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La ‘circulation pulmonaire’ et le coeur foetal

150 1- les diverses membranes

V- L’anatomie de l’embryon

3- La ‘circulation pulmonaire’ et le coeur foetal

Nous trouvons, comme dans la plupart des points que nous avons étudiés, une description anatomique dans les Procédés anatomiques et son interprétation dans l’Utilité

des parties:

« (Dans la dissection du foetus) on trouve aussi une autre particularité au niveau du coeur dans l’insertion de la veine cave et de la grande artère; en fait la veine cave communique avec l’artère veineuse qui a son origine dans le ventricule gauche du coeur

673 Usu part. XV,4 K.IV 230-1

674 Anat.adm. XII,6 G.967

675 Boog G. Hassoun A. Petteau M. Lemery D.(1988)- Shaal J.P. Pierre F. Sautière J.L. Maillet R. Colette C.(1991)

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et la grande artère communique avec la veine notée comme artérielle qui naît dans le ventricule droit du coeur et il ne reste ni trace ni indice de cet état à l’âge adulte. ».677

Une fois encore, la terminologie nous gêne et nous devons aller chercher ailleurs une définition des expressions comme ‘artère veineuse’ et ‘veine artérieuse’: « Du ventricule droit du coeur naît un vaisseau qui se ramifie dans tout le poumon qui est du même type que les artères de tout l’organisme. Celui qui part du ventricule gauche est comme les veines; de sorte que des trois vaisseaux que l’on trouve dans le poumon, celui qui vient du ventricule gauche est appelé artère veineuse, celui qui vient de droite veine artérieuse, le troisième vaisseau la trachée-artère.»678 La ‘veine artérieuse’ est donc notre artère pulmonaire (‘veine’ car elle contient du sang veineux, ‘artérieuse’ car elle a la même structure que les artères) et ‘l’artère veineuse‘ l’ensemble des veines pulmonaires (dont le nombre est variable selon les individus et les espèces, pouvant aller de deux à huit; il y en a quatre chez l’humain) avec l’oreillette gauche: « Tu verras clairement la veine cave s’étendre tout droit vers la gorge et les excroissances du coeur que l’on appelle ‘oreillettes’ et qui ont une structure particulière, comme on ne la rencontre nulle part ailleurs... les oreillettes sont deux, une pour chacun des vaisseaux qui amènent les substances au coeur, une à droite à l’insertion de la veine cave, une à gauche à l’insertion de l’artère veineuse.» 679 car Galien ne considère pas les oreillettes comme faisant partie du coeur mais plutôt comme une dilatation des veines qui y arrivent. Quant à la dénomination des vaisseaux pulmonaires: « Pourquoi la nature des vaisseaux du poumon est-elle intervertie, la veine offrant les caractères de l’artère et l’artère ceux de la veine? ...c’est que dans ce seul viscère, il était préférable que la veine fut dense et l’artère poreuse.»680

Il n’est pas lieu ici de nous étendre sur l’anatomie et la physiologie cardiaques et vasculaires, qui constituent un très vaste chapitre de l’oeuvre de Galien681. Nous pouvons grossièrement en donner le schéma suivant (voir Figure 47) encore que notre auteur ne soit pas toujours explicite et qu’il puisse souvent se contredire:

Le sang s’écoule dans deux systèmes parallèles, de ses ‘principes’ jusqu’à la périphérie où il est utilisé dans sa totalité. Le foie reçoit l’aliment venant de l’appareil digestif par le système porte, il le transforme en sang par sa vertu ‘sanguinifique’ qui se distribue ensuite à tout le corps par les veines caves inférieures et supérieures (l’oreillette droite n’étant en quelque sorte qu’un passage) tandis qu’une faible partie pénètre via le ventricule droit et le tronc artériel pulmonaire dans le poumon qu’il nourrit. Galien a bien reconnu le rôle de pompe du coeur682 qui aspire le sang lorsqu’il se dilate (la diastole) et le refoule en se contractant (la systole) mais il en fait un organe respiratoire et producteur de chaleur.

L’air des poumons, qui sert aussi à la phonation et au refroidissement du coeur, pénètre par les veines pulmonaires dans le ventricule gauche où il devient ‘pneuma vital’ qui est distribué à l’ensemble de l’organisme par le système artériel. Mais Galien a bien démontré que les artères contiennent aussi du sang, plus léger et plus rouge que celui des veines. Ce sang, contenu dans le ventricule gauche, d’où provient-il? des veines pulmonaires (qui le recevrait des artères pulmonaires, sans qu’il précise comment, ce qui laisse présager de ‘la petite circulation’), mais aussi du ventricule droit par l’intermédiaire

677 Anat.adm. XII,5 G.963-4

678 Anat.adm. VII,7 K.II 609

679 Anat.adm. VII,8-9 K.II 613-6

680 Usu part. VI,12 K.III 511

681 On peut se reporter à Harris C.R.S. (1973). Mais des résumés se trouvent par exemple dans Garcia-Ballester (1972) p.151-163 et dans l’introduction que fait Pichot A. à la réédition des oeuvres de Galien traduites par Daremberg, p.XLIV à L. Grmek (1990) en donne un bon résumé à propos de la découverte de la circulation par Harvey p.92-95

682 Nous ne polémiquerons pas avec certains auteurs qui reprochent à Galien d’avoir placé le coeur au centre du thorax et non à gauche; il faut savoir que dans la plupart des espèces, la pointe du coeur est en rapport avec l’appendice xiphoïde du sternum, surtout chez les équidés et les ruminants; et sa forme, plus ou moins pointue varie avec le développement du ventricule gauche, lié à l’aptitude de l’animal à la course.

de fossettes en forme d’entonnoir683 qui se terminent par des ‘pores’ invisibles qui perforent la paroi interventriculaire et dont on peut démontrer l’existence en comparant le diamètre des vaisseaux qui arrivent et qui partent de chaque ventricule684; de plus, s’il s’oppose souvent violemment à Erasistrate685, il accepte les ‘synastomoses’ que celui-ci avait imaginées entre les veines et les artères, disséminées un peu partout dans le corps.

683 Il peut s’agir des renfoncements entre les reliefs des muscles papillaires qui tendent les valvules cardiaques, mais il n’y a jamais, hors pathologie, de communication entre les ventricules.

684 Nat.fac. III,15 K.II 210

685 Vegetti M. (1995). « Les anastomoses réciproques entre les veines et les artères sont admises par Erasistrate lui-même; ..c’est un fait évident pour tous. » Usu part. VI,21 K.III 514

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Pour l’anatomie cardiaque du foetus, il décrit donc «une ouverture servant de communication entre la veine cave et l’artère veineuse ... qui se touchent l’une l’autre; la nature leur a donc donné comme une ouverture commune à toutes les deux, et a disposé sur cette ouverture une membrane en guise d’opercule; cette membrane se relève sans peine vers le vaisseau du poumon, afin d’ouvrir passage au courant sanguin qui vient de la veine cave et de s’opposer à son retour dans cette veine.»686 , ce qui correspond au ‘trou de Botal’ (foramen ovale), communication inter auriculaire fermée effectivement par une sorte de clapet, fonctionnant dans le sens droite-gauche.

686 Usu part. XV,6 K.IV 244

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« Comme il existait un intervalle entre les autres vaisseaux (veine artérieuse et aorte), la nature a créé un troisième petit vaisseau qui les rattache tous deux.»687 et qui n’est autre que ce que nous appelons le ‘canal artériel’.

Il est assez difficile de suivre Galien dans ses explications incomplètes, contradictoires même, de cette particularité « le poumon du foetus, en train de se former, exempt d’agitation, n’a pas besoin de la même organisation qu’un poumon parfait et déjà doué

de mouvement.»688; pour sa croissance il a besoin « d’une juste part des deux

matières »: sang et pneuma; le sang qui lui arrive par la veine cave, passe de l’oreillette droite à la gauche par le foramen ovale689, puis au poumon par les veines pulmonaires; « de sorte que ce vaisseau servant de veine au poumon, il était nécessaire, je pense, que l’autre (artère pulmonaire) fît office d’artère; c’est pour cela que la nature a ouvert celui-ci dans la grande artère.»690 puisque le sang artériel, chargé de pneuma, provient de la mère par l’intermédiaire des artères ombilicales, comme il nous l’explique dans la partie traitant des organes respiratoires de l’Utilité des parties, mais sans passer par le coeur, comme certains se trompent lorsqu’ils « affirment que dans les embryons le pneuma vient non du poumon au coeur mais du coeur au poumon. En effet comme l’animal ne respire pas par la bouche, et que l’aliment aussi bien que l’air lui est fourni par la matrice au moyen des vaisseaux de l’ombilic, (ils pensent que) l’air vient... de la grande artère au coeur et transmis du coeur au poumon même. »691 la dissection leur montrerait bien que les valvules aortiques et mitrales qui ne s’ouvrent que dans un sens, empêcheraient le passage du sang de l’aorte au ventricule puis à l’oreillette gauche. Le pneuma arrive donc directement au poumon par le canal artériel et l’artère pulmonaire.

Quant au coeur, « il est affranchi de sa servitude à l’égard du poumon; en sorte qu’il n’y a plus lieu de s’étonner, si, n’envoyant au poumon ni sang ni pneuma, et n’en fournissant pas aux artères de l’animal entier, comme dans les animaux parfaits, le coeur n’a besoin, pour son existence propre, que d’une très petite quantité de pneuma.»692 le sang, le coeur (et il s’agit surtout du ventricule gauche) peut en prendre une partie qui était destinée au poumon qui lui arriverait par la valve mitrale, et le pneuma, de l’aorte directement à travers les valvules aortiques qui, (Galien n’en est pas à une contradiction près) « ont été inventées, non pas pour qu’il ne pénètre rien absolument dans le coeur, mais pour que la matière n’y entre ni en trop grande abondance, ni trop précipitamment.»693 Ce qui fait que les ventricules cardiaques ne seraient d’aucune utilité (et peut-être même vides?) chez le foetus. Pourtant, un peu plus loin, Galien attribue le battement des artères qui se remplissent par le pneuma fourni par le coeur, gonflement qui attirerait alors, comme le soufflet du forgeron, le sang des veines grâce aux invisibles anastomoses entre les deux systèmes.

Ces anastomoses font que chez le foetus, les veines contiendraient du pneuma. Pour en donner la preuve, Galien se lance dans une expérimentation dont les résultats, comme les conclusions qu’il en tire, sont fort discutables: « Si vous liez les artères de l’ombilic, toutes celles du chorion seront privées de pulsations, tandis que celles de l’embryon battront encore. Mais si vous liez les veines de l’ombilic, les artères de l’embryon ne battront plus.»694 et il en tire une déduction qui est vraie: « cela prouve que la faculté qui fait mouvoir les artères du chorion vient du coeur. » mais en croyant que cette faculté s’exercerait pour ainsi dire ‘à contre-courant’, puisque pour lui, le sang dans les artères ombilicales va du placenta au coeur foetal. L’expérimentation nous montre que l’arrêt

687 Usu part. XV,6 K.IV 244

688 Usu part. VI,20 K.III 487

689 Nous utilisons le terme d’oreillette parce qu’il est celui employé en langage médical et compréhensible par tous; la nomenclature internationale parle d’atrium.

690 Usu part. XV,6 K.IV 244

691 Usu part. VI,20 K.III 485

692 Usu part. VI,21 K.III 510

693 Usu part. VI,21 K.III 511

circulatoire dans les vaisseaux ombilicaux est suivi presque immédiatement d’un arrêt cardiaque du foetus, sans qu’il nous soit possible d’affirmer si la mort est plus rapide dans le cas de ligature des veines ou des artères. Mais pour Galien les pulsations sont dues au mouvement du pneuma, il en déduit donc « que c’est au moyen des anastomoses avec les veines, que les artères sont pourvues de pneuma.»695

Une fois encore, les descriptions anatomiques sont justes, mais les déductions que Galien en tirent sont loin de la réalité. Pourtant, il est vrai que le poumon n’est pas fonctionnel chez le foetus et que la circulation pulmonaire n’existe donc pratiquement pas et que par ailleurs, la circulation placentaire est placée en dérivation sur le système vasculaire. Le sang arrive (artériel) au foetus par la veine ombilicale qui se jette dans la veine cave inférieure, et de là, dans l’oreillette droite. Ce flux passe effectivement dans l’oreillette gauche par le trou de Botal, mais, en aucun cas ne remonte les veines pulmonaires, comme Galien l’imagine; de là, le sang oxygéné suit un trajet normal par le ventricule gauche qui le propulse dans l’aorte d’où il vascularise la partie supérieure de l’animal, et surtout l’encéphale par les troncs brachiocéphaliques et carotides696. Le sang de retour veineux, par la veine cave supérieure arrive aussi dans l’oreillette droite, mais son flux ne se mélange que très peu avec le précédent; il est donc envoyé dans le ventricule droit, qui l’éjecte normalement dans l’artère pulmonaire. De fortes pressions régnant dans le poumon, le sang est dévié vers l’aorte par le canal artériel (qui fonctionne donc dans le sens inverse de celui qu’imagine Galien); ce canal est de type artériel, court, de même diamètre que l’aorte et le tronc pulmonaire, qui permet le passage de 90% du sang du ventricule droit dans l’aorte, après l’embranchement des troncs brachiocéphaliques697. Ce sang veineux sert à la vascularisation de la partie inférieure du corps et est acheminé par les artères ombilicales vers le placenta où il sera purifié et oxygéné. A la naissance, la disparition de la circulation placentaire et surtout la brutale arrivée d’air qui déplisse les alvéoles pulmonaires entraînent une ‘aspiration’ du sang du coeur droit vers le poumon avec l’établissement d’un gradient de pression entre le coeur droit, qui fonctionne donc à faible pression, et le coeur gauche, dans lequel la pression est forte; les communications entre les deux systèmes se ferment donc rapidement dans les heures qui suivent la naissance, ce qu’a bien vu Galien:

« (Il ne reste de trace que) ...ce qui indique le passage entre la grande artère et la veine artérieuse; du passage entre la veine cave et l’artère veineuse il ne reste pas de résidu notable à tout âge, bien qu’il ne disparaisse pas dès la naissance du petit; en fait tu découvres que le passage se referme peu à peu dans les premiers jours, parce que la membrane dans laquelle se faisait cette communication se confond avec le corps du coeur; le passage entre la grande artère et la veine artérieuse est dans le corps même de la veine et de l’artère, il est large chez le foetus, de sorte que lorsque naît le petit il ne s’arrête pas immédiatement puis devient sec, se soude et s’atrophie comme la veine qui va du chorion au foie.(veine ombilicale). »698

Et Galien s’extasie sur la façon dont s’oblitère ce que nous appelons le trou de Botal: « Sitôt que l’animal est né... on peut voir la membrane en train de se souder à l’orifice... Quand l’animal est achevé,.. toute cette partie est maintenant très dense... Mais si vous voyez, chez les foetus ou les animaux nouvellement nés, la membrane attachée par sa racine seulement, tandis que tout le corps de cette membrane vous apparaît flottant dans la cavité des vaisseaux, c’est alors que vous jugerez encore plus impossible qu’elle devienne jamais apte à se souder exactement au pourtour de l’orifice. »699

695 Usu part. VI,21 K.III 513

696 Là encore, il existe de nombreuses différences entre les espèces, puisque chez le cheval et les ruminants par exemple, il n’y a qu’un tronc commun pour toute la partie supérieure, il y en a deux chez le porc et trois chez l’homme. Grassé P.P (1972) P.753-5

697 Beaumont A. (1972) p.559

698 Anat.adm. XII,5 G.963-4

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Nous venons de voir le travail, parfois novateur, souvent exact, que Galien effectue sur la partie ‘visible’ de l’embryologie, et les difficultés habituelles sur lesquelles il bute, non dans la description ou la reconnaissance des structures mais plutôt dans leur interprétation; il reconnaît d’ailleurs l’ampleur de la tâche: « Tout ce que, pour l’animal encore dans le sein de sa mère, la nature a mis en oeuvre, en le façonnant, en empruntant chez sa mère nourriture et souffle, en disposant des endroits pour ses excréments, est difficile à expliquer clairement; mais s’il l’examine avec attention dans les dissections, l’observateur ne peut qu’aussitôt être plein d’admiration. »700

700 Usu part. XV,4 K.IV 224

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