• Aucun résultat trouvé

L’indépendance judiciaire connaît au-delà, dans son contenu, un large éventail de déclinaisons A la lecture des textes constitutionnels, de la jurisprudence

B La finalité de l’inamovibilité

13. L’indépendance judiciaire connaît au-delà, dans son contenu, un large éventail de déclinaisons A la lecture des textes constitutionnels, de la jurisprudence

et de la doctrine, il est possible d’évoquer pêle-mêle « l’indépendance individuelle », « l’indépendance personnelle », « l’indépendance administrative », « l’indépendance

financière », « l’indépendance collective » « l’indépendance institutionnelle »,

« l’indépendance organique », « l’indépendance fonctionnelle », ou encore « l’apparence d’indépendance ». Parmi ce foisonnement d’approches, la place de l’inamovibilité diffère, suivant que l’indépendance de la justice se trouve prise en considération sous le prisme de la fonction judiciaire, sous celui du magistrat, ou encore sous un prisme mixte.

La Cour européenne des droits de l’homme s’intéresse principalement à la fonction judiciaire. Selon sa jurisprudence, un tribunal est indépendant au sens de l’article 6 § 1 de la Convention du même nom, dès lors qu’il se trouve caractérisé à la

78 S. Shetreet, Judges on trial. A study of the appointment and accountability of the english

judiciary, Gordon J. Borrie, North-Holland Publishing Company, Amsterdam, 1976, p. 17.

79 R. de La Grasserie, La justice en France…, vol. 1, op. cit., p. 168.

80 CEDH, arrêt du 28 juin 1984, « Campbell et Fell c/ Royaume-Uni », Req. n° 7819/77 et

7878/11, § 78.

81 Cour suprême du Canada, arrêt « Ell c. Alberta », [2003] 1 R.C.S., cons. 15 ; J. Douvreleur,

O. Douvreleur, Le principe d’indépendance…, op. cit., p. 336 ; R. Perrot, Institutions judiciaires, op.

fois par une apparence d’indépendance et une indépendance institutionnelle82. Cette

dernière recouvre l’indépendance organique et l’indépendance fonctionnelle. Il s’agit alors pour la Cour de s’intéresser à des critères objectifs, afin de savoir si le tribunal peut raisonnablement être perçu comme indépendant. Pour que le critère organique soit respecté, il est nécessaire que le statut du tribunal et celui de ses membres, notamment leur mode de nomination et la durée de leur mandat, révèle « l’absence

de lien entre le pouvoir exécutif et les autorités judiciaires »83. Le critère fonctionnel

implique quant à lui, que le tribunal et ses membres bénéficient de garanties en vertu desquelles ils puissent : « ne recevoir ni pressions ni instructions dans l’exercice de

leurs fonctions juridictionnelles »84. A côté de l’indépendance institutionnelle,

l’apparence d’indépendance constitue une application de l’adage : « Justice must not

only be done, it must also be seen to be done »85. La Cour s’intéresse alors à un

critère subjectif, d’ordre psychologique. Il est nécessaire qu’un justiciable ne puisse nourrir d’« appréhensions…objectivement justifiées »86 concernant l’indépendance du tribunal, dont un des membres se trouverait « dans un état de subordination de

fonctions et de services par rapport à l’une des parties »87. Le bénéfice de

l’inamovibilité est en conséquence susceptible d’être pris en compte par le juge européen, pour la reconnaissance des indépendances institutionnelle, organique et fonctionnelle, ainsi que pour celle de l’apparence d’indépendance. Néanmoins, au lieu d’occuper une place autonome, l’inamovibilité se trouve ici diluée parmi ces différentes approches. Elle constitue alors une condition utile, mais non forcément nécessaire de l’indépendance judiciaire.

En revanche, les Constitutions européennes s’intéressent davantage au magistrat, qu’à la fonction judiciaire. Il en va ainsi de la Loi fondamentale allemande : « les juges sont indépendants », de la Constitution espagnole : « La

Justice…est rendue par des juges et magistrats qui…sont indépendants », de la

Constitution italienne : « Les juges ne sont soumis qu’à la loi », ou encore de la

82 « Pour déterminer si un organe peut passer pour indépendant…la Cour a égard au mode de

désignation et à la durée du mandat des membres, à l’existence de garanties contre les pressions extérieures et au point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance », CEDH, arrêt du 28 juin

1984, « Campbell et Fell c/ Royaume-Uni », Req. n° 7819/77 et 7878/77, § 78.

83 CEDH, arrêt du 9 novembre 2006, « Société Sacilor-Lormines c/ France », Req. n°

65411/01, § 59.

84 Ibid., § 67.

85 « Il ne faut pas seulement que la justice soit rendue, il faut aussi qu’elle donne l’apparence

d’être rendue ». Voir : CEDH, arrêt du 17 janvier 1970, « Delcourt c/ Belgique », Req. n° 2689/65, §

31.

86 CEDH, arrêt du 9 juin 1998, Incal c/ Turquie, Req. n° 41/97/825/1031, § 71. 87 CEDH, arrêt du 22 octobre 1984, « Sramek c/ Autriche », Req. n° 8790/79, § 42.

Constitution roumaine : « Les juges sont indépendants ». Cette approche est particulièrement visible dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français. Dans ses décisions, celui-ci mentionne « l’indépendance des juges », « l’indépendance des magistrats du siège », ou « des juges du siège », voire plus généralement « l’indépendance des magistrats ». Dans ces conditions, l’indépendance judiciaire est principalement envisagée sous l’angle de l’indépendance individuelle ou personnelle du magistrat. Certes, cela ne signifie pas que toute forme d’indépendance institutionnelle se trouve exclue. Ainsi en France, l’indépendance de l’Autorité judiciaire est expressément prévue à l’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958, et le Conseil constitutionnel a dégagé un principe fondamental reconnu par les lois de la Républiques de « l’indépendance des

juridictions », à l’occasion de sa décision du 22 juillet 1980, « Validation d’actes administratifs ». Toutefois, pour reprendre les propos de Dominique Rousseau, cette

indépendance « se mesure…véritablement à l’indépendance de ses membres »88. En conséquence, l’indépendance judiciaire apparaît raisonnablement assurée, à partir du moment où le magistrat bénéficie d’un certain nombre de garanties. Le bilan du questionnaire de l’AHJUCAF consacré à ce thème, est révélateur de cette optique. En suivant celui-ci, « nous pouvons recenser les conditions inséparables de

l’indépendance judiciaire. Ces conditions…sont : le recrutement ou la sélection des juges ; la formation ; la rémunération ; le budget de la justice ; la nomination du

juge ; (et) la carrière du juge »89. Sur les six conditions énumérées, cinq se

rapportent au magistrat. Dans la mesure où elle apparaît d’abord comme une garantie individuelle accordée au magistrat, l’inamovibilité a alors vocation à occuper une place à part entière au sein de l’indépendance de la justice. Elle est à la fois une condition nécessaire et essentielle, de celle-ci.

Une troisième conception de l’indépendance judiciaire, reposant sur une approche mixte, a notamment prospéré au Canada. Celle-ci y est définie, dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, par « trois caractéristiques

essentielles » et « deux dimensions »90. Depuis l’arrêt « Valente » de 198591, les

premières regroupent : l’inamovibilité ; la sécurité financière ; et l’indépendance administrative. Selon le même arrêt, les secondes se déclinent en : une indépendance individuelle ; et une indépendance institutionnelle ou collective de la cour ou du

88 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Domat Droit public,

Paris, 5e éd., 1999, p. 254.

89 AHJUCAF, op. cit., www.ahjucaf.org, Question n° 5.

90 Cette formule aurait été utilisée pour la première fois par le juge en chef Lamer, dans l’arrêt

de la Cour suprême du Canada, « Renvoi : juges de la Cour provinciale », [1997], 3 R.C.S., 87.

tribunal, auquel le juge appartient. La raison de la distinction entre ces deux dimensions de l’indépendance, a été explicitée dans ce même arrêt, par le Juge Le Dain : « Le rapport entre ces deux aspects…est qu’un juge, pris individuellement,

peut jouir des conditions essentielles à l’indépendance judiciaire, mais si la cour ou le tribunal qu’il préside n’est pas indépendant des autres organes du gouvernement dans ce qui est essentiel à sa fonction, on ne peut pas dire qu’il constitue un tribunal

indépendant »92. Le Juge en chef Lamer a complété cette explication, dans l’arrêt

« Renvoi sur les juges » de 1997, en précisant le lien existant entre les caractéristiques essentielles et les dimensions de l’indépendance judiciaire. Les premières « forment, ensemble, l’indépendance de la magistrature. Par contraste, les

dimensions de cette indépendance indiquent lequel – du juge pris individuellement ou de la cour ou du tribunal auquel il appartient – est protégé par une

caractéristique essentielle donnée »93. En conséquence, l’indépendance de la justice

est appréciée à un double niveau, celui du magistrat et celui de l’institution judiciaire. Plus encore, le respect d’une caractéristique essentielle peut être exigé dans les deux dimensions, individuelle et collective. Il en va ainsi de la sécurité financière. A l’inverse, l’indépendance administrative se rapporte à la dimension institutionnelle, et l’inamovibilité à la dimension individuelle. Dans ce contexte, la place de l’inamovibilité se trouve essentiellement cantonnée à la dimension individuelle de l’indépendance judiciaire. Elle n’en constitue pas moins une condition nécessaire, de celle-ci.

14. Après avoir examiné l’objet et le contenu de l’indépendance judiciaire,

Outline

Documents relatifs