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Quel lien avec les politiques publiques ? Vieillesse et crise du logement

forte hausse portée par la diffusion du logement individuel en accession

6.3 Quel lien avec les politiques publiques ? Vieillesse et crise du logement

Deux thématiques de politiques publiques émergent de notre travail. La première considère que la crise du logement n’est pas une crise de l’offre mais plutôt une crise de l’appariement. Le deuxième angle de discussion est celui du vieillissement sur-place de la population.

Les tensions des années 2000 sur les marchés du logement des grandes métropoles ont conduit à accroître la sur-occupation des populations les plus fragiles : les migrants à Shanghai (Zhang et Chen, 2014), ou les minorités à Londres (Johnston et al., 2016). Notre recherche sur le cas francilien montre que la question de « l’inconfort surfacique » est toujours prégnante, et que la hausse moyenne du confort surfacique ne doit pas cacher l’accroissement des disparités : ce sont en effet les petits ménages âgés qui captent la plus forte part de cette hausse. À l’opposée, les ménages familiaux, en début ou milieu de cycle de vie, n’ont pas particulièrement vus leurs conditions d’habitation s’améliorer depuis les années 1990. Nous obtenons des résultats ainsi similaires à ceux de Tunstall (2015) au Royaume-Uni, observant que le confort surfacique s’améliore jusqu’à la fin des années 1980 pour toutes les classes de population, tandis que depuis 1991 seuls les mieux logés voient leur confort surfacique augmenter fortement ; et ce alors que le premier décile de la distribution de confort surfacique stagne à une pièce par personne.

Une première question est de savoir si cette hausse des inégalités est liée à une offre inadaptée, avec en particulier une construction trop élevée de grandes maisons. Nos résultats tendent à infirmer cette hypothèse dans le cas francilien, comme le montre la stabilité de l’indice min (capturant les inégalités de « structure » liées aux inadéquations entre taille des logements et taille des ménages) sur les dernières décennies. Nous rejoignons ainsi les résultats de Holmans (2005) dans le cas britannique, qui s’il argumente que la construction de grandes maisons est la cause de l’augmentation des inégalités et non la solution à celles-ci, met en avant pour cela le jeu des appariements : ce sont les ménages les plus aisés et non pas les plus grands ménages qui

ont bénéficié de l’augmentation de la taille des logements. L’accroissement des inégalités de confort surfacique découlerait donc plus de l’accroissement des inégalités de revenus et des appariements qui en découlent, que de l’offre en tant que telle. Dorling (2015) tient une position similaire en imputant la crise du logement non à une sous-construction, mais aux inégalités de répartition.

Si la question des appariements joue ainsi un rôle important dans l’accroissement des inégalités de confort surfacique, son traitement par les politiques publiques est délicat. Face au vieillissement d’une partie croissante de la population dans de grands logements il pourrait être tentant de considérer qu’une plus grande mobilité résidentielle des personnes âgées pourrait être une solution pour fluidifier le parc, les ménages les plus âgés concentrant les plus forts taux de sous-occupation.

Cependant, comme nous l’avons souligné précédemment, si l’espace en fin de cycle de vie devient superflu, l’attachement au lieu, l’habitude du confort surfacique, et les coûts psychologiques et financiers d’un déménagement concourent à ne pas réduire sa consommation de logement (Laferrère, 2008 ; Berger et al., 2010). De plus, les personnes âgées retraitées perçoivent un besoin d’espace supplémentaire, et en particulier formulent le besoin d’une pièce en plus, notamment pour recevoir des proches ou des amis (ONPES, 2015). L’espace n’a donc pas forcément la même valeur en fonction de l’expérience résidentielle passée. Une personne âgée isolée ayant passé la majeure partie de sa vie dans un grand logement ne verra pas de la même façon la vie en deux-pièces qu’un jeune actif sans enfant. De même, les pratiques de l’habitat ne seront pas les mêmes étant donné qu’au passage à la retraite, les individus sont amenés à passer plus de temps dans leur logement (Ricroch et Roumier, 2011)74, contribuant ainsi à une demande

de confort surfacique élevée (Gobillon et Wolff, 2011).

En outre, le précédent australien du « mismatch debate » offre un regard intéressant sur la question de la mauvaise allocation des logements. Cette controverse est née au cours des années 1990 suite à l’inscription du constat d’une inadéquation entre taille des ménages et taille des logements dans les documents de planification de la politique du logement australienne. Les cibles toutes trouvées de cette mauvaise « allocation » des logements sont alors les personnes âgées vivant seules dans leur grand logement familial (Maher, 1995), ce qui entraîne une

74 Une estimation calculée sur les tableaux fournis dans la publication de Ricroch et Roumier (2011) pour

l’Insee, présentant les résultats de l’enquête Emploi du Temps 2009-2010, nous indique une présence éveillée à domicile près de 50% plus élevée pour les retraités que pour les salariés (en moyenne 7h45 pour les hommes et 8h34 pour les femmes salariés, contre 11h34 pour les hommes et 11h57 pour les femmes retraités). L’estimation est issue de la somme des postes Temps physiologique (hors Sommeil), Temps domestique, Télévision, Lecture et Jeux, internet.

culpabilisation de ces dernières dans les documents traitant de la planification urbaine, même si elles sont également présentées comme victimes (Batten, 1999).

Les contempteurs de l’hypothèse du mismatch critiquent une vision simpliste et comptable basée sur une supposée « allocation ». Maher (1995) rappelle que l’inadéquation n’est pas une faille du marché du logement et répond à des processus difficilement contrôlables. Selon lui le marché du logement australien fonctionne correctement et si les personnes âgées vieillissent dans leur logement c’est parce qu’elles ont de bonnes raisons de le faire. La problématisation du mismatch occulte donc les véritables déterminants de la situation : celle-ci n’est pas due à un mauvais fonctionnement du marché ou une mauvaise information des agents opérant sur celui- ci (notamment les ménages âgés), mais à des pratiques socialement répandues, dont les ménages eux-mêmes se revendiquent (l’attachement aux lieux, les coûts psychologiques et financiers de transaction, l’espace pour accueillir des proches, etc.). Batten (1999) critique plus frontalement l’idée même d’une inadéquation entre taille des ménages et taille des logements. Il dénonce la construction idéologique de l’idée que les ménages doivent être logés dans des logements adaptés à leur taille, démontrant selon lui la faiblesse conceptuelle de l’argument du mismatch. La notion d’inadéquation lui semble inspirée par une certaine idée du marché, qui permettrait d’ajuster optimalement une offre et une demande à travers un processus d’allocation. Une mauvaise allocation signifie donc un gaspillage de la « ressource logement ». Il note que des standards de sous-occupation ont été développés uniquement en Australie, au contraire du Canada qui inspire pourtant les documents de planification, et pointe la perversité de l’idée d’un standard prenant en compte une « sur-consommation » alors qu’un standard est défini par la littérature comme « un critère établi ou un niveau d’excellence reconnu, utilisé pour caractériser une réussite »75 (Baer (1976), cité par Batten (1999)).

Ce précédent australien et les critiques qu’a soulevé l’hypothèse d’une mauvaise allocation des ménages et des logements nous invitent donc à considérer avec précaution toute tentative visant à inciter les personnes âgées, qui détiennent également en Île-de-France la plupart du surplus de surface habitable mesuré dans ce chapitre, à déménager car elles occuperaient de trop grands logements.

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Conclusion

Ce chapitre s’inscrit, comme le précédent, dans une perspective d’analyse des évolutions du couple ménage-logement, avec pour objectif de quantifier les inégalités de confort surfacique,

leur évolution, ainsi que la façon dont celles-ci se déclinent selon les variables sociodémographiques. Il met en jeu à cette fin une méthodologie originale de mesure des inégalités, adaptée aux spécificités du logement. Nous associons dans un second temps les indices d’inégalités calculés à des régressions afin de contrôler les corrélations entre les différentes variables explicatives et confirmer les résultats obtenus.

Bien que les quatre dernières décennies aient été les témoins d’une forte hausse du confort surfacique au sein de la population, nous constatons que cette hausse du confort s’est accompagnée d’une augmentation des inégalités. Ces inégalités se déclinent selon trois dimensions principales : l’effet cycle de vie, l’effet socio-économique et dans une moindre mesure, l’effet de génération.

L’effet de cycle de vie est le principal contributeur aux inégalités de confort surfacique entre ménages, à travers la variable d’âge de la personne de référence. Les ménages les plus âgés sont en effet en moyenne petits et vivent dans de grands logements (souvent en propriété). Le vieillissement de la population et la taille croissante des logements semblent ainsi présager une hausse des inégalités dans les décennies à venir.

Sous l’angle socio-économique, les inégalités sont étonnamment stables. Alors que l’on aurait pu s’attendre à une baisse des inégalités si le confort surfacique était un élément de consommation de première nécessité, cette stabilité semble témoigner au contraire de la permanence du confort surfacique en tant qu’élément de la position résidentielle. Le confort surfacique, une fois les besoins minimums en espace satisfaits, semble donc bien être un enjeu de statut social.

Enfin, concernant l’effet générationnel, les inégalités sont cette fois en nette augmentation : en tenant compte de la hausse de la taille des logements au cours du temps, les générations du baby-boom ont connu un parcours résidentiel de référence, au regard duquel les générations suivantes sont moins privilégiées (relativement aux standards de confort surfacique auxquels chaque génération a fait face).

Ce chapitre amène de nouveaux arguments à l’idée que la crise du logement doit être vue non pas comme un problème d’offre mais comme un problème d’appariement. Son traitement par les politiques publiques est délicat car le modèle résidentiel français (basé sur une accession à la propriété lors de la trentaine puis le vieillissement dans un grand logement familial) que ce chapitre participe à décrire est un modèle socialement partagé.

De futurs travaux pourraient pousser plus avant le lien entre confort surfacique et consommation de logement. Ces dernières pourraient être construites par modélisation hédonique, permettant de synthétiser les différentes dimensions de la position résidentielle

(taille, localisation, qualité) à travers une seule grandeur. Les inégalités de consommation pourraient être alors étudiées selon la méthodologie développée dans ce chapitre76. Une autre

piste de réflexion est celle d’une approche multidimensionnelle, permettant par exemple de mettre en regard les inégalités de confort surfacique avec les inégalités de localisation.

Dans cette optique il serait possible de mobiliser d’autres sources de données, issues de bases administratives ou à visée spécifique. La base Filocom permettrait ainsi de disposer à la fois d’une maille de localisation fine (la parcelle) mais aussi des informations sur la composition du ménage et les tranches de revenus. Les bases BIEN et DVF fournissent quant à elles les prix nécessaires à la construction d’un indice hédonique. Cependant ce type de données, au-delà de leur manque de variables sociodémographiques, couvrent surtout des périodes récentes, tandis que notre parti-pris méthodologique a été de privilégier la profondeur historique. À cet égard, tout comme au chapitre 1, l’Échantillon démographique permanent de l’Insee permettrait de préserver une approche sur plusieurs décennies tout en mesurant, grâce à une approche longitudinale, le chaînage des positions résidentielles.

76 La question des aménités endogènes serait alors un point à traiter, car le niveau de consommation de

Chapitre 3 - les évolutions du coût du logement