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Le constat d’une telle contradiction semble devoir appeler trois remarques immédiates De prime abord, il convient a priori de penser que, dans

D L’appréciation du modèle

34. Le constat d’une telle contradiction semble devoir appeler trois remarques immédiates De prime abord, il convient a priori de penser que, dans

l’hypothèse où l’inamovibilité constituerait intrinsèquement un « mythe », elle ne devrait pas pouvoir être regardée comme un « modèle » de garantie d’indépendance. Ensuite, alors même que la question de la suppression de l’assise constitutionnelle de cette protection, avait été soulevée lors des travaux préparatoires à la Constitution de la Vème République, force est souligner que la déclaration faite en ce sens par le

Garde des Sceaux Michel Debré, n’a finalement pas été suivie d’effet. Bien au contraire, à la récente question d’un député qui lui demandait de prendre des mesures pour « faire de la justice un vrai pouvoir indépendant », l’actuel ministre de la justice a pu apporter la réponse suivante : « Le principe de l’indépendance de

l’autorité judiciaire est posé par l’article 64 de la Constitution…Ce principe se traduit notamment par l’inamovibilité des magistrats du siège, prévue par l’article

64 de la Constitution »174. Enfin, il convient d’observer une nouvelle fois que

l’inamovibilité entretient, dans l’approche dont elle fait l’objet, un lien particulièrement étroit avec le corps et la justice judiciaires. Difficilement susceptible de pouvoir être appréhendée de manière autonome, elle est, et reste, d’abord perçue sous le prisme du magistrat du siège de l’ordre judiciaire.

173 C. Laroche-Flavin, La machine judiciaire, éd. Seuil, Paris, 1968.

174 Question écrite n° 104979 posée par la Député Monique Boulestin au garde des Sceaux,

ministre de la justice, Assemblée nationale, JO, 12 avril 2011, p. 3554. Réponse du garde des Sceaux, Assemblée nationale, JO, 26 juillet 2011, p. 8177.

Dans ces conditions, il peut sembler approprié de chercher à lever le paradoxe mis en exergue, en s’interrogeant à la fois sur les causes extrinsèques qui ont conduit à associer l’inamovibilité à un « mythe », et au-delà sur les raisons inhérentes à sa fonction qui permettent de la concevoir comme un « modèle ». Ce faisant, la résolution de cette contradiction conduit à adopter une approche scientifique de l’inamovibilité, qui rejoint celle que défendait le Professeur Jèze vis-à-vis des problèmes de droit administratif de son époque. L’Universitaire écrivait alors, au début du XXe siècle, que : « Les problèmes de droit…doivent être étudiés en se

plaçant à deux points de vue : 1° le point de vue de la technique juridique ; 2° le point de vue politique…Bien des points de technique juridique s’éclairent à la lumière du point de vue politique… Négliger l’un ou l’autre point de vue – le technique ou le politique – c’est à mon avis, laisser de côté un des éléments essentiels du problème en examen ; c’est ne s’occuper que d’une face de la question ; celui qui décrit les institutions…du seul point de vue politique ou du seul point de vue juridique, les défigure. Encore une fois, tout exposé est incomplet qui ne met pas en relief : 1° le but à atteindre et le milieu (social, politique, économique) (point de vue politique) ; 2° les moyens juridiques employés pour atteindre ce but (point de vue technique) ; 3° les résultats pratiques de l’institution étudiée ; ces résultats montrent dans quelle mesure les moyens juridiques employés étaient

adéquats au but poursuivi et au milieu »175.

35. Or, le milieu dans lequel évolue l’inamovibilité des magistrats s’analyse d’abord, en France, comme celui des relations entre la justice et le Pouvoir politique. Celles-ci revêtent un caractère historiquement conflictuel. Attribuée dès l’origine à des personnes chargées d’une fonction de souveraineté, puis associée aux excès des parlements de l’Ancien Régime, l’inamovibilité s’est trouvée traditionnellement suspectée à partir de la Révolution, de pouvoir favoriser l’émergence d’un « pouvoir judiciaire ». Cette crainte d’une magistrature inamovible, susceptible de se placer en dehors de l’Etat et de contester le pouvoir des représentants élus de la Nation, a dès lors pu se traduire par une volonté du Pouvoir politique, d’affaiblir la portée de cette garantie d’indépendance. La première partie de cette étude se proposera dès lors de démontrer que la condition actuelle de l’inamovibilité est, en droit français, celle d’une garantie ancienne transformée en « mythe » (Partie I).

Une fois démontrée l’incidence du contexte politique dans lequel elle s’insère, sur sa qualification de « mythe », il conviendra alors de déterminer les conditions dans lesquelles l’inamovibilité pourra raisonnablement être analysée comme un « modèle ». Tel va être l’objet de l’examen de sa finalité. Si l’inamovibilité reste

175 G. Jèze, Les principes généraux du droit administratif – Tome I : la technique juridique du

avant tout appréciée, en l’état du droit positif, par rapport à l’indépendance qu’elle confère au magistrat, il n’est pas certain que cette exigence suffise à la légitimer. C’est justement parce que l’inamovibilité a été jugée responsable de l’indépendance trop absolue dont avaient bénéficié les magistrats sous l’Ancien Régime, qu’elle s’est ensuite trouvée affaiblie par les régimes qui se sont succédés depuis la Révolution. De même, le fait de voir dans celle-ci un synonyme d’indépendance, a pu favoriser à certains égards sa marginalisation, justifiée par son caractère trop « statique ». D’un point de vue réaliste, et ceci a déjà été souligné précedemment, l’inamovibilité ne possède pas la même étendue qu’un système de carrière, puisqu’elle s’analyse plus restrictivement comme une garantie d’éviction. Au contraire, il semble qu’elle puisse trouver une légitimité dans une conception « dynamique », c’est-à-dire non seulement comme une garantie de l’indépendance personnelle du magistrat, mais encore comme une garantie de son indépendance fonctionnelle et in fine de son impartialité. C’est a priori dans le souci de satisfaire ce dernier impératif, que l’institution de justice puise sa raison d’être et que la mise en place d’une magistrature indépendante trouve sa justification. La seconde partie de l’étude cherchera dès lors à démontrer que l’inamovibilité a pour fonction, au-delà de l’indépendance qui reste un moyen mis au service d’une finalité, de promouvoir l’impartialité du magistrat (Partie II).

PARTIE I. LA CONDITION DE L’INAMOVIBILITE : UNE

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