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Le sperme mâle reste dans les voies génitales femelles

Rôles respectifs des semences mâles et femelles

I- La semence renferme un principe matériel

1- Le sperme mâle reste dans les voies génitales femelles

Galien va donc construire sa démonstration en cherchant à nous persuader, une fois de plus, de sa grande rigueur scientifique; il s’appuie sur des faits ‘prouvés’ de trois ordres: observation de physiologie animale, humaine, et dissections:

« La première observation est tout à fait évidente et je l'ai souvent faite moi-même en surveillant les juments, les chiennes, les ânesses, les vaches, les chèvres et les brebis pour savoir si elles gardent le sperme après le coït ou le perdent chaque fois. J'ai donc bientôt admis— comme le disent aussi dès le début ceux qui en ont l'expérience pour l'avoir observé avec rigueur —que le sperme reste chez les femelles si elles doivent concevoir. Mais si on m'en accuse, je reconnais l'affection dont j'ai souffert toute ma vie, de ne croire aucun de ceux qui font de telles affirmations avant d'avoir moi aussi expérimenté ce qu'il m'était possible d'apprendre à connaître. Alors sur ce sujet non plus, je n'allais pas croire seulement les témoins qui assurent que ce qu'ils décrivent se répète souvent, même en ayant constaté leur accord absolu; au contraire, mon habituelle incrédulité me poussait à vérifier par deux fois: d'abord chez les femelles qui rejettent le sperme, ensuite chez celles qui le retiennent. Ainsi, chez celles qui le rejettent, aucune grossesse, et toutes celles qui le retiennent sont grosses. »462 Une fois de plus,

l’observation sur laquelle Galien se fonde comme un fait irréfutable n’est pas exacte: les femelles animales n’acceptent le mâle qu’en période d’oestrus, et le ‘rejet’ de sperme qui s’écoulerait hors du vagin est indépendant d’une éventuelle fécondation puisque les spermatozoïdes remontent très rapidement à travers les voies génitales et fécondent le ou les ovules dans la trompe. Cette nécessité de ‘garder le sperme’ a donné lieu à toute une série de conseils pour lutter contre la stérilité; à l’inverse, certaines méthodes contraceptives étaient basées sur la ‘douche vaginale’ dont on connaît bien actuellement l’inefficacité.

« La deuxième voie m’amenait à me renseigner auprès des femmes, chez celles qui paraissaient le mieux s’observer, pour savoir si, chez elles, se produisait le même phénomène que chez les animaux; et je me reprochais alors —car pourquoi ne pas dire la vérité? — de penser que la conception était un peu différente chez les êtres vivants sans intelligence et ceux doués de raison, tout en voulant savoir les résultats de leur observation précise. Et j'y découvrais assez d'espérance pour ne pas regretter ma curiosité indiscrète: elles me dirent sentir un certain mouvement de l'utérus, comme s'il attirait et se contractait progressivement lorsqu'elles retiennent le sperme. Et pour moi

459 Sem.II, 1 K.V 609 L. 160. Il semblerait ici que Galien veuille parler de ceux qui admettent que la femme émet une semence, mais hors des voies génitales, comme nous l’avons vu précédemment Sem.II,1 K.V 601 L.152 dans notre chap. Anat. II,6)

460 GA . 727 à731 I,XIX à XXI P.Louis 31 à 40

461 Sem.I,1 K.V 512 L.64

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cette expression même "retenir le sperme"463 et encore plus ce nom qui en provient, "la conception" ont été imposés par les femmes. »464 Pour la plupart des auteurs anciens, la

femme ressent immédiatement si elle est enceinte. Ainsi pour Hippocrate: « Si la femme a l’expérience des enfantements et constate quand le sperme est resté au lieu de sortir, elle saura quel jour elle a conçu. » 465 Pour Aristote, le critère en est différent: « C’est un signe de la conception chez les femmes que aussitôt après le coït, l’endroit devient sec.»466 Soranos est plus nuancé: « Pour certains, la conception intervient sans que la femme en soit prévenue. »467

Galien envisage alors son troisième argument: « En plus, une troisième voie méritait à mes yeux d'être suivie en poussant l'étude de tous les ouvrages de tous les médecins qui ont traité ce sujet. J'y ai découvert que pour eux, la semence de l'homme reste à l'intérieur si la femme doit concevoir. Certains, les plus attentifs, avaient aussi décrit le mouvement de la matrice, en ajoutant aussitôt qu'elle entourait le sperme et l'enfermait de tous côtés. En sachant cela, il faut donc faire à nouveau l'épreuve de l'anatomie: je pris alors de nombreux animaux gravides pour les disséquer. Chez toutes, on voyait les matrices envelopper les embryons, qu'il soit grand, petit ou encore tout petit.»468

Galien va ensuite longuement se référer à Aristote; dans un premier temps, il s’attaque à ceux qui ont mal compris cet auteur qui affirmerait que le sperme mâle est rejeté des voies génitales de la femelle car ils en ont fait une lecture incomplète:

« Leur erreur provient du premier livre de la Génération des animaux, le seul des cinq qu'ils ont lu d'après moi, car voici ce qu'il y est écrit: "Comme nous l'avons dit, comme principe de la génération, on pourrait poser à juste titre le mâle et la femelle; le mâle possédant le principe moteur, la femelle le principe matériel."469

Ces mots donc sont presque au début, mais plus loin dans ce traité, on trouve encore:

"mais tout se passe comme il est rationnel, puisque le mâle fournit la forme et le principe du mouvement, la femelle le corps et la matière. C'est comme dans la coagulation du lait: le lait est le corps et le suc du figuier ou la présure fournit le principe coagulant.470"

Frappés par ces paroles, quelques-uns pensent que le sperme, après avoir procuré au sang menstruel le principe du mouvement, est rejeté à l'extérieur, tandis que pour d'autres ce n'est pas ce que dit Aristote —opinion que nous partageons tous, nous qui nous référons à la nature— mais que la femelle apporte seulement la matière au futur embryon, et que le mâle, en même temps que la matière lui apporte en plus la forme. Ainsi ces gens se moqueraient tout à fait de nous, s'il nous venait à l'idée que le sperme était rejeté à l'extérieur par la femelle ou que s'il restait à l'intérieur, il était réduit à néant: C'est en effet la déduction qu'ils en tirent, si nous pensions que la substance corporelle ne se mêle pas pour se confondre avec la matière du foetus.

Aux deux partis, nous apporterons une preuve commune, ce passage tiré du deuxième livre de la Génération des animaux: "le problème à résoudre ensuite est celui-ci: si, de la

463 intraduisible en français: sullamba/nw signifie ‘rassembler, garder, retenir ensemble’ lorsqu'il est construit

avec un complément d'objet, mais aussi concevoir (dérivé du latin concipere qui a la même formation) avec les deux sens français de ‘penser’ et "être enceinte". Voici la définition qu’en donne Soranos: « La conception (su/llhyij) est nommée ainsi du fait qu’elle est une rétention de semence...c’est une ‘rétention prolongée de la semence, d’un embryon ou de plusieurs dans la matrice pour une raison naturelle’ » Gyn.I 14 B.40. Voir Benveniste E. (1965) et Sissa G. (1987) p.87-90

464 Sem.I, 2 K.V 514-5 L.64-6. Les médecins anciens, qui souvent n’examinaient pas eux-mêmes les femmes et connaissaient fort peu la gynécologie, avaient tendance à préférer se baser sur leurs propres déclarations et sur l’examen des sages-femmes. Rousselle A. (1980)

465 Gen.V,1 L.VII 478 J.48

466 H.A.VII,3 583a

467 Gyn.I,14 B.41

468 Sem.I, 2 K.V 514-5 L.64-6

469 G.A.I,2 716a, L.3

semence émise dans la femelle, ce qui est entré n'est aucune partie du foetus en formation, en quoi se transforme la partie matérielle, même s'il est vrai qu'elle agit par la puissance qu'elle a en elle."471 Ensuite, après avoir distingué l'âme et l'esprit, à la fin de ce chapitre, il écrit: "La matière de la semence dans laquelle est transportée aussi la

semence du principe psychique, (d'une part ce que l'on peut séparer du corps chez les êtres qui contiennent le divin —tel est ce que l'on appelle esprit— mais aussi ce qu'on ne peut séparer) la semence472 du liquide séminal se dissout et s'évapore car il a une nature humide et aqueuse. Aussi il est inutile de rechercher s'il sort toujours au dehors ou s'il est une partie de la forme qui prend consistance, tout comme le suc du figuier qui fait cailler le lait; car celui-ci aussi se transforme et ne constitue aucune partie de la masse qui se caille."473 Cette déclaration réfute complètement les deux partis qui ignorent

l'opinion d'Aristote, ceux qui pensent que la semence est chaque fois rejetée à l'extérieur, et ceux pour qui elle ne peut pas être une partie du foetus. »474

Pourtant comme le note Galien, Aristote n’est pas très explicite, et pourrait même se contredire ailleurs où il ne cesse de comparer la génération à l’action de l’artisan475 (le sperme mâle) sur la matière (les menstrues femelles), ce qui éliminerait la participation de la substance propre du sperme:

« Car dans tout ce qui suit, il démontre que, tout comme le lit est fait du bois et du menuisier, et la boule de la cire et de la forme, c'est de la même façon à partir des menstrues et du principe du mouvement donné par le mâle qu'est constitué le foetus476. C'est pourquoi il dit que quelques animaux n'excrètent pas la semence mais communiquent seulement une part de la chaleur vitale à la femelle, comme certains insectes477 quand la femelle fait pénétrer son "article" dans le mâle et qu'elle se joint à lui pendant un assez long moment et ne reçoit au cours de cette union aucun corps mais seulement la force qui forme et rend visible cette forme. »478

Galien va ensuite discuter l’opinion d’Aristote lui-même en prouvant qu’il est impossible que le sperme s’évapore:

« Revenons à Aristote lui-même lorsqu'il dit que la semence se dissout et s'évapore dans les matrices; car si nous comprenons qu'elle a une espèce d'évaporation, comme nous connaissons la transformation de l'humidité du vin doux en vapeur, à partir d'un infime volume de matière humide sera constitué un très grand volume aérien.

Il en est ainsi aussi pour les vents qui soufflent des fleuves, des marais ou de la mer, par exemple ceux qu'on appelle "brise de mer" ou "de pleine mer": ils soufflent quelquefois très violemment, comme si leur matière était devenue très importante à partir d'un tout petit volume humide. Ce que démontrent aussi tout à fait les vents nommés "brise de

terre": lorsque l'humidité de la terre se dissout en masse dans l'air, de tels vents

soufflent.

Comment donc, si la semence s'évapore au début de la conception, les matrices paraissent plus petites et moins venteuses à cette période alors qu'elles entourent parfaitement de tous côtés le foetus?

Il faudrait sans doute que celles-ci, comme nous voyons le ventre gonflé de vents grossir énormément et se distendre, se mettent à grossir et provoquent la douleur du fait de la

471 G.A. 736a, P. Louis, II,3 p59 texte un peu différent: Tou/twnchez Gal. au lieu de Tou/tou; e))i th=j proieme/nhj ei)j to£ qh=lu gonh=j mhde£n mo/rion chez Gal. Ei) tw=n proieme/nwn ei)j to£ qh=lu gonh£n mhqe£n mo/rion chez Ar.: « si chez les animaux qui émettent une semence chez la femelle.. »

472sw=ma chez Arist.

473 G.A. 737a, P.L. II,3 p61-62

474 Sem.I 3 K.V,517-8 L.68-70

475 Sur le travail de l’artisan, lapoi/hsij, on peut se reporter à Vernant J.P.(1990) p.291-4

476 G.A. I,16 729b L.40

477 G.A. I,16 721a L.17

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distension. Ce qui évidemment ne se produit pas puisqu'elles sont contractées et indolores. De plus, si on voulait disséquer un animal qui vient de concevoir, on verrait les matrices entourer exactement la semence. Et pourtant on ne voit pas d'air excrété au niveau des parties honteuses comme lorsque le ventre est ballonné, des rots et des vents qui s'évacuent par en bas le vident de son air et diminuent son volume. Donc, nous ne manquons pas d'arguments persuasifs à propos de l'évaporation de la semence: pas de vents qui sortent par le col des matrices, pas de volume apparent restant à l'intérieur, aucune distension ni sensation douloureuse au début de la conception. » 479

Il continue ensuite par un raisonnement par l’absurde:

« Est-ce que les menstrues sont contenues dans la cavité même des matrices que vient atteindre le sperme arrivé d'un coup et que, sitôt le principe du mouvement fourni, il est excrété au niveau du col de l'utérus, ou bien est-ce que pendant le temps où la femelle reçoit le mâle, les menstrues, par des vaisseaux adaptés vont au devant du sperme dans l'attente de recevoir la puissance qui en provient?

Ces deux propositions sont absurdes. En effet, si dans la cavité des matrices le sang est enfermé en masse depuis longtemps, ce n'est plus du sang mais un caillot, puisque chaque fois que du sang s'échappe des vaisseaux dans un organe creux chez l'animal, il se transforme immédiatement en caillot. De sorte que ce n'est pas à partir du sang mais du caillot que logiquement nous produirons l'animal, puisqu'il est impossible de trouver la moindre explication plausible de la façon dont le sperme seul sera excrété. Car une fois qu'ils se sont réunis en un dans la cavité des matrices, il n'est pas possible que l'un soit excrété et que l'autre reste à l'intérieur. »480

La viscosité du sperme permet d’expliquer, selon lui, qu’il peut se réunir au sang venant des vaisseaux utérins, au niveau de chacun de leurs abouchements, c’est à dire chez l’animal, des cotylédons (comme nous l’avons vu dans l’étude anatomique II-XI, alors que chez la femme le sang menstruel diffuse en nappe dans la muqueuse utérine).481

Dernier argument, les matrices, par leur état naturel, sont portées à rejeter les menstrues qui ne leur sont pas ‘habituelles’ mais à garder le sperme pour lequel elles ont été créées:

« Comment donc n'est-elle pas complètement opposée aux oeuvres de la nature, l'opinion par laquelle nous affirmons que le sperme est évacué après s'être dissous en air tandis que les règles sont retenues? Car ce qui s'évacue chaque mois comme étranger, voila que nous le lui attribuons comme tout à fait habituel... Ce n'est pas à cause du mouvement mais du caractère habituel ou étranger de la qualité, que l'on peut voir la nature prendre et conserver l'un et rejeter donc l'autre. Car on ne voit rien qui demeure dans l'estomac qui ne lui soit habituel. Quel besoin de parler de l'estomac qui, de façon si évidente ou rejette par le vomissement ou élimine par l'intestin ce qui lui fait tort, quand nous voyons la matrice agir pareillement? Nous l'avons déjà démontré dans un traité Sur

les facultés naturelles 482: semblable à toutes les autres parties, elle attire et garde ce dont elle a l'habitude et rejette ce qui lui est étranger; mais elle élimine le sang menstruel comme superflu: il ne lui est donc pas possible de le retenir quelquefois comme habituel. Car ce n'est pas lui qui est habituel aux matrices mais le sperme; comme organe destiné à le recevoir, la nature a fait l'utérus. »483