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Le rôle spécifique de la femelle

Rôles respectifs des semences mâles et femelles

III- Le rôle spécifique de la femelle

1- La parthénogenèse est impossible

Galien se propose de répondre à l’argument formulé par Aristote535 contre l’existence d’un sperme femelle : « Pourquoi, si du sperme se trouve aussi chez la femelle, le mâle existerait-il? Pourquoi la femelle toute seule ne peut-elle engendrer par elle-même? .. Et il y en a qui, sur ce point, font appel aux oiseaux qui produisent sans union avec le mâle des oeufs qu'on appelle "pleins de vent" ou "du Zéphyr". »536

Aristote se servait de la même comparaison pour prouver qu’en aucun cas la femelle n’est capable d’engendrer par elle-même et qu’en l’absence d’un principe moteur fourni par le sperme mâle, le produit est imparfait et sans vie.537

Nous serions bien en peine de trouver une réponse à cet argument chez Galien et nous attendrions en vain le développement qu’il annonce. En effet, il se détourne du fond du problème pour reprendre une des conséquences qu’Aristote en tirait, c’est à dire que la femelle n’émettait pas de sperme car elle ne pouvait avoir deux résidus, le sperme et les menstrues; il va donc nous entraîner dans une longue digression sur ce sujet:

« Le fait donc que la femelle animale ait du sperme, nous devons le croire par les sens... et ne pas mettre à bas par le raisonnement l'existence des faits bien visibles... Mais les disciples d'Athénée professaient l'opinion contraire: en prétendant que la femelle n'a pas de résidu spermatique puisqu'elle en a un sanguin et qu'elle ne pourrait pas avoir deux résidus. Ils ajoutent quelque fois à cette idée qu'il n'est pas possible qu'un animal unique possède en lui à la fois deux principes du futur embryon, la matière et la faculté. Mais, je ne sais comment, en se contredisant à propos des plantes, ils disent à l'inverse que n'ont pas été séparés les principes de la génération mais qu'ils y coexistent, l'un comme matière, l'autre comme faculté. Pour cette raison, ils n'attendent pas un accusateur

extérieur, mais s'abattent d’eux-mêmes vaincus par Adrastéia538 » Il continue en

rappelant les trois rôles du sperme féminin: « .. d'abord, la femelle ne rechercherait pas le coït sans avoir des testicules et de la semence... Ensuite, je te montrerais une autre utilité, non des moindres, du sperme de la femelle si tu consentais à observer en la disséquant la membrane appelée allantoïde suspendue aux canaux spermatiques... il est aussi une sorte d'aliment habituel pour celui du mâle, puisqu'il est plus humide et plus froid, tandis que celui-là est plus humide et plus chaud. N'allons donc pas dire que la femelle ne peut absolument pas réunir les deux résidus, puisqu'elle semble les réunir et qu'on peut affirmer539 que ce qui est clairement visible existe; car ce qui est évident n'est pas impossible, tandis que le raisonnement qui l'accuse est peu crédible lorsqu'il contredit les évidences. Il ne faut donc pas dire que le sperme de la femelle est inutile. »540

N’oublions pas la base, indiscutée pendant toute l’antiquité, de l’infériorité physique de la femme parce que plus humide et plus froide et les conséquences supposées sur son

534 Sem.II,5 K.V626-8 L.178-80

535 G.A.I,22 730a L.42

536 Sem.II,3 K.V 616-9 L.166-70. On retrouve chez Aristote les mêmes termes pour désigner ce que le langage

populaire appelle des "oeufs clairs", c’est à dire non fécondés, car le ‘germe’ puis l’embryon ne s’y trouvent pas.

537 G.A.I,22 730a L.42

538 Adrastéia, "l'inévitable" est un épithète de Némésis. cf Eschyle, Prom.936 "Se prosterner devant Adrastéia est sage"

539 Texte corrigé par De Lacy suivant l’arabe: deinw=j a)/topon a)du/naton ..."il est complètement absurde de dire que ce qui est clairement visible n'est pas possible"

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fonctionnement interne: la coction de son sang est moins parfaite, elle doit donc éliminer les résidus plus abondants qui sont les menstrues.541

« Ils (Athénée et Aristote) auraient dû plutôt dire en apportant quelque correction, que la femelle ne peut posséder et le résidu sanguin et la semence féconde, si toutefois elle amasse du sang superflu à cause de la froideur de son tempérament, tandis qu'il faut une chaleur importante pour créer un sperme élaboré parfaitement. La femelle est donc plus humide et plus froide, le mâle plus chaud et plus sec. Vraisemblablement donc, chez l'un il manque quelque chose pour que la coction du sperme soit parfaite, chez l'autre, on ne peut avoir un résidu sanguin à cause de la chaleur et de la sécheresse qui dessèche tout. A cause de cette raison et parce que certains animaux sont plus secs de tempérament, comme beaucoup d'oiseaux et bon nombre de poissons, les oeufs sont naturellement engendrés sans accouplement avec le mâle. Il leur manquerait cependant quelque chose pour leur achèvement, s'ils ne recevaient pas de la chaleur de celui-ci. Il n'est pourtant pas impossible d'imaginer qu'un corps animal ait un tempérament tel qu'il engendrât un oeuf parfait542 sans accouplement avec un autre. »543

Ainsi, les oiseaux sont plus secs et plus chauds et se reproduisent par oviparité; mais les mammifères ‘doivent’ avoir un résidu pour assurer la nutrition et la croissance de l’embryon: « Porter en soi un animal parfait est réellement difficile et peut-être impossible car il faut nourrir pendant longtemps un tel foetus, et ceci est impossible si la femelle n'a pas de résidu; et elle ne pourrait avoir de résidu sans être beaucoup plus froide et plus humide par son tempérament. Cela étant, elle ne peut créer un sperme ni en grande abondance, ni visqueux, ni chaud, ni épais, de sorte qu'il n'est pas fécond.... On a démontré ainsi que l'humidité et le froid de la femelle sont indispensables pour les animaux chez lesquels la nature façonne un animal dans la matrice semblable à celui qui le porte. Car la terre est aux plantes ce que la mère est à ces animaux, les irriguant de nourriture, jusqu'à ce que l'animal achevé soit complètement cultivé. »544

N’allons pas croire que Galien, en parlant d’un sperme ‘non fécond’ pour la femelle semble se contredire avec ce qu’il n’a cessé d’énoncer depuis le début545. Il dit seulement que celui-ci n’est pas capable de se féconder lui-même, comme il l’explique plus longuement dans l’Utilité des parties:

« Si le sperme de la femelle a essentiellement un principe du mouvement, il a absolument le même que celui du mâle, et a besoin d’être mêlé à ce dernier et d’agir ainsi désormais avec lui. Ou s’il n’a pas besoin de cette union, qui empêchera la femelle répandant sa semence au dedans d’elle-même d’amener à perfection le foetus? Et cependant cela ne se voit pas, il est donc évident qu’elle a besoin du sperme du mâle. Si elle en a besoin, celui-ci se mêle nécessairement au sien et tous deux combinent leur mouvement en un seul; car il n’est pas possible que l’un se mouvant d’une façon et l’autre d’une autre façon, ils concourent à la génération d’un animal unique. En un mot, s’imaginer qu’il y a un chemin et un ordre de mouvement pour le sperme femelle et d’autres pour le sperme mâle, c’est le fait d’hommes qui raisonnent sans expérience des choses de la nature. »546 Dans ce même ouvrage, il continue en s’élevant contre le

parallélisme que certains font entre les ‘oeufs clairs’ de la poule et la ‘môle’ qui peut survenir chez la femme.. « qui est une chair inactive et informe. Si l’on prétend que la semence de la femme arrive à ce seul résultat, il est clair d’abord qu’on lui attribue une action créatrice bien chétive, laquelle existerait peut-être dans le seul flux menstruel, en

541 Boylan (1986) tout à la louange d’Aristote qui se sert pourtant des mêmes bases, en fait le reproche à Galien , par un raisonnement rhétorique qui serait ridicule si sa mauvaise foi n’était pas indigne d’un auteur actuel.

542Texte grec différent:a)te/leon z%=oncorrigé d'après arabe

543 Sem.II,4 K.V 624 L.176

544 Sem.II,4 K.V 624-5 L.178

545 Comme nous l’avons vu au début de notre chapitre III (Sem.II,1 K.V 609 L. 160)

second lieu qu’on se trompe dans l’exposition des faits: car jamais on n’a vu une femme concevoir une môle547 ou tout autre produit analogue sans le concours de l’homme. »548

2- Mais la femelle est indispensable

L’existence de la femelle, animal imparfait voire même monstrueux, plongeait Aristote dans le doute sur la perfection des oeuvres de la nature et ne pouvait être expliquée que par la nécessité de ce résidu destiné à assurer la reproduction de l’espèce549. Pour Galien, outre le rôle du sperme féminin dans la conception, les arguments d’Aristote doivent être corrigés: « La femelle est plus imparfaite que le mâle pour une première raison capitale, c’est qu’elle est plus froide... la deuxième raison ressort par la dissection... En effet, les parties génitales ont été construites intérieurement ...elles ont fait de l’animal un être inférieur à l’animal achevé de tous points; mais pour la race en général, ces parties ne sont pas d’un utilité médiocre, car la femelle était nécessaire. N’allez pas croire que notre créateur ait volontairement créé imparfaite et comme mutilée la moitié de l’espèce entière, si de cette mutilation ne devait pas résulter une grande utilité...

547 La grossesse môlaire, dont on retrouve des cas dans le corpus hippocratique, semble avoir beaucoup impressionné les anciens, bien que ce fût un accident très rare de la gestation (un cas pour mille grossesses dans nos climats auxquels on peut rajouter les avortements pseudo-môlaires, mais beaucoup plus fréquent et banal en Asie hellénique, d’après le Pr Malinas); il s’agit d’une prolifération anormale, quelquefois même cancéreuse, de certaines cellules placentaires qui lui donne l’aspect d’une masse de vésicules liquidiennes en ‘grappe de raisins’ (voir fig.32). Cette grossesse, qui s’accompagne souvent des signes exacerbés de la gestation car les taux hormonaux sécrétés sont très augmentés, pouvait autrefois évoluer pendant des mois soit vers la mort maternelle par cachexie, soit à ‘l ’accouchement’, très hémorragique, de ces débris placentaires, sans foetus.

548 Usu part. XIV,7 K.IV,168

549 G.A. I,19 727a L.34: « Leur infériorité (e)/lleiyij) physique par rapport aux hommes est manifeste. »

G.A.I,20 728a L.36 « La femelle est caractérisée par une impuissance (a)dunami/a): celle d’opérer une coction du sperme à partir de la nourriture élaborée » G.A II,3 737a L.62 : « La femelle est comme un mâle mutilé...une seule chose lui manque, le principe de l’âme » G.A.IV,3 767b L.146 « Celui qui ne ressemble pas aux parents est déjà, à certains égards, un monstre (te/raj).. le premier écart est la naissance d’une femelle au lieu d’un mâle. Mais elle est nécessitée par la nature, car il faut sauvegarder le genre des animaux.. »

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Le foetus a besoin, pour sa formation première et pour son développement ultérieur, d’une quantité considérable de matière. Il faut donc nécessairement de deux choses l’une: ou qu’il dérobe à celle qui le porte sa nourriture, ou qu’il prenne ce qu’elle a en excès. Or il n’était pas souhaitable qu’il privât sa mère de nourriture, et il lui aurait été impossible de prendre la nourriture en excès, si la femelle avait aurait dissipé aisément et dessécherait ce superflu. Il était donc convenable que la femelle fût froide a un degré tel qu’elle ne pût dissiper tous les aliments... D’un seul principe sagement imaginé par le créateur, celui d’après lequel la femelle est plus imparfaite que le mâle, découlent donc toutes les dispositions utiles à la génération de l’animal: l’impossibilité pour les parties de la femme à saillir au dehors, l’accumulation d’un superflu d’aliment utile, un sperme imparfait, un organe creux propre à recevoir le sperme parfait. »550