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forte hausse portée par la diffusion du logement individuel en accession

2.2 Les inégalités de consommation de logement

En économie, les travaux sur la distribution des revenus se structurent autour de deux questions principales partiellement liées, à savoir l’étude des inégalités et l’étude de la pauvreté. La pauvreté peut prendre deux formes, relative ou absolue. Elle est absolue lorsqu’elle se mesure par rapport à un seuil fixe et indépendant de la distribution des revenus, souvent au regard d’un panier de biens de première nécessité ; elle est relative lorsque le seuil de pauvreté est défini relativement à la distribution des revenus au sein de la population (en général un pourcentage de la médiane).

S’inspirant de ces distinctions, il est possible de structurer les travaux traitant des inégalités dans le champ du logement en trois approches. La première s’intéresse aux inégalités de consommation de logement. C’est à ce champ que nous nous intéresserons spécifiquement dans la partie suivante. Un ensemble de travaux non traités dans la prochaine partie, mais pouvant néanmoins être intégrés dans cette approche, sont les études statistiques visant à mesurer les inégalités de dépenses de logement selon différentes variables d’intérêt (statut d’occupation, niveau de revenu, âge, localisation, génération, etc.)44. Cependant ces travaux s’intéressent en

réalité aux différences de prix entre différents marchés du logement qui diffèrent dans le temps, l’espace, ou encore par le statut d’occupation. Les évolutions au cours du temps des prix et des loyers sont ainsi susceptibles d’engendrer des inégalités entre les générations ou des problèmes de solvabilité pour une partie de la population. Ces travaux seront abordés dans le prochain chapitre.

La seconde approche s’intéresse à la pauvreté dans le champ du logement. Cette question est principalement traitée sous l’angle de la pauvreté absolue. Les rapports de la Fondation Abbé Pierre représentent l’exemple le plus connu en France de mesures de pauvreté absolue. Cette dernière y est le plus souvent traitée sous l’angle de la sur-occupation des logements. En France la sur-occupation a drastiquement baissé depuis quatre décennies. Toutefois en 2018, plus de quatre millions de personnes modestes sont toujours considérées comme vivant en situation de surpeuplement, et 934 000 en surpeuplement accentué (Fondation Abbé Pierre, 2018). La notion de mal-logement, qui couvre un spectre bien plus large que la sur-occupation, peut également

44 En effet, à marché donné, une dépense de logement peut être considérée comme le reflet d’une

être entendue en termes de pauvreté absolue, car la mesure du mal-logement compare la situation de la population à un standard souhaité. La question de la sur-occupation se pose toujours de manière aigüe dans de nombreux pays. On trouve ainsi des études sur les inégalités de logement en Chine (Zhang et Chen, 2014) ou en Roumanie (Soaita, 2014). Soaita (2014) traite ainsi du clivage entre les maisons récentes et les anciens appartements de la période communiste, et constate une consommation de pièces par personne très inégale dans un pays où, d’après les standards nationaux, 46 % de la population vit en situation de sur-occupation. La troisième approche s’intéresse au lien entre logement et inégalités dans un sens plus général, en particulier les inégalités financières. Une partie des travaux aborde cette question des inégalités du point de vue des politiques économiques, et notamment les effets sur les inégalités de revenus des loyers imputés (Lerman et Lerman, 1986 ; Saunders et Siminski, 2005 ; Driant et Jacquot, 2005) ; questionnant ainsi les politiques publiques, et notamment l’impact redistributif des aides au logement (Fack, 2005 ; Heylen et Haffner, 2012). Enfin le logement est un actif susceptible de renforcer les inégalités de patrimoine (Hamnett, 1991) et les inégalités économiques (patrimoine et revenu) en général (Benton et al., 2017).

Comme indiqué précédemment, nous nous intéressons plus précisément dans la suite de cette revue aux travaux du premier type portant sur les inégalités de consommation de logement. 2.2.1 Travaux britanniques

L’article fondateur traitant des inégalités de consommation de logement est celui de Robinson et al. (1985). Les auteurs étudient le marché du logement britannique sous l’angle des inégalités de logement, ce qui, précisent-ils, ne semble jamais avoir été fait. Du fait des distorsions massives que connaît le marché du logement, tant sur les prix que sur les loyers, il est difficile d’utiliser l’un de ces deux éléments en tant que mesure de la consommation de service logement. La mesure de consommation utilisée est donc la valeur imposable brute du logement (gross rateable value), qui est l’équivalent des valeurs locatives en France45. Leur mesure des inégalités s’appuie

principalement sur l’indice d’Atkinson et l’indice de Gini. L’indice d’Atkinson présente l’avantage à leurs yeux d’expliciter le paramètre (𝜖) d’aversion de la population aux inégalités, tandis que l’indice de Gini choisit implicitement une valeur à celui-ci (voir section 2.1.4).

45 Contrairement au cas français, ces valeurs sont estimées par des experts et sont censées être celles

auxquels correspondraient les loyers dans un marché libre (free market economy). Elles sont considérées comme étant assez fiables pour être incluses dans les enquêtes statistiques, notamment celle utilisée par les auteurs.

Plus récemment, Tunstall (2015) reprend les travaux de Robinson et al. (1985) et s’intéresse plus précisément aux inégalités de surface dans les logements en proposant un parallèle entre inégalités de consommation de logement et inégalités de revenus.

L’article de Tunstall offre une série d’arguments pour justifier ce travail. L’auteure considère qu’il est possible de parler de consommations relatives de logement (et donc d’étudier des inégalités), et plus seulement de consommations absolues. Elle s’appuie en cela sur une étude de la Commission européenne (Stephens et al., 2010) pour considérer que la “pauvreté logement” (housing poverty) est un concept relatif, tout comme la pauvreté monétaire (income poverty). De plus, elle remarque que des travaux britanniques récents (Bradshaw et al., 2008) mesurant de nouvelles échelles d’équivalence subjective pour le revenu définissent des standards en termes d’espace et donc implicitement l’existence d’une pauvreté relative.

Reprenant Dwyer (2009), elle souligne que la quantité de surface consommée est un élément majeur de la consommation de logement, et également un indicateur important du bien-être matériel. Elle défend l’idée que les inégalités de consommation de logement jouent un rôle dans la stratification sociale : « L’idée que les inégalités de consommation de logement jouent un rôle important dans la stratification sociale a en fait été l’une des principales justifications de l’importance du logement comme champ d’études (spécialement dans les sociétés qui avaient résolu les plus graves problèmes de santé associés à une faible consommation absolue de logement). »46 (Tunstall, 2015). L’argument de l’auteure pour pousser la comparaison avec le

niveau de revenu repose sur l’idée que les inégalités de logement sont susceptibles d’avoir des effets au niveau individuel et d’être impliquées dans la stratification sociale.

Outre distinguer les notions de faible consommation relative et absolue à la manière du revenu, elle introduit le seuil de 60 % de la médiane pour définir la pauvreté « surfacique » relative, reprenant ainsi les standards associés au revenu. Elle introduit le ratio interdécile et utilise l’indice de Gini comme mesure générale des « inégalités relatives de surface » (relative space inequality).

2.2.2 Autres cas étrangers

En Chine, les inégalités de consommation de logement ont fait l’objet de plusieurs travaux, nés des préoccupations propres au marché du logement chinois. En effet, ce dernier a connu différentes phases de privatisation au cours des grandes réformes des années 1990 : la première

46 « The idea that inequalities in housing consumption play an important role in social stratification has in fact been one of the principal justifications for the importance of housing as an area of study (especially in those societies which have overcome the worst health problems associated with low absolute consumption

pouvant être décrite comme une phase de test ainsi que la mise sur le marché de l’offre nouvellement construite (commodification), achetée par les entreprises ou « unités de travail » (danwei) qui redistribuaient ensuite les logements en location à leurs travailleurs. Dans un second temps la libéralisation s’est renforcée avec la création d’un marché secondaire, achevant la transition du marché du logement à partir de 1998 (Li et Yi, 2007). Les auteurs s’intéressent donc à l’impact de ces réformes sur les conditions d’habitation des individus, dans un système entre autres marqué par des conditions de citoyenneté et de résidences différentes au sein de la population en fonction du permis de travail territorial (système du hukou), qui se répercute sur l’accès au logement.

Logan et al. (1999) ne calculent pas d’indices d’inégalité, mais cherchent à expliquer par des régressions linéaires sur la surface des logements la présence de fortes inégalités, héritage des anciennes inégalités institutionnelles transposées en 1993 dans un marché du logement désormais ouvert.

Li (2012) analyse aussi les effets de l’ouverture du marché du logement chinois sur les inégalités de consommation. Il calcule pour chaque logement de son échantillon un niveau de service logement (il s’agit de la valeur imputée issue d’une régression hédonique) et calcule les indices de Gini et de Theil (qui par ses propriétés permet d’étudier simplement les inégalités inter- classes). Il constate que les inégalités augmentent dans le cas de Guangzhou entre 1996 et 2005, un peu moins lorsque seule la surface des logements est prise en compte pour estimer le service logement47. Huang et Jiang (2009) étudient les inégalités de consommation de logement à Pékin

en calculant l’indice de Theil sur l’espace habitable par personne, ainsi qu’une échelle de qualité du logement (facility index) indiquant la présence d’une salle de bain ou d’une cuisine privative, de l’eau courante et de la cuisine au gaz. Ils constatent une augmentation des inégalités tant inter- que intra-groupes. Tan et al. (2016) travaillent à l’échelle de la Chine urbaine entre 1989 et 2011 et appliquent l’indice de Gini sur la surface des logements et la valeur de ceux-ci. Ils concluent à une hausse légère des inégalités de surface et une baisse puis une remontée des inégalités de patrimoine de logement48. De plus, une méthodologie permettant d’étudier les

effets de chaque variable explicative sur l’indice de Gini par l’intermédiaire de régressions quantiles est mise en place. Zhang et Chen (2014) mesurent l’évolution de la surpopulation à

47 Ce qui plaiderait pour considérer que le calcul des inégalités de consommation de logement uniquement

par l’intermédiaire du confort surfacique constitue une sous-estimation des inégalités de consommation.

48 Il s’agit de la valeur de marché déclarée du logement pour les propriétaires occupant. Pour les locataires

celle-ci a été fixée à 0, ce qui ne va pas sans créer des problèmes méthodologiques lors de la mesure des inégalités de « richesse logement » (housing wealth).

Shanghai au cours de la décennie 2000, et utilisent le terme de « pauvreté logement » (housing poverty). Ils calculent également des indices de Gini de la surface habitable par personne. Landis et al. (2002) sont une des rares applications américaines. La mesure des inégalités de logement se fait à l’aide de coefficients de Gini portant sur les valeurs d’achat, les dépenses de logement, et les loyers. Leur objectif est d’identifier les particularités des marchés du logement de villes abritant la “New Economy”. Dwyer (2009) traite également des inégalités de consommation de logement aux États-Unis, avec un angle plus proche du nôtre. Son approche sociologique vise à étudier, à travers le cas du logement, le rôle de la consommation dans les processus de stratification sociale. La dimension privilégiée par l’auteur est la surface des logements, qui a très fortement augmenté au cours des années 1980 et 1990.

En Australie, la question des inégalités a été abordée sous l’angle de housing mismatch. Cette notion recouvre l’idée qu’une inadéquation (mismatch) est apparue suite au déclin de la taille moyenne des ménages dans un parc constitué en partie par un large stock de logements « familiaux » (c’est-à-dire avec au moins trois chambres à coucher). Cette idée a reçu un tel écho qu’elle a suscité une série de documents de planification visant à corriger ce phénomène d’inadéquation. Cette notion a suscité un fort débat tant sur la réalité empirique du phénomène (Maher, 1995) que de son caractère idéologique (Batten, 1999). Nous reviendrons sur ce débat en discussion (section 6.3).

2.2.3 Les sources de la hausse britannique

Nous ne nous intéressons pas aux hausses des inégalités de logement dans le cas chinois compte tenu du contexte particulier d’ouverture du marché du logement ; contexte ayant justement motivé les nombreuses études sur le sujet. Ce cas est également spécifique dans la mesure où les questions de manque d’espace (et donc les problématiques de « pauvreté surfacique absolue ») sont beaucoup plus importantes. Le cas anglais ou londonien nous semble a priori plus proche de notre étude francilienne au vu de la proximité historique entre les deux marchés (métropole globale, forte tension sur les prix particulièrement depuis 2000, prévalence de la propriété occupante). Malgré les différences entre les deux cas (Bugeja-Bloch, 2013), les conclusions sur le cas anglais peuvent contribuer à éclairer la situation française.

De fait, les explications avancées à la hausse des inégalités sont peu nombreuses et peu explorées.

Robinson et al. (1985) constate que les inégalités de logement n’augmentent pas entre 1968 et 1978 au Royaume-Uni, voire baissent légèrement, malgré une hausse des inégalités de revenus. L’analyse montre que cet effet est principalement dû à un changement de répartition des différents statuts ainsi qu’au logement social, qui protège les locataires d’un changement de

conditions de logement face à des changements de revenus, contrairement aux statuts “de marché”, pour lesquels les inégalités de logement et de revenu augmentent.

Dans le cas de Tunstall (2015), son étude des inégalités relatives de pièces par personne sur la période 1911-2011 la conduit à constater une baisse des inégalités (corroborant ainsi les précédents résultats de Robinson et al.), puis une nouvelle hausse depuis les années 1980. Les inégalités augmentent surtout car les déciles les mieux dotés voient leur espace augmenter largement tandis que le premier décile continue de stagner à 1 pièce par personne.

L’auteure décrit trois facteurs susceptibles d’expliquer la baisse puis la remontée des inégalités d’espace disponible par personne. Les deux premiers consistent à remarquer que le fait même que des tailles de logements et de ménages différents existent est susceptible de créer des inégalités. Elle remarque au passage que les tailles des ménages ne sont pas des données exogènes, mais susceptibles d’être influencées par le stock de logements.49 Le troisième est quant

à lui le processus d’allocation en soi des ménages et des logements via les processus de marché ou administratifs dans le cas du logement social. Elle reprend ainsi un argument de Dorling (2014) qui considère que ce qui semble être un problème de déficit d’offre de logement est en réalité un problème de distribution du logement.

Face aux ruptures de tendances observées sur les inégalités, elle avance plusieurs explications possibles :

- la distribution des revenus étant devenue plus inégalitaire, il semble logique de considérer que celle-ci puissent se répercuter sur les consommations d’espace.

- l’offre de logement s’est portée depuis 1991 sur les grands logements : 73 % du solde de pièces en plus entre 1991 et 2001 est allé vers des maisons de sept pièces ou plus. Le même phénomène s’observe sur la période 2001-2011.

- la période correspond à une restriction de l’allocation bureaucratique des logements sociaux, qui favorisait l’égalité de conditions de confort surfacique, à l’issue de la mise en place du right- to-buy au cours des années 1980. De plus, avec la hausse des loyers des logements sociaux, des situations de surpopulation réapparaissent chez certains bailleurs.

Comme l’explique l’auteure, l’augmentation du confort surfacique par la construction de grands logements (notamment de maisons) est jugée comme étant l’une des avancées majeures de l’économie et de la politique sociale au XXème siècle. Cette baisse des faibles niveaux de

consommation absolue de logement, qui était l’objectif affiché des politiques du logement, s’est

accompagnée d’une baisse des faibles niveaux relatifs de consommation de logement durant une grande partie du siècle. Ce n’est plus le cas dans la dernière partie du XXème siècle, et un

compromis doit être trouvé entre augmentation de la consommation totale de logement et réduction des inégalités.

L’auteure dresse un parallèle entre l’espace habitable et les revenus, avec la redécouverte dans les années 1960 de la pauvreté (devenue relative), liée au constat de l’augmentation des inégalités et du fait que les plus pauvres n’ont pas profité des augmentations de richesse :

« Une analogie pourrait être faite avec l'inquiétude provoquée par la "redécouverte de la pauvreté" (pauvreté relative) survenue aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 1960 et 1970 (Harrington, 1962 ; Townsend, 1979), et l’évidence de l'inégalité croissante des revenus dans ces pays à partir des années 1980 (Atkinson, 1999 ; Hills et al., 2010). Comme dans le cas de la répartition des revenus, l'examen des tendances en matière de répartition de l'espace de logement révèle que les plus démunis n'ont même pas réalisé de gains absolus à la fin du XXe siècle (Piketty, 2014). »50 (Tunstall, 2015)

Johnston et al. (2016) reprennent les travaux de Tunstall pour s’intéresser plus particulièrement aux minorités ethniques, plus susceptibles d’être en situation de sur-occupation dans de petits logements. Leur travail sur la métropole londonienne en tension (Grand Londres) montre une densification de l’occupation. Les auteurs font l’hypothèse que ce phénomène a été une réponse à la hausse des prix de la décennie 2000, contribuant ainsi à l’augmentation des inégalités de confort surfacique.