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B La stabilisation des juges professionnels dans la lutte contre les féodau

53. En permettant au monarque de prendre le contrôle de la juridiction située au sommet de la hiérarchie féodale, l’émergence d’un parlement distinct des autres formations de la Curia regis, et composé essentiellement de juges professionnels, a largement contribué à l’affirmation de la souveraineté royale. La stabilité de ces juges a ainsi progressivement été renforcée, dans le cadre de leur participation au rétablissement (1°) puis à l’affermissement du Pouvoir royal (2°).

1°) Les juges professionnels, champions du rétablissement du pouvoir royal 54. Depuis la dynastie carolingienne, rendre la justice apparaissait comme le corollaire du maintien de la paix et de la protection de l’ensemble du regnum. Cette mission fut érigée en idéal sous la dynastie capétienne, comme le révèlent les propos d’Hugues Capet lui-même : « La sublimité de notre piété n’a de raison d’être

en droit que si nous rendons la justice à tous et par tous les moyens. Les rois n’ont été institués que pour examiner avec perspicacité les droits de chacun, supprimer

tout ce qui est nuisible et faire grandir tout ce qui est bon »210. De la même manière,

Eudes II, comte de Blois, écrivait au roi Robert : « que la racine et le fruit de l’office

royal, c’est la justice »211. La promesse du sacre par lequel le roi s’engage à

maintenir son droit à chacun, témoigne pleinement cette image d’un roi justicier. Cependant, la Curia des premiers Capétiens n’était plus en mesure d’assurer, comme au temps du Placitum Carolingien, la suprématie du roi dans les affaires de justice. Si en principe, aucun seigneur ne pouvait refuser la compétence judiciaire de la Curia, tribunal royal fondé sur la souveraineté, le système féodal de la justice s’y opposait dans les faits. Dans le domaine royal, la Curia se voyait reconnaître la compétence de toute cour seigneuriale, à savoir que le roi était admis à administrer la justice en tant que seigneur. Dans le reste du royaume, le roi ne disposait pratiquement d’aucun pouvoir judiciaire, sinon dans les régions proches de Paris. Il était d’ailleurs essentiellement amené à connaître, à l’appel des seigneurs ecclésiastiques, des conflits opposant ces derniers avec des seigneurs féodaux ou des villes. Les seigneurs laïques étaient pour leur part, hostiles à la juridiction de la

Curia, et lui préféraient le procédé de la guerre. Les rares hypothèses dans lesquelles

ceux-ci lui faisaient appel, concernaient des demandent d’arbitrages et non de

210 Cité par A. Rigaudière, op. cit., p.235. 211 Ibid., p. 236.

jugement. C’est ce qui explique le faible nombre d’arrêts recensés aux XIe et XIIe siècles : quatre au XIe siècle, et quatre-vingt-cinq entre 1137 et 1180212.

55. Toutefois, l’entrée des légistes au sein de la Curia regis, va conduire à une reprise et à une systématisation de la théorie du roi justicier, en énonçant toutes ses implications. Relevant que le roi se trouvait situé au sommet de la hiérarchie féodo-vassalique et que tous les fiefs et arrières fiefs dépendent en définitive de lui, ils vont logiquement en déduire que toute justice émane de lui. En conséquence, tout seigneur justicier doit nécessairement pouvoir être soumis au contrôle de la couronne, dans l’exercice de ses fonctions judiciaires.

Trois moyens furent alors développés par les magistrats, afin d’assurer la primauté effective de la juridiction royale sur les seigneurs. Le premier moyen résidait dans la théorie des cas royaux. Selon celle-ci, le roi ne pouvant être soumis en tant que souverain à la juridiction d’un inférieur, il résultait que les procès concernant le roi peuvaient uniquement être jugés par le tribunal royal, même si les faits s’étaient déroulés dans une seigneurie. La liste des cas royaux ne fut jamais arrêtée, de sorte qu’elle était extensible à la volonté du roi. Parallèlement fut instituée la règle de l’appel romano-canonique, permettant à un justiciable de faire appel d’un jugement devant un tribunal supérieur. Apparue dans le Midi puis étendue dans le Nord, cette procédure va progressivement atteindre l’ensemble des juridictions féodales. Les justices étant tenues en fief du roi, l’appel apparaissait comme le moyen le plus approprié d’assurer cette subordination. Le dernier moyen résidait dans la prévention, fondée sur l’affirmation suivant laquelle le roi étant source de toute justice, les seigneurs n’exerçaient pas la justice au nom d’un droit inhérent à la seigneurie, mais par simple délégation tacite du roi. Aussi, le juge royal pouvait être saisi par un justiciable, ou de son propre chef, d’un litige relevant d’un tribunal seigneurial, avant que celui-ci ne soit saisi213.

56. C’est pendant cette période, que fut prise la mesure fixant le siège du Parlement de Paris dans le palais même du roi, assurant sa sédentarisation. Il semblerait que cette fixation ait été décidée par les articles 3 et 8 de l’ordonnance du 7 janvier 1277214. Le Parlement n’était pas pour autant permanent. Sous le règne de Saint-Louis encore, se tenaient trois ou quatre parlements par an. L’article 2 de l’ordonnance de 1302 prévoyait que la chambre aux plets tenait chaque année deux

212 J. Ellul, Histoire des institutions – Le Moyen Âge, PUF, Quadrige, Paris, 1999, p. 282. 213 Ibid., pp. 328-329.

214 A. Beugnot, Essai sur les institutions de Saint-Louis, F.G. Levrault, Paris, 1821, p. 154 ; J.-

M. Pardessus, Essai historique sur l’organisation judiciaire et l’administration de la justice depuis

assises, aux « vuictiènes de Touz-Sainz et aus trois semaines de Pâques ». En raison de l’accroissement des travaux, ces deux sessions furent bientôt séparées par les seules vacances de Pâques et les grandes vacances, du 8 septembre au 11 novembre. Comme les assises ne se tenaient pas de plein droit, une fois la session terminée, le Parlement se trouvait dans l’impossibilité de rendre la justice. Il ne pouvait en conséquence statuer sur les affaires commencées, et ne pouvait se réunir que sur ordre du roi215. Par une ordonnance du 17 novembre 1318, Philippe V devait néanmoins décider que lorsqu’une session du Parlement s’achèverait, la liste du suivant serait immédiatement publiée : « (10 in fine) – Et puis emprés toutes causes

délivrées, le Parlement finira l’en le nouvel Parlement. Et si vieult li Roys et Ordenne, si comme dit est jusques à tant que il, de certaine science, ayt ordoné dou contraire ». Les magistrats devaient, en conséquence, demander le renouvellement

de leurs fonctions à chaque session.

Néanmoins, en contrepartie du soutien apporté pour asseoir le Pouvoir royal, Philippe le Bel accorda à certains magistrats nominativement désignés, à l’occasion de l’ordonnance du 23 mars 1302, la faveur de siéger au Parlement de manière continue, sans avoir à solliciter un tel renouvellement216. Charles Loyseau devait

justement apprécier l’apport de cette ordonnance, dans le commentaire suivant : « Le

premier Roy qui rendit en France les officiers perpétuels et non destituables fut Philippe le Bel qui, en l’an 1302, après une recherche de réformation générale, destitua ceux qui avaient malversé, et confirma les autres en leurs offices, ordonnant qu’ils ne pourraient être destitués. Mais, à mon avis, ce fut plutôst un privilège qu’il donna aux bons officiers de son temps en récompense de leur intégrité, qu’une règle

générale et perpétuelle pour l’avenir »217. L’irrévocabilité ou l’inamovibilité était

ainsi reconnue à certains magistrats, à titre de privilège personnel. Par deux ordonnances de décembre 1319 et 1320, Philippe V étendit cette stabilité en supprimant les listes de service prévues à chaque session du Parlement. Enfin, l’article 7 de l’ordonnance du 8 avril 1342 devait aller plus loin en organisant à la fin de chaque session, comme l’a relevé le Professeur Pardessus, une sorte de roulement entre « les plus suffisants qui soient en nostre dit Parlement ». Les magistrats étaient répartis à l’aide d’une commission entre les trois chambres218. Cette division du

215 J.-M. Pardessus, op. cit., pp. 166-167.

216 Article 8 : « Il est ordonné que il soient résident au Parlement continuement, especialement

en la chambre des Plez, li chevalier et li laïs qui s’ensuivent : c’est assavoir, messires Jeans de Meleun… », Article 9 : « Il est ordené que il soient resident au Parlement continuement especialement en la chambre des Pletz, li clercs qui s’ensuivent : c’est assavoir l’archidiacre d’Orliens… ».

217 C. Loyseau, Cinq livres du droict des offices, Abel l’Angelier, Paris, 2e éd., 1613, livre V,

chap. 3, p. 37, n° 96.

Parlement en plusieurs chambres, révèle cependant un autre phénomène. Le rétablissement et l’affermissement de l’autorité du monarque au sein du royaume, passaient par une multiplication et une complexification des juridictions royales.

2°) Les juges professionnels, champions de l’affermissement du Pouvoir royal

57. Dans ses Treize livres des Parlements de France de 1617, La Roche Flavin soulignait que le Parlement de Paris avait été à l’origine, le seul et unique parlement du royaume. Il citait à titre de comparaison les cas de l’Allemagne, dans laquelle « il n’y a qu’une Chambre impériale », et de la Pologne, « Royaume de plus

grande estendue que la France, (qui ne dispose que d’) une seule Cour souveraine ».

Mais il ajoutait immédiatement, que : « …la France est si populeuse, qu’à mesure

que les grandes provinces du Languedoc, Guyenne, Bretagne…Provence et Dauphine furent réunies à la Couronne, mesmes les habitans estans naturellement litigieux et plaideurs, les Roys ont esté contraints establir un parlement en chasque province et ville capitale d’icelle pour la commodité des provinciaux et à ce qu’ils ne fussent contraints aller à grands frais et incommodités, achepter chèrement la

Justice à Paris »219. Cependant, il ne semble pas que l’augmentation de la population

du royaume, liée à l’extension de son territoire, ait été la première cause de la multiplication des juridictions souveraines. Comme ont pris soin de le souligner des auteurs tels que le Premier président Rousselet et le Professeur Royer, il faut également voir dans ce phénomène, « des considérations plus politiques

d’intégration et d’assimilation réfléchie »220. A chaque fois que la royauté annexait

un nouveau fief ou une nouvelle province, la mise en place d’une juridiction souveraine permettait d’ancrer l’Autorité royale sur la totalité de ce territoire.

58. Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, le principe de l’unité du Parlement issu de la Curia regis, fut maintenu. Le roi se contentait alors de déléguer des membres du Parlement de Paris, dans les provinces. Mais en 1290, il envoya des commissaires à Toulouse, pour y tenir un parlement qui fut maintenu pendant trois ans. Par une ordonnance de 1303, il suggéra d’y installer un parlement permanent. Toutefois, en raison du rejet de cette proposition, il fallu attendre 1419 pour que soit créé le parlement de Toulouse. Au cours du siècle suivant cette date, sept nouveaux parlements ont été créés. Entre 1453, le Conseil delphinal de Grenoble fut transformé en parlement. Puis, après l’annexion officielle du Dauphiné, il fut érigé en parlement royal de Grenoble. A l’occasion de la reprise de la Guyenne aux Anglais en 1451, le

219 Cité par M. Rousselet, Histoire de la magistrature…, t. 1, op. cit., p. 45. 220 J.-P. Royer, Histoire de la justice…, op. cit., p. 55.

traité d’annexion prévoyait la création d’une cour souveraine à Bordeaux. Aussi, la Haute cour présidée par le grand sénéchal de Guyenne, fut remplacée en 1462 par le parlement de Bordeaux. Suite au décès de Charles le Téméraire et le retour du duché de Bourgogne à la France, le parlement de Dijon fut substitué en 1477, aux Grands jours de Beaume. En 1499, Louis XII créa le parlement d’Aix, après avoir été désigné comme l’héritier testamentaire du dernier comte de Provence. Cette cour souveraine remplaçait le Conseil éminent de la province. Seize ans plus tard, en 1515, François Ier érigea le parlement de Rouen. Celui-ci se substituait à l’Echiquier, ancienne cour des ducs de Normandie, qui avait été rendue sédentaire et permanente en 1499. Enfin, vingt-deux ans après l’Union de la Bretagne à la France en 1532, un parlement de Bretagne fut installé à Rennes.

Ce mouvement reprit au XVIIe siècle. En 1623, Louis XIII transforma le Conseil souverain du Béarn en parlement de Pau, trois ans après le rattachement de cette province à la France. Le même monarque créa le parlement de Metz en 1633. Cette mesure fut néanmoins vivement contestée par l’empereur d’Allemagne, qui considérait le territoire des trois évêchés concernés, comme une terre d’Empire. Suite à la réunion de la Franche-Comté à la France, Louis XIV transféra le parlement de Dôle à Besançon, en 1676. La ville de Dôle avait été choisie à l’origine par les ducs de Bourgogne, et maintenue dans ses fonctions par l’Espagne. En 1668, Louis XV créa le conseil souverain de Tournai pour couvrir la Flandre. Il fut élevé au rang de parlement en 1686, puis fixé à Douai. Après l’annexion définitive de la Lorraine et du Barrois, le parlement de Nancy fut établi en 1766. A côté de ces parlements, l’expansion territoriale française conduisit à la mise en place de conseils provinciaux. Ainsi, Louis XIII a maintenu le Conseil provincial d’Artois créé par Charles Quint, suite à la capitulation d’Arras en 1640. Le conseil souverain d’Alsace a de la même façon, été définitivement établi à Colmar en 1698. Il avait alors vocation à remplacer les « Régences », anciens tribunaux impériaux. Enfin, après l’acquisition de la Corse auprès de la République de Gênes, le conseil souverain de Bastia fut créé en 1660.

59. Ainsi, le royaume de France devait compter à la fin de l’Ancien Régime, treize parlements et quatre conseils provinciaux. Cette liste n’est toutefois pas complète, et il conviendrait d’y ajouter les conseils supérieurs des colonies, et les douze chambres des comptes. La stabilité des membres de ces juridictions, résultait dans ce cadre, de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les cours établies étaient des juridictions souveraines, de sorte que leurs décisions étaient en principe insusceptibles d’appel. Il en résultait pour les magistrats, une certaine indépendance dans l’exercice de leurs fonctions. Ensuite, la proportion des magistrats « originaires » du ressort de la cour, apparaissait importante au regard de sa composition intégrale. La règle exigeant une composition mixte des cours, semble avoir été étendue tardivement à l’ensemble du royaume. Appliquée à la Bretagne lors

de la création du parlement de Rennes, celui-ci devait compter une moitié de magistrats bretons « originaires », et une moitié de magistrats « extraprovinciaires »221. Enfin, à chaque cour souveraine correspondait une

compagnie de magistrats. La compagnie disposait d’une certaine indépendance, en contrepartie de quoi elle veillait sur le comportement de ses membres. Dans ce cadre, la discipline interne fut progressivement et pour partie transférée du roi vers les compagnies.

§ 2 . La constitution d’un corps judiciaire composé de

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