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La chaleur est liée au côté droit

La différentiation des sexes

I- Aristote et ses prédécesseurs

4- La chaleur est liée au côté droit

Ainsi pour Galien, les mâles, plus chauds, doivent être portés par la matrice droite, ce

que l’observation démontrerait: « C'est pour cette raison que les mâles nous

apparaissent portés dans l'utérus droit, et qu'on voit rarement une femelle dans cet utérus, tout comme un mâle à gauche. », bien entendu, cela n’est pas vrai, et nous avons vu qu’Aristote se servait de cette réalité pour réfuter cet argument. D’ailleurs, Galien va plus loin: « Ainsi, c'est pareil pour les testicules: si le droit se trouve être le plus volumineux aussi, et gonflé le premier à la puberté, il fabrique du sperme qui engendre des mâles, tandis que s'il est plus petit et n'a commencé à grossir que plus tard, il engendre des femelles. Ce sujet a été traité plus largement dans le cinquième

livre sur l'Anatomie d'Hippocrate; car ces découvertes sont de lui. »569

Aristote avait pourtant fourni une réfutation: « Une certaine croyance du même genre se rencontre chez certaines personnes qui disent qu’en liant le testicule droit ou gauche, on produit dans la copulation un mâle, dans l’autre une femelle... ce qui se produit aussi chez ceux qui ont un testicule coupé. C’est une erreur. »570 Pourtant il acceptait lui aussi que « la partie droite du corps soit plus chaude que la gauche; et le sperme qui a subi une coction est plus consistant.. est donc plus fécond. »571 Cette correspondance ‘‘mâle-côté droit de la matrice’’ va perdurer pendant des siècles, puisqu’on la retrouve encore dans les écrits médicaux du dix-huitième siècle et dans nos croyances populaires572, tandis que pour agir sur le testicule responsable de la fécondation, de nombreuses recettes et acrobaties nuptiales seront préconisées573.

567 Nat.puer. XVIII,1 L.VII 500 J.60 par ex. le garçon est formé en trente jours et la fille en quarante-deux.

568 Sem.II,5 K.II,631-2 L.184-6

569 Sem.II,5 K.II,633 L.186 Il ne nous reste de cet ouvrage qu’une traduction arabe de Hubais ibn al-Hassan sous le titre K. at-Tasri ra’y Buqrât in Ulmann die Medizin im Islam Leiden 1979 54n76

570 G.A IV,1 765a L.140

571 G.A.IV,1 765b L.140. La droite liée au sexe masculin est un mythe très antérieur aux Grecs comme en témoigne le nom hébreux antique de Benjamin (Ben Yemin) ‘le fils de ma droite’ (Y. Malinas) Sur le problème droite/gauche: Lloyd G.E.R (1962) et (1966) et Preus A. (1975) p.118 et suiv.

572 Laget M. (1982) p.84-93

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Nous avons vu, dans notre première partie sur l’anatomie, comment Galien donne l’explication ‘anatomique’ de la différence entre la vascularisation des organes génitaux droits et gauches, et comment il considère l’analogie des organes génitaux mâles et femelles. Chez le foetus, nous savons que l’état sexuel ’observable’ est longtemps ‘indifférencié’ alors qu’il est dès le départ déterminé génétiquement: dans l’espèce humaine par exemple, comme chez l’agneau, on peut commencer à distinguer les organes génitaux externes du mâle et de la femelle vers huit semaines, mais la petitesse de l’embryon en rend l’observation difficile574.

« Ainsi, tout ce qui compose la substance des parties génitales parait exister chez les deux à la fois, sans aucune domination de la femelle sur le mâle ou du mâle sur la femelle, mais avec une seule différence: tantôt elles sont internes, tantôt externes. C'est pourquoi, si tu avais dans l'esprit que, dans la formation du foetus, les parties génitales reçoivent leur premier contour et comme leur ébauche à l'intérieur du péritoine, et qu'après, elles émergent à l'extérieur, tu comprendrais ainsi la génération des mâles.»575

L’embryologie moderne reconnaît au déterminisme du sexe toute une série de ‘réactions en chaîne’, débutant au niveau des chromosomes sexuels (XY) qui déterminent la différentiation de la gonade primitive en testicule ou ovaire, qui par leur sécrétion hormonale agissent sur les ‘récepteurs’ des canaux de Wolff et de Müller576 pour donner le phénotype masculin ou féminin. La puberté, avec la reprise des phénomènes endocriniens viendra parachever cette formation. De nombreuses anomalies peuvent survenir à tous les stades (anomalies du caryotype type XO, XXY, de la réceptivité tissulaire, des sécrétions androgéniques surrénaliennes..) entraînant des troubles allant de la stérilité à l’atteinte la plus grave, ’hermaphrodisme. Pour Galien, le problème est plus simple puisque sous l’influence de la chaleur et du souffle du pneuma les parties du futur mâle vont sortir de l’abdomen. Mais dans un environnement moins chaud, la force manque et la nature ne peut aller au bout de son projet, les parties restent internes et le foetus reste inachevé et devient une femelle. Ce phénomène peut d’ailleurs se rencontrer en d’autres circonstances:

« Si la nature s'affaiblit au moment de finir son ouvrage, elle laisse inachevé ce qu'elle a fait, comme a race des taupes, par exemple, le montre totalement; chez elle, les yeux ont été ébauchés à l'intérieur, mais n'ont pu sortir à l'extérieur, car leur nature est faible puisqu'elle n'a pu achever le travail qu'elle avait entrepris. Aristote a fait une démonstration convenable577 que certains animaux sont moins achevés pour leurs parties ou quelque fois pour tout le corps. C'est pourquoi, pour les yeux —puisque je suis venu à en faire mention— chez certains animaux la nature est si achevée et si efficace que rien ne leur manque à la naissance, et que bientôt ils voient comme des animaux adultes. Chez certains au contraire, les paupières sont ouvertes à peine578 et il faut un temps plus ou moins long pour que leur action s'exerce exactement. Les chiennes, dit déjà le proverbe,579 mettent bas des petits aveugles parce qu’elles sont trop pressées. Mais si on employait le mot exact, on appellerait les petits chiots inachevés plutôt

574 A 8 semaines, le foetus d’ovin mesure 8 cm environ (Ducros 1967 p.44-46) et celui de l’homme 55 mm (Hamilton p.237-265)

575 Sem.II,5 K.II,637 L.190

576 Se rapporter à notre première partie sur l’anatomie.

577Arist. H.A.II,1 498a P.A. II,12 657a. Galien reprend la même comparaison du sexe de la femme avec les yeux des taupes dans Usu part. XIV,6 K.IV 160. Il pourrait s’agir du Spalax (spalax hungaricus) de l’ordre des rongeurs, qui vit en Hongrie, Russie du sud et Balkans, dont les yeux sont entièrement dissimulés sous la peau et qui vivent comme les taupes. Ces dernières sont des insectivores, totalement adaptées à la vie hypogée et fouisseuse; elles ont des yeux minuscules et des paupières épaisses ne laissant qu’une fente étroite, mais lui servant à fuir la lumière; certaines sont presque aveugles; l’oeil de la taupe serait génétiquement plus petit, bien que normalement conformé; il reste à l’état embryonnaire, par manque d’un stimulus de croissance (peut-être hormone thyroïdienne) Grassé P.P. Devilers C. (1965) p.1031 et Grassé P.P (1972) p.684-5

578

mo/gijomis dans Kühn

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On peut se reporter au Corpus Paroemiographorum graecorum ed. E.L. von Leutsh et F.G.Schneidewin Gottingen 1851 p.181 Aristote note en G.A.II,6 742a que certains animaux naissent aveugles, mais ne fait pas allusion à ce proverbe.

qu'aveugles, puisqu'ils vont voir dans très peu de temps, tandis que les taupes sont réellement aveugles, et ce, de naissance.... Il n'y a donc rien d'étonnant: comme les taupes possèdent des yeux qui ont commencé à se former à l'intérieur sans que la nature n'ait pu les pousser à l'extérieur, de la même façon, chez les femelles animales, elle a façonné les parties génitales à l'intérieur sans pouvoir les faire émerger à l'extérieur, parce que leur nature toute entière est plus faible et plus imparfaite, ainsi qu'Aristote l'a dit aussi. Mais la nature des femelles est beaucoup plus achevée que celle des taupes d'autant que ces dernières ne tirent aucun profit ni usage de leur cécité tandis que la femelle contribue grandement à la descendance de l'espèce.»580

Et Galien en profite pour nous donner sa classification des espèces animales en fonction de leur degré de perfection, la femelle étant « un animal plus imparfait que l’être achevé de tous points.» 581

« Et plus encore que celles-là même (les taupes), la plupart des espèces de coquillages est dépourvue d'yeux. Chez les vers, certains n'ont pas d'yeux du tout, chez d'autres, seulement la trace indistincte. En sorte que la nature semble avoir des espèces de degrés: le premier dans lequel elle s'est peu éloignée des plantes en faisant un animal qui a un seul sens, le toucher, le deuxième dans lequel elle ajoute aussi le goût, et le troisième, l'odorat; ensuite le quatrième degré avec l'ouïe et le cinquième, la vue, elle y ajoute en plus les différences dont j'ai parlé.»582

De sa faiblesse intra-utérine dépend la constitution future de la femme et l’utilité de ses menstruations: « Chaque fois que la constitution du foetus à son début est plus humide et plus froide, sa formation commence plus tard et a une fin plus lente et plus faible au point que les parties ne peuvent émerger à l'extérieur: il arrive donc, pour ces raisons même, que la nature soit fatiguée au moment de former ces dernières parties et les rende plus faibles que les autres. Nous avons démontré ailleurs justement, que le superflu provienne d'une nourriture de bonne qualité ou non, qu'il est poussé des parties les plus fortes vers les plus faibles; ainsi, parce que la femelle a été créée plus faible, elle a des résidus abondants, et parce que les parties génitales sont les plus faibles de toutes les parties, le résidu sanguin arrive à celles-ci, purification salutaire pour les femelles avant la grossesse mais aussi matière adaptée à la nourriture des embryons pendant le temps de la gestation. »583

Ainsi on peut conclure avec Galien sur les rôles respectifs des parents dans la formation de l’enfant en tirant à la fois explication et conséquences des phénomènes de ressemblance parents-enfants et de la différentiation des sexes: « Quant à l'aspect ou la race de l'animal (car on peut employer l'un ou l'autre mot) homme, cheval ou boeuf, il se trouve être la conséquence de la nature de la matière qui a été soumise à la génération de l'animal, comme la similitude de forme avec chacun des parents est le propre de la faculté plastique et formatrice contenue dans le sperme. En sorte que nous avons trois principes de trois ressemblances: le principe de la race de l'animal, selon la substance d'où il provient, celui de la forme qui dépend du mouvement donné par le sperme, et celui qui le fait mâle ou femelle, à partir du tempérament des deux principes à la fois. Par "principes à la fois", je veux dire les règles et le sperme. En voici donc assez pour cette question, à mon avis. La ressemblance avec les parents est en relation avec les spermes, pas seulement celui du père, mais aussi de la mère, ce fait est tout à fait clair d'après ce qui précède.»584

580 Sem.II,5 K.II 638-9 L.192

581 Usu part. XIV,6 K.IV 162

582Sem.II,5 K.II 639 L.194 Galien donne la même classification dans Usu part. XIV 6 K.IV 160 . Le toucher,

chez Platon ( Tim.64a ) comme chez Aristote ( De anima III,11 435b P.A. II,8 653b ) semble être le plus simple et le plus primitif des sens. Mais nulle part ailleurs on ne retrouve une classification des espèces animales en fonction de la présence de l'un ou l'autre sens. Sur la classification aristotélicienne: Louis P. (1975) p.149-165

583 Sem.II,5 K.II,640-1 L.194-6

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Tout au long de cette partie, nous avons suivi Galien dans ses argumentations sur la formation, le rôle des spermes dans la formation du petit; il passe de l’observation vraie ou supposée aux raisonnements sophistiques très élaborés et mêle à son gré différentes théories de ses prédécesseurs, pas toujours conciliables, pour tenter d’en faire un édifice cohérent.

Lorsque nous allons aborder l’embryologie proprement dite, nous allons retrouver Galien confronté une fois encore à la réalité des dissections, à la recherche des explications causales du mécanisme formateur, et plus encore à l’aporie de la question de l’âme.

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Embryologie

Nous entamons ici notre dernière partie en abordant l’embryologie, telle que la conçoit Galien, avec ses implications anatomiques, physiologiques, et pourrions-nous dire, métaphysiques, car la recherche des causes initiales amène à la question toujours d’actualité: qu’est-ce que la vie? Nous suivrons plus particulièrement le traité Sur la

formation du foetus, dont nous donnerons notre propre traduction d’après le texte de

Kühn, en le complétant par le livre XV de l’Utilité des parties, par l’Anatomie de l’utérus et les passages de tous les autres ouvrages qui traitent de ce sujet et dont nous nous sommes déjà servi. Nous laisserons de côté Du foetus de sept mois, commentaire d’un passage du petit traité hippocratique Du foetus de huit mois, car le texte grec en est très incomplet; la version arabe nous montre qu’il s’agit plus de spéculations numérologiques et de recherches algorythmiques que d’embryologie proprement dite.585

Une fois la fécondation réalisée, par le mélange harmonieux des semences mâle et femelle, l’embryon va se développer. Une question doit alors être débattue, plus spéculative et théorique qu’objective: quel est le ‘principe’ initial qui met en route la formation? quel en est le moteur et le processus? Mais Galien n’oublie pas d’ausculter les entrailles des animaux pour savoir quelles particularités anatomiques différencient l’embryon et le petit après la naissance et quels sont les rôles des différentes membranes qui entourent l’enfant.