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Ouverture des soutiens à des bénéficiaires non agricoles

INTRODUCTION DU CHAPITRE IV

2. DESECTORISATION DES POLITIQUES AGRICOLES

2.2 Ouverture des soutiens à des bénéficiaires non agricoles

2.2.1 Un contexte général favorable à l’ouverture des soutiens

Parallèlement au renouvellement du cadre organisationnel, l’intervention publique se veut moins segmentée par secteur, dans une approche dite de développement rural intégré. Elle vise à s’adresser aux acteurs du développement rural dans leur ensemble et non pas uniquement à ceux du monde agricole (Lowe, Ward, 1998). Les programmes de l’Union Européenne, en particulier les fonds structurels et l’objectif 5b, ont développé ce type d’intervention (Morata, Barua, 2000 ; Ward, Lowe, 2004). Qu’en est-il aujourd’hui de l’intervention des Régions européennes ? C’est un exercice très compliqué que de repérer et de quantifier des aides à l’activité agricole dans le cadre de mesures plus larges de développement rural. Ces aides sont difficiles à délimiter (Aubert et al., 2004)181, encore plus à une échelle européenne. Nous nous concentrons donc sur les mesures inscrites au chapitre agricole des budgets régionaux mais qui peuvent être versées à des activités et à des bénéficiaires hors secteur. Notons ici une limite importante de l’étude de cette dernière catégorie d’aides, puisque certaines d’entre elles, aujourd’hui comptabilisées hors chapitre agricole, ne sont pas prises en compte mais peuvent pourtant relever d’un processus de désectorisation des politiques agricoles.

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Cette situation est d’ores et déjà effective en Hesse et Schleswig-Holstein, dont beaucoup de projets de développement rural intégré, dans le cadre du 2nd pilier, n’intègrent pas les acteurs et activités agricoles.

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Les domaines distingués par Aubert et al. (2004) dans lesquels interviennent les collectivités locales en faveur du milieu rural concernent le développement de l’équipement, des services locaux, des activités artisanales, du tourisme rural, la préservation de l’environnement, des paysages et du patrimoine, et plus largement les programmes territoriaux (parcs naturels par exemple).

Les résultats du chapitre 3 ont mis en évidence la diversité des logiques que sous-tend cette ouverture des soutiens : logique d’intervention forte de l’Etat en faveur de l’ensemble des activités rurales dans des régions connaissant de fortes difficultés économiques, logique de compensation des effets négatifs d’un système de production agricole intensif, logique d’accompagnement d’une petite agriculture pluriactive. Le chapitre 3 nous a renseigné également sur l’ampleur de ces aides, via la part budgétaire du 2nd pilier consacrée à la diversification des économies et à l’amélioration des conditions de vie rurales182. Cette part apparaît relativement faible (13 % en moyenne), supérieure à 15 % dans seulement 10 régions, essentiellement dans la moitié Nord-Est de l’Allemagne. Seuls le Schleswig-Holstein et la Saxe consacrent plus de la moitié de leurs aides à ce levier d’action183.

Mais certains éléments du nouveau RDR laissent penser que ce levier pourrait être davantage mobilisé dans la période budgétaire à venir. Des pourcentages minimums sont imposés aux Etats-membres pour assurer des stratégies de développement rural plus équilibrées, dont 10 % pour l’axe « qualité de la vie en milieu rural et diversification de l’économie rurale » (axe 3) et 5 % pour les programmes Leader (axe 4). Certains pourront regretter la faiblesse du pourcentage minimum à respecter et lu peu de mesures qui poussent à la désectorisation (Dwyer, 2005). Les pourcentages minimums retenus par le Conseil Européen sont d’ailleurs plus faibles au final que ceux proposés initialement par la Commission Européenne. Cependant, le seuil de 10 % pour l’axe 3 conduit à un renforcement significatif de son poids budgétaire dans la plupart des pays. Seuls l’Allemagne et la Hollande avaient auparavant atteint ce taux (Dax, 2005). Pour tous les Etats-membres et Régions qui sont éloignés de ce seuil (en particulier en France, au Royaume-Uni, en Autriche, en Italie), il s’agira donc de réaliser un effort important de réorientation des soutiens hors du secteur. Pour autant, les pressions exercées par certains Etats-membres pour abaisser le pourcentage des aides à consacrer à l’axe 3 ne présagent pas d’un changement profond des logiques à l’œuvre. En Angleterre, en Ecosse ou en France, les axes 3 et 4 devraient être réduits au minimum imposé par le règlement. Ces mêmes axes sont appelés à être réduits dans les Länder allemands au profit de l’axe « compétitivité des secteurs agricole et forestier ».

Dans la même logique, il y aura désormais la possibilité de verser des paiements agro-environnementaux à des non agriculteurs184. Le gouvernement hessois prévoit ainsi d’ouvrir une majorité de ces paiements à d’ « autres exploitants de terres », en le justifiant par une

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Il s’agit des mesures j, n, o, s, t et v (cf. annexe 1).

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Parmi les autres régions d’enquêtes, ce levier représente environ 34% en Hesse, 22% en Bavière et 3% en Ecosse. En France et Angleterre, où le 2nd pilier n’est pas régionalisé, il représente respectivement 7 et 9%.

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Dans le nouveau RDR, il est précisé (ce qui est nouveau) : « Lorsque la réalisation des objectifs environnementaux le justifie, les paiements agro-environnementaux peuvent être accordés à d'autres gestionnaires de terres. »

régression des surfaces gérées par les agriculteurs. Les cadres nationaux évoluent également : le plan-cadre fédéral allemand, le GAK, dont les aides sont versées quasi exclusivement au monde agricole, évolue vers une prise en compte progressive de bénéficiaires non agricoles185.

2.2.2 Des observations de terrain qui contredisent l’ouverture des soutiens

Les Länder allemands ont développé, dans le cadre du RDR et du plan national du GAK, toute une série de mesures visant à la diversification des économies et l’amélioration

des conditions de vie rurales186. En la matière, les Länder, notamment du Sud, ont une

expérience datant de plusieurs dizaines d’années (précédant même la mise en place des programmes européens). Au Royaume-Uni, du fait en particulier des crises sanitaires qui ont touché les activités rurales non agricoles sans qu’elles puissent être indemnisées, les appels à une politique de développement rural intégré se sont faits plus pressants. Ainsi, de nombreux rapports nationaux (par exemple, le rapport Haskins et celui de la Policy Commission on the Future of Farming and Food [2002]) prônent la transition, dans le cadre du 2nd pilier, des aides à la production vers des aides à l’ensemble des activités rurales. Dans ce cadre, les Regional Development Agencies, de même que les counties, affichent clairement leur volonté d’ouvrir largement les aides du 2nd pilier à des bénéficiaires non agricoles dans le cadre des axes 3 et 4.

L’Ecosse et les Régions françaises mobilisent beaucoup moins ce type d’aides. Ainsi, dans la programmation écossaise du 2nd pilier sur 2000-2006, tous les soutiens de l’article 33 du RDR (concernant l’adaptation et le développement des zones rurales) sont versés aux activités du secteur agricole et agro-alimentaire (Ward, 2002), ceci malgré les annonces du gouvernement et les protestations de la part des partenaires environnementaux et du développement rural (Ward, Thompson, 2002 ; Crumière, 2003). Il faut cependant noter, dans le cadre du programme d’objectif 1 dans les Highlands and Islands, une plus grande ouverture des aides aux acteurs non agricoles (Ward, Thompson, 2002), et hors cadre européen le versement d’aides aux crofters qui ne visent pas spécifiquement la production agricole (mais aussi, par exemple, le logement). Par ailleurs certaines aides, notamment agro-environnementales, touchent les propriétaires de terres au sens large.

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C’est le cas par exemple des mesures de rénovation des villages et de restauration des bâtiments, qui ne doivent plus être obligatoirement agricoles.

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En Hesse, Bavière et Schleswig-Holstein, il s’agit de soutiens à la rénovation des villages, à l’amélioration des structures rurales, à l’aménagement des chemins ruraux, au développement régional incluant le tourisme, aux installations hydrauliques, à la production d’énergies renouvelables, à la protection des cours d’eaux, à la protection des côtes, aux investissements pour la diversification des activités agricoles et forestières.

Dans les régions françaises, presque aucune aide relevant du levier de diversification des économies et d’amélioration des conditions de vie rurales n’apparaît au chapitre agricole, hormis les soutiens aux « entreprises agrirurales innovantes » en Rhône-Alpes. Ce type d’aides se trouve plutôt dans des programmes gérés par d’autres services (comme certaines aides au tourisme en Pays-de-la-Loire pouvant être versées à des agriculteurs). Ces aides peuvent également être intégrées à des dispositifs plurisectoriels sur des territoires de projet, comme les Contrats Territoriaux Uniques en Pays-de-la-Loire et les Contrats de Développement Rhône-Alpes (cf. § suivant). De la même façon, le dispositif « trame verte » financé par le conseil régional d’Alsace intègre des acteurs du monde agricole et rural pour créer et/ou restaurer un maillage d’espaces naturels dans la plaine d’Alsace. Mais ces aides hors chapitre agricole restent marginales. De même, les conseils régionaux français, dans le cadres du RDR ou même du programme Leader+, financent avant tout des mesures exclusivement agricoles, alors que les mesures relevant du levier de « diversification des économies et d’amélioration des conditions de vie rurales » sont davantage soutenues par les autres collectivités locales (CNASEA, 2006).

Certes, une volonté s’exprime aujourd’hui dans les Régions pour développer des aides dites de développement rural intégré. Ainsi, les acteurs publics régionaux interrogés lors de nos enquêtes se sont dits, en général, conscients des évolutions du milieu rural et de la nécessité de renforcer les aides au développement rural intégré. Par exemple, les Pays-de-la-Loire ont comme projet des contrats de bassin-versant pour traiter sur cet espace l’ensemble des problèmes de l’eau liés aux différents secteurs. Mais très peu voire aucune d’entre elles touchent en réalité à la fois les agriculteurs et les non agriculteurs, dans une vision englobante du développement rural. Les aides du 2nd pilier restent très largement à destination du monde agricole187, les pouvoirs publics arguant des difficultés actuelles de l’agriculture et la nécessité de réponses à court terme (Ward, Lowe, 2004). En Hesse, les montants pour la rénovation des villages et le développement régional, en augmentation jusque dans les années 90 puis en stagnation, diminueront à partir de 2007 à hauteur de 10 ou 20 % du total de ces aides et seront concentrés dans certaines zones. Enfin, il faut noter que dans l’ensemble des régions soumises à enquêtes, les pluriactifs, qui sont autant de liens supplémentaires entre les activités agricoles et plus largement rurales (Van der Ploeg et al., 2000 ; Lowe, Ward, 1998), sont quasi absents des bénéficiaires des aides agricoles régionales, ceci malgré l’affichage des discours188.

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Par exemple, même en Hesse, 83 % des aides sur 2000-2004 du 2nd pilier ont été versées aux exploitations agricoles ou forestières (Grajewski, 2005). Plus encore, plus de 99 % des aides du 2nd pilier ont été versées à des agriculteurs ou forestiers en 2001 en Angleterre (Ward, Lowe, 2004).

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Le représentant du comité des régions, R.Savy, a ainsi estimé nécessaire « d’intégrer à cette approche [du

Une dernière interrogation porte sur l’insertion des agriculteurs dans ce type de mesures. En Schleswig-Holstein comme en Hesse, très peu d’agriculteurs sont en réalité concernés. En Hesse, seules les mesures réservant des parts budgétaires et des conditions particulières aux agriculteurs touchent ces derniers de façon significative : les aides à la rénovation des bâtiments (dont les bâtiments agricoles), au tourisme rural et, dans le prochain

programme 2nd pilier (2007-2013), aux énergies renouvelables. Pour autant, comme ces

programmes existent depuis longtemps dans les Länder allemands, les tensions entre mondes agricole et rural apparaissent moins vives que dans les autres régions d’enquêtes, où s’exprime une crainte du syndicalisme majoritaire de voir un transfert des aides à la production agricole vers d’autres activités. En France et en Angleterre, les professionnels agricoles redoutent une régionalisation du 2nd pilier qui pourrait amener à un renforcement des axes 3 et 4 au détriment des aides aux agriculteurs189.

Parallèlement, les acteurs du développement rural doivent faire face à un contexte de réduction budgétaire des fonds structurels européens et de disparition du zonage des programmes d’objectif 2, qui favorisait les zones rurales en difficulté. Le risque est grand désormais de voir ces fonds réorientés vers le développement des centres urbains. En Angleterre notamment, les Regional Development Agencies, en charge du futur volet socio-économique du 2nd pilier (axes 1, 3 et 4), apparaissent focalisées sur le développement urbain et les projets à grande échelle190. Dans ces conditions, les attentes des acteurs ruraux et du développement local se reportent de plus en plus sur le 2nd pilier de la PAC. Ainsi, les réductions budgétaires et la remise en cause des politiques antérieures mettent en concurrence les acteurs agricoles et ruraux et s’opposent à l’esprit de coopération que les conférences de Cork puis de Salzbourg ont appelé de leurs vœux. L’intégration de Leader dans le futur RDR illustre bien cette situation : si elle permet de mieux faire connaître et reconnaître le programme par d’autres acteurs, elle présente également le risque que certains projets soient utilisés à des fins de soutien agricole classique. De leur côté, les agriculteurs redoutent que l’intégration du dispositif Leader dans le RDR soit un moyen de transfert plus important des aides agricoles du 2nd pilier vers les autres activités rurales.

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C’est ce qui est souhaité notamment par les conseils régionaux français.

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A cet égard, la composition de la Regional Development Agency du Nord-Est est significative : seules 9 personnes sur 450 sont affectées aux affaires rurales. Par ailleurs, contrairement à la Countryside Agency nationale qui gérait jusqu’ici ce type de projets, les agences régionales sont peu habituées à gérer des projets à petite échelle en milieu rural

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