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Ma posture de recherche compréhensive s’insère dans « les recherches inclusives » au sens où elles sont définies par Parrilla (2009) :

a) Elles procèdent à « une construction inclusive de la connaissance » (p. 110).

29 L’origine étymologique de l’adjectif « inclusif » et du substantif « inclusion » rappelée par Gardou (2013a), contribue à la différenciation de ces deux types de recherche (cf. conclusion, p. 233).

30 A ce propos, voir par exemple la recherche intitulée Les apprentissages à l’âge adulte, qu’en disent les personnes avec une déficience intellectuelle ?, projet du Fond National Suisse de Recherche [en cours], mené par Geneviève Petitpierre et Germaine Gremaud à l’université de Fribourg.

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Les modalités traditionnelles de production des connaissances peuvent biaiser la compréhension d’un phénomène en ignorant, par exemple, la production des connaissances émanant des expériences individuelles. Parrilla (2009) met en évidence que les processus de recherche sur l’inclusion ont souvent été exclusifs dans le sens où ils passent sous silence

« l’intérêt que les expériences personnelles, vécues et les expériences pratiques puissent avoir pour la construction de la connaissance » (p. 2009).

En ce qui concerne les travaux portant sur l’intégration scolaire, ils se centrent presque exclusivement sur les élèves ; ceci est en accord avec l’idée générale qui sous-tend l’évolution des politiques d’intégration, à savoir, l’adaptation de l’élève au système. Lorsqu’elles se centrent sur les enseignant∙e∙s, les cadres théoriques mobilisés et la méthodologie déployée par les chercheur∙e∙s sont davantage mis au service de l’identification de facteurs explicatifs à propos des pratiques, ce pourquoi ces recherches contribuent au maintien et à la reproduction des significations construites à l’aide de cadres théoriques prédéfinis. A l’instar des difficultés rencontrées par les élèves, celles des enseignant∙e∙s sont souvent considérées, au sein des recherches, soit en termes de difficultés, capacités, attitudes ou volonté personnelles, soit comme le produit direct de l’hétérogénéité des élèves (logique de causalité).

Cette réduction de l’intégration à la dimension individuelle, spécifique du modèle médical, permet certes d’expliquer l’intégration en termes de causalité, mais elle entrave (voire empêche), chez les enseignant∙e∙s, la construction de nouvelles significations à partir de leur propre expérience. Dans ce sens, ce modèle dominant, inspiré du paradigme positiviste, fait obstacle à une pensée critique vis-à-vis de l’intégration scolaire. En cherchant à comprendre les significations de l’intégration scolaire à partir de l’expérience des enseignant∙e∙s par l’adoption d’une posture de recherche compréhensive, ma thèse contribue au développement d’une production inclusive des connaissances.

b) Elles considèrent « les chemins narratifs en tant que chemins inclusifs » (p. 111).

La subjectivité est nécessaire à la compréhension d’une réalité sociale. Pour Parrilla (2009), les significations des processus d’exclusion vécus, singuliers et uniques, permettent la compréhension de l’expérience racontée à la première personne.

En situation d’entretien, j’invite ainsi les personnes interviewées à me raconter leur expérience. Le fait de leur donner la parole fait qu’elles soient considérées en tant que

« narrateurs éducatifs critiques » (Harwood, 2009, p. 29) et deviennent des « co-chercheurs de leur propre histoire » (Parrilla, 2009, p. 104). La perspective inclusive de « donner la voix » aux enseignant∙e∙s pour qu’ils nous racontent leurs expériences, suppose ainsi une voie d’accès à la connaissance différente que celle suivie par les méthodes traditionnelles (De Vault, 1999, cité par Susinos & Parrilla, 2008) ;

c) Elles proposent « un regard social sur les processus d’exclusion et d’inclusion » (p.

112). A partir d’une recherche portant sur l’intériorisation des discours professionnels et sociaux chez des jeunes en difficulté, Parrilla (2009) relève leur difficulté à considérer l’exclusion comme un processus de construction sociale. Le résultat de cette intériorisation

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fait que les jeunes finissent par « attribuer leur situation de vulnérabilité ou exclusion à leurs propres caractéristiques individuelles » (Parrilla, 2009, p. 112).

A partir des limites érigées aux politiques d’intégration et en prenant en compte les spécificités du contexte scolaire genevois, ma thèse propose de penser l’intégration à travers la dynamique dialectique qu’elle entretient avec l’exclusion totale (du système scolaire ordinaire) ou partielle (séparation d’élèves vers les classes spécialisées existantes dans les écoles ordinaires) de certain∙e∙s élèves. Elle permet d’articuler ainsi les processus d’intégration à ceux de l’exclusion ; afin de prendre en compte, au sein du processus d’intégration, la part d’exclusion qu’elle comporte (certain∙e∙s élèves sont refusé∙e∙s dans l’accès, d’autres en sont exclu∙e∙s pendant leur scolarité) l’intégration est considérée au sein de cette thèse comme une réponse séparative.

d) Elles « s’intéressent à- et s’engagent à la transformation de la réalité » (p. 113).

Le questionnement de Parrilla (2009) permet de comprendre l’implication du monde scientifique dans la construction des processus d’exclusion. Par ce questionnement, elle invite le lecteur à questionner les formes d’exclusion qui « du fait d’avoir été naturalisées au cours de l’histoire éducative passent inaperçues et sont considérées comme manières de faire traditionnelles des institutions » (Parrilla, 2009, p. 113).

De par les caractéristiques de la posture adoptée et la figure de chercheure solidaire investie, le travail d’analyse de ma thèse répond à une logique de déconstruction et reconstruction de sens permettant d’analyser le poids des significations héritées sur l’élaboration d’une pensée critique à partir des pratiques d’intégration.

e) Elles insistent sur la « création de communautés de recherches inclusives » (p. 114).

Parrilla (2009) rappelle que la recherche « est un outil qui peut être au service de l’inclusion ou, au contraire, de l’exclusion sociale » (p. 114).

Cette thèse permet de penser les contraintes et les possibilités du développement de ces communautés dans une visée d’inclusion. Elle cherche à échapper aux « discours gazeux » (Nóvoa, 2009) dominant en matière d’intégration, lesquels entravent « l’émergence de modes alternatifs de penser et d’agir » (p. 205).

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Q

UESTIONS DE RECHERCHE POUR PENSER L

INTÉGRATION

Mes questions de recherche s’inspirent de celles posées au sein de l’équipe ACRA. Leur particularité est d’être partiellement ouvertes au « questionnement pluriel » (Schurmans, 2008c) d’un monde partagé, qui les provoque, les nourrit et les transforme sans cesse au sein des interactions. En effet, selon Schurmans (2008b),

Formuler une question de recherche revient à identifier une lacune de savoir. Et cette lacune ne me concerne pas moi, dans ma singularité : elle est disponible dans le monde. Elle préexiste à mon propre parcours. Que je puise matière à interrogation dans mon appréhension du quotidien ou dans les failles du théorique, mon questionnement s’ébauche dans l’écho d’un questionnement pluriel : j’existe dans un monde ou des questions se posent. (p. 84)

De ce fait, il est possible que rien de nouveau ne soit dit dans cette thèse à propos de l’intégration, mais comme le dit Gimeno Sacristán (2003), il est important de rappeler une partie de ce que nous savons déjà et de faire des combinaisons différentes pour que cela puisse « faire partie des discours de notre présent dominé par d’autres modes » (p. 14). Cette impression de déjà connu vient du fait que nous considérons beaucoup de choses comme naturelles alors que « tout est produit d’une trajectoire qui aurait pu avoir une autre direction et un autre devenir » (Gimeno Sacristán, 2003, p. 15).

Trois questions de recherche sont formulées dans le but de déconstruire cette impression de

« naturalité » ; elles cherchent à comprendre comment les enseignant∙e∙s ordinaires et spécialisé∙e∙s construisent le sens de l’intégration scolaire dans le cadre de leur expérience.

I. La première question de recherche est la suivante :

Quelles sont les significations collectives à l’égard de l’intégration scolaire qui, dans un contexte éducatif donné, pèsent sur l’interprétation singulière de l’intégration ? Elle se décline en trois sous-questions :

1) Quelle fonction ces significations collectives remplissent-elles au niveau des pratiques d’intégration ? Sur quel registre s’expriment-t-elles ?

2) Quel type de rapport à l’intégration est-il configuré par les enseignant∙e∙s à la lumière de ces significations collectives ?

a. La configuration de ce rapport se transforme-t-elle à travers le temps ?

3) Ces significations collectives s’inscrivent-elles dans des modèles ou cadres théoriques de référence ? Si oui, par quoi se caractérisent-ils ?

II. La deuxième question de recherche est ainsi formulée :

Comment, dans ce contexte éducatif donné et compte tenu des contraintes exercées par les significations collectives, les enseignant∙e∙s construisent∙elles∙ils le sens de l’intégration scolaire ?

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De même que la première, cette deuxième question de recherche se décline en trois sous-questions :

1) Quelle fonction la construction de sens remplit-elle ? Sur quel registre s’exprime-t-elle ?

2) Quel type de rapport à l’intégration est-il configuré par les enseignant∙e∙s à la lumière de leur interprétation singulière ?

a. La configuration de ce rapport se transforme-t-elle à travers le temps ?

3) Cette construction de sens s’inscrit-elle dans des modèles ou cadres théoriques de référence ? Si oui, par quoi se caractérisent-ils ?

III. La troisième et dernière question de recherche est la suivante :

Quel rapport entretiennent les significations collectives et la construction de sens dans le cadre d’une temporalité donnée ?

Elle se décline en trois sous-questions : 1) De quel type de temporalité s’agit-il ?

2) Ce rapport peut-il être lu en termes d’actorialité et d’agentité ?

3) Les postures d’actorialité et d’agentité permettent-elles de faire une lecture de la problématisation de l’expérience?

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C

ONDITIONS DE PRODUCTION DES DISCOURS

Insérée dans la sociologie de la connaissance, cette thèse adhère à la préoccupation de la philosophie kantienne selon laquelle « l’étude des produits de la connaissance ne peut être scindée de celle de leurs conditions de production » (Schurmans, 2008b, p. 102). Explicitées ci-après, les conditions de production des discours fondent la situation d’entretien comme une forme de relation sociale caractérisée par une configuration d’interdépendance.

Longtemps passée sous silence, l’attention portée aux conditions de production des données dans le cadre d’une enquête est liée, parmi d’autres facteurs, à « la reconnaissance de la nécessité d’une production empirique des données » (Papinot, 2013, ¶ 7). La naissance des sciences sociales a lieu au moment où l’évolutionnisme constitue le modèle dominant, ce qui laisse des empreintes de positivisme dans les disciplines sociologiques et anthropologiques (Olivier de Sardan, 2000, cité par Papinot, 2013). Les débuts des démarches empiriques effectuées à la lumière de ces disciplines, sont sous l’influence d’un modèle américain d’enquête qui confère aux mesures statistiques une garantie de scientificité. De ce fait et selon Papinot (2013), les questions épistémologiques vont se focaliser sur « la standardisation des procédures d’enquête, la clarté et l’adéquation des questions posées aux hypothèses, la représentativité de l’échantillon comme garants de la valeur des réponses `recueillies` » (p. 3).

L’objectivation des conditions de production fait partie des traditions des disciplines et de leurs empreintes cognitivistes (Papinot, 2013) et offre aux scientifiques une certaine protection en les mettant non seulement « hors-jeu, mais aussi hors d’atteinte » (Bourdieu, 1988, cité par Papinot, 2013, ¶ 6).

Tel que le relève Papinot (2013), « il n’existe pas de donnée d’enquête qui ne soit produite, donc engendrée, dans un contexte d’enquête singulier » (¶ 6). Ainsi, considérer comme neutre la relation entre les chercheur∙e∙s et les personnes interviewées reviendrait à nier la situation sociale (Combessie, 1996, cité par Papinot, 2013) engendrée par ce contexte. En opposition à ces postulats épistémologiques de neutralité et d’objectivité reliés au courant positiviste, je considère la situation d’entretien comme une forme de relation sociale telle qu’elle est envisagée par Bourdieu (1993) :

si la relation d’enquête se distingue de la plupart des échanges de l’existence ordinaire en ce qu’elle se donne des fins de pure connaissance, elle reste, quoi qu’on fasse, une relation sociale qui exerce des effets (variables selon les paramètres qui peuvent l’affecter) sur les résultats obtenus. (p. 903)

Considérer la relation d’enquête comme une relation sociale suppose l’adhésion au principe que les sciences sociales « `produisent` leurs faits » (Papinot, 2013, ¶ 27). Autrefois ignorée par le postulat positiviste, ce principe est aujourd’hui partagé par de nombreux chercheur∙e∙s mais il fait rarement l’objet d’une réflexion épistémologique (Papinot, 2013).

L’explicitation des conditions de production des données participe, selon Papinot (2013), du

« principe d’intelligibilité de celles-ci » (Papinot, 2013, ¶ 27) ; de ce fait, « [l]es données de l’enquête ne sont pas transcendantes à la démarche de recherche qui les viserait comme un

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dehors. Elles sont ce processus de recherche concrétisé, enchâssées dans des configurations d’enquête singulières » (p. 9).

L’

ENTRETIEN EN TANT QUE CONFIGURATION INTERDÉPENDANTE

Considérer la relation d’enquête comme une forme de relation sociale revient à nier toute coupure entre l’observateur (chercheur∙e) et l’observé (personne interviewée) à l’instar de la pensée éliasienne, convoquée par Papinot (2013). Cet auteur soutient dans ce sens qu’

[o]bservateur et observés sont nécessairement liés entre eux par les interdépendances de la configuration sociale engendrée par la démarche d’enquête. Il n’y a pas rupture mais continuité entre l’instrument de la compréhension et l’objet à comprendre. Cette continuité est matérialisée par cette relation sociale d’enquête qui dresse ce pont entre sujet et objet. Le processus de compréhension sociologique découle donc de l’analyse de cette dynamique relationnelle créée par la situation d’enquête. (¶ 19)

Les propos de Papinot (2013) rejoignent le concept de « configuration » développé par Elias (1985, cité par Papinot, 2013) dans son étude des tensions et des conflits. A l’instar de l’analogie sportive empruntée à Elias et Dunning (1994), j’établis une analogie entre une situation d’entretien et une partie de football dans le but de mieux saisir les apports de ce concept pour penser la situation d’enretien. Elias et Dunning (1994) en parlent ainsi :

Le processus du jeu est précisément une configuration mouvante d’êtres humains dont les actions et les expériences s’entrecroisent sans cesse, un processus social en miniature.

L’un des aspects les plus instructifs de ce schéma est qu’il est formé par les joueurs en mouvement des deux camps. On ne pourrait suivre le match si l’on concentrait son attention sur le jeu d’une équipe sans prendre en compte celui de l’autre équipe. On ne pourrait comprendre les actions et ce que ressentent les membres d’une équipe si on les observait indépendamment des actions et des sentiments de l’autre équipe. Il faut se distancier du jeu pour reconnaitre que les actions de chaque équipe s’imbriquent constamment et que les deux équipes opposées forment donc une configuration unique.

(Elias & Dunning, 1994, p. 70)

Tout se passe comme si le chercheur devait recomposer le jeu (ici de sens) que la personne interviewée construit in situ avec les autruis significatifs, ancré dans des temporalités distinctes, tout en l’arbitrant (consignes, formulations, acquiescements ou silences, entre autres). A l’image de la dynamique d’un match (Elias & Dunning, 1994), celle de l’entretien est régie par les règles de l’interaction plus ou moins négociées en situation d’entretien, telles les règles d’un match de football :

La dynamique […] des joueurs lors d’un jeu est fixe à certains égards, souple et variable à d’autres. Elle est fixe, car sans un accord entre les joueurs qui adhèrent à un ensemble de règles unifié, le jeu ne serait pas un jeu mais une ``mêlée générale``. Elle est souple et variable, sans quoi une partie serait en tous points identiques à une autre. Dans les deux cas, le jeu perdrait sa spécificité. Ainsi, pour que des relations de groupe puissent revêtir

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les traits propres d’un jeu, il faut qu’un équilibre spécifique s’établisse entre la fixité et la souplesse des règles. De cet équilibre dépend la dynamique du jeu. Si les règles établissent entre les joueurs des relations trop rigides ou trop laxistes, le jeu en pâtira. (p. 263)

La construction de sens se crée à partir des configurations singulières propres à chaque entretien. La relation d’interdépendance caractérise également les différentes personnes interviewées de par le sens qu’elles contribuent à construire dans l’ensemble. Elias et Dunning (1994) l’affirment ainsi :

A partir de la position de départ, une configuration fluide formée par les deux équipes évolue. Tous les individus y sont et y demeurent jusqu’au bout, plus ou moins interdépendants ; ils se déplacent et se regroupent l’un par rapport à l’autre. […] ce sont précisément ces déplacements et ces regroupements de joueurs interdépendants l’un par rapport à l’autre qui constituent le jeu. (p. 264)

Au-delà de sa singularité et dans le point de vue de son fonctionnement, Javeau (1994) qualifie la situation sociale que constitue l’entretien comme « instable […] et faiblement structurée » (p. 90) au sens où les deux personnes en interaction mettent en place « des ajustements successifs » (p. 90).