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forte hausse portée par la diffusion du logement individuel en accession

3.1 Spécificités liées au marché du logement

3.1.1 Échelles d’équivalence : des Unités de Consommation aux Unités de Consommation Logement

Justification théorique

Une manière simple et rapide de mesurer un confort surfacique est d’utiliser un simple ratio du nombre de pièces par personne. Cet indicateur risque cependant d’entraîner certaines distorsions lors des mesures de disparités, qui apparaissent corrigeables par les données dont nous disposons. Par exemple, un confort surfacique mesuré par un ratio de pièces par personne égal à 2 ne sera pas le même selon que l’on considère une personne vivant dans un deux-pièces ou un couple vivant dans un quatre-pièces. De même, à taille de logement fixée, une personne seule avec enfant plutôt qu’un couple ne bénéficiera pas du même confort surfacique ressenti, l’enfant devant disposer d’une pièce pour lui. À la manière des unités de consommation utilisées par l’Insee pour définir les niveaux de vie, nous proposons d’utiliser une mesure normative d’ « équivalent-pièces » nécessaires à un ménage en fonction de sa composition.

Le parallèle avec le niveau de vie

La notion de niveau de vie est utilisée dans la majorité des travaux s’intéressant aux inégalités de revenus. Les niveaux de vie sont calculés en divisant le revenu par une échelle d’équivalence : les Unités de Consommation (UC). Celles-ci permettent de définir un niveau de vie tenant compte des économies d’échelles dont bénéficient les individus vivant ensemble, notamment sur les coûts fixes du ménage (loyer, voiture, assurances, alimentation, etc.).

De façon générale, deux types d’échelles sont mobilisables (Deeming, 2011) : l’une basée sur les mesures objectives des consommations des ménages (échelles « objectives ») et l’autre basée sur les perceptions subjectives de la population par l’intermédiaire de questionnaires (échelles « subjectives »).

L’échelle la plus couramment utilisée est l’échelle « OCDE modifiée ». Cette échelle « objective » fixe à 1 adulte-équivalent (UC) le premier adulte du ménage, 0,5 UC toute personne de plus de quinze ans supplémentaire du ménage et à 0,3 UC les enfants de moins de quinze ans53. Hourriez

et Olier (1998) présentent l’adoption par l’Insee de l’échelle « OCDE modifiée » en se basant sur

53 D’après Chanfreau et Burchardt (2008), qui retracent le consensus autour de cette échelle, elle est issue

des travaux de Hagenaars et al. (1994) pour le compte de l’OCDE. Ces travaux sur des données fines de plusieurs pays amènent à donner une plus grande importance aux économies d’échelle, remettant ainsi en cause l’échelle Oxford traditionnellement utilisée par l’OCDE (0.7 UC par adulte supplémentaire et 0.5

leurs propres analyses de données françaises. Leur travail est basé sur une estimation conjointe d’une échelle objective à partir du modèle de Prais-Houthakker (Prais et Houthakker, 1955), et une estimation d’une échelle subjective à partir de données déclaratives.

La transposition à l’espace habitable du logement

Tout comme la mesure du niveau de vie, celle du confort surfacique peut faire l’objet d’un contrôle par une échelle d’équivalence, afin de prendre en compte les besoins de consommation d’espace en fonction de la composition du ménage. De même que dans le cadre du revenu, des économies d’échelle sont présentes en termes d’espace nécessaire par personne lorsque la taille du ménage augmente. Il apparaît de fait cohérent de considérer qu’une partie non négligeable d’un logement présente des caractéristiques de « bien commun », des pièces telles que les salles d’eau, la cuisine ou le salon étant fréquemment mutualisées par l’ensemble (ou une partie) du ménage. À l’opposé, les chambres à coucher constituent plutôt des « biens privatifs ». Le point commun entre toutes les mesures d’équivalence (pour le revenu ou la surface du logement) est qu’elles prennent en compte à la fois les économies d’échelle et les besoins plus faibles des enfants.

Construction des UCL

Un des enjeux de ce chapitre est de proposer une échelle d’équivalence objective pertinente pour le cas du confort surfacique54. L’objectif sera de garder un certain niveau de simplicité,

comparable à celui adopté pour l’échelle d’équivalence utilisée par l’Insee pour le niveau de vie. Un bon candidat pour cette construction est la variable « Nombre de pièces nécessaires au ménage calculé de façon normative » (MNOI), utilisée par l’Insee depuis la fin des années 1960 dans les enquêtes Logement et les recensements de la population55. Cette variable définit de

manière normative un besoin minimum en termes de nombre de pièces en fonction de la composition du ménage. La permanence de cette définition au cours du temps est assez frappante et en fait un excellent candidat pour constituer une échelle d’équivalence.

Ce besoin en nombre de pièces est fixé de la manière suivante : - une pièce de séjour.

54 La construction d’une échelle d’équivalence subjective des besoins de confort des ménages en se fondant

sur les données des enquêtes Logement est également envisageable. Malgré son intérêt, nous ne nous attèlerons pas à cette tâche.

55 On la trouve sous l’intitulé « Norme d’occupation du ménage » (NOCM) dans les recensements de 1968,

1975 et 1982. Sous l’appellation « Nombre de pièces nécessaires au ménage » (MPN) dans les enquêtes 1973 à 1988 puis dans son appellation moderne soulignant l’aspect normatif (MNOI) à partir de l’enquête Logement 1992.

- une pièce pour chaque couple ou célibataire de plus de 18 ans. - une pièce pour deux enfants de moins de 7 ans.

- une pièce pour deux enfants âgés de 7 à 18 ans s’ils sont du même sexe, une pièce chacun sinon. Comme le souligne Jacquot (2006b), cette définition date de 1970 et vient actualiser la définition du surpeuplement pour correspondre aux évolutions du confort constatées à cette époque. Jacquot relève que la définition est appelée à évoluer. Citant Goux et Maurin (2003), il propose par exemple que, compte tenu de la propension des enfants à mieux réussir leur scolarité lorsqu’ils disposent d’une chambre seule, deux enfants âgés de plus de sept ans aient besoin d’une chambre chacun. Ces considérations semblent en réalité bien plus anciennes, et le débat a probablement eu lieu au sein de l’Insee. En effet, dès l’enquête Logement de 1978 une « nouvelle définition » est testée pour le nombre de pièces nécessaires au ménage. Il s’agit justement de l’abandon du critère de sexe pour les enfants de 7 à 18 ans, et l’affectation d’une pièce pour chacun d’entre eux. Il semble que ces modifications aient été jugées mineures et/ou que le besoin de disposer d’une variable pérenne dans le temps l’ait emporté56. Depuis, le fait

que le surpeuplement soit de moins en moins un enjeu de politique publique a probablement participé à la non-révision de ce standard, mais on peut également interpréter cette stabilité par le fait qu’il reste d’actualité. Ce standard de peuplement mesuré par la variable MNOI est encore aujourd’hui utilisé comme référence de mesure pour le surpeuplement, à l’instar de Barry et al. (2010) et Villaume (2016).

Un autre argument pour appuyer la pertinence, encore en 2017, de la variable MNOI est la taxe sur les pièces vacantes mise en place récemment au Royaume-Uni au sein du logement social, au nom de la lutte contre la pénurie de logements sociaux. Surnommée « bedroom tax », il s’agit d’une augmentation de loyer en fonction du nombre de pièces dont dispose le ménage par rapport à une échelle de besoins définie comme suit : les enfants de moins de dix ans sont censés partager une chambre pour deux, tout comme les enfants âgés de 10 à 16 ans du même sexe. Une chambre est allouée par couple ou adulte seul. Les autres chambres sont considérées comme libres (spare), même celles censées héberger des enfants en garde alternée de couples séparés. Le surloyer est de 15 % pour une chambre libre et 30 % pour deux chambres libres et plus. Au- delà des questions sur le bien-fondé d’une telle politique, les seuils appliqués sont extrêmement proches des critères construisant la variable MNOI.

3.1.2 Les ménages et les logements ne se découpent pas

Une mesure de l’appariement entre ménages et logements

Dans le cas des revenus, la plupart des études analysent le niveau d’inégalités par rapport à une norme égalitaire qui est celle d’un même revenu par UC pour tous les ménages. Implicitement ces analyses reposent sur l’hypothèse que cette norme peut être atteinte par des transferts de revenus entre ménages, de sorte qu’une situation parfaitement égalitaire est atteignable.

Dans le cas des logements, une seconde approche peut sembler préférable. Le parc est constitué de logements qui correspondent à des « paquets » de pièces et de mètres carrés peu réorganisables. Pour établir un parallèle avec les inégalités de revenus, l’analyse consiste alors à considérer que les revenus ne sont pas redéfinissables et qu’ils sont simplement mal répartis entre les différents ménages, les ménages les plus grands (ayant le plus d’UC) devant bénéficier des plus gros revenus. L’accent est alors mis non pas sur le fait qu’il existe des hauts salaires et des bas salaires, mais plutôt sur le fait que ceux-ci ne sont pas affectés de manière équitable en fonction des besoins des ménages. Si cette approche n’est pas forcément pertinente dans le cas des revenus, car l’impact des inégalités de « besoins » des ménages est marginal par rapport à l’ampleur des inégalités de revenus, dans le cas des logements la structure de l’offre en termes de taille est bien plus intimement liée aux différents besoins des ménages en termes d’espace. En résumé, les inégalités de confort surfacique entre les ménages que nous souhaitons mesurer sont imputables à deux phénomènes différents. Comme souligné par Tunstall (2015), le premier est constitué par les disparités en soi des ménages et des logements, tandis que le deuxième est le résultat de l’appariement des ménages et des logements. C’est sur ce deuxième phénomène que nous nous concentrons.

La qualité de cet appariement est mesurée par l’adéquation entre une demande (les UCL du ménage) et une offre (le nombre de pièces du logement). Parce que les besoins en logement sont différents et hiérarchisés, il est possible de parler d’inégalité maximale et minimale57. La situation

procurant une inégalité minimale est celle dans laquelle« les plus grands ménages sont dans les plus grands logements », c’est-à-dire qu’un ménage ne peut être plus grand (en UCL) qu’un autre

57 Dans notre cadre méthodologique, c’est parce que les besoins en logement sont hiérarchisés que parler

d’inégalité maximale et minimale a un sens. Il s’agit ici d’un terme associé à la méthodologie et n’est pas porteur d’un jugement de valeur. C’est d’ailleurs pourquoi dans la présentation des résultats nous privilégierons le terme de disparité, réservant le terme d’inégalité aux situations jugées relever de sa définition.

tout en vivant dans un logement plus petit. À l’opposé, la situation d’inégalité maximale est celle dans laquelle « les plus petits ménages sont dans les plus grands logements »58.

Chacune de ces situations minimale et maximale présentent un coefficient d’inégalité (Gini par exemple) compris entre 0 et 1, et n’importe quelle situation d’appariement verra son coefficient compris entre ces deux bornes. Mesurer des inégalités dans ce cadre revient à mesurer un écart entre la situation observée et une situation d’inégalité minimale. L’écart le plus grand mesurable est alors celui entre la situation d’inégalité minimale et maximale59. Cet écart peut, pour certains

indices, être définissable en tant que distance mathématique.

De même que des situations d’inégalité minimale et maximale, il est possible de définir une répartition aléatoire. Elle représente ce qui serait observé si les ménages et les logements s’appariaient sans considération de leurs tailles respectives60. Elle permet de donc de mesurer

d’une façon complémentaire les effets de structure, indépendants de l’appariement.

Hypothèses méthodologiques

Cette analyse fait donc l’hypothèse que les logements ne sont pas « sécables » de manière massive. Elle nécessite par ailleurs une deuxième hypothèse symétrique : les ménages également sont fixes. Ces deux hypothèses sont bien entendu critiquables. Du point de vue de la fixité des ménages face au parc de logements, une objection possible est que les colocations semblent être un bon exemple d’adaptation de la demande (les ménages) à l’offre (le parc de logements). Ainsi dans un parc offrant de grands logements en location, il n’est pas rare de voir se développer des colocations, notamment d’étudiants, réinvestissant des logements à l’origine familiaux. Comme nous l’avons mesuré au chapitre 1, les colocations repérées dans le recensement par des ménages constitués de personnes sans lien de parenté avec la personne de référence (P.R.) sont toutefois très minoritaires au sein du parc. Notre chiffre de 3,3 % en 2007 est cohérent avec une note de l’ANIL sur ce sujet (Vorms et Maury, 2010). Cette étude, effectuée sur l’enquête Logement 2006 avec des critères similaires, retient 160 000 ménages soit 3 % du parc. Du point de vue inverse de

58Avec une vision plus statistique, en utilisant le 𝜏 de Kendall sur une table de contingence croisant taille

des logements et taille des ménages, la situation d’inégalité minimale est celle où 𝜏 = 1, et celle d’inégalité maximale est celle où 𝜏 = −1.

59 Une mesure d’inégalité classique bornée entre 0 et 1 mesure également un écart : le chiffre 1 est la

distance entre une hypothétique inégalité maximale, dans laquelle une infime partie de la population détiendrait tous les biens à répartir, et une inégalité minimale dans laquelle absolument tout le monde disposerait du même montant du bien.

60 Compte tenu des contraintes de l’exercice (un seul ménage par logement), l’indépendance statistique

pure est théoriquement impossible car des arrondis sont nécessaires. En toute rigueur nous pourrions alors définir deux répartitions aléatoires : celle plutôt proche du maximum et celle plutôt proche du minimum. Cependant les différences entre ces deux répartitions sont extrêmement faibles compte tenu

la fixité du parc face aux mutations des ménages, les phénomènes de remembrement d’appartements peuvent être évoqués. À Paris entre 1968 et 2012, le nombre de studios passe de 360 000 à 260 000 unités tandis que les logements de 4 et 5 pièces passent de 130 000 à 220 000 unités. Les constructions neuves existent, mais la part la plus importante de ce volume est due à des remembrements d’appartements. Cependant, ce phénomène est particulier à Paris et à une rénovation du parc particulièrement vétuste d’après-guerre et doté de logements notoirement petits. De plus il n’est pas évident que le phénomène inverse puisse être aussi massif, car il s’agit dans ce cas plutôt d’une stratégie des bailleurs visant à mettre des biens en location (division d’un grand appartement en studios par exemple).

Ces limites rappellent que ces deux hypothèses (fixité des logements et des ménages) ne correspondent qu’imparfaitement à la réalité. Elles semblent néanmoins assez robustes. L’hypothèse sur la fixité des ménages correspond à la logique du chapitre 1 qui considérait les évolutions des ménages non influencées par les évolutions du parc, mais uniquement portées par la démographie et l’évolution des modes de cohabitation. L’hypothèse sur la fixité des logements correspond au constat de l’inertie intrinsèque du bâti des logements, qui se transforme lentement.