• Aucun résultat trouvé

Les stéréotypes de genre et les violences dans le couple

Intervenants : F. Claude (Femmes Prévoyantes Socialistes) L. Leroy (Femmes Prévoyantes Socialistes)

Analyse de la 4ème séance

Les dimensions de la question : les axes, enjeux et tensions

1. L’enjeu du concept de genre dans la question des violences

Réaliser une lecture des violences entre les hommes et les femmes à partir du concept de genre permet d’aborder la question à partir d’un point de vue qui développe l’analyse au niveau sociétal.

1.1. Adopter un niveau d’analyse sociétal : le refus de réduire l’analyse à un niveau individuel et inter-individuel

Les intervenantes adoptent une posture constructiviste en abordant la question des violences sous l’angle du point de vue humaniste. Leurs interventions visent à déconstruire les stéréotypes de genre et les préjugés sur les violences en cherchant à rendre visible les ressorts des conditionnements qui président aux rapports sociaux entre les hommes et les femmes. Elles appréhendent la question de la violence entre les hommes et les femmes en analysant les rapports sociaux entre les sexes.

Les rapports de genre sont des rapports sociaux. Cette problématique ne se rapporte pas à un « rapport » qui serait naturel et n’est pas réductible à un niveau d’analyse interindividuel ou individuel. Les rapports de genre sont le fait d’une construction sociale. Hommes et femmes sont soumis aux rapports de genre. D’après L. Leroy, si les femmes sont sur-représentées comme victimes des violences, la violence à l’encontre des hommes existe bien qu’elle se localise dans un espace différent, l’espace extérieur à la sphère domestique. Tout en reconnaissant que le concept de genre confronte hommes et femmes à une certaine violence, cette séance focalisera son attention sur la violence à l’égard des femmes, à l’intérieur de la sphère domestique et à l’extérieur – ce qui permettra d’interroger en creux la violence sociale qui s’exerce également à l’encontre des hommes. Selon F. Claude, le fait d’insister sur les aspects collectifs des conditionnements de genre n’enlève cependant rien à la liberté et à la responsabilité humaine136. Ces interventions ne visent ni à déculpabiliser ou excuser ceux qui tentent d’accroître leur pouvoir avec leurs poings, ni accabler les hommes en tant que tels parce qu’ils sont sur

136 Selon F. Claude, en opposition à une explication naturaliste des comportements humains, le point de vue humaniste considère les êtres humains comme des êtres de culture, des êtres libres qui sont capables de faire des choix et qui sont responsables de leurs actes.

représentés comme auteurs des actes de violence. Selon L. Leroy, à partir d’un éclairage sur la dimension sociétale du problème, ces interventions visent plutôt à

« rectifier le paradigme ».

Selon les intervenantes, lorsque l’analyse en reste à une explication « psycho-génétique »137, elle ne peut rendre compte de l’ampleur du phénomène. Seule une analyse sociétale le peut. Violents, on l’est tous ; ce n’est pas pour ça que l’on passe à l’acte. Selon L. Leroy, le passage à l’acte renvoie à un enjeu crucial ; loin de constituer une « perte de contrôle », il renverrait au contraire à une prise de contrôle.

Loin d’ouvrir la réflexion à ce niveau, les préjugés et stéréotypes de genre entérinent et alimentent le système des violences. Selon L. Leroy, il s’agit d’entailler le tabou de la violence entre les hommes et les femmes en mettant à distance les préjugés et les stéréotypes de genre et les idées préconçues qui diffusent l’idée que les protagonistes relèvent d’une pathologie, qu’il y aurait un profil de la femme violentée (soumise, masochiste, …) et de l’homme agressif (les hommes violents proviennent de milieux populaires, modestes ou défavorisés, sont alcooliques, sont des monstres, sont des anciens enfants battus, …).

Selon les intervenantes, les études et les réflexions qui ne se centrent que sur les victimes et leurs moyens de protection sans se centrer sur les mécanismes et conditions d’agression ont des effets pervers. Selon L. Leroy, l’attitude qui consiste à mettre la focale sur des profil d’hommes/de femmes et de rendre les victimes responsables d’autre chose que de leur propre protection et de leur propre survie repose sur une négation des données sociologiques et des conclusions des experts de terrain. Les statistiques montrent qu’« une femme sur cinq subit des violences au cours de sa vie et qu’environ un homme sur cinq est violent dans le couple ; sans pour autant qu’il n’y ait de profils individuel ou psychologique de l’homme violent et de la femme victime. Selon elle, en focalisant l’attention sociale sur les victimes et non les agresseurs, les discours sociaux ont l’effet pervers de minimiser les actes de violence, de culpabiliser les victimes, d’augmenter le problème de la non reconnaissance de ces situations (vulnérabilité), d’augmenter les difficultés pour l’entourage d’entourer la victime par l’expression de leur solidarité. Ces conceptions ont pour conséquence de renforcer la culpabilité des victimes et de les marginaliser un peu plus tout en déresponsabilisant l’auteur des actes et la société par rapport au silence, au manque de soutien et à l’insuffisance des mesures prises pour que ce phénomène régresse.

Selon L. Leroy, la rectification du paradigme nécessite dès lors un renversement de perspective : au lieu de prendre l’effet pour la cause, il s’agirait de distinguer – pour ne plus confondre - l’effet et la cause. Cette rectification a plusieurs implications : s’il faut des organismes de soutien, des mesures d’aide et de protection des victimes, au regard des chiffres, il s’agit de considérer que les violences dans le couple témoignent du rapport social de pouvoir des hommes sur les femmes. Selon F.

Claude, depuis peu, le discours social change tout doucement. Le problème de la violence à l’égard des femmes commence à être questionné au regard des rapports sociaux de sexe. Ira-t-on jusqu’à une remise en cause de l’organisation sociale dans son ensemble qui préside aux rapports hommes/femmes ?

137 Selon L. Leroy, cette explication prétend que les protagonistes reproduisent ce qu’ils ont enduré enfant et réalise une analyse en termes de « système pervers » entre la victime et son bourreau.

1.2. Une lecture à partir du concept de genre : une lecture des relations hommes/femmes en termes de rapports sociaux

1.2.1. Le concept de genre renvoie à l’organisation de la société qui repose sur des rôles sociaux différenciés et hiérarchisés entre les sexes

Selon F. Claude, le genre est le « sexe social » que l’on acquière (socialisation) sur base du sexe biologique qu’on a de par la naissance. Notre société est ségréguée sexuellement : hommes et femmes sont socialement différenciés et socialement contraints à se conformer au « sexe social » qui leur est attribué. La dimension sociale de cette contrainte est partiellement niée par la naturalisation de ce rapport : la référence aux différences anatomiques entre les hommes et les femmes est le registre mobilisé pour justifier les différences psychologiques et socioculturelles. Sur base de ces pseudo-différences naturelles sont justifiées des différences sociales.

Faisant référence aux enseignements des études scientifiques, les intervenantes montrent qu’en ce qui concerne les différences de sexe, les caractéristiques dites masculines ou féminines (taille, gènes, hormones) ne sont que des moyennes, des statistiques. Des hommes qui n’auraient que des caractéristiques masculines et des femmes qui n’auraient que des caractéristiques féminines n’existent pas. Il existe des hommes et des femmes. Et ce qu’on peut observer, ce sont des variabilités individuelles. Selon F. Claude, il s’agirait plutôt de voir les choses sur un continuum où chacun d’entre nous se positionne de façon différenciée, chaque individu se situerait à un point précis d’une ligne continue ; ce point serait différent pour chacun tout en étant variable avec l’âge.

Les intervenantes mettent en évidence les conséquences des glissements (sémantiques et symboliques) des discours quotidiens qui partent de ces pseudo-différences anatomiques pour conclure sur des considérations psycho-sociologiques.

1.2.2. La violence dévoile une différence de statut symbolique entre hommes et femmes D’après F. Claude, les violences à l’encontre des femmes prennent des formes multiples et sont très répandues dans le monde : les viols, les mutilations, les assassinats, les crimes « d’honneur » dits « passionnels », les mariages forcés, la sacralisation de la virginité, la prostitution, les enfermements, les interdits vestimentaires spécifiques aux femmes, les interdits professionnels, des interdits de la contraception et de l’interruption de grossesse. La violence sexiste est la violence qui s’exerce contre les femmes du simple fait qu’elles sont femmes. D’après les statistiques, la violence conjugale, qui n’est qu’une des formes multiples que prend la violence sexiste, reste du côté des hommes. Il n’existerait que quelques rares exceptions où la violence conjugale s’exerce à l’encontre des hommes.

Selon F. Claude, ces violences dévoilent l’existence d’une espèce de cassure entre le statut symbolique des hommes et le statut symbolique des femmes. Cette violence à l’encontre des femmes dévoile l’existence d’une prééminence masculine qui donne aux hommes un droit d’usage, voire de propriété sur le corps des femmes.

Selon F. Claude, le concept de genre ou les rapports sociaux de sexe renvoie à cette analyse que font les sciences sociales qu’il existe dans la société un rapport social de domination entre le groupe « hommes » et le groupe « femmes ». Ce rapport de domination s’exprime dans tous les secteurs de la vie et non pas dans un seul

secteur ou espace de la vie sociale : la domination est socio-économique, familiale, sexuelle, professionnelle, symbolique, … Selon les intervenantes, c’est la domination par le genre qui explique les différentes formes de violence à l’égard des femmes. De leur exposé, on retient en filigrane que le genre est un objet sociologique d’autant plus important qu’il repose sur une construction sociale des plus « naturalisée » sur lequel repose un rapport social de domination d’autant plus aliénant.

1.2.3. Genre et domination : sphère professionnelle et sphère intime

Selon F. Claude, la manière dont le fonctionnement d’une société place les hommes dans des positions privilégiées et les femmes dans des positions moins privilégiées (inégalités), nous donne à observer des situations sociales quasi exclusivement masculines - généralement connotées beaucoup plus positivement - et des situations quasi exclusivement féminines138 connotées plus péjorativement et moins rémunérées. Outre la sphère professionnelle, ce rapport de domination à l’égard des femmes s’exprime par l’appropriation du corps des femmes par les hommes qui se réalise à différents niveaux. Selon elle, cette appropriation du corps des femmes se manifeste par sa sexualisation permanente qui a deux faces : le voile et l’érotisation publicitaire sont l’expression de la même appropriation masculine du corps des femmes et de la censure mise sur leur désir. Selon F. Claude, dans ces deux cas, la femme est ramenée à un objet sexuellement consommable soit par tous les hommes, soit au contraire n’étant la propriété que d’un seul homme et interdite à tous les autres. Dans ces deux cas, le désir féminin est le dernier à s’exprimer. On ne reconnaît pas la femme dans sa dignité de sujet désirant, comme être humain dans ses diverses dimensions.

Selon F. Claude, cette appropriation du corps des femmes est légitimée par une société masculine qui donne aux garçons et aux hommes des droits sur le corps des filles. Cette légitimation repose sur l’existence de certaines croyances sur les hommes, sur un mythe, celui des besoins sexuels masculins irrépressibles. Comme exemples de cette croyance et de son institutionnalisation, on peut citer la prostitution et le « devoir conjugal » tel qu’il fût institutionnalisé dans le mariage (la loi qui pénalise le viol entre époux n’existe que depuis 10 ans). Selon F. Claude, un nombre de plus en plus important d’hommes sont interpellés par ce mythe, le remettent en question, refusent de s’y reconnaître.

Sur cette question des besoins sexuels masculins, L. Leroy fera référence lors du débat à une étude sur les sociétés musulmanes qui montre que les traditions font subir des violences aux hommes lorsque émerge leur sexualité, l’hypothèse étant que la burka sert à protéger les hommes de leur désir sexuel et non pas les femmes d’elles-mêmes. Face à une réaction du public qui remettra en cause la légitimité d’évaluer les sociétés traditionnelles à partir du modèle occidental, les intervenantes préciseront que cette étude sur la Burka n’est pas une critique des sociétés traditionnelles ; elle se réfère à des sociétés intégristes. Et « ce sont des choses qui se passent ici, dans nos quartiers ».

138 Par exemple, au niveau de la sphère domestique : les tâches ménagères et les soins aux personnes âgées ; dans une large mesure ce sont les mères qui se chargent du suivi des devoirs, font la lessive des enfants. Au niveau de la sphère professionnelle : le travail à temps partiel et les emplois précaires nous montrent la persistance de discrimination salariale et l’affectation professionnelle des femmes à des secteurs peu valorisés et peu rémunérés.

1.2.4. Variabilité du rapport de genre : Ici/Ailleurs

Que ce soit dans notre société ou ailleurs, selon F. Claude, les rôles sexués sont partout hiérarchisés en faveur du masculin tout en n’étant pas partout les mêmes : ce qui est valorisé comme rôle ou tâche proprement masculin ou féminin dans notre société n’est pas valorisé ailleurs (et vice-versa). De plus, selon les sociétés, la différenciation ne porte que sur certains domaines ou sur tous les domaines.

1.2.5. L’articulation des discriminations sociales dans notre société

Selon F. Claude, les discriminations liées au genre s’articulent toujours avec d’autres discriminations :

On observe ainsi une différence entre les milieux favorisés et les milieux défavorisés.

Un niveau élevé de scolarisation et de revenus serait associé à un certain degré d’autonomisation à l’égard des normes de genre : le temps partiel et le chômage qui creusent les inégalités de genre y sont moins fréquents ; le recours payant à l’externalisation des tâches ménagères, éducatives et communautaires – notamment les soins aux personnes âgée - étant plus fréquent139.

On observe également que les discriminations de genre et sociales s’articulent avec les discriminations ethniques, notre société attribuant aux femmes et aux hommes d’origine étrangère des rôles sociaux encore plus contraignants (ex : travail mal rémunéré, en noir, etc).

1.2.6. Entre une égalité formelle et les faits

Selon F. Claude, si l’égalité formelle est acquise dans la loi, les faits n’ont pas toujours suivi. L’organisation de la société autour du genre y est pour beaucoup.

Selon elle, bien qu’un certain nombre de discours sociaux diffusent aujourd’hui l’idée que les femmes et les hommes sont égaux, tant dans la sphère publique que privée, les chiffres et les indicateurs objectifs montrent que les inégalités persistent notamment en matière d’emploi, de richesse, de promotion professionnelle, d’accès aux postes de décision, qu’ils soient professionnels, associatifs ou politiques. En ce qui concerne les rapports de domination, il faut cependant distinguer la domination des hommes sur les femmes, des rôles joués par les hommes et les femmes qui sont porteurs de discriminations. En effet, selon elle, depuis quelques décennies, dans notre société, les rôles joués par les hommes et les femmes ont tendance à se rapprocher, notamment en ce qui concerne la place des femmes dans le travail rémunéré ou dans la politique. F. Claude met cependant en évidence :

• Qu’il subsiste des résistances importantes qui se manifestent au niveau de l’insertion socio-professionnelle140 et dans la sphère domestique. Et l’évolution serait encore moins nette en ce qui concerne les rôles familiaux malgré certains changements, notamment liés à l’investissement paternel – mais qui reste minoritaire et ne progresse que très lentement ; les rôles restent nettement différenciés et hiérarchisés – les rôles sociaux liés au genre restent donc bien présents.

139 Concernant une lecture en termes de genre, l’externalisation résout-elle le problème de l’inégalité ? Le problème de l’inégalité n’est-il pas déplacé vers l’extérieur de la sphère familiale, vers des femmes d’origine plus modeste ?

140 Discriminations salariales, dans le «choix » des filières professionnelles, dans les taux de chômage, dans la répartition des emplois à temps partiel ou dans les congés parentaux, …