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Les évolutions sur les plans légal et social

Les orientations sexuelles, l’homophobie et l’hétérosexisme

II. Les exposés

2.1 Intervention de V. Martens

2.1.2. Les évolutions sur les plans légal et social

En parallèle à ce processus de médicalisation/démédicalisation, on peut présenter quelques grandes étapes des évolutions sur le plan légal et social.

Avec l’apparition de l’épidémie de Sida se crée et se structure un ensemble d’associations spécifiques de prévention, qui luttent pour que soient abolies certaines discriminations. On assiste ainsi à l’émergence d’un mouvement politique rendu visible par la naissance d’une plate-forme de revendications à l’occasion de la première Gay Pride. On assiste à des évolutions progressives qui mènent notamment à la reconnaissance des couples de même sexe (contrat de cohabitation légale puis mariage) et à l’instauration de dispositifs de protection dans le cadre de la loi contre les discriminations.

Tableau : Evolutions sur les plans légal et social

Années 80 Création d’associations de prévention du Sida pour le public homosexuel (Appel homo Sida et Aids Team)

1985 Abolition de la discrimination dans le code pénal pour l’âge de consentement des rapports sexuels homosexuels (avant : 18 et 16 ans)

1992 Première Gay Pride, création d’une plate-forme de revendications 1998 Contrat de cohabitation légale ouvert aux partenaires de même

sexe et de sexes différents

2003 Loi anti-discriminations, notamment sur base de l’orientation sexuelle

2003 Ouverture du droit au mariage

? Adoption et filiation?

Si l’on considère l’évolution du statut de l’homosexualité, que ce soit sur le plan social ou plus spécifiquement sur le plan médical, on observe une normalisation qui devrait conduire à une plus grande intégration de l’homosexualité comme mode de vie et des homosexuels comme individus. Cependant, le constat d’une plus grande

« tolérance » doit être interrogé et les indicateurs sociétaux doivent être comparés aux données concernant le vécu individuel des homosexuels.

2.1.2.1. La nécessaire « tolérance » et la lutte contre l’homophobie

Lorsqu’on parle d’homosexualité, des tenants de discours apparemment progressistes avancent fréquemment l’argument de la tolérance : il s’agit de se montrer tolérant vis-à-vis de modes de vie et de préférences qui ne sont pas les nôtres. Sous une apparence d’ouverture d’esprit, ce concept de tolérance est problématique dans la mesure où il comporte une connotation paternaliste, une bienveillante condescendance.

Sur un tout autre sujet, J. Habermas (2004) rappelle l’usage historique de ce concept : «la tolérance a été pratiquée pendant des siècles dans ce sens paternaliste. Ce qu’il y a de paternaliste dans ce cas, c’est l’unilatéralité de la déclaration en vertu de laquelle le prince souverain ou la culture majoritaire sont, à leur libre discrétion, disposés à « supporter » la pratique déviante de la minorité.

Dans ce contexte, la tolérance conserve l’idée du poids que l’on supporte et procède de quelque chose comme un acte de grâce ou une faveur accordée. Une partie accepte de l’autre un certain écart par rapport à la « normalité » mais à une condition : que la minorité considérée ne franchisse pas la « frontière du supportable » (…) De là peut naître cette impression que la tolérance, puisqu’elle n’est praticable que dans des limites au-delà desquelles elle cesse, recèle elle-même un noyau d’intolérance » (p. 75-76).

D’une certaine manière, l’affirmation de la tolérance vis-à-vis des homosexuels et de l’homosexualité en général renforce la hiérarchie des sexualités ; elle donne lieu à un

rapport de force dans lequel les dominants – les hétérosexuels – accordent un certain droit de cité aux dominés – les homosexuels. Mais ce droit de cité est rarement inconditionnel : les homosexuels sont tolérés à condition que… qu’ils ne manifestent pas les signes de leurs préférences en public, qu’ils ne revendiquent pas trop d’égalité, qu’ils ne s’occupent pas d’enfants, qu’ils ne fassent pas partie de notre famille, qu’ils ne fassent pas tant de tapage à la Gay Pride,…

2.1.2.2. Indicateurs d’homophobie et de mal-être

Dans le cadre d’enquêtes menées en milieu homosexuel masculin, l’homophobie est observée sur base de deux indicateurs (Schiltz, 1998) : le fait d’avoir été victime d’injures verbales en lien avec l’orientation sexuelle (réelle ou supposée) dans les douze mois précédent l’enquête et le fait d’avoir été victime d’agressions physiques dans la même période.

Près d’un répondant sur trois déclare avoir été victime d’injures verbales et environ un répondant sur vingt déclare avoir été victime d’agression physique dans une enquête menée en Communauté française (Observatoire du Sida et des sexualités, Ex æquo, 2005).

Figure 1 : Indicateurs d’homophobie

Dans la même enquête, les indicateurs de mal-être sont le fait d’avoir fait au moins une dépression au cours de la vie et le fait d’avoir fait au moins une tentative de suicide dans la même période. La moitié des répondants déclare avoir fait une dépression et 18% une tentative de suicide.

Figure 2 : Indicateurs de mal-être

Le fait d’être jeune, le faible niveau d’études et de revenus, la vie en province, le célibat, le rejet des parents, le fait d’avoir été victime d’injures ou d’agressions homophobes et la séropositivité sont associés à la dépression et le suicide (Adam, 2001).

Avez-vous été l'objet d'hostilité en raison de votre orientation sexuelle (Enquête Ex Aequo/Observatoire, 2004); N=942

272

35 658

851

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

Injures verbales Agressions physiques

Non Oui

2.1.2.3 Les ressorts de l’homophobie

L’homophobie trouve plusieurs interprétations selon les auteurs :

- une aversion, une peur, un rejet des homosexuel(le)s. Cette aversion s’expliquerait par l’éveil chez l’homophobe de fantasmes déguisés de rapports sexuels réputés féminins (la pénétration passive). (Bersani, 1995)

- D. Welzer-Lang (1994) fait la distinction entre homophobie spécifique - qui correspond à la première définition ci-dessus - et l’homophobie généralisée - qui concerne le rejet de toute forme de non conformisme aux rôles socialement déterminés en termes de genre. Ainsi l’homophobie s’étend aux personnes qui ne remplissent pas les attentes sociales attachées à leur sexe biologique. Il s’applique entre autres aux femmes masculines et aux hommes féminins, indépendamment de leur orientation sexuelle réelle ou supposée.

- Foucault (cité dans Bersani, 1995) propose une explication désexualisée issue de l’anxiété d’ordre politique à l’idée de toutes reconfigurations subversives du social. Les modes de vie gay représenteraient une menace pour les rapports sociaux que les gens sont censés avoir les uns avec les autres

Ces différentes définitions ont en commun d’associer l’homophobie et les rapports sociaux entre les sexes. Dans une société où le rapport homme/femme est défini comme complémentaire et hiérarchique, l’homme occupant la position supérieure et la femme faisant figure de complément, l’homosexuel est considéré comme partageant avec la femme cette position basse – une position de dominé. La construction de la virilité consiste en une négation de la féminité et un refus de l’homosexualité, ce qui a pour double conséquence le sexisme et l’hétérosexisme comme idéologie, la misogynie et l’homophobie comme psychologie.

Définitions de l’hétérosexisme (Tin, 2003) :

Principe de vision et de division du monde social, qui articule la promotion exclusive de l’hétérosexualité à l’exclusion quasi promue de l’homosexualité

Dépression et tentative de suicide (Enquête Ex Aequo/Observatoire, 2004)

469

165 455

757

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

Dépression Tentative suicide

Non Oui

Croyance en la hiérarchie des sexualités et en la supériorité de l’hétérosexualité.

Insistance sur la différence des sexualités, sans établir de hiérarchie mais cette différence justifie des différences de traitement.

Les liens entre «homophobie/hétérosexisme» : l’un renforce l’autre, ils sont étroitement liés si pas intriqués. L’hétérosexisme est cause et conséquence de l’homophobie.

Ex : Message (Pioneer 1972) à l’égard des «extra-terrestres» : une image où l’on présente un homme et une femme censés représenter une «moyenne» ou un archétype des habitants de la terre. À noter qu’ils sont blancs, américains et représentent un couple hétérosexuel. Les postures de l’homme (grande taille, posture droite) et de la femme (plus petite, en retrait) illustrent la hiérarchie des sexes. Dans le manuel, on constate que les auteurs ont pris la peine de décrire les différents éléments de la plaquette sauf justement les deux figures humaines.

Comme si cette figure avait un statut d’évidence universelle. S’ils avaient pris soin de décrire et annoter cette partie-là aussi, qu’auraient-ils écrit ?

Figure 3 : Message de la sonde Pioneer (1972)

Une illustration des liens idéologiques ou psychologiques étroits entre homophobie, hétérosexisme et sexisme a été donnée récemment dans le discours de R.

Buttiglione (2004) : « L’homosexualité est un péché [...] et la famille existe pour permettre à la femme de faire des enfants et d’être protégée par un mâle. »

2.1.2.4. Hiérarchie des sexes, genres et sexualités

La construction et l’autonomisation des catégories relatives aux orientations sexuelles homo/hétéro qui s’est amorcée au 19ème siècle sous l’impulsion de la médecine, s’est renforcée tout au long du 20ème siècle. L’aspect positif de cette évolution est la constitution des homosexuels en tant que groupe de pression et donc d’interlocuteurs politiques, ce qui a permis l’acquisition de certains droits, allant vers plus d’égalité sur le plan légal et social. L’aspect plus problématique de cette reconnaissance et de cette visibilité est l’exposition croissante des personnes homosexuelles à l’homophobie et la naturalisation de la catégorie des homosexuels.

Ce constat amène à nous interroger sur les stratégies qui permettent de lutter contre

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les inégalités. L’hypothèse est que tout en rendant possible plus d’égalité, la reconnaissance et la plus grande visibilité des homosexuels renforcent les différences entre homos et hétéros et ratifie la hiérarchie entre ces deux formes de sexualité (hétérosexisme). Pour mettre fin à cette hiérarchisation, il est sans doute temps de repenser la manière dont sont construites les catégories de sexe, de genre et d’orientation sexuelle. Si comme le soutien Daniel Welzer-Lang (1994) par exemple, l’homophobie provient de la construction de la virilité comme négation du féminin et refus de l’homosexualité, c’est à ce niveau – celui des représentations- qu’une volonté de changement devrait se cristalliser en déconstruisant les catégories de genre prétendument naturelles. Cette démarche pourrait alors conduire non seulement à plus d’égalité entre hétéros et homos - notamment en termes de santé et de bien-être - mais aussi entre hommes et femmes.