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Ame raisonnante, cerveau et Créateur

4 - Le foetus grandit comme une plante

II- «Principe» et âme

4- Ame raisonnante, cerveau et Créateur

Plusieurs ouvrages galéniques posent la question de l’âme dite ‘raisonnante’ ou ‘dirigeante’, que l’on pourrait résumer ainsi: les fonctions de cette âme servent à assurer à l’animal sa ‘vie de relation’: mobilité et sensibilité, en même temps que tous les processus psychiques, mémoire, imagination, et de façon plus générale, ce que nous appelons ‘caractère’ ainsi que la faculté de raisonnement, sans qu’il fît une différence fondamentale entre l’homme et l’animal. Il semble donc y avoir adéquation entre le rôle de cette âme et les fonctions cérébrales. Galien, en suivant en cela Hérophile, a bien reconnu la place prépondérante qu’occupe le cerveau, bien que ses explications soient fausses: par l’intermédiaire des carotides, l’encéphale reçoit du sang artériel (contenant du pneuma dit ‘vital’ élaboré dans le ventricule gauche du coeur); par un mécanisme semblable à celui que nous avons rencontré dans les vaisseaux testiculaires, par ralentissement ‘circulatoire’ dans les plexus choroïdiens et le rete mirabilis, le pneuma s’accumule dans les ventricules cérébraux où il finit de s’élaborer en pneuma psychique; celui-ci s’écoulerait alors dans les nerfs, (mais comment?) ce qui serait assez logique pour les nerfs moteurs mais mal explicité pour ce qui est du domaine de la sensation (puisque centripète?).

Si Galien hésite quelquefois sur la nature immortelle de cette âme en subissant l’influence de Platon, la lecture de ses oeuvres nous la fait découvrir le plus souvent comme mortelle, car matérielle. L’expérimentation sur l’animal805 en effet, comme l’étude de la pathologie traumatique ou ‘médicale’ (épilepsie, coma, paralysies..) chez l’homme806, montrent qu’une lésion du cerveau, de la moelle ou des nerfs peut entraîner des retentissements graves des fonctions psychiques; plus encore, dans un ouvrage dont le titre annonce le programme: « Que les moeurs de l’âme sont la conséquence des

tempéraments du corps » , il nous démontre que l’âme ne saurait quitter le corps sous

l’influence de la fièvre, d’une hémorragie...807, qu’elle peut être modifiée par des troubles des humeurs808(délire par excès de bile jaune, mélancolie par la noire, léthargus par excès de phlegme...), et par des circonstances extérieures809 telles qu’Hippocrate les relève dans Airs, eaux, lieux. Si, en plus, le vin, les drogues, le régime peuvent agir sur elle, c’est qu’elle est matérielle.

Pour ce qui est dit dans La formation de l’embryon, Galien semble refuser la participation à une âme universelle, selon Platon810 « Lorsqu'un de mes maîtres platoniciens811 me

804 Foet.form. VI K.IV 697

805 Par exemple dans Hipp. et Plat. plac.VII,7 K.V 643-5; il démontre que l’ouverture des ventricules cérébraux, qui devrait laisser échapper l’âme, n’entraîne pas la mort de l’animal.

806 Par exemple en Loc.aff. en particulier les chap.II,10 K.VIII 133; III,6 K.VIII 883; IV,4 K.VIII 221 où Galien différencie cerveau et âme: « le cerveau est le premier organe servant à l’âme pour envoyer dans toutes les parties du corps sens et mouvement. »

807 Mores anim.3 K.IV 777

808 Mores anim. 5-6 K.IV 786-91

809 Mores anim. 8 K.IV 795-801

810 Timée 41-44: Pour Platon, le dieu enchaîne une âme provenant de l’Ame universelle dans chaque corps.

811 Il s’agit surtout d’Albinos dont Galien suivit les enseignements à Smyrne, mais aussi la renaissance du platonisme de Posidonios de Rhode et Antiocos d’Ascalon influença profondément sa pensée. Sur la formation de Galien, voir Grmek M.D. et Gourévitch D. (1994)

disait que l'âme qui habite tout l'univers forme les embryons, je la trouvais digne de cet art et de cette force, mais les scorpions et les tarentules, les mouches et les moustiques, les vipères et les larves, les vers et les ascaris, je n'osais pas penser qu'elle les formait, car une telle opinion friserait l'impiété. Et je ne crois pas non plus que l'âme de la matière puisse posséder réellement un tel art.»812

Dans aucun de ses traités, Galien, pourtant péremptoire en matière de physiologie, n’ose se prononcer sur la nature de l’âme, car ni expérimentation, ni raisonnement ne lui apportent de preuve irréfutable, comme il se plaît à nous le raconter dans La formation

du foetus:

« J'avais espéré l'apprendre précédemment chez les philosophes qui débattent du monde et de la création universelle, car je pensais qu'il leur était beaucoup plus facile de connaître comment le corps a été construit . Ainsi, je me plaçai comme disciple chez le premier dans l'espoir d'entendre chez lui aussi des démonstrations semblables à celles que j'avais entendues en géométrie. Lorsque j'ai constaté que loin de donner des démonstrations de type géométrique, il n'avait même pas d'arguments rhétoriques, je suis allé chez un autre, qui de son côté, professait à partir d'argument personnels les théories contraires au précédent. Puis, après une troisième expérience et une quatrième, je n'ai jamais entendu quiconque, je l'ai dit, construire une démonstration irréprochable. J'en fus profondément affecté, ce qui me poussa à l'étude jusqu'à découvrir par moi-même un raisonnement cohérent sur la formation des animaux. Mes efforts furent vains jusque là. Je le confesse dans cet ouvrage, aussi, j'invite les philosophes importants qui, en menant cette recherche, auraient fait une découverte sensée, à nous la communiquer sans jalousie.»813

Il ne faut pas voir dans cette ignorance une modestie excessive de la part de notre auteur qui ne craint pas de faire appel à d’autres, mais l’affirmation réitérée de ses principes ‘scientifiques’: « Mais, je l'ai déjà dit, comme je n'ai trouvé aucune opinion démontrée scientifiquement, j'avoue ignorer la nature de l'âme, car je ne peux en arriver à la crédulité: ainsi j'avoue ignorer aussi la cause de la formation de l'embryon et je vois bien la science et la puissance extrême qu'il y a dans cette formation.»814

Une certitude pourtant: la formation de l’embryon, tout comme le fonctionnement harmonieux du corps, ne peut être le fait d’un hasard heureux:

« Ainsi, dans le corps il y a bien plus de trois cents muscles qui font bouger les parties dans les mouvements volontaires, et chacun d'eux avec une forme appropriée tout comme sa dimension, son chef, sa terminaison et sa position; l'insertion de ses nerfs, veines et artères est adaptée au muscle suivant sa taille et l'endroit de cette insertion: aucun, pourtant si nombreux, ne pourrait être écarté. C'est ce que j'ai démontré dans

l'Utilité des parties.

Mais si la formation de chacune des trois cents parties qui vise à une dizaine de buts est complètement réussie, leur somme serait de trois mille. Sans parler du plus surprenant dans leur organisation: l'identité complète des muscles de la moitié gauche et de ceux de la droite, tout comme se ressemblent les artères avec les artères, les veines avec les veines et les nerfs avec les nerfs, de sorte qu'il faut doubler les trois mille buts. Il en est de même pour les os, qui sont plus de deux cents, avec chacun plus de dix buts, qui deviendront évidemment, une fois doublés, plus de quatre mille. Le même art s'applique aussi pour tous les viscères et absolument toutes les parties, si bien que le décompte des buts de cette organisation arriverait à des dizaines de mille, non à quelques milliers en les comptant tous jusqu’au bout. Et moi, je l'ai dit, je ne pourrais croire à leur existence sans un créateur très sage et très savant.»815

812 Foet.form. VI K.IV 701

813 Foet.form. VI K.IV 695

814 Foet.form. VI K.IV 700

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Ainsi Galien retrouve le leitmotiv de toute son oeuvre physiologique construite à la gloire du ‘grand architecte’, et nous pourrions peut-être conclure cette difficile question avec le paragraphe qui résume ses pensées à la fin de son traité d’embryologie: « Je pense donc avoir fait la seule démonstration possible sur la cause qui forme les êtres vivants: le fait qu'elle possède un art et une science immense et qu'une fois le corps complètement formé, il est gouverné toute la vie durant par trois principes de mouvements: un venant du cerveau par les nerfs et les muscles, un du coeur par les artères, un du foie par les veines. A partir de ces principes, ce que je n'ai pas osé décider formellement, je l'ai exprimé dans de nombreuses études et surtout celle sur les apparences de l'âme816, sans avoir jamais tenté de définir la nature de l'âme. Est-elle totalement immatérielle ou matérielle, est-elle éternelle ou corruptible? Je n’ai jamais trouvé quelqu’un qui en fasse la démonstration logique..»817

816 Nous n’avons plus d’ouvrage de ce titre.

CONCLUSION

Cette étude, menée au travers de l’anatomo-physiologie de Galien, nous l’avons voulue la plus complète possible, en utilisant tout particulièrement les quelques ouvrages ‘spécialisés’, non sans piocher dans l ’ensemble du corpus galénique, mais aussi dans les autres écrits médicaux antiques.

En matière d’anatomie, si un survol est possible pour le traducteur donnant à son lecteur libre cours pour l’interprétation du texte, la terminologie, souvent floue, ne suffit pas pour suivre le propos (ainsi le passage De la semence818 ou le terme d’angeion représente indifféremment les canaux spermatiques et les vaisseaux testiculaires!); la nécessité de recourir à l’anatomie comparée animale, voire même à la dissection, s’impose avant de tirer des conclusions sur les observations qu’a pu faire Galien et nous n’avons pas hésité à fournir schémas et dessins pour aider le profane: les connaissances médicales ne sont pas toujours suffisantes, ou alors lointaines, et l’art vétérinaire bien souvent ignoré du médecin. De multiples exemples se sont offerts durant notre avancée pas à pas dans l’anatomie des organes génitaux mâles et femelles, tout comme dans celle de l’embryon in utero. Certains points litigieux ou problématiques ont ainsi pu être mis à plat ou résolus (comme ce que pouvaient être les parastates glanduleux et s’ils existaient chez la femelle.) Dans l’ensemble, les descriptions que donne Galien sont le plus souvent exactes, certaines même novatrices, si on l’accepte bien sûr comme le découvreur qu’il prétend être, car notre méconnaissance de ses prédécesseurs ne doit pas nous tromper sur son objectivité: nous l’avons par exemple pris en défaut lorsqu’il affirme être le premier à décrire correctement les trompes utérines puisque nous avons trouvé chez Rufus un paragraphe traitant avec exactitude ce sujet. Mais il nous faut aussi oublier obligatoirement l’anatomie humaine: mille fois, nous avons mis en évidence qu’il s ’agissait d’animal, avec quelques difficultés pour en définir l’espèce, le plus souvent chèvre ou brebis, dont Galien, dans un souci de généralisation, extrapole les structures à l’homme; il n’est plus lieu ici d’imaginer ou de discuter qu’il ait pu disséquer le cadavre humain: nous avons apporté notre lot de preuves aux travaux existants.

S’il est relativement facile de rapporter les données galéniques à la réalité anatomique, la

physiologie génitale nous entraîne dans un domaine où nous avons essayé de suivre sa

démarche, plutôt que de chercher à lui distribuer ‘bons’ et ‘mauvais points’ en correspondance avec nos connaissances actuelles sur la reproduction. En l’absence d’outils conceptuels et de méthodes de mesure, observation et expérimentation ne peuvent être que les bases chancelantes sur lesquelles Galien édifie son système par l’imagination et le raisonnement. Nous n’avons eu qu’à suivre la voie ouverte par les nombreux travaux819 qui, depuis Bachelard820et Popper821 tentent de cerner la pensée dite ‘pré-scientifique’. Galien se veut le fils spirituel d’Hippocrate dont il accepte les théories sur la génération, plutôt que celles d’Aristote qu’il n’hésite pas à critiquer de façon véhémente: l’analogie des organes reproducteurs du mâle et de la femelle, la ressemblance des enfants avec leurs deux parents lui permettent d’affirmer l’existence d’un sperme fécond féminin, ce que viendra confirmer l’observation des comportements sexuels des animaux (fausse, nous l’avons vu) comme la dissection: l’existence de ‘testicules’ féminins, le trajet de la trompe pour conduire le sperme jusqu’à l’utérus sont aisément reconnaissables. Le côté de la physiologie, que l’on pourrait appeler schématiquement ‘mécanique des fluides’ est en effet assez facile à concevoir et à expérimenter par section ou ligature: écoulement du sang dans les artères, du ‘pneuma

818 Sem.I,14 K.V 561 L.112 et nos chap. I-I-1 et II-I-3

819 M.D. Gremk (1990) propose ses conceptions dans la première partie de son ouvrage La première révolution

biologique (p.7-43) et une bibliographie détaillée, parmi laquelle nous signalerons plus particulièrement les

oeuvres de G.E.R. Lloyd, J.P. Vernand et O.Temkin.

820 Bachelard G. (1938)

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