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La question de l’animation

Les orientations sexuelles, l’homophobie et l’hétérosexisme

4. La question de l’animation

L’animation sur ces questions est objet de tensions et de divergences de points de vue. Les débats porteront sur la question de savoir s’il faut ou non parler des orientations sexuelles et de l’identité sexuelle lors des animations. Le thème de l’identité sexuelle et des orientations sexuelles doit-il faire l’objet d’un abord systématique dans les animations VAS en tant que thème spécifique ou non ? Faut-il l’aborder comme thème spécifique ou vaut-il mieux garder une certaine vigilance ?

« Quels sont les dangers dans un groupe-classe de l’aborder systématiquement » questionne N. Peltier ?

Les « réactions homophobes sont très fréquentes lorsque ces sujets sont abordés ».

Or, les « intervenants de terrain sont très peu formés sur ces questions durant leur formation ». Et l’animateur « n’arrive pas toujours à arrêter la dynamique discriminatoire ». Le risque est « de stigmatiser un jeune dans le groupe lorsque celui-ci est en questionnement identitaire ; il risque d’être l’objet de discriminations ».

En opposition, une autre position prône l’abord systématique de ces questions. « Il y a des problématiques qui sont fondamentales, qu’on doit aborder. C’est une question prioritaire pour les jeunes. Il faut que cela bouge au niveau de l’animation ! ». Mais dans ce cas, « comment se protéger d’éventuelles critiques de militantisme si pas de prosélytisme par rapport à un abord systématique ? ». Le débat invite à une réflexion sur les outils utilisés : « on doit se questionner par rapport à ces outils ».

Si certains ne prônent pas d’aborder de façon systématique ces thèmes, d’autres considèrent qu’il faut de toute façon en parler. « Il faut savoir que les jeunes en parlent entre eux de toute façon et tous les jeunes, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels ; ils se posent ces questions au même âge ». « Cette question est cruciale pour certains jeunes ». « C’est un thème qui ressort souvent des préoccupations des jeunes » et « dans le milieu de vie qu’est l’école, les jeunes en parlent de toute façon entre eux ».

« On en parle et les jeunes homosexuels sont soumis à ça, donc autant les accompagner. C’est important de s’opposer au tabou ou à une posture qui consiste à réduire la question en déclarant que c’est la même chose lorsque des hétérosexuels s’aiment » (Débat, RH)

« Il est important d’en parler dès les primaires et non pas à part. Intégrer tout le monde à la réflexion » (Débat, Public)

Du débat, il ressort que l’animateur n’a pas à inciter les jeunes ou à imposer ces thèmes aux jeunes. Cependant, l’accent est mis sur le fait qu’il ne s’agit pas de se demander s’il « faut ou non en parler ? » mais de partir du questionnement des jeunes et de les accompagner. Au lieu de se demander si c’est bien ou non d’en parler, l’intervenant a le rôle d’accueillir les questions des jeunes et de leur montrer que c’est normal d’en parler et de se poser ces questions.

« L’adolescence est marquée par une phase d’exploration notamment sexuelle. C’est une phase de plus grande confusion où beaucoup de questions se posent.

L’animateur doit montrer que c’est normal de se poser des questions et non pas diffuser l’idée que c’est bien ou pas bien d’en parler » (Débat, Public).

« Il n’y a pas que les jeunes qui se posent des questions sur ces sujets.

Régulièrement, on reçoit des adultes de 40 à 50 ans qui n’ont pas facile de se confronter à ces questions. Leur vie est plus normée et il leur semble encore moins légitime de se poser ces questions - contrairement à la période plus exploratoire que vivent les jeunes lorsqu’ils sont en questionnement identitaire» (Débat, Public)

Face à ce débat, la position des intervenants des CPF est de partir de la demande des jeunes, de leurs questions.

« Lorsqu’on réalise des animations dans les écoles, on fonctionne avec des questions.

Un problème régulier : une fois sur dix, la question de l’homosexualité est posée et des réactions homophobes sont très fréquentes par rapport à ça. Lorsqu’on n’arrive pas à les dépasser, on risque de renforcer les dynamiques discriminatoires. Par rapport à ces questions, je suis fortement influencée par Bettina Abramovicz (Aimer à l’ULB) et Michel Dorais (Canada). Ils illustrent les animations sur ces questions par des exemples qui aident à dépasser ces difficultés » (Débat, Public).

Selon N. Peltier, « lorsque la demande émerge dans le groupe, il est pertinent d’aborder la question de l’homosexualité masculine ou féminine mais sous l’angle des sexualités et de leur diversité, sous l’angle de la question de genre ».

Face à la position des intervenants des CPF qui est « d’être à l’écoute de la demande des jeunes et de mettre des brochures à leur disposition en espérant que les jeunes les voient et les demandent », une réaction du public insistera cependant sur le fait que « le dépliant n’est qu’une facette. C’est un levier au niveau du contact. Mais au niveau du savoir-être, il faut les accompagner dans leur démarche personnelle ».

La question qui se pose est celle de l’accompagnement par les adultes. « Comment accompagner les jeunes sur ces questions ? ». Selon R. Horincq, « il faut toujours passer par la dimension sociale, le problème de stigmatisation et les problèmes de santé. Même si on n’est pas (toujours) outillé, les jeunes ont besoin de modèles d’adultes qui se positionnent ouvertement face à la diversité ».

5. Partie conclusive

On observe l’existence de tensions entre l’action sociale, professionnelle et politique.

Quels sont les enjeux ?

5.1. La mobilisation du registre santé

Le domaine de la santé est-il le lieu de l’action sociale - si pas de la lutte sociale ? Par rapport à des problématiques sociales, la pratique professionnelle auprès des groupes discriminés et vulnérabilisés doit-elle mobiliser le registre « santé» pour que soit entendue et reconnue la question des normes, des inégalités et des discriminations ?

On observe que c’est moins la santé que les questions de mal-être qui sont instrumentalisés. Quelles sont les causes et conséquences de cette

instrumentalisation ? Le terme « santé » est devenu une notion extensible134. Les revendications liées aux inégalités sociales ont-elles plus de probabilités d’être entendues au niveau politique ? Quels sont les enjeux liés à la mobilisation du registre santé ?

5.2. Des enjeux liés à la hiérarchisation des logiques de la santé publique, de la prévention et de l’éducation

La mobilisation du registre santé est-elle une opportunité ou une contrainte pour l’action sociale ? C’est à la fois une opportunité et une contrainte. La préoccupation pour la santé est un levier pour parler des discriminations des jeunes d’orientation homosexuelle. En étant associée à la répartition politique des subventions, cette mobilisation est une opportunité pour les acteurs professionnels qui travaillent auprès des publics vulnérabilisés. Et autour de cette question de la souffrance abordée à partir des questions de santé, il fut possible d’adopter un certain type de discours sur les homosexuels en mobilisant une figure légitime de l’homosexualité. Cependant, la responsabilité des personnes homosexuelles et des associations homosexuelles est-elle de diffuser des images légitimes de l’homosexualité pour contrer les figures non légitimes ? Quels sont les enjeux de cette logique de responsabilisation des homosexuels face aux discriminations dont ils font l’objet ? Ces enjeux questionnent les rapports de pouvoir entre diverses logiques sociales et renvoient à la question des subventions.

En outre, le fait de faire valoir des préoccupations de santé par la mobilisation d’arguments qui relèvent de la santé publique, ne renforce-t-il pas le courant de la santé publique au détriment de l’action sociale et politique – alors que les acteurs contestent justement ce retrait ? La prédominance d’une lecture de la réalité sociale à partir d’une logique de santé publique se réalise-t-elle au détriment de l’action sociale et éducative ?

5.3. La question de responsabilisation

Lorsque se pose la question de la responsabilisation, de « quelle responsabilité » parle-t-on ? Du point de vue de la pratique professionnelle, face à la réalité de la diversité des orientations sexuelles, il s’agit d’agir pour la reconnaissance de cette diversité et d’œuvrer à la déconstruction des stéréotypes. Comment dès lors à partir du domaine de la santé, déconstruire les liens entre l’hétérosexualité et l’homophobie ? Comment déconstruire les stéréotypes - qui ont cette fonction sociale de reproduction d’une idéologie dominante ?

La question de la répartition des subventions et la hiérarchisation des priorités

« sociales » au niveau politique pose la question de la responsabilité politique.

L’appel au militantisme des professionnels qui travaillent avec les publics vulnérabilisés ne renvoie-t-il pas à la dimension politique de la lutte contre les discriminations ? Les enjeux dans ce domaine renvoient aux évolutions de l’Etat social et questionnent l’Etat de Droit et la démocratie.

134 On ne parle plus de santé biologique mais de santé/bien-être/épanouissement.

5.4. Un Etat social sous condition

Au niveau macro-sociologique, la question de la responsabilisation des individus renvoie à la transition vers un Etat social de droits sous conditions135. Contrairement aux droits instaurés dans le cadre d’un Etat providence, aujourd’hui on observe que les droits sociaux sont soumis à condition de… la responsabilisation individuelle, du devoir et de l’acceptation du contrôle par les individus qui sont bénéficiaires d’une aide sociale. Actuellement, l’aide sociale est octroyée sous condition de la responsabilisation des groupes vulnérabilisés et des individus discriminés. Cette transition est liée à l’émergence de nouvelles logiques de gouvernance sociale et aux transformations du capitalisme dont les logiques néo-libérales et managériales se sont diffusées dans divers secteurs de la vie sociale.

5.5. Etat de droit et démocratie : la question de la diversité

Selon le terrain, les problèmes (de santé notamment) des personnes d’orientation homosexuelles ne peuvent se résoudre qu’en donnant place à la diversité. Comment résoudre la question de l’homophobie en donnant place à la diversité ?

Par rapport à la question du changement, la mise en évidence du paradoxe du processus de normalisation de l’homosexualité nous entraîne à distinguer deux niveaux : le niveau des droits et le niveau de la réalité sociale. Au niveau juridique, si l’évolution du statut des personnes homosexuelles confirme l’existence de changements, la persistance des stéréotypes de genre et des problèmes de discrimination montre qu’au niveau social, les choses sont plus complexes qu’un changement de normes juridiques. Un Etat de droits démocratique doit questionner la place que l’Etat social fait à la question de la diversité.

Au niveau politique, qu’en est-il de la préoccupation démocratique de donner place à la diversité dans ce domaine ?

Par rapport aux discours néo-conservateurs qui se diffusent dans l’espace social, n’auraient-ils pas tendance à associer la responsabilité d’une perte de repères à la reconnaissance de la diversité - alors que la question est celle d’une pluralisation des valeurs ?

Au niveau associatif, la question de la reconnaissance de la diversité renvoie au travail de déconstruction des stéréotypes de genre – déconstruction dont nous avons vu la complexité. Cette déconstruction passe notamment par la distinction entre la catégorie identitaire et la catégorie de l’action étant donné que la construction des stéréotypes repose sur l’amalgame entre ces deux catégories. L’associatif qui lutte contre les discriminations ne gagnerait-il pas à développer une réflexion sur la dimension identitaire à partir de laquelle se regroupent les personnes homosexuelles

? En mettant l’accent sur cette dimension identitaire, les associations ne renforcent-elles pas à leur insu la confusion entre la catégorie de l’action et la catégorie identitaire alors que la distinction entre ces catégories est un levier d’action pour déconstruire les stéréotypes et favoriser le changement ?

135 Nous renvoyons les lecteurs à un article de synthèse concernant l’évolution de l’Etat social : Franssen A., « Le sujet au cœur de la nouvelle question sociale » in Les nouvelles figures de la question sociale., La Revue Nouvelle, n°12, décembre 2003.

La lutte contre les discriminations s’articule à une réflexion sur l’égalité des droits à partir d’une notion de différence –ce qui renvoie à la catégorie de l’altérité.

Déconstruire les stéréotypes nécessite de poursuivre la réflexion autour des notions d’égalité, de droit, de diversité et de démocratie.

Les stéréotypes de genre et les violences dans le