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Soutien des produits agricoles de qualité

INTRODUCTION DU CHAPITRE IV

1. RENFORCEMENT DE LA DIMENSION TERRITORIALE DANS LA REGULATION SECTORIELLE

1.1 Le territoire comme élément de renouvellement de l’utilisation des ressources

1.1.1 Soutien des produits agricoles de qualité

L’internationalisation et la libéralisation des échanges ont mené à une concurrence accrue sur les marchés agricoles. C’est le cas du moins pour les produits génériques, peu différenciés, caractérisés par un faible lien avec la consommation finale, fortement dépendants de la grande distribution et des industries agro-alimentaires, avec des prix de marché tirés à la baisse et une régulation sectorielle essentiellement nationale et internationale (Mollard, 2003 ; Olivier, Wallet, 2005). Jessop (2002) envisage dans la période post-fordiste un régime d’accumulation basé non plus sur des économies d’échelle mais sur une diversification des produits et sur une importance accrue de la dimension cognitive et subjective des produits. Dans cette optique, la qualité de produits alimentaires diversifiés est avancée comme un moyen de promotion de ce nouveau régime post-fordiste, permettant de restaurer la valeur ajoutée des produits agricoles (Renting et al., 2003). Liée au changement des habitudes des consommateurs (Marsden, 1998), la qualité apparaît à présent comme un vecteur important des formes de concurrence (Allaire, Boyer, 1995).

L’importance accordée au soutien à la qualité ressort nettement dans les objectifs et les discours des acteurs régionaux interrogés, qui semblent évoluer « du produire plus au produire mieux » (Berriet-Solliec, 2006, p.11). Mais, dans ces discours et dans les politiques mises en œuvre146, deux conceptions se distinguent clairement. La première repose sur une valorisation des ressources spécifiques du territoire. La seconde repose sur le développement de propriétés fonctionnelles des produits (grâce à des innovations technologiques particulières) (Allaire, 2002).

Soutien de la qualité « territoriale »

Dans la première conception, le territoire apparaît comme le support privilégié de la dynamique productive, l’objectif étant de resocialiser, de re-spatialiser les produits alimentaires et de rapprocher le consommateur du producteur (Renting et al., 2003). Le territoire est d’abord considéré comme un pool de ressources spécifiques (Colletis-Wahl, Pecqueur, 2001), définies par leur lien à un processus de production donné, à un « génie du lieu » (Colletis, Pecqueur, 2005). Ces ressources spécifiques confèrent une valeur ajoutée forte aux produits et un avantage collectif aux producteurs locaux, non plus dans une gamme

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Les soutiens à la qualité se retrouvent dans le levier défini dans le chapitre 3 (cf. § 1.1) de « compétitivité par la qualité et la transformation et commercialisation des produits agricoles », sans qu’il y ait recoupement exact.

ordinale de productivité comparée selon les coûts de production, mais selon des stratégies productives radicalement différentes. Dans un contexte où la maîtrise des coûts ne suffit plus comme avantage concurrentiel, ces ressources, peu imitables, peu substituables, peu transférables, fournissent un moyen d’échapper à la concurrence en créant un « effet-territoire » (Berriet-Solliec, 1999). Celui-ci débouche sur une rente territoriale, issue d’un différentiel de prix du fait de préférences des consommateurs pour les attributs d’un territoire donné. Ces ressources spécifiques peuvent être soit intrinsèques à un territoire (c’est le cas des attributs environnementaux) soit construites dans le territoire, issues des interactions sociales en son sein (Mollard, 2003 ; Van der Ploeg et al., 2000) : il peut s’agir alors d’une identité territoriale forte issue de caractéristiques historiques et culturelles particulières (Berriet-Solliec, 1999 ; Bérard et al., 2005) ou encore d’un savoir-faire, de transferts de connaissances particuliers au niveau local (Amin, Thrift, 1993 ; Scott, Storper, 2003 ; Cooke, Morgan, 1998). La dimension territoriale se retrouve également dans la promotion de pratiques respectueuses de l’environnement et/ou rattachées à l’idée de proximité et d’artisanat (exemple de produits fermiers) qui favorisent une insertion de l’exploitation dans son espace proche. Dans tous les cas, cet « effet-territoire » se trouve valorisé par le biais de signes de qualité ou par l’affichage d’une appartenance à une dimension locale particulière.

La région Rhône-Alpes et ses espaces infrarégionaux bénéficient d’une identité territoriale forte. En comparaison des autres régions que nous avons enquêtées, l’agriculture y est composée de petites exploitations faiblement productives en travail, pour la plupart en zones défavorisées, dégageant un faible revenu et recevant peu d’aides 1er pilier par actif agricole. Elles sont souvent orientées vers des productions avec signe de qualité (cf. annexe 8). Dans ce contexte, la collectivité régionale soutient avant tout les labels et Appellations d’Origine Contrôlée, qui reposent sur de petits espaces à forte identité, des savoir-faire et des coordinations particulières entre acteurs locaux et des exigences fortes en matière de pratiques agricoles. C’est le sens des Programmes Intégrés de Développement Agricole de Rhône-Alpes, soutenant des agriculteurs et structures collectives diverses dans le cadre de programmes d'actions coordonnées dans une filière implantée dans un espace infrarégional (de la production à la transformation et la mise en marché). Ces aides représentent près de 8 % du budget agricole régional (cf. annexe 7).

De la même façon, certaines aides bavaroises et hessoises visent spécifiquement des produits biologiques ou identifiés à un petit espace. En Bavière notamment, une politique de type « consommons ce que nous produisons dans la région » est mise en œuvre autour d’une marque régionale, Qualité Bavaroise Approuvée (Geprüfte Qualität Bayern), et autour de marques plus locales par l’intermédiaire de petites coopératives. Par ailleurs, ces deux Länder soutiennent, davantage que dans les autres Régions où nous avons mené nos enquêtes, l’agriculture biologique, considérée autant comme une production respectueuse de

l’environnement que comme un avantage économique pour se démarquer sur les marchés supra-régionaux (IFLS, 2006). Ces soutiens représentent 5,2 % (Hesse) et 2,6 % (Bavière) du budget agricole régional, contre 1,9 % en Ecosse et moins de 1% dans les régions françaises enquêtées (cf. annexe 8). Il faut cependant noter que dans certaines régions françaises, si les budgets alloués restent faibles, des actions innovantes se mettent en place, comme le financement par les conseils régionaux de repas bio (Smith C., 2006, « La restauration collective en bio », l’Ecologiste, n° 19, p. 64-65).

Enfin, si l’Angleterre, focalisée sur la valorisation des externalités environnementales, finance peu d’aides à la qualité147, les Regional Development Agencies s’orientent davantage vers ce second type de soutiens. Bien qu’il n’ait pas été possible de disposer d’un budget détaillé, les objectifs et soutiens indiqués dans les documents de la Regional Development Agency du Nord-Est concernent en premier lieu la qualité par la différenciation territoriale et le développement de la vente directe. Ainsi, la Regional Development Agency du Nord-Est se coordonne avec le North East land link (agence chargée de services environnementaux et sociaux dans le périurbain) pour tenter de mettre en place des contrats avec les écoles pour fournir les cantines en produits alimentaires locaux.

Pour ces Régions européennes, l’objectif des politiques agricoles n’est plus de favoriser une compétitivité de produits indifférenciés sur les marchés internationaux par une diminution des coûts de production, mais de favoriser une compétitivité par la reproduction et l’insertion des exploitations dans et par le territoire. Cette stratégie s’accompagne également du développement de débouchés régionaux par le soutien des circuits de commercialisations courts et de la vente directe : en Rhône-Alpes par exemple, le fonds régional d'intervention stratégique finance des entreprises agro-alimentaires de moins de 250 salariés, engagées dans une valorisation des produits agricoles régionaux. Face à la hausse des marges des industries aval au détriment de celles des producteurs, il s’agit de restaurer les marges des producteurs et d’étendre leurs parts de marchés par le développement de la consommation régionale (Marangon, 1996 ; Lowe, Ward, 1998). Plus largement, il s’agit aussi de mieux insérer le développement agricole dans le développement rural et régional, en renforçant le lien entre agriculteurs et consommateurs locaux.

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Seuls 10 % de la part du budget prévu sur 2000-2006 sont consacrés au levier de « compétitivité par la qualité et la transformation et commercialisation des produits agricoles ». D’autres aides relatives à cette logique transitent par des programmes hors 2nd pilier, les Agriculture Development Scheme du DEFRA et certains programmes de la Countryside Agency (Ward, 2002), mais elles n’ont pas pu être quantifiées.

Soutien de la qualité par le développement des propriétés fonctionnelles des produits

Les Pays-de-la-Loire mettent eux aussi en avant la nécessité de développer des soutiens à la qualité, qui représentent d’ailleurs une part non négligeable et croissante du budget agricole de la Région (cf. annexe 7). Mais cette dernière ne jouit pas, comme Rhône-Alpes, d’espaces locaux avec une identité territoriale forte ou avec des ressources naturelles particulières. Ses soutiens s’orientent davantage vers une qualité fondée sur le développement des propriétés fonctionnelles de produits industriels. Celle-ci est liée au cahier des charges et au soin particulier porté à la production, sans que soit développée la qualité d’image et d’origine construite par les acteurs et leur histoire, qui relève quant à elle de la « qualité territoriale » (Bérard et al., 2005). Les Pays-de-la-Loire soutiennent plutôt les exploitations et structures d’encadrement en matière de sécurité sanitaire et d’amélioration génétique. Ils cherchent à lier plus fortement les agriculteurs régionaux et les grandes industries agro-alimentaires de la région. Contrairement à Rhône-Alpes, qui joue sur des produits haut de gamme et très localisés, la Région Pays de la Loire s’appuie, dans sa politique de qualité, sur une production industrialisée et concentrée. C’est le cas de la filière laitière (Gaignette, Nieddu, 2000). La Région Alsace soutient quant à elle quelques filières spécifiques (houblon, fruits et légumes, maraîchage, tabac) en matière de recherche de nouvelles variétés et de traçabilité. De même qu’en Pays-de-Loire et en Alsace, l’Ecosse finance de façon large les structures aval de transformation et de commercialisation, sans qu’elles soient nécessairement limitées en taille ou liées à un signe de qualité ou un circuit court de commercialisation.

Dans un contexte régional où les productions reposant sur des ressources spécifiques sont très minoritaires, l’objectif est avant tout la restauration d’une compétitivité des exploitations agricoles et des structures agro-alimentaires sur les marchés nationaux et internationaux et beaucoup moins une compétitivité par la reproduction et l’insertion des exploitations dans le territoire. Cependant, en Alsace comme en Ecosse, on peut noter un effort significatif pour soutenir une qualité plus proche de la première conception, non pas par l’aide à des petites productions locales fortement identifiées et encadrées par un cahier des charges contraignant, mais, comme en Hesse ou en Bavière, par le développement d’une marque de qualité régionale (Alsace Qualité d’une part, Quality Meat Scotland d’autre part)

pour des produits transformés dans la région148. A ce propos, une agence écossaise,

indépendante du ministère britannique, a été créée pour encourager les agriculteurs, sous la forme d’une taxe réduite, à produire dans le cadre d’un cahier des charges spécifique.

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En Hesse et en Bavière, on retrouve en fait les deux approches, l’une fondée sur un développement de circuits et d’une marque régionaux, l’autre sur des circuits et marques de qualité portés par des espaces infrarégionaux.

Rôle des Régions dans le développement des produits agricoles de qualité

Au-delà de la distinction entre ces deux conceptions de la qualité, reste la question du rôle des collectivités régionales dans le développement de ce type de politique par rapport aux échelons nationaux et européens. Le modèle de qualité évoqué par Allaire (2002) n’est certainement pas une logique dominante et généralisée dans les politiques agricoles des Régions. Certes, dans quasiment tous les documents stratégiques des Régions, le terme de qualité apparaît de manière centrale. Mais les constats du chapitre 3 indiquent que les choix régionaux dans et hors cadre du 2nd pilier restent essentiellement orientés vers des logiques de diminution des coûts de production des exploitations et de valorisation des externalités environnementales. Cependant, les aides des Régions à la qualité se développent peu à peu. Ainsi, entre 2000 et 2002, l’analyse des budgets des conseils régionaux français montre une augmentation relative importante (+ 27 %) des dépenses en faveur des signes de qualité, de la promotion des productions locales et des investissements des unités en aval des exploitations agricoles (MAP, 2005a). Les entretiens menés auprès des collectivités régionales soumises à enquêtes confirment cette tendance sur les dernières années. Cette augmentation relative s’applique toutefois à des montants initiaux qui, nous l’avons vu, sont généralement faibles. La part des soutiens à la qualité « territoriale » reste marginale et varie fortement selon les régions que nous avons enquêtées : les logiques à l’œuvre s’étendent entre un soutien quasi exclusif aux ressources génériques dans une logique de compétitivité par les coûts de production et un soutien volontariste aux productions de qualité en lien avec les ressources spécifiques du territoire.

La diversité des logiques à l’œuvre paraît liée à la structure productive agricole et aux conditions agronomiques. Le soutien d’une qualité « territoriale » est d’abord le fait des régions (Rhône-Alpes, Bavière, Hesse et dans une moindre mesure l’Ecosse) caractérisées par les plus fortes parts en zones défavorisées, les plus faibles productivités du travail, les plus faibles revenus par actif agricole et, excepté l’Ecosse, les plus faibles montants d’aides 1er pilier par actif agricole et les plus petites tailles d’exploitations (cf. annexe 8, tableau 1). Ces régions agricoles qui ne peuvent suivre les exigences grandissantes de productivité dans une mise en concurrence de plus en plus forte des produits standard, n’ont pas d’autre alternative que de jouer une « carte territoriale » (Berriet-Solliec, 1999 ; Pecqueur, 2002). Elles peuvent le faire parce qu’elles-mêmes ou leurs espaces infrarégionaux bénéficient d’une identité territoriale forte. Dans le second cas, il s’agit d’agricultures régionales productives et restructurées (Schleswig-Holstein et dans une moindre mesure Alsace et Pays-de-la-Loire), où les soutiens à la qualité viennent compléter à la marge une stratégie de compétitivité sur les marchés supra-régionaux de produits non différenciés par leur appartenance à un territoire particulier. Ces régions sont fortes d’une agriculture encore compétitive sur les marchés d’alimentation de masse. Pour autant, elles n’échappent pas à la concurrence renforcée sur les

marchés, à la baisse continue du nombre d’actifs agricoles et aux dégâts sociaux et environnementaux causés par un mode de production intensif (cf. chapitre 1). Pour ces raisons, certains acteurs de ces régions plaident pour un développement des soutiens aux productions de qualité « territoriale » : ces discours, de même que le développement de certaines mesures allant dans ce sens (mais restant très marginales), laissent entrevoir une possibilité d’intervention plus marquée dans ce domaine.

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