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La question des normes et du changement de normes

Présentation du programme du projet-pilote de la Communauté française

3. La question des normes et du changement de normes

3.1. De la notion d’inégalité à la notion d’égalité

L’entrée par le concept de genre permet d’interroger le rapport qu’entretiennent les hommes et les femmes aux normes. Lors de la discussion et du débat, la question de la reconnaissance des personnes dont les trajectoires ne correspondent pas à la

« carrière » sociale définie par la société posera la question du rapport aux normes et des trajectoires « déviantes » par rapport aux normes de leur société115. La discussion pose cette question : est-ce un choix d’être hors normes ? Selon la discutante, ce qui est défini comme déviant par rapport aux normes est le fait de certains groupes d’acteurs, les « entrepreneurs de morale » (Becker, 1985)116. La question de la déviance renvoie à un enjeu, celui du rapport social. Concernant les identités sexuées, comment sont négociées les identités et les pratiques selon les espaces ?

Les catégories d’analyse mobilisées : la catégorie identitaire et la catégorie de l’action

La discussion met en évidence l’écart entre l’accroissement des discours sur les inégalités de genre au regard de la diminution des actions par rapport à ces inégalités en développant une réflexion autour de la définition que l’on donne à la norme d’égalité. Entre les normes comme « stéréotypes » - dans lesquels la catégorie identitaire est confondue avec la catégorie de l’action - et la question des

« représentations », on peut dissocier la catégorie identitaire de la catégorie de l’action et poser, plus précisément, la question de l’apprentissage.

Comment définir la norme d’égalité ?

Selon la discutante, lorsqu’on cherche à définir la norme d’égalité, deux définitions sont en tension. Revendiquer l’égalité en tant que norme de similarité n’est pas revendiquer l’égalité en tant que norme d’égalité des droits à partir de la reconnaissance des différences. Sur le plan de l’action, « comment revendiquer la valeur d’égalité dans le respect des différences sans devoir mobiliser des justifications face à cette reconnaissance des différences ? ». Au niveau pratique, l’enjeu d’une réflexion sur la notion d’égalité renvoie à la capacité de « prendre des décisions sur base d’un changement de normes ». La réflexion sur la notion d’égalité pose donc la question des normes, de leur changement et du rapport des hommes et des femmes aux rôles, aux normes et aux changements.

115 Si les normes sont plus ou moins (in)conscientes, elles nous guident dans nos rapports sociaux et orientent nos façons d’êtres ou d’agir qui sont catégorisées comme étant dans les « normes » ou « hors normes ».

116 Becker H.S. (1985) Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance, Métailié, Paris.

3.2. Le changement de normes : une question de responsabilité ?

Qui doit changer ? Les hommes ? Les femmes ?

Les débats interrogeront la responsabilité des hommes et des femmes par rapport aux rapports de genre, ce qui ouvre sur la notion de changement. Alors que pour certains, « les femmes ont déjà beaucoup fait. Il faut travailler avec les hommes. Est-ce que les hommes changent ? C’est aux hommes de bouger ! », pour d’autres, il revient aux femmes de changer et de laisser la place aux hommes. Sur la question de la responsabilité, s’exprime une divergence de points de vue qui sera suivie d’une convergence des débats vers une troisième position. « Les hommes et les femmes ne doivent-ils pas continuer à réfléchir ensemble et changer ensemble ? ».

Un rapport réciproque entre deux positions

Entre la question de l’inégalité et la question de l’égalité, la discussion propose de penser la relation réciproque qui relie deux positions, les hommes et les femmes étant en relation les uns avec les autres sur base de deux ancrages dans le monde.

Comment ces deux points de vue sur le monde peuvent-ils coexister de façon démocratique ? Les débats vont tenter de cadrer les difficultés respectives auxquelles sont confrontés les hommes et les femmes. Ils mettront l’accent sur l’importance du travail de dialogue, de confrontation des points de vue et des représentations.

3.3. Les difficultés des deux positions face aux changements : une question de résistance aux changements ?

Face aux difficultés rencontrées lorsqu’on adopte une lecture en termes de responsabilité, les débats mettront en évidence diverses tensions et difficultés vécues de part et d’autre en interrogeant les inégalités des rôles par rapport à la sphère domestique et la « santé reproductive ». Les débats souligneront les limites d’une lecture des rapports sociaux de sexes en termes de domination d’une position sur l’autre. Cette analyse permet-elle d’appréhender les rapports de rôles et les transferts qui se jouent entre sphère domestique et sphère publique?

Des difficultés des deux côtés

D’après le débat, les CPF (et autres) éprouvent parfois un blocage à penser les relations entre les hommes et les femmes à partir du concept de genre qui fait une lecture de ces relations en termes de domination d’une position sur l’autre. Vu les changements des rapports de production entre les hommes et les femmes, comment penser les choses ? Qu’en est-il des difficultés respectives ? Si les femmes vont vers le productif qui est associé à un pôle positif, qu’elles ne veulent plus être les seules garantes du pôle reproductif, le problème ne serait-il pas de se demander : « Que faire si plus personne ne veut assurer le reproductif qui reste associé au négatif ? ».

Quels sont dès lors les changements qui touchent aux deux positions ? En se repositionnant, les femmes obligent aussi les hommes à se repositionner. Comment se repositionnent-ils ? Il s’agit de réfléchir aux (re)positionnements de ces deux pôles

qui sont liés à deux ancrages différents dans le monde tout en étant en relation d’interdépendance.

Du côté des femmes : des enjeux pour l’identité féminine ?

« Les femmes n’auraient-elles pas trop d’exigences par rapport aux hommes ? » questionne la discutante. De ce point de vue, « les femmes ne confronteraient-elles pas les hommes à une double exigence en voulant qu’ils changent tout en n’acceptant pas de remettre en question, ni certains de leurs acquis traditionnels, ni les acquis du féminisme » ? Sur cette question, le débat mettra en avant la contradiction qui existe entre les nouvelles exigences à l’égard des hommes – comme l’inclusion des pères dans la maternité - et l’idée d’ « intégration dans le respect des différences ». « Maintenant, on demande tout au père mais s’il n’est pas à la hauteur, on le discrédite ». « N’y aurait-il pas un risque d’inversion des rôles ? ».

En ce qui concerne la parentalité, un enjeu de société ne renverrait-il pas également

« à la consécration de l’enfant comme le bien le plus précieux » ? Du côté des hommes : des enjeux pour l’identité masculine ?

D’après le débat, les hommes se confrontent à des changements de statut et de

« privilèges ». Comment les hommes vont-ils se repositionner maintenant ?

Hommes et femmes peuvent tous deux être victimes du rapport de genre et d’inégalités. Ces inégalités se marquent également dans la position différente des hommes et des femmes face à la santé. Les hommes sont en moins bonne santé que les femmes ; ils ont moins accès aux structures de santé et ils sont moins bénéficiaires de projets. Dans le domaine familial, ils ont moins de droits que les femmes face à la garde des enfants (et les femmes considèrent plus fréquemment que c’est un de leur droit « naturel »). Et du côté des hommes, il existe également des souffrances liées au fait de ne pouvoir correspondre aux stéréotypes de genre.

3.4. La question du genre dans le « public migrant » : un conflit de références, des tensions et incidents critiques

Certains enjeux liés au genre se posent de façon aiguë pour les hommes et les femmes des populations migrantes. Hommes et femmes semblent écartelés entre des références différentes, si pas contradictoires. Si les femmes semblent écartelées entre les injonctions de leur famille et les valeurs diffusées dans la société, les hommes sont pris dans cette tension entre le fait de « se sentir laissés pour compte » et leur « non implication » par rapport aux projets proposés.

Du côté des hommes, quels sont les points en tension ? Ils se sentent discriminés par rapport aux projets. Ils critiquent le fait que les bénéficiaires des projets soient majoritairement les femmes mais « ne viennent pas lorsqu’on leur propose des projets ». A ce niveau, la question de la résistance aux changements se pose en regard de la méfiance des hommes envers ces projets et leur désapprobation quant à l’accès de « leurs » femmes à ces informations. Face à cette inégalité des projets hommes/femmes, des intervenants de terrain s’interrogent : comment donner un accès égalitaire à l’information ?

Du côté des femmes, elles expriment leur inégalité face au genre par le contrôle social qui entoure leur accès à la sexualité. L’exigence de virginité dont elles sont l’objet est sous tension ; cette tension dévoile l’existence d’un rapport d’opposition entre les hommes et les femmes. « Les hommes veulent que les femmes restent vierges ». Du côté des femmes, on observe une attitude ambivalente entre leur

« soumission » à cette norme et leurs revendications d’égalité : « Que nous offrez-vous en échange ?» demanderaient-elles aux hommes. « Rien, c’est normal », répondraient-ils … Ces femmes contestent l’asymétrie : « si les hommes nous demandent d’être pures, ils doivent l’être également ». L’association symbolique entre la pureté et la virginité dévoile le rapport social qui entoure cette question.

L’expérience des professionnels des CPF met en évidence l’existence d’incidents critiques qui touchent à l’intégrité du corps : des hommes leur demandent s’ils délivrent des certificats attestant la virginité des femmes ; des mères et des filles leur demandent de pratiquer la reconstitution de l’hymen (intervention chirurgicale). Les intervenants questionnent la posture qu’ils doivent adopter face à ces demandes.

Entre le respect de valeurs culturelles différentes et le respect des valeurs occidentales de « liberté et d’égalité », comment l’intervenant doit-il se positionner ? Accepter ces demandes n’équivaudrait-il pas à « faire le jeu de la résistance aux changements » ? Vu qu’en y répondant, on aide les femmes à éviter la confrontation aux hommes, qui, ne se confrontant pas aux changements des femmes, ne sont pas contraints à se repositionner par rapport aux femmes et aux changements.