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B L’identification pérenne de l’inamovibilité à une magistrature professionnelle

Dans le document L'inamovibilité des magistrats : un modèle ? (Page 138-146)

132. De manière paradoxale, la Révolution a pleinement contribué au rétablissement de l’inamovibilité. Cette dernière est de nouveau apparue avec l’échec du système électif, comme la principale garantie d’indépendance des juges, bénéficiant en conséquence, d’une consécration continue au sommet de la hiérarchie des normes (1°). En outre, considérée comme un gage de stabilité, l’inamovibilité s’est vue renforcée par le rétablissement durable d’une magistrature professionnelle (2°).

1°) L’affirmation constante de l’inamovibilité des magistrats

133. S’il est certain que le principe d’inamovibilité des magistrats a bénéficié d’une effectivité relative entre 1789 et 1958, cette garantie se distingue néanmoins par sa consécration formelle sous chacun des régimes qui se sont succédés au cours de cette période, malgré leur diversité et leur opposition : Monarchie constitutionnelle (1791-1792), Convention (1792-1795), Directoire (1795-1799), Consulat (1799-1804), Premier Empire (1804-1814), Restauration (1814-1830), Monarchie de Juillet (1830-1848), Seconde République (1848-1851), Second Empire (1852-1870), IIIème République (1870-1940), Régime de Vichy (1940-1944), et IVème

République (1946-1958). Sur la durée, il convient de mettre en exergue la prépondérance de la garantie d’éviction sur la garantie viagère, même s’il faut également souligner à partir du Second Empire, une disparition de la définition positive de l’inamovibilité au niveau constitutionnel.

134. Sous la période révolutionnaire, les Constitutions de la Monarchie constitutionnelle et du Directoire, ont consacré l’inamovibilité des juges élus, dans des termes assez identiques, reprenant les dispositions de l’édit du 21 octobre 1467 relatives aux modalités d’éviction. Ainsi, la Constitution des 3 et 4 septembre 1791 disposait que les juges : « ne pourront être, ni destitués que pour forfaiture dûment

jugée, ni suspendus que pour une accusation admise »356, et celle du 22 août 1795,

que : « Les juges ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement jugée, ni

suspendus que par une accusation admise »357.

Avec l’avènement du Consulat, l’inamovibilité va être réaffirmée en faveur de juges désormais nommés par le Premier consul ou, s’agissant des juges de cassation, élus par le Sénat. Ainsi, la Constitution du 22 frimaire en VIII disposait que : « Les

356 Article 2 du chapitre 5 de la Constitution des 3 et 4 septembre 1791.

juges…conservent leurs fonctions toute leur vie, à moins qu’ils ne soient condamnés

pour forfaiture, ou qu’ils ne soient pas maintenus sur les listes d’éligibles »358.

L’intérêt de cette disposition est double. D’une part les juges étaient de nouveau, comme ce fut le cas sous l’Ancien Régime, désignés à vie. D’autre part, venait s’ajouter à la forfaiture comme cause de destitution des juges, l’absence de maintien de ceux-ci sur les listes d’éligibles. De cette manière, l’inamovibilité des juges se trouvait reconnue dans le cadre d’un système de nomination à vie par le chef de l’Etat, sous réserve du maintien de la confiance des citoyens par voie électorale.

Pendant le bref retour de l’Empire en 1815, l’inamovibilité des juges va être rappelée au niveau constitutionnel, sans être définie, mais en étant distinguée de la désignation à vie. L’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire du 22 avril 1815, disposait en ce sens que les juges « sont inamovibles et à vie dès l’instant de leur

nomination ». La Constitution de la Seconde République du 4 novembre 1848, va

offrir une définition complète de l’inamovibilité, opérant la synthèse des apports antérieurs. Ainsi, son article 87 prévoyait que : « Les juges de première instance et

d’appel, les membres de la Cour de cassation…sont nommés à vie. – Ils ne peuvent être révoqués ou suspendus que par un jugement, ni mis à la retraite que pour les

causes et dans les formes déterminées par les lois »359. Cette consécration peut

sembler un peu paradoxale, eu égard aux événements qui l’ont précédés. En effet, le Gouvernement provisoire établi au lendemain de la chute de la Monarchie de Juillet, avait adopté un décret proclamant l’incompatibilité entre l’inamovibilité et la République. Néanmoins, si les républicains étaient effectivement majoritaires au sein de l’Assemblée constituante qui a adopté cette disposition, par opposition à l’Assemblée législative qui lui a succédé, elle apparaissait elle-même plus modérée dans son ensemble, que le Gouvernement provisoire.

135. Les autres textes constitutionnels de la période comprise entre 1814 et 1958, bien que réaffirmant le principe d’inamovibilité, vont être caractérisés par leur aspect extrêmement succinct. Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, l’article 58 de la charte du 4 juin 1815 et l’article 49 de la Charte du 14 août 1830, disposaient suivant une même formule, que : « Les juges nommés par le roi sont

inamovibles ». Sous le Second Empire, l’inamovibilité des magistrats ne fut pas

envisagée dans le cadre d’un chapitre ou d’un titre relatif à l’organisation judiciaire, mais dans les dispositions relatives aux attributions du Sénat en matière de contrôle de constitutionnalité. L’article 26 de la Constitution du 14 janvier 1852 prévoyait en effet que : « Le Sénat s’oppose à la promulgation, - 1° Des lois qui seraient

358 Article 68 du titre V de la Constitution du 13 décembre 1799 ou du 22 frimaire an VIII. 359 Article 87 du chapitre VIII de la Constitution du 4 novembre 1848.

contraires ou qui porteraient atteinte…au principe de l’inamovibilité de la

magistrature »360. La compétence du Sénat conservateur fut par la suite reprise à

l’identique, à l’occasion du Sénatus-consulte du 14 mars 1867 modifiant l’article 26 de la Constitution de 1852361. Le Sénatus-consulte du 21 mai 1870 fixant la

Constitution de l’Empire, et consacrant l’évolution parlementaire du régime, affirmait de nouveau l’inamovibilité des magistrats parmi les dispositions relatives aux attributions de l’Empereur. Ainsi, son article 15 alinéa 2 disposait : « L’inamovibilité de la magistrature est maintenue »362. Parenthèse entre les IIIème et IVème Républiques, le Régime de Vichy aurait également dû bénéficier d’une

véritable Constitution. Cependant, alors que la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 prévoyait qu’elle serait « ratifiée par la Nation », seul un projet fut en définitive réalisé. Dans le sillon des Constitutions antérieures, celui-ci disposait dans un article 32 alinéa 3 : « Les magistrats du siège sont inamovibles ». Enfin, sous la IVème

République, la Constitution du 27 octobre 1946 est venue consacrer une fois encore cette garantie, dans son article 84 alinéa 3 : « Les magistrats du siège sont

inamovibles »363.

136. L’affirmation de l’inamovibilité des magistrats sous la IIIème

République, suppose en revanche de faire l’objet d’un examen spécifique, en raison de l’absence de fondement constitutionnel. Effectivement, les trois lois constitutionnelles364, initialement conçues comme provisoires365 jusqu’à

l’affirmation d’un régime monarchiste ou républicain, n’intégrèrent pas de dispositions relatives à l’organisation judiciaire. Cependant, en raison du fragile équilibre sur lequel reposait la IIIème République, ces lois furent maintenues et firent office de Constitution jusqu’en 1940. Pour autant, un véritable débat s’est engagé afin de déterminer la valeur juridique de l’inamovibilité. La question s’était déjà posée une première fois, suite à l’adoption par le Gouvernement de la défense nationale des décrets dits « Crémieux » des 28 janvier et 3 février 1871, révoquant

360 Article 26 du titre IV de la Constitution du 14 janvier 1852. 361 Article unique du Sénatus-consulte du 14 mars 1867. 362 Article 15 du Sénatus-consulte du 21 mai 1870.

363 Article 84 du titre IX de la Constitution du 27 octobre 1946.

364 La loi du 24 février 1875 relative au Sénat, la loi du 25 février 1875 sur l’organisation des

pouvoirs publics, et la loi du 16 juillet 1875 régissant les rapports des pouvoirs publics.

365 Le Député Ventavon, rapporteur du projet de la « Commission des Trente » chargée

d’élaborer des projets de lois constitutionnelles sur les pouvoirs publics et sur la responsabilité ministérielle, devait déclarer à la tribune le 21 janvier 1875 : « Ce n’est pas à vrai dire une

constitution que j’ai l’honneur de vous rapporter ; ce nom ne convient qu’aux institutions fondées pour un avenir indéfini. Il s’agit simplement aujourd’hui d’organiser des pouvoirs temporaires, les pouvoirs d’un homme ».

des magistrats ayant siégé dans les commissions mixtes paritaires. La Commission parlementaire chargée d’examiner le projet du Garde des Sceaux visant à annuler ces décrets, soumit à l’Assemblée nationale une proposition portant : « Les décrets du 28

janvier et du 3 février 1871 sont déclarés nuls et non avenus comme contraires au

principe constitutionnel de l’inamovibilité de la magistrature »366. L’Assemblée

atténua l’affirmation de la valeur constitutionnelle de l’inamovibilité des magistrats, en lui préférant la référence à la séparation des pouvoirs, ce qui conduisit à l’adoption d’un amendement destiné à annuler le premier décret « Crémieux ». Cet amendement était précisément formulé dans les termes suivants : « Le décret du 28

janvier 1871 qui a prononcé la déchéance des quinze magistrats inamovibles est annulé comme contraire à la séparation des pouvoirs et au principe de

l’inamovibilité de la magistrature »367.

Le débat devait renaître quelques années après l’adoption des Lois constitutionnelles de 1875, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation des tribunaux judiciaires. Le gouvernement entendait alors suspendre l’application de l’inamovibilité au moyen d’une loi ordinaire, dans le but inavoué d’écarter les magistrats d’obédience monarchiste ou bonapartiste. Or, le succès d’une telle entreprise impliquait nécessairement que l’inamovibilité ne revête pas une valeur supralégislative, et plus précisément constitutionnelle. Dans le silence des Lois de 1875, certains opposants ont cherché à démontrer l’existence d’une sorte de continuité constitutionnelle républicaine. Ainsi, le Sénateur Jouin concluait en ces termes devant la chambre haute : « Oui ou non, le principe de l’inamovibilité est-il

un principe de la Constitution républicaine de 1848 ? Oui. Ce principe constitutionnel, proclamé dans la Constitution, respecté par la violation même de cette Constitution, a-t-il été annulé, renversé, modifié, effacé par l’Assemblée qui a fait la Constitution sous laquelle nous vivons ? Non. Donc ce principe est un

principe constitutionnel »368. Le gouvernement soutint de manière plus logique, la

théorie inverse. Selon le Garde des Sceaux Martin-Feuillée, les Constitutions antérieures ayant consacré l’inamovibilité, avaient été emportées avec les régimes politiques qui leur avaient donné naissance. Résumant ses propos, il déclarait, non sans ironie : « Comment, l’inamovibilité serait encore un principe constitutionnel ?

Ce n’est pas possible, ce serait reconnaître que la Constitution de 1852 a survécu à la chute de l’Empire…La Constitution de 1852 est morte et bien morte ; et la Constitution de 1875 est muette. En conséquence, l’inamovibilité, aujourd’hui,

366 Séance du 25 mars 1871, in C. Carisch, op. cit., p. 34. 367 Séance du 26 mars 1871, JO, 1871, pp. 277-283.

dépend absolument du pouvoir législatif »369. Le président du Conseil concluait enfin

en soulignant : « Il n’y a pas de Constitution tacite ; il n’y a pas de droits

constitutionnels par réticence !…C’est fondamental, mais ce n’est pas

constitutionnel au sens légal du mot »370. En définitive, les chambres devaient se

contenter de suspendre l’inamovibilité des magistrats pour une durée de trois mois, à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 30 août 1883, cette dernière réaffirmant cette garantie au niveau législatif.

137. Par la suite, la doctrine est restée divisée pendant toute la durée de la IIIème République, sur le sujet. Ainsi, Pour le Doyen Duguit, l’inamovibilité avait tout

au plus une valeur législative : « Il y a donc là, en France et en général dans les pays

qui pratiquent le système des constitutions rigides et qui en même temps ne font pas de l’ordre judiciaire un pouvoir autonome, une simple règle législative, que le

législateur ordinaire peut modifier, suspendre et abroger à son gré »371. Le

Professeur Esmein, sans lui reconnaître une valeur constitutionnelle, estimait que l’inamovibilité constituait un principe supérieur du droit public, un de ces principes qui : « comme le respect des droits individuels…dominent notre droit sans avoir

besoin de recevoir une expression législative »372. Le Professeur Garsonnet optait en

revanche pour une solution intermédiaire fondée sur la raison, et limitant le législateur dans l’exercice de sa compétence : « Ainsi, si en droit, le législateur a le

pouvoir de le (principe d’inamovibilité) modifier, de le suspendre et de l’abroger : ce n’est pas à dire qu’il ait raison d’en user, car tous les gouvernements qui portent atteinte à ce principe encourent, quelle que soit leur origine , le reproche de vouloir asservir la justice et quand l’Etat croit devoir user de son droit incontestable de réformer les institutions judiciaires, il doit le faire en changeant l’organisation, et

non pas en choisissant arbitrairement parmi les personnes »373.

2°) L’affirmation progressive d’une magistrature professionnelle

138. Selon le propos du Professeur Royer : « Avec le recul du temps,

l’adoption du principe de l’élection, pourtant révolutionnaire et « d’esprit

369 JO, débats parlementaires, Sénat, 29 juillet 1883, p. 1104. 370 JO, débats parlementaires, Sénat, 29 juillet 1883, p. 1109. 371 L. Duguit, Etudes de Droit public…, op. cit., pp. 584 et s.

372 A. Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, L. Larose, Paris, 2e éd.,

1899, p. 424.

373 E. Garsonnet, Traité théorique et pratique de procédure civile et commerciale : en justice

de paix et devant les conseils de prud’hommes, vol I., L. Larose & L. Tenin, 3e éd., Paris, 1912, p.

républicain »…paraît aujourd’hui beaucoup moins grave que la décision que prirent

les députés sur la durée du mandat qui serait confié aux juges élus »374. En effet, la

durée des fonctions se résumait selon eux, en une alternative entre une magistrature élue à temps ou désignée à vie. Or, les débats de la Constituante ne se sont pas uniquement focalisés sur l’objectif de subordination de la fonction judiciaire. Au contraire, les révolutionnaires ont également envisagé le problème de la durée des fonctions, sous le prisme de la compétence. C’est ainsi qu’incidemment, ils ont contribué à raviver l’idée d’un « corps de juges professionnels, choisis pour leur

compétence juridique », et bénéficiant en contrepartie de la garantie de

l’inamovibilité.

139. En 1790, les Constituants estimaient que le maintien en fonctions pendant une longue durée, ne constituait pas nécessairement un gage de compétence supérieur à celui des juges élus pour un court mandat. En ce sens, le Député André, ancien conseiller au parlement d’Aix, déclarait : « La seule objection qui puisse

d’abord paraître raisonnable est celle-ci : des juges à temps ne seraient pas de bons juges ; je crois au contraire que des juges à vie seraient de mauvais juges. Il est certain qu’un magistrat assuré de conserver son état toute sa vie, se fait une routine et n’étudie plus : on peut sur ce point en croire mon expérience. Les juges honorés du choix du peuple croiront n’avoir plus rien à apprendre et n’avoir plus qu’à juger ; ainsi l’inamovibilité est un moyen sûr d’avoir de mauvais juges. Le magistrat

à temps, désirant se faire continuer, travaillera et rendra bonne justice »375. Le

Député Chabroux se voulait pour sa part, plus décisif dans sa condamnation des fonctions viagères : « Le présent de l’inamovibilité est l’éteignoir de l’ambition de

s’éclairer : si le peuple s’est trompé dans ses choix, l’homme inamovible sera

constamment ignorant et oisif, parce qu’il aura le droit de l’être impunément »376.

En raison de la confusion dont il a été fait état précédemment, entre la désignation à vie et l’inamovibilité, cette dernière se voyait également réprouvée par les révolutionnaires. A l’inverse, la faible durée des fonctions apparaissait comme le meilleur moyen de s’assurer de la compétence des juges. L’ancien Conseiller au parlement de Metz, Roederer, défendait cette position. Dans l’intérêt de la justice, il louait « …les juges élus pour trois ans, qui pourront être éliminés s’ils se conduisent

mal et conservés s’ils se conduisent bien ». Dans celui des juges, il soulignait que :

« …déterminer la durée de leurs fonctions et autoriser les réélections, c’est

374 J.-P. Royer, Histoire de la justice…, op. cit., pp. 327-328.

375 P.-J.-B. Buchez, P.-C. Roux-Lavergne, Histoire parlementaire de la Révolution…, t. V, op.

cit., pp. 420-421.

s’occuper de l’intérêt des bons juges : la confiance publique conservera ceux qui se

seront montrés dignes de cette confiance »377.

140. En conséquence, après avoir opté pour le mandat électif, les Constituants s’attachèrent à démontrer la justesse de leurs assertions. Dans cette perspective, ils cherchèrent à encadrer au mieux le recrutement des juges, et la durée de leur mandat. L’entrée en fonctions fut ainsi soumise à certaines exigences de capacité. D’une part, était posée une condition de capacité présumée des électeurs. En vertu de la distinction entre les citoyens « actifs » et « passifs », seuls pouvaient participer à l’élection des juges, les électeurs versant une contribution annuelle égale ou supérieure à la valeur de trois journées de travail. D’autre part, était demandée une condition de capacité pour pouvoir se porter candidat. Il fallait avoir exercé pendant cinq ans la profession de juge ou d’homme de loi. Cette dernière notion avait été précisée par un décret du 2 septembre 1790, visant momentanément les avocats qui avaient rempli leurs fonctions comme avocats plaidants ou consultants auprès des tribunaux d’Ancien Régime378. En un mot, la magistrature était exclusivement ouverte aux professionnels de la justice du régime précédent.

De la même façon, l’Assemblée constituante battit en brèche son souhait initial d’un mandat de très courte durée, à l’exemple de celui choisi pour les représentants de l’Assemblée nationale législative. Au cours des travaux du 3 mai 1790, un conflit s’engagea entre les anciens magistrats favorables à un mandat bref, et les avocats partisans d’une solution contraire. Les Constituants devaient finalement trancher dans le sens d’un équilibre, en affirmant que les juges seraient élus « pour un temps

déterminé », mais qu’ils pourraient néanmoins être réélus « sans intervalle »379.

Lorsqu’il fut question le lendemain, de fixer la durée du mandat, les avocats présentèrent un contre argument à celui invoqué, d’un risque d’incompétence du juge désigné pour une longue période. En ce sens, Garat l’aîné devait relever à bon escient : « Les bons juges sont rares, ils sont un présent du ciel ; si nous les obtenons

une première fois, faisons-en jouir la société le plus longtemps possible »380. Cet

argument apparaissait d’autant plus solide que le vivier dans lequel la magistrature était susceptible de trouver ses membres, était fortement réduit du fait des exigences de capacité. Prenant en compte la nécessité de ne pas désintéresser de cette fonction, les juristes compétents, il fut décidé que « les juges exercer(aient) leurs fonctions

pendant six ans » et seraient rééligibles immédiatement.

377 Ibid., p. 422.

378 J.-P. Royer, Histoire de la justice…, op. cit., p. 331. 379 Ibid., p. 329.

141. Or, en raison de l’échec du système électif sous la Révolution, l’affirmation d’une magistrature professionnelle dont les membres seraient désignés pour une longue durée et bénéficieraient de l’inamovibilité, est apparue comme la solution la plus appropriée pour l’établissement d’une justice compétente. Selon le Professeur Royer, ce statut aurait été défendu à partir du Directoire, présenté comme « une marque de dignité de la magistrature, mais aussi un gage de capacité des

juges, encouragés qu’ils seraient à acquérir ou à parfaire leurs connaissances par la

fixité de leurs fonctions »381. Ce statut va finalement être concrétisé dans les textes,

sous le Consulat et l’Empire. Effectivement, le nouvel article 68 de la Constitution du 22 frimaire an VIII, prévoyait que : « Les juges…conservent leurs fonctions toute

leur vie, à moins qu’ils ne soient condamnés pour forfaiture… ». Conçu comme un

gage de la compétence des magistrats, ce système devait être appuyé par plusieurs mesures. Si pendant la durée du Consulat, aucune exigence liée aux connaissances juridiques n’était requise, cette situation se justifiait essentiellement par l’idée suivant laquelle seul l’exercice des fonctions était à même de démontrer la compétence du juge. Cependant, avec la loi du 22 ventôse an XII382, fut reconnu à l’Etat un monopole pour la formation juridique des juges et des avocats. Les douze établissements dans lesquels cette formation était dispensée, furent ensuite transformés en facultés de droit par le décret du 17 mars 1808. De manière complémentaire, la loi du 20 avril 1810 subordonna l’accès à la magistrature, au bénéfice d’un diplôme de licencié en droit et à la réalisation d’un stage de deux ans au barreau383. En outre, le décret du 16 mars 1808 avait institué le système des

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