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Si le dispositif contractuel peut être vu comme portant la performance interactionnelle en

creux, on ne peut pas marquer la réciprocité et voir dans la somme d’actes produits le

dispositif en relief.

L’intérêt spectatoriel réside dans un en plus, un excès par rapport au dispositif contractuel. La possibilité de cet excès pourra être sous-entendue dans le dispositif contractuel, qu’elle soit effectivement réalisée ou non. Par rapport au théâtre, où un incident (trou de mémoire, chute de décor…) altère la crédibilité de la représentation en détruisant le fil de la temporalité

1

Voir par exemple de Olivier Duhamel et Jean-Noël Jeanneney Présidentielles, les surprises de l'histoire, 1965-

1995, Le Seuil, Paris 2002. L’enregistrement de leurs entretiens a donné lieu à un film documentaire éponyme

d'Olivier Duhamel, Jean-Noël Jeanneney et Virginie Linhart. Réalisation de Virginie Linhart. Kuiv production / France Télévision (90 minutes, 2002), diffusé le 31 mars 2002 sur la chaîne Histoire.

prévue, voire entraîne son interruption. Tout incident semble, au contraire, augmenter l’intérêt télévisuel1. On retrouverait cet aspect dans la généalogie de la télévision : la première ouverture du JT, le 26 juin 1949, doit déjà son impact au filmage de la chute du ballon où avaient pris place Pierre Sabbagh et son cadreur Michel Wakewitch : « Si j’ai pu continuer à faire le journal, c’est aussi grâce à l’histoire du ballon » a déclaré Pierre Sabbagh dans un entretien rétrospectif sur sa carrière2.

Toute promotion d’émission joue de la possibilité de ces dérapages qui se produisent parfois. Ils alimentent alors les émissions de reprise et de mise en abyme. Régulièrement cités, ils fournissent parfois la matière intégrale de compilations ou de cassettes vidéo, pieusement conservées par les téléspectateurs qui ont eu la chance de les saisir en direct : ils ne manqueront sans doute pas de les rediffuser régulièrement à leurs amis, ou à leurs étudiants ! On peut noter également quelques « en moins » assez rares et curieux, par exemple, une émission du Monde de Léa3 où la publicité n’avait pas été lancée à temps. Pendant quelques secondes, les invités, qui auparavant s’invectivaient, ont pu être vus devisant fort cordialement en se partageant obligeamment des jus de fruit.

La performance du producteur tient à la maîtrise de la non maîtrise de son dispositif contractuel, les excès pouvant amener la fin de sa carrière, leur absence totale aussi, d’où sa position liée à cette « double contrainte ».

La critique des dispositifs télévisuels, par exemple celle de Bourdieu, se fonde très largement sur la critique des prétentions à la validité des discours produits.

Ainsi, un homme politique, dont les titres militants sont omis au profit de ses titres littéraires, profite de la labilité entre marquage de l’oralité du discours et de sa scripturalité. Il est « désindexé » de la sphère politique et peut faire jouer sa position culturelle hiérarchique. Pierre Bourdieu notait ainsi dans son premier texte sur la critique de la télévision4 :

1

Ces écarts sont envisagés d’un point de vue de leur acceptabilité dans l’espace public page 288 : Entre les images.

2

Jacques Asline La Bataille du 20 heures, Acropole, Paris 1998.

3

TF1, émission présentée par Paul Amar en 1997, en seconde partie de soirée, retirée de la grille après quelques numéros malgré une part de marché de l’ordre de 30%. Cette case est occupée depuis par les émissions de Pascal Bataille et Laurent Fontaine.

4

M. Alain Peyrefitte est présenté comme "écrivain" et non comme "sénateur RPR" et "président du comité éditorial du Figaro" M. Guy Sorman comme "économiste" et non comme "conseiller de M. Juppé".

Au contraire, sur-affirmer une présence orale en masquant son ethos permet de combattre le sur-classement, mais revient à s’interdire la production d’un discours de construction rationnelle de consensus.

Or, toute parole produite demeure tramée par l’expérience scripturale, le retour à une oralité primaire ne peut donc qu’être fantasmatique. Inversement, tout discours méthodologisé n’en porte pas moins les traces de son énonciateur, dans ses dimensions physiques et sociales.

Le clivage néo / paléo télévision ou télévision relationnelle / messagère est également éclairant dans ce schéma. Dès que la finalité d’un programme est de produire de la relation, plutôt que du message, et donc de la hiérarchie, les énoncés sont présentés comme équivalents, en évitant toute forme conclusive, tant en terme de parole que de dispositif formel. On retrouverait ce trait dans les émissions comme Ça se discute ou C’est mon choix1, en particulier dans l’analyse qu’en propose Dominique Mehl et dans l’approche de ces émissions proposée pages suivantes.

Umberto Eco a exprimé cette distinction en terme de vérité de l’énoncé et de vérité de

l’énonciation2

.

1

Réservoir Prod ; Ça se discute, 125’, émission présentée et produite par Jean-Luc Delarue diffusée en seconde partie de soirée sur France 2, le mercredi, depuis 1994, César d’or du meilleur magazine de société 2000. C’est mon choix, émission quotidienne diffusée en début d’après-midi puis de 20h15 à 20h45 à partir de 2000, ainsi que, ponctuellement, en prime-time, présentée Evelyne Thomas sur France 3, de 1999 à 2004.

2

Oralité Scripturalité

Contraintes de l’espace public politique ou moral & Contraintes de l’espace télévisuel  Intégration du sentiment d’acceptabilité des énoncés

Dispositif contractuel Dispositif interactionnel

Conversation Dispositif d’engendrement Performance en creux Actes de parole MARQUAGE ÉNONCIATIF DU DISPOSITIF Modalisation

Théâtralisation Produire la parole

INDEXICALISATION

Personnelle Formelle

Suspension du jugement Synthèse rationnelle

Finalité actionnelle Performative Conclusive Le marché L’agir communicationnel du sujet : Le spontané L’institution La contribution à un espace de discours : Le légitime Structure institutionnelle de rôles Expression

Tramée par l’expérience de l’écriture (oralité secondaire) Indexée à un sujet (ethos)

Hiérarchies de parole reproduisant les structures

du capital mis en jeu Jeux sur le cadre

pragmatique de l’énonciation Schémas d’appréhension  Disposition Images pré-discursives  Performance

Marquer un retour à une oralité primaire en dehors des déterminismes scripturaux

Vécu, expérience Notion de fiabilité de la parole

Acte du lien social

Désindexicalisation personnelle par marquage de déterminations

formelles Calcul, savoir

Sur-indexé au capital culturel Acte hiérarchique

Formes de prétention à l’universalité du discours