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Les jeunes et les médias : une entreprise de séduction ? et/ou de business ?

L’influence des médias sur les jeunes

I. Présentation des intervenantes et du discutant

2.2. Intervention de M. Alvarez

2.2.1 Les jeunes et les médias : une entreprise de séduction ? et/ou de business ?

À titre de préalable :

La question de la relation médias et jeunes est une question qui m’intéresse depuis longtemps. Elle m’intéresse d’autant plus que depuis de nombreuses années, je travaille dans un planning familial pour jeunes, à savoir le Sips, qui régulièrement réalise des «brochures» avec des jeunes et à destination des jeunes.

Par ailleurs, le Sips réalise des animations à la vie affective, amoureuse et sexuelle.

Lors de ces animations une question qui nous intéresse est celle de savoir d’où viennent les informations –vraies ou fausses – que détiennent les jeunes ? Il nous paraît important également que les jeunes aient conscience de «l’origine» de leurs informations dans le domaine de l’amour, de la sexualité, des relations. Au terme d’une animation, nous proposons aux jeunes, via un questionnaire, de faire le point sur l’animation à laquelle ils ont participé. Deux questions font référence à leurs sources d’information : l’une où on leur demande à qui ils s’adressent s'ils désirent poser une question sur leur vie affective et sexuelle. L’autre concerne leur recherche d’information. Les livres, magazines, brochures restent d’actualité et sont fortement cités par les jeunes. Sont également cités feuilletons, émissions TV, films. Les amis et parents restent leurs interlocuteurs les plus nommés.

Et enfin, le Sips développe depuis un certain temps un site Internet.

Cette rencontre sera pour moi l’occasion de vous inviter à nous questionner autour de ces deux univers que sont les médias et les jeunes, particulièrement en ce qui concerne leur relation aux questions de la sexualité et de l’amour.

Je vais parler des médias en «général» alors qu’il serait intéressant de les différencier, de parler au singulier, car tous les médias ne se ressemblent pas, tous les médias ne sont pas les mêmes, tous n’ont pas le même pouvoir ou impact sur les jeunes. Restons critiques. Je ne suis pas une spécialiste des médias, loin de là et mon intervention porte surtout sur un travail d’observation, d’écoute et de réflexion autour de ces sujets. Ce qui me motive c’est d’essayer de comprendre «ce qui fait que ça colle entre les médias et les jeunes?» Pourquoi ça marche entre eux? Ce que les jeunes, certains jeunes en disent ?

Je vais parler des jeunes comme s’ils étaient tous pareils, mais là aussi vous avez compris qu’on ne peut généraliser et les médias l’ont très bien compris.

Quand on parle des médias et des jeunes, on ne peut pas ne pas se poser, me semble-t-il certaines questions, par exemple :

Qui réalise les médias regardés, écoutés, lus par les jeunes? Comment sont-ils réalisés? Dans quels buts? Dans une série d’articles de presse que j’ai pu lire, la question de l’argent est, si pas essentielle, au moins très importante. Les médias sont un produit à vendre, et ils doivent rapporter.

Quel est leur impact sur les jeunes ? Ce que les jeunes en disent? Ce qu’ils produisent comme type de relations, de vision sur les rapports homme/femme, sur les relations intergénérationnelles, sur l’amour, sur la sexualité, sur le monde, sur le beau et le laid, sur la solidarité, sur les jeunes eux-mêmes…

Comment les programmes sont-ils choisis dans une famille? Qui propose qui à qui?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont parfois les parents qui proposent dans la durée à leurs enfants des émissions comme Star Académy. On fidélise les jeunes. Qui entraîne qui ? Ca répond à quels désirs, à quels besoins ?

Si ce sujet nous intéresse, c’est sans doute parce que nous pressentons que le pouvoir des médias n’est pas sans conséquence sur les jeunes. En effet, ceux-ci sont pour la plupart en recherche d’identité, de repères, d’appartenance, d’autonomie, de différenciation, de connaissance, de compréhension des rapports, des relations, des sentiments, du monde. Ils sont en demande d’être écoutés, de s’exprimer. Et c’est bien parce que les jeunes « réunissent ces caractéristiques », ce profil et parce qu’ils ont un grand pouvoir d’achat ou d’influence sur les choix consuméristes des parents qu’ils intéressent particulièrement les médias.

Nous constatons que les jeunes « reçoivent » des tonnes d’informations, tout azimut ou sélectivement et que parfois elles leur arrivent à un moment où ils ne sont pas prêts à les accueillir, à les décoder, à les trier, à s’en distancier. Ils n’ont rien demandé.

Se positionner par rapport aux médias n’est pas chose facile, cela peut être source de conflit, c’est ainsi que parfois lorsque la gestion du choix d’un programme suscite trop de conflits ou tensions dans une famille entre parents et jeunes, la résolution de ces conflits passe parfois par une TV qu’on met dans les chambres. À chacun sa TV.

Mais à l’adolescence le choix de quoi regarder et à avec qui est une question pas toujours facile à gérer par les uns et par les autres. L’adolescence est une période de changements, gêne ou pudeur - qui n’étaient pas présents auparavant – apparaissent chez l’adolescent. Il devient alors plus difficile de regarder la TV avec ces parents ou/et avec la fratrie. Les jeunes ont pas mal d’histoires coquines à ce sujet.

De quelles sexualités parlent ces émissions? C’est sans doute dans ce domaine que l’impact sur les jeunes est le plus difficile à identifier, à dire, que l’interprétation et le regard que l’on a de ces émissions, films, magazines, etc… est le plus singulier.

Ce que l’on entend, c’est le grand intérêt que les émissions, films, images de sexe éveillent chez les jeunes, il est intéressant de comprendre le comment ? Le pourquoi?

Avant la puberté, le jeune observe la place que semblent tenir dans la culture et chez les «grandes» personnes, les émotions, l’amour et la sexualité. Il se demande à quoi peuvent ressembler ces choses étranges, apparemment si importantes, mais que personne ne peut réellement lui décrire. À l’adolescence, il en vient inévitablement à se demander comment il fera pour savoir s’il est amoureux, et si c’est de la «bonne»

personne? Les jeunes sont à la recherche de réponses, mais veulent aussi être rassurés sur l’amour, sur la sexualité, sur la façon dont ça se passe, etc.

L’adolescence est une période particulière. C’est une période de recherche d’identité, de différenciation, de distanciation par rapport aux valeurs familiales. Les émissions, les médias, sont des sources d’identification pour les jeunes.

Ce n’est pas pour rien que certaines marques de vêtements, musique ou autres choisissent les jeunes pour lancer leurs produits. Jeune est associé à nouveau. Ce qui est nouveau est jeune. Ce qui est jeune se vend. Être jeune est un label en soi.

Dans ce chemin d’élaboration au cours duquel le jeune doit apprivoiser ses pulsions, se trouver une nouvelle place dans la société, ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de lui est vital. À l’adolescence, le jeune doit quitter la représentation d’un corps infantile, corps auquel il doit renoncer pour habiter et acquérir la perception d’un autre corps, pubère, dont il lui faut apprendre à négocier les nouvelles exigences, les nouveaux désirs. Les médias ne vont pas nécessairement calmer le jeu pulsionnel, certains médias vont s’en servir au contraire.

À cette période, les jeunes ont besoin d’en parler, de trouver un « répondant », quelqu’un qui joue le jeu. Voilà sans doute pourquoi les jeunes nous en parlent et nous questionnent lors des animations, hors de l’espace affectif habituel. Leurs questions sont multiples, les incontournables : Est-ce que c’est comme dans les films? Comment cela se passe la première fois? Ce que les filles ressentent et ce que les garçons pensent? Comment vais-je m’y prendre ? Vais-je être à la hauteur?

Si je la déçois? Comment dire à une fille qu' on l’aime? Comment savoir s'il m’aime ? Comment savoir s'il ne va pas me laisser tomber? C’est quoi être un garçon, être une fille aujourd’hui? Qu’attendent les filles de nous? Y-a-t-il un âge pour faire l’amour?

Les jeunes sont donc à la recherche de «réponses», ils ont besoin de voir, de toucher pour se sentir moins bêtes, pour être rassurés. Voilà pourquoi les images quelles qu’elles soient (cinéma, TV voyeuse ou pas, feuilletons, clips musicaux, revues, magazines, Internet,…) ont un tel impact sur les jeunes. Le verbal est plus propice à la distance et à la réflexion. L’image sera perçue par les jeunes comme beaucoup plus proche, directe, immédiate. Ils trouveront des descriptions, des signes dans la littérature, le théâtre, le cinéma, les magazines, les chansons, mais tant qu’on ne l’a pas éprouvée, vécue, tant qu’on est vierge de cette expérience de l’amour, de la sexualité, on ne peut que l’imaginer, la rêver, l’espérer, ou/et la craindre. Les médias offrent des moyens pour répondre à ces questions, ils savent, ils disent, ils répondent, ils dévoilent, ils montrent, ils témoignent… et c’est peut-être ceci qui doit attirer notre attention, qui doit éveiller notre critique. Les médias peuvent faire croire aux jeunes et à nous que tout est à voir, à montrer, à dire… Plus de pudeur, plus de mystère, plus de tabous, plus de différences, plus de limites, … Les jeunes sont en recherche, à la recherche, … Leurs interrogations changent, évoluent. Ils n’ont pas tous la même histoire, les mêmes besoins, la même relation aux parents, aux éducateurs. Les médias par contre sont là, à tout moment, proposent, suggèrent, anticipent sur les questions, les jeunes n’ont parfois même pas la possibilité ni le désir de chercher, tout leur est donné d’avance au risque de tout banaliser, de normaliser.

Les jeunes ont soif de connaissance dans le domaine de l’amour et de la sexualité.

Le savoir dans ce domaine, la connaissance, le fait de connaître, c’est entre autres être capable de se représenter les sentiments, les choses, de se représenter soi avec les autres, soi dans le monde. Mais c’est aussi pouvoir manipuler cette représentation pour en tirer des informations, les attitudes à avoir et les actes à poser. Ces processus prennent du temps à s’élaborer, au fil d’expériences et de discussions. Or, les jeunes pensent ne pas avoir le temps. Ils cherchent souvent à échapper à ces questions qui sont sources d’angoisse. Ils cherchent des raccourcis pour ne pas avoir à faire ce long chemin. Les médias leur donnent parfois l’illusion de pouvoir faire l’économie de ce chemin. Les médias, c’est l’immédiateté.

Les jeunes sont pris dans certains paradoxes :

Si les jeunes ont besoin de savoir, ils ont également besoin de solitude, besoin d’un espace à eux, besoin de réserve, de pudeur - et parfois certaines images vont à l’encontre de cette pudeur, de l’intime, de l’indispensable jardin secret, de leur histoire, du temps nécessaire.

Ils ont besoin d’une certaine solitude, mais sans être toutefois «renvoyés, cantonnés, laissés» aux écrans pour communiquer, parler, savoir, s’exprimer.

S’ils ont besoin de communiquer, ils n’osent pas toujours demander aux adultes, aux parents. Ils ont aussi besoin de prendre distance avec leur famille, même s’ils voudraient questionner les parents, même s’ils n’y arrivent pas : par pudeur, par manque d’habitude, par gêne.

Ils ont besoin de se séparer de leurs parents, mais ils ont également besoin des adultes, des parents, ou du moins de les savoir là. Ils ne veulent pas qu’on les laisse-là. Ils ont besoin que les parents leur mettent des limites. Ils ont besoin d’identification et de différenciation. Ils ont besoin d’être reliés, en lien, en relation.

Pas toujours facile pour les parents, pour les adultes de ne pas perdre le nord face à tant de contradictions, de paradoxes. Pas étrange dès lors que les médias occupent cet espace par le biais d’une diversité de « produits » destinés à accrocher les jeunes.

Les médias proposent une telle diversité de modèles identitaires qu’ils peuvent remplacer jusqu’à un certain point le rapport aux adultes ou prendre cette place. Les modèles identitaires sont proposés par les médias et par les autres acteurs de socialisation – ces modèles parfois s’opposent ou se complètent. La question de la nouveauté et des jeunes est une question de laquelle se nourrissent les médias, les jeunes ont une capacité créatrice énorme que les médias mobilisent, récupèrent, réutilisent.

La question de l’identité est complexe et celle des jeunes l’est, me semble-t-il, encore plus. D’où, une quantité énorme de propositions identitaires qui leur sont faites, liées au besoin pour le jeune d’être reconnu à la fois dans sa dimension singulière et à la fois dans sa dimension sociale. Besoin d’être unique et pareil. À l’adolescence, le besoin d’être comme les autres ou de se reconnaître parmi d’autres devient très fort.

Cette quête de soi, d’identité est nourrie par des produits médiatiques aux genres et supports variés, tels que la publicité, émissions TV, feuilletons, radio, magazines, Internet… Et ça rapporte…

Autant de produits qui semblent créer une sorte de «territoire» propre qui permettra aux jeunes, à la fois de se reconnaître comme un individu et comme groupe culturel à part opposé au monde adulte. Ces produits de consommation (modèles identitaires et objets) délimitent une sorte de territoire propre aux jeunes. Quand les jeunes disent « c’est mon territoire », ils recherchent la confrontation aux limites, aux codes, au monde adulte. Ils cherchent à se construire dans ce rapport à… Chez certains jeunes, l’exclusion d’autres jeunes peut être très marquée. Nous connaissons tous différentes «catégories identificatoires», certains vont jusqu’à partager un certain langage avec d’autres initiés, se referment sur eux et ne laissent rentrer dans leur

«territoire» que ceux qui parlent leur langage. Les médias entretiennent parfois ces

«rivalités», ces rejets.

Le paradoxe des médias : faire des jeunes des spectateurs passifs de leur propre réalité.

Le fait de nous questionner et de parler avec les jeunes sur le type de modèles, de repères, de représentations, de mots que ces différents produits médiatiques proposent, est et sera toujours plus important.

Un jeune disait à propos d’un feuilleton TV : «c’est chouette, les jeunes sont et vivent entre eux, parlent de tout, même du premier baiser, mais ce n’est pas réaliste, c’est comme s'ils n’avaient pas de parents, pas d’histoires, pas de contraintes, pas d’obligations, c’est comme si le temps ne passait pas, … Ça n’existe pas… On le sait, mais bon ça m’amuse de regarder».

Les jeunes ne sont pas dupes par rapport à tout ce qu’ils voient. Ils recherchent également la distanciation ("ça m’amuse ").

2.2.2. Les animations en éducation affective et sexuelle, une