée.

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marathon (longueur, répétitivité1) disparaît, tout en demeurant à travers la forme sérialisée du Raid.

La télé-réalité capitalise également certaines de ces caractéristiques (durée, sérialisation) en y joignant, comme dans le sport, l’idée de compétition.

Les émissions de Nicolas Hulot ont montré que le sport n’implique pas forcément la compétition : il implique un médiateur, un communicateur, engagé lui-même dans l’action ; dans le cas d’un match, le commentateur réfère ainsi régulièrement à ses propres émotions : s’il ne prend pas part à la performance, il la vit verbalement et presque physiquement.

Dans le cas du loto ou du tiercé, on assiste également au filmage d’un espace, qui décide d’un gagnant qui ne prend pas part à l’action, mais qui, par la suite, peut être éventuellement figuré, sans que cette figuration ne soit cependant systématique. Celle-ci a lieu dans un autre espace, celui du JT par exemple, à travers un reportage sur les gagnants d’un lot important. Or, de la même façon, les sportifs ont un gain pécuniaire direct lié à leurs contrats et dépendant de leurs performances (cet aspect relevant également du JT ou de reportages). Bien entendu, ce gain ne relève pas, alors, d’une compétence aléatoire mais d’une compétence sportive, ainsi que d’une compétence, en terme de gestion d’image et d’affaires, délégable à un agent : cette compétence ne relève pas directement de la performance nécessaire au spectacle mais plutôt de sa fabrication et de sa gestion.

Le positionnement d’un sportif se fait donc suivant deux modalités, l’une sportive et quantifiable (son classement, ses résultats, son coût) et qualifiable en termes techniques, l’autre télévisuelle, son image, quantifiable en terme d’investissements de sponsors et qualifiable en terme de positionnement marketing2 et d’affects sociaux et psychologiques. Il apparaît donc que l’image d’un joueur relève d’un jeu sur le jeu, d’un pari des sponsors sur son image, et le retour sur investissements que la diffusion de cette image doit permettre. De même, le montant de son contrat relève d’un pari du club sur ses performances. Les paris de type Loto Sportif relèvent de la même démarche, le pari étant alors mis en jeu par le spectateur-joueur. Par défaut, l’identification à l’équipe locale ou nationale relève également d’un pari tacite susceptible d’offrir une gratification symbolique. Au niveau de la télévision,

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Voir Andy Warhol.

2

Voir « Montrer le sport ; photographie, cinéma, télévision » chapitre XIX, Cahiers de l’Insep n°29, sous la direction de Laurent Veray et Pierre Simonet, Paris 2000.

le pari porte sur l’implication du spectateur, en terme d’audience, d’incidence sur l’image de la chaîne et, éventuellement, de retour direct dans le cas du Téléthon.

Cet espace off du sport fait l’objet de quelques émissions régulières et apparaît à travers des soirées spéciales, au titre d’un problème contemporain. Ces émissions reprennent alors des faits sportifs et les événements politiques, judiciaires, financiers et marketings qui y sont liés, révélant ces aspects, habituellement cachés, de la fabrication de l’image du joueur et de la gestion des gains qu’il en reçoit.

On pourrait néanmoins se demander, au vu de ces émissions, si en détaillant les positions de chaque sport, de chaque club ou de chaque joueur, les chaînes ne jouent pas encore là leur propre positionnement, en introduisant une figuration dramatisée sur ce qui est présenté comme une mise à plat des rapports du sport au média.

Deux schémas1 nous permettront de préciser ces aspects, d’une part en reprenant le principe d’un schéma de communication et en repérant chaque espace énonciatif, d’autre part en présentant un éventail de la diversité de ces références et des types d’implications qu’elles mobilisent.

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Ces aspects ont fait l’objet d’une première présentation dans le cadre du séminaire « Représentation du sport à la télévision » sous la direction de Chantal Duchet et Charles Tesson, Université Paris 3 Ircav. Ils complètent un précédent travail sur les échelles de valeurs associées aux différents sports représentés à la télévision en fonction de leurs aspects agonistiques, prolongé dans le cadre du séminaire par une analyse des hiérarchies de valeurs culturelles investies dans l’usage des retransmissions sportives.

R0   0 (entourage)

Contexte géopolitique et social Valeurs partagées Identité des chaînes

R 1  1 (réactions des joueurs) R 2  2 (commentateur) R3 3 (discussions)

Réglementation audiovisuelle carrière téléspectateur réception espace de réception Achat de droits Programmes concurrents Grille de programmes pouvoir réglementaire organisateur chaîne co-spectateurs diffusion réalisation rencontre match résultats entraînement équipes joueurs

antécédents jeux production stratégies de marché réception

Joueur entraîneur règle aléas sponsors supporters pouvoir politique caméramen / réalisateur

Enonciateurs

tribunes

publicités stadium filmage

chaînes concurrentes équipe éditoriale

identité de la chaîne : différentiation

carrières, cursus finalité journalistique

et sportive

entraîneur finalité sportive

co-équipiers et dramatique

proches finalité dramatique et journalistique

systèmes proprioceptifs (point de vue des corps en action)

finalité didactique (suivre la performance du lien opto-moteur dans la rencontre)

joueurs (geste) finalité esthétique

base (ballon & arbitre) finalité sportive (suivre le match)

jeu (duel, dramatisation) finalité dramatique

tactiques (schéma ou commentaire)

finalité didactique (suivre la stratégie dans la rencontre)

commentateur (redondance, emphase et prosopée) finalité déictique, empathique et rythmique consultants / invités finalité d'expertise / de légitimation

supporters, personnalités finalité de légitimation: populaire, valorisante téléspectateurs finalité phatique, et d'adhésion et de valorisation

valeurs finalité identitaire

filmage & montage / diffusion (insertion dans une émission)

finalité de réalisation finalité de programmation

Texte AV déterminé par le marché finalité marchande * Antécédents Production Réception / production Jeux

sponsors finalité publicitaire

stadium, espace des jeux finalitépolitique

contexte géopolitique (est / ouest nord / sud)

(banlieue / centre)

émancipation sociale

finalitéidéologique

* ou texte AV déterminé par un droit d'accès égal

pour tous

finalité publique

identité nationale ou particularisme

valeur universelle du sport