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L’affirmation des Régions en matière de politiques agricoles

INTRODUCTION DU CHAPITRE II

3. POLITIQUES AGRICOLES ET REGIONS EUROPEENNES : AMPLEUR ET CARACTERISATION DE LEURS MARGES DE

3.2 L’affirmation des Régions en matière de politiques agricoles

3.2.1 Evolution des marges de manœuvre

Le renforcement des pouvoirs régionaux en matière agricole provient d’abord de l’évolution interne du dispositif communautaire lui-même. Les discours européens, depuis la publication du « livre vert » en 1985, ont explicitement mis en avant la nécessité d’un processus de décentralisation dans le domaine de la politique agricole, avant tout dans le cadre du 2nd pilier : « une plus grande décentralisation, notamment par le renforcement du deuxième pilier […] permettrait de mieux cibler les besoins locaux et de rapprocher la

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Ainsi, les Länder craignent toujours, dans le processus d’intégration européenne, d’être rabaissés au rang d’entités purement administratives, du fait du transfert de certaines de leurs compétences à l’Union Européenne et de leur absence dans les négociations européennes. Cependant, depuis 1992, elles participent davantage via le

Bundesrat (cf. annexe 7) à l’élaboration de la politique européenne, en ayant réussi à modifier la Constitution : si

d’autres droits de souveraineté devaient être transférés à l’Union Européenne, cela ne pourrait se faire qu’avec l’assentiment du Bundesrat (Ammon, Hartmeier, 1998). Enfin, les Länder peuvent être présents en tant qu’observateurs dans les négociations européennes pour veiller à ce que leurs intérêts soient bien pris en compte.

politique agricole des consommateurs » (Commission Européenne, 2002). Dans les faits, les positions des Etats-membres au sein du Conseil Européenne ont pu favoriser dans un premier temps des politiques agricoles centralisées. Mais le processus s'est inversé à partir des années 80, avec une nouvelle répartition des compétences en faveur principalement des Régions (Berriet-Solliec, Daucé, 2001 ; Perraud, Méchineau-Guichard, 2000).

Suite à la mise en place des premiers programmes pluriannuels de coordination des fonds socio-structurels en 1986, un zonage régional des aides agricoles et rurales a été mis en place dans les Etats-membres en retard de développement, puis dans tous les Etats-membres (Bonnet et al., 1996). Dans les années 90, les principes de cofinancement, de partenariat et de subsidiarité ont été étendus aux mesures agro-environnementales. Les programmes d’objectif 5b, le volet agricole des fonds structurels et aujourd’hui le 2nd pilier ont renforcé la diversification sub-nationale des politiques agricoles et introduit une participation des acteurs régionaux aux prises de décision (Perraud, 2001 ; Lowe et al., 2002). Désormais les politiques peuvent même dans certains Etats-membres être co-définies, co-mises en œuvre et cofinancées par les Régions. C’est le cas aujourd’hui des Régions italiennes, allemandes, belges, espagnoles et des nations britanniques.

Par contre, dans le cadre du 1er pilier, les marges de manoeuvre des collectivités régionales restent quasi nulles (cas des Régions françaises) ou se bornent à la mise en œuvre d’aides dont les mécanismes sont définis à une échelle supérieure (cas des Régions allemandes et des nations britanniques). Mais même si la régionalisation (au sens de prise en charge croissante de l’intervention publique par les collectivités régionales) reste marginale, une déclinaison infranationale des dispositifs s’est développée : la réforme de 1992 a institué une définition régionale des rendements de référence des paiements compensatoires (Perraud, 2001) et celle de 2003 a introduit la possibilité d’homogénéiser au niveau régional les paiements découplés à l’hectare86. Ceci a conduit le Royaume-Uni à déléguer aux Régions des marges de manœuvre réglementaires nouvelles dans l’application des mesures du 1er pilier. Tous les autres pays, y compris l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie dont les Régions disposent pourtant d’un pouvoir d’initiative important, ont finalement fait le choix d’un dispositif national unifié de mise en œuvre de la nouvelle réforme (Boinon et al., 2006).

Le renforcement des Régions dépend aussi des configurations politico-administratives héritées de l’histoire de l’Etat-membre et de sa volonté de régionaliser les politiques agricoles. Ainsi, la France et l’Angleterre ont pu choisir de favoriser avant tout la déconcentration de l’Etat national, au contraire de l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique. Enfin, les

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L’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni se sont ainsi emparés de cette possibilité pour une homogénéisation des paiements au niveau des régions (Boinon et al., 2006).

Régions elles-mêmes peuvent influencer la régionalisation, dite alors ascendante, car elle provient d’une volonté des instances régionales de s’affirmer sur des bases historiques et culturelles et d’acquérir des marges de manœuvre supplémentaires (Keating, 1997b ; Perraud, 2001).

Finalement, les Régions participent aujourd’hui davantage aux politiques agricoles par différents moyens : implication dans la définition des politiques supra-régionales, modulation de l’intensité et combinaison de différents cadres d’intervention et mesures, enfin définition de mesures propres et de cadres organisationnels spécifiques. Ainsi, des stratégies régionales de développement agricole peuvent être élaborées et peser sur l’évolution de la régulation agricole du pays, comme c’est le cas en Italie (Marangon, 1996). Mais surtout, il ressort de nos entretiens à la Commission Européenne que l’un des enjeux pour légitimer et maintenir des soutiens agricoles dans le contexte de crise de la PAC pourrait être l’intégration des aides agricoles dans les développements rural et régional87. Ceci serait favorisé par un renforcement parallèle de la régionalisation : celle-ci apparaît dans tous les cas comme un des nouveaux éléments à prendre en compte dans l’évolution des politiques agricoles au sein de l’Union Européenne et mérite d’être analysée en tant que tel.

3.2.2 Premier repérage des aides agricoles des Régions

Nous avons défini l’intervention publique agricole comme un ensemble de décisions, sous la forme de subventions, réglementations ou production effective de services, prises par les pouvoirs publics en vue d’orienter l’activité agricole dans un sens jugé souhaitable. L’étude plus spécifique des subventions représentera un axe central de notre étude. Nous appelons « aides agricoles » les concours budgétaires affectables au soutien du secteur agricole. Les « aides agricoles régionales » correspondent à celles dont le financement, l’élaboration et la mise en œuvre impliquent l’intervention des collectivités régionales. Elles excluent presque entièrement les soutiens aux marchés, de même que les aides de protection sociale et de solidarité dans le secteur agricole, qui relèvent toujours des initiatives communautaires ou nationales. Différents cadres de versement sont identifiables.

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C’est le résultat, en particulier, d’un entretien avec Isabelle Garzon, cabinet du Commissaire Européen au Commerce en 2004. Toutefois, une telle réorientation des soutiens agricoles n’est pas revendiquée par tous les Etats-membres (cf. chapitre 1), ni même souhaitée par tous les fonctionnaires de la Commission Européenne. De ce point de vue, il n’y a pas nécessairement convergence des discours entre la DG Commerce et la DG Agri.

Le cadre des politiques européennes

- Le 2nd pilier de la PAC : l’Etat-membre peut avoir choisi la collectivité régionale

comme autorité de gestion et comme niveau de programmation. Dans ce cas, celle-ci décide de la répartition du budget entre les différentes mesures, selon un Plan de Développement Rural régional approuvé par la Commission Européenne et répondant aux dispositions du RDR (proposé par la Commission Européenne et avalisé par le Conseil Européen). Si par contre c’est l’Etat-membre (déconcentré ou non) qui est autorité de gestion et niveau de programmation, la Région ne peut que cofinancer (à la marge) des mesures décidées par l’Etat-membre ;

- La politique régionale européenne : premièrement, l’Etat-membre peut avoir choisi

la collectivité régionale comme autorité de gestion et comme niveau de programmation du volet agricole des programmes d’objectifs 1 (et 2 en France), relevant du RDR88. Mais il peut également avoir choisi les échelons de l’Etat national déconcentré en région comme autorité de gestion et niveau de programmation. Dans ce cas, la collectivité régionale ne peut financer des mesures qu’en concertation avec l’Etat. Deuxièmement, la collectivité régionale joue un rôle plus ou moins important selon les Etats-membres et selon les Régions dans le montage et l’acceptation des projets Leader (cf. annexe 1), dont certains comportent un volet agricole et rural ; - La politique du 1er pilier de la PAC : dans un moindre mesure, certains

Etats-membres peuvent avoir aménagé quelques marges de manœuvre pour les Régions (cf. § précédent).

Dans les deux premiers cas, les cofinancements européens représentent 25 à 50 % des montants publics engagés (50 à 75 % dans les zones d’objectif 1) et les cofinancements des Etat-membres et/ou collectivités régionales 50 à 75 % (25 à 50 % dans les zones d’objectif 1). Les Etats-Membres et/ou collectivités régionales peuvent compléter ou remplacer les montants engagés par des financements nationaux et/ou régionaux hors cofinancement européen.

Le cadre des aides d’Etat89

- Les politiques des Etats-membres en partenariat avec les Régions : le

cofinancement provient alors des deux échelons ;

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Dans le cas des programmes d’objectif 1, il s’agit de toutes les mesures du RDR sauf celles dites d’accompagnement. Pour les programmes d’objectif 2 français, il s’agit uniquement des mesures a, g, j à v (ces mesures sont énumérées en annexe 1).

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Les aides d’Etat sont les aides agricoles financées par les Etats-membres et/ou leurs collectivités locales, hors cofinancement européen, accordées au titre d'activités liées à la production, à la transformation et à la commercialisation des produits agricoles.

- Les politiques spécifiquement régionales : le financement est alors uniquement

régional.

Dans les deux cas, les soutiens sont régis par la législation des Etats-membres90 et la législation européenne sur les aides d’Etat (article 87, paragraphes 2 et 3 du traité CE), qui interdit toute subvention susceptible d'interférer avec les mécanismes européens de soutien des prix. Ils doivent être notifiés par le biais d’une procédure auprès de l’Union Européenne91.

A l’intérieur de ces multiples cadres de financement, il nous faut délimiter ce que nous définissons comme « aides agricoles régionales ». Cette délimitation est reprise du travail de Berriet-Solliec (1999) sur les aides agricoles des collectivités locales françaises, qui les définit et les classe à partir de la nomenclature du ministère de l’agriculture français. Nous nous en inspirons tout en l’adaptant à l’ensemble des aides des Régions européennes. Nous considérons que les « aides agricoles régionales » peuvent être versées :

- directement aux agriculteurs en tant qu’acteurs économiques ;

- aux organismes d’encadrement de l’agriculture et aux groupes d’agriculteurs, dans la mesure où ceux-ci créent de la valeur ajoutée liée à l’activité agricole ;

- aux actions de promotion des produits agricoles et de soutien aux industries agro-alimentaires (de première transformation ou de négoce de produits agricoles) ;

- au titre du soutien économique du secteur agricole, mais dans une perspective plus large de développement rural intégré : ces aides peuvent concerner des bénéficiaires qui ne sont pas dans le secteur agricole.

Les aides des Régions à la forêt, à l’administration, à la recherche et à la formation initiale ne sont pas prises en compte, bien qu’elles apparaissent souvent au titre des dépenses agricoles. De même pour les aides au développement rural intégré, quand elles n’apparaissent pas dans un chapitre agricole.

Enfin, les Régions disposent d’autres marges de manœuvre, directes ou par le biais de leur influence dans certaines instances. Ces marges de manœuvre peuvent concerner les aides agricoles gérées par l’échelon national, de même que les règlementations relatives à la politique des structures et du foncier (cf. § suivant).

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En France par exemple, les interventions des conseils régionaux doivent respecter la réglementation des aides des collectivités locales aux entreprises (Berriet-Solliec et al., 2003).

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En vertu de l'article 93-3 du Traité, les Etats membres sont dans l'obligation de notifier tout projet d'aide particulière ou de régime d'aides afin de permettre à la Commission de procéder à son examen préalable ; le projet ne peut être mis en oeuvre avant que la Commission ait reconnu définitivement sa compatibilité avec le marché commun. La notification d’une aide exige de préciser le dispositif prévu et de le faire correspondre à la réglementation européenne.

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