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Le double effet des inégalités socio-économiques et de la progression dans le cycle de vie

forte hausse portée par la diffusion du logement individuel en accession

6.1 Le double effet des inégalités socio-économiques et de la progression dans le cycle de vie

Le point de départ ayant motivé ce travail repose sur le constat d’une hausse généralisée du confort surfacique depuis 1968, les logements étant de plus en plus grands alors que les ménages sont, eux, de plus en plus petits (Chapitre 1). Le premier résultat de notre travail est que malgré cette amélioration globale, les inégalités de confort surfacique augmentent, et ce bien au-delà

de ce que laissaient présager les évolutions respectives des ménages et des logements. Les inégalités spécifiquement dues à l’appariement entre ménages et logements sont donc présentes et augmentent dans le temps. Cette évolution est robuste à la fois à des spécifications alternatives du confort surfacique (en utilisant la surface au lien du nombre de pièces, ou le nombre de personnes du ménage ou les UCL radical au lieu des UCL), et au contrôle par les principales variables géographiques et sociodémographiques (âge, PCS et localisation).

L’âge est un facteur explicatif central des inégalités de confort surfacique. La prégnance du modèle d’évolution des tailles de ménages en cloche au cours du cycle de vie et des parcours résidentiels ascendants, comme définis en introduction de thèse, semble être le principal facteur explicatif des disparités observées. De fait, ces résultats font écho à la hausse constatée au chapitre précédent du confort surfacique chez les plus de 50 ans et de la décroissance de celui- ci pour les moins de 50 ans. L’effet cycle de vie jouerait donc à plein, notamment suite au départ des enfants du logement familial. L’accès à la propriété assure en outre un différentiel de confort surfacique important.

Une analyse par générations nous informe que les générations du baby-boom (1944-1953) bénéficient du parcours le plus privilégié au regard des générations précédentes et suivantes. De fait, en termes absolus les générations les plus récentes voient la taille moyenne de leur logement stagner, voire diminuer, à caractéristiques sociodémographiques équivalentes. En termes relatifs - c’est-à-dire en effaçant l’effet de l’augmentation de la taille des logements au fil du temps -, le contraste est encore plus frappant : au regard du confort surfacique moyen constaté dans le parc à un instant t, la génération des baby-boomers a connu le parcours le plus avantageux, avec une baisse marquée pour les générations récentes.

Cependant l’âge et l’année de naissance ne suffisent pas à eux seuls à expliquer la hausse des inégalités. La catégorie socioprofessionnelle apporte également un éclairage important. La forte hiérarchie entre les catégories sociales montre qu’en dépit d’une forte croissance du confort surfacique, les ouvriers, les employés et les inactifs sont cantonnés dans les plus petits logements. La stabilité de cette hiérarchie depuis 1968 (hors inactifs) pose la question du rôle du confort surfacique dans le statut social : considérant que les besoins minimums (tels que définis par l’Insee) sont satisfaits71, le surplus de confort que présentent structurellement les cadres et

les professions intellectuelles supérieures peut donc être associé à la recherche d’une position résidentielle valorisée. Le statut résidentiel étant par essence une position relative, la taille du

71 En Île-de-France le confort surfacique, défini en pièces par UCL, augmente de 41% entre 1968 et 2012. En

moyenne le confort surfacique des ménages passe de 1.23 en 1968 à 1.74 en 2012, alors qu’un confort surfacique de 1 représente la satisfaction des besoins définis par l’Insee.

logement semble donc continuer à faire partie intégrante de la définition de la position résidentielle72.

Les variables de localisation, que ce soit à l’échelle de la couronne, de la commune ou de l’IRIS, jouent de manière assez surprenante un rôle relativement faible. Lorsque la localisation est prise en compte, le déconfort des jeunes ménages (moins de trente ans) apparaît moins élevé qu’au niveau régional car ceux-ci vivent plus souvent dans les communes avec les logements les plus petits. Ce phénomène s’est renforcé au cours du temps et est particulièrement important depuis 2007. La localisation impacte peu les disparités entre PCS, et seule une baisse du déconfort des ménages inactifs lorsque la localisation est prise en compte est observée : les ménages inactifs sont donc en moyenne situés dans des communes ou le confort surfacique est plus faible. Les calculs incluant la localisation indiquent cependant que les PCS les moins favorisées habitent en moyenne dans des communes dans lesquelles le confort surfacique est le moins élevé.

Nous avons effectué une régression linéaire supplémentaire sur le nombre de pièces du logement à partir du croisement complet entre les variables d’âge, de commune, de PCS et de statut d’occupation. Le R² de la régression73 est d’environ 1/3. La relativement faible variance expliquée

au regard du nombre de paramètres (plus de 2 000) indique deux choses : à la maille communale, les espaces sont relativement mélangés en termes de tailles de logements. En outre, l’appariement entre ménages et logements, au-delà de l’influence non négligeable du cycle de vie et des déterminants socio-économiques, s’organise de manière relativement peu expliquée par les variables classiques. Cette part inexpliquée tient à la complexité et à la volatilité des appariements, et pourrait être éventuellement mieux captée par la prise en compte de variables liées à la biographie, aux préférences, aux parcours résidentiels, ou encore décrivant les finances du ménage.

L’indépendance relative des effets des variables sociodémographiques et de localisation sur le confort surfacique est vraisemblablement due au fait que l’Île-de-France présente beaucoup d’espaces globalement mixtes en termes sociodémographiques (âge, composition du ménage et PCS), faisant écho à la prévalence des espaces moyens-mélangés en Île-de-France selon la classification de Préteceille (Préteceille, 2003).

72 Des calculs sur les enquêtes Logement à partir des quintiles de revenus indiquent également une claire

et stable hiérarchie entre les conforts surfaciques des différents niveaux de revenu, renforçant la permanence d’un lien entre confort surfacique et statut social (et pouvoir d’achat).

Les disparités de confort surfacique semblent répondre principalement à une double logique, celle des inégalités socio-économiques et celle de la conduite du cycle de vie, et dans une moindre mesure à une logique générationnelle. La difficulté de caractérisation des inégalités de confort surfacique tient à nos yeux à la coexistence de ces deux premières dimensions.

La dimension des inégalités socio-économiques est due aux inégalités de revenus et de statut social : le logement est un bien de consommation qui peut devenir distinctif. La dimension du cycle de vie tient à la prééminence d’un modèle résidentiel dans lequel les individus adaptent, quand ils le peuvent, la taille de leur logement aux besoins de leur ménage, puis n’ajustent pas à la baisse leur consommation de logement lorsque le ménage diminue en taille. Les inégalités décrites sur cette dimension sont d’une autre nature que les précédentes et semblent tenir à la logique interne du parcours résidentiel. Dans ce cadre d’analyse, les inégalités constatées entre les statuts d’occupation relèvent d’ailleurs de ces deux dimensions : devenir propriétaire est socialement discriminant tout en étant un marqueur de l’avancée dans le parcours résidentiel. Ces différents résultats semblent militer pour le développement d’un modèle d’occupation des logements et d’un rapport à la taille des logements façonné par le cycle de vie (Figure 2.25). D’après le modèle suivi par la génération du baby-boom, les ménages suivent un parcours moyen relativement balisé, avec en début de cycle de vie un petit ménage dans un petit logement (A), puis une augmentation de la taille du logement en même temps que celle du ménage (C), et enfin avec l’avancée en âge une baisse de la taille du ménage tandis que le logement reste de même taille (D). Le passage de A à C se fait donc par une diagonale assurant un confort surfacique constant, et il semblerait que les positions intermédiaires dans lesquelles les ménages grossissent dans des logements trop petits (B) soient, en dehors des ménages les plus contraints, peu répandues. Il y a donc en moyenne une forte adaptation de la part des ménages, voire une anticipation.

Figure 2.25 - Parcours moyen constaté

P ièces 6 D C 5 4 3 B 2 1 A 1 2 3 4 5 6 Occupants

Lecture : le code couleur est fixé en fonction de la valeur du ratio 𝑃𝑖è𝑐𝑒𝑠 𝑃𝑒𝑟𝑠𝑜𝑛𝑛𝑒 Source : réalisation de l’auteur

La projection des parcours résidentiels moyens de quelques générations sur le même modèle (Figure 2.26), confirme que les trajectoires passent en moyenne par cette diagonale de confort constant.

Figure 2.26 – Projection des tailles moyennes des logements (Pièces) et des ménages (UCL) aux différents âges d’une sélection de cohortes.

Champ : ménages ordinaires, Île-de-France

Source : recensements de la population 1968-2012, Insee ; calculs et réalisation de l’auteur