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Mécanismes d’adaptation de l’intervention aux demandes spécifiques locales

INTRODUCTION DU CHAPITRE IV

1. RENFORCEMENT DE LA DIMENSION TERRITORIALE DANS LA REGULATION SECTORIELLE

1.2 Le territoire comme élément de réponse à des besoins spécifiques locaux

1.2.1 Mécanismes d’adaptation de l’intervention aux demandes spécifiques locales

L’argument principal développé par l’économie publique locale en faveur de la décentralisation repose sur une information, et donc une adaptation plus importantes de l’intervention publique aux préférences locales (cf. annexe 3). Cet argument a été repris par les pouvoirs publics en faveur d’une décentralisation des politiques agricoles et rurales. Dans le rapport Haskins (2003), les politiques doivent mieux répondre aux besoins ruraux spécifiques à chaque espace local, en rupture avec une vision anglaise traditionnelle des zones rurales comme un seul et même espace (Lowe, Ward, 1998). De même, l’Association des Régions de France appelle à une régionalisation du 2nd pilier en 2007 qui « permettrait de définir une approche stratégique adaptée aux spécificités de chaque région »155.

Réponse à des demandes diversifiées en biens et services locaux marchands et non marchands

En encourageant le développement de la production en biens et services touristiques, récréatifs et environnementaux dans les exploitations agricoles, la décentralisation des politiques agricoles offre la possibilité d’une meilleure intégration des exploitations au développement rural et régional (Ward et al., 2003 ; Berriet-Solliec, 1999 ; Mollard, 2003). Dans cette optique, les collectivités régionales mettent en œuvre toute une palette d’aides pour encourager la production de services de proximité (Berriet-Solliec, 1999), en direction d’une population rurale et urbaine dont la demande finale pour ce type de services se développe (Marsden, 1995 ; Du Tertre et al., 2000). Or, contrairement aux produits de qualité (même différenciés territorialement), il n’existe pas de substituabilité possible de ce type de services par des produits extra-locaux, ce qui explique qu’en France, par exemple, leur prix soit en constante augmentation (Mollard, 2003).

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Nous ne développerons pas ici le cadre de l’économie des services qui a établi des grilles d’analyse spécifiques en la matière (Gadrey, 1996 ; Aznar, 2002a ; Labarthe, 2006) 156. Simplement, quelques éléments nous permettent de mieux comprendre les soutiens des Régions dans ce domaine. Tout d’abord, le service rendu doit relever d’une intention du producteur et d’une demande finale. Il peut être soit à usage privatif et nécessiter un coût d’entrée, soit à usage collectif, sans exclusion des bénéfices des produits. Si la production n’est pas intentionnelle parce qu’elle est couplée à une autre, il ne s’agit plus de service mais d’externalité (Aznar, 2002b).

L’analyse budgétaire des Régions soumises à enquêtes (cf. annexe 7) montre que l’intervention régionale se situe d’abord dans le champ des externalités. Elle incite notamment à la restriction des externalités négatives. Ainsi, les Pays-de-la-Loire, dont une grande superficie se trouve soumise à la directive nitrate, aide à hauteur de 30 % de son budget agricole la gestion des effluents d’élevage. L’encouragement des externalités positives constitue quant à elle une part importante des budgets des Régions qui gèrent le 2nd pilier et donc les mesures agro-environnementales, notamment dans les régions allemandes et l’Ecosse (cf. tableau 14). Dans cette catégorie se retrouvent également des soutiens aux agriculteurs dans le cadre des programmes de développement rural intégré des Länder allemands, de même que le soutien à des productions et pratiques contribuant au patrimoine culturel et à l’aménagement du territoire (cf. tableau 14). Dans le sens où elles soutiennent l’agriculture dans sa fonction d’aménagement du territoire et d’animation des espaces ruraux dans des zones rurales défavorisées, les aides aux zones défavorisées peuvent être incluses dans cette catégorie.

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Nous reprenons à notre compte la définition donnée par Gadrey (1996, p. 171, cité par Aznar, 2002b), selon laquelle un service est « une opération visant la transformation d'une réalité C possédée ou utilisée par un client

ou un usager B, et réalisée par un prestataire A à la demande de B (et souvent en interaction avec B), mais n'aboutissant pas à un produit final susceptible de circuler économiquement indépendamment de C ».

Tableau 14 : Aides agricoles versées par les Régions d’enquêtes pour la valorisation des externalités et l’encouragement des services (en % du montant total des

« aides agricoles régionales », cf. annexe 7, § 4)

Pays de la Loire

Rhône-Alpes Hesse S-Holstein Bavière Ecosse

Soutien à la restriction des externalités négatives Aides à la maîtrise des pollutions d’origine agricole (29,2%) Aides à la gestion des effluents viticoles (0,6%) Opérations sur bassins versants pollués (0,3%) Sensibilisati on (3,3%) Aides à la gestion des effluents (3,2%) Aides à la protection des cours d’eaux (5,7%) Aides à la protection de la nature, mesures hydrauliques (6,5%) Aides à la maîtrise des pollutions d’origine agricole (2%) Soutien des externalités positives / des services à usage collectif Aides à l’agriculture biologique (1%) Aides aux pastoralis me en montagne (6,6%) Aides à l’agricultu re périurbain e (1,9%) Aides aux zones défavorisées (dont vignobles en pentes raides) (20%) Aides à l’agriculture biologique, l’extensificatio n, l’entretien du paysage, la jachère de 20 ans (22,2%) Une partie des aides à la rénovation des villages (19,6%*)

Aides aux zones défavorisées (1,7%) Aides à l’extensification, aux prairies, à l’enherbement, l’utilisation de semences propres (12,4%) Aides à l’agriculture biologique (0,1%) Une partie des aides à la rénovation des villages, l’aménagement des chemins ruraux, la production d’énergies renouvelables (22,6%*)

Aides aux zones défavorisées (17,5%) Aides à l’extensification, à l’entretien du paysage naturel et culturel, aux économies d’énergie (17%) Aides à l’agriculture biologique (3,4%) Une partie des aides à la rénovation des villages et l’aménagement des chemins ruraux (7,5%*) Aides aux zones défavorisées (50,1%) Aides à l'agriculture biologique (1,9%) Aides agro-environenment ales spécifiques aux zones sensibles (7,6%) Autres aides agro-environenment ales (15,6%) Aides spécifiques aux crofters (4,5%) Soutien à la production de services à usage privatif Aides aux entreprise s agrirurales innovante s (0,2%)

Une partie des aides au développement du tourisme (2,2%*)

Une partie des aides à la diversification des activités (0,3%*)

Une partie des aides aux investissements en zone d’objectif 1 (1,9%*) * Le pourcentage concerne l’ensemble des aides (à la rénovation des villages / à l’aménagement des chemins ruraux / au développement du tourisme / aux investissements en zone d’objectif 1).

L’ensemble de ces mesures relèvent déjà en partie des services à usage collectif, puisque certains effets positifs sur l’environnement (entretien du paysage notamment) sont issus d’une intention du producteur en réponse à une demande. Enfin, quelques aides soutiennent la production de services à usage privatif, mais avec des montants relativement faibles, dans le cadre du dispositif « Entreprises Agrirurales Innovantes » en Rhône-Alpes et des programmes de développement rural intégré (notamment l’encouragement des activités touristiques) en Bavière et en Hesse. Dans ce cadre, l’Allemagne profite d’un maillage serré entre urbain et rural, que les Länder mettent à profit (certes de façon marginale) en soutenant des activités agricoles en lien avec les demandes urbaines (Knickel, 2006)157. Au final, ce sont surtout les externalités, puis les services à usage collectif qui relèvent de l’intervention agricole des Régions européennes, et très peu les services à usage privatif.

Modulation de l’intervention selon les besoins des agriculteurs de la région

Cette adaptation peut être relative à l’orientation productive (les Pays-de-la-Loire, le Schleswig-Holstein et l’Ecosse ont ainsi développé tout un système d’aides spécifique à l’élevage, majoritaire dans ces régions) ou encore aux conditions de production (l’Ecosse finance par exemple certaines aides aux crofters adaptées à leurs façons de produire)158. Dans le chapitre 3, la corrélation entre orientation des aides 2nd pilier et facteurs liés à la structure productive (taille économique et physique des exploitations, orientation herbivore) conforte l’idée d’une adaptation de l’intervention des Régions aux caractéristiques les plus importantes de la structure productive régionale.

Zonage spatial des aides selon des critères démographiques, physiques, sociaux ou économiques

La collectivité régionale, théoriquement mieux informée qu’à l’échelon de l’Etat-membre, est-elle plus à même de répartir ses aides selon un zonage spécifique des espaces infrarégionaux ? Les aides liées à ce type de zonage représentent des sommes importantes dans les budgets agricoles des Régions si l’on prend en compte les aides aux zones défavorisées, les soutiens spécifiques aux zones vulnérables nitrates et les soutiens à la transformation, la commercialisation et la diversification dans les zones d’objectif 1 écossaises. Mais la délimitation des zones en question est fixée à un niveau supra-régional et

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Ainsi, la Bavière soutient spécifiquement la commercialisation de produits de qualité autour de Munich.

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Les crofters sont des agriculteurs, souvent pluriactifs, présents dans des zones rurales reculées de l’Ecosse (Islands and Highlands), aux conditions agronomiques difficiles. Ils occupent historiquement une place importante, sur les plans économique, social et culturel, dans les communautés de ces zones rurales. L’adaptation de certaines aides aux crofters s’avère nécessaire du fait que la plupart de leurs terres sont partagées entre plusieurs producteurs, ce qui nécessite des règles spécifiques dans le versement des aides.

ne résultent pas directement d’un choix des Régions. En réalité, seules quelques mesures font l’objet d’un zonage infrarégional décidé par les collectivités. Elles représentent de 12 à 24 % du montant total des aides agricoles en Schleswig-Holstein (aides à la protection des côtes), en Rhône-Alpes (aides au pastoralisme dans les zones montagneuses et à l’agriculture périurbaine) et en Ecosse (aides aux zones de crofting et aides agro-environnementales dans des zones naturelles exceptionnelles, les Environmentally Sensitive Areas). Dans les autres régions, ces montants sont très faibles (moins de 1 % du total des aides agricoles régionales)159. Hors de nos régions d’enquête, on a pu constater également un zonage très marginal de l’intervention agricole régionale (Crumière, 2003 ; Picard, 2004).

Développement d’une logique de projet selon des objectifs spécifiques locaux

Dans cette logique, l’agriculteur est amené à viser explicitement des objectifs fixés selon le contexte local. La logique de projet suppose que l’objectif fixé n’a pas encore été atteint par l’agriculteur : il s’agit d’inciter à un progrès et non de subventionner l’existant comme dans la logique de guichet160. Contrairement à ce qui se passe au niveau des Etats-membres, la plupart des aides, dans les Régions soumises à enquêtes, ne reposent pas sur la logique de guichet, sauf en Ecosse et dans la Hesse, où les aides type guichet représentent respectivement plus de 50 % et 25 % des aides agricoles régionales (du fait des aides aux zones défavorisées et des compensations des calamités agricoles). Apparaît clairement de la part des Régions une volonté de développer les aides aux projets, en particulier en Pays-de-la-Loire et Hesse (qui souhaite augmenter la part des aides agro-environnementales et aux investissements avec sélection des projets). L’Angleterre et l’Ecosse prévoient quant à elles

de distinguer leurs aides 2nd pilier en fonction de ces deux modalités de financement,

aujourd’hui distinguées sous les termes de land-based schemes et project schemes (cf. encadré 2).

Soulignons cependant les limites de la logique de projet, qui induit des procédures lourdes pouvant conduire l’agriculteur à être dessaisi de son dossier (confié à un expert pour sa traduction dans le dispositif administratif) (Kroll, 2002), et qui prive de soutiens des exploitations qui atteignent déjà des objectifs élevés (c’est le cas notamment de nombreuses

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En Pays-de-la-Loire, il s’agit de mesures de conversion biologique autour de captages d’eau, de Contrats d’Agriculture Durable dans les zones humides et d’opérations de restauration de la qualité de l’eau dans les bassins versants pollués. La Bavière finance des mesures de commercialisation autour de Munich, des aides agro-environnementales dans les parcs naturels et des soutiens au maraîchage dans la région « Rain am Lech ». La Hesse aide spécifiquement les vignobles en pentes raides.

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Celle-ci concerne par exemple les aides aux zones défavorisées (selon la localisation géographique des terres), les primes à l’extensification (selon le nombre d’hectares en herbe), les compensations suite aux calamités agricoles (selon les dégâts causés).

exploitations en montagne) et sous-tend une mise en compétition des exploitations pour l’obtention de subventions. Enfin, il apparaît clairement dans le rapport d’évaluation 2004 (DG Agri, 2004) une différence de consommation entre les aides type guichet et les aides type projet, qui s’explique par le fait que les aides aux projets sont plus compliquées à mettre en œuvre. De ce fait, elles ont été remplacées, d’une année à l’autre, par des aides type guichet afin que tous les fonds 2nd pilier puissent être consommés. En Hesse, par exemple, a été mis en place un système qui permet d’augmenter le montant d’aides aux zones défavorisées par hectare d’une année sur l’autre, en fonction des fonds restants disponibles.

Encadré 2 : Une réorganisation des modalités d’aides 2nd pilier en Angleterre et Ecosse L’Angleterre et l’Ecosse prévoient, à partir de 2007, un nouveau système d’aides 2nd pilier, dans le cadre, respectivement, des Entry level Schemes et High level Schemes et des Land Management Contracts. Dans ces deux nouveaux systèmes, un premier niveau, le principal en terme de budget, suivra une logique de guichet avec un versement d’aides à l’hectare sous des conditions faiblement contraignantes, tandis que le second encouragera, par une sélection des exploitations et dans une logique de projet, l’atteinte d’objectifs plus élevés. Les Entry level Schemes et High level Schemes regrouperont les mesures agro-environnementales, qui représentent la plupart des aides 2nd pilier en Angleterre. Les Land Management Contracts écossais devraient comprendre quant à eux toutes les mesures du 2nd pilier et seront signés par exploitation, par communauté ou par organisation.

Mise en cohérence des programmes et mesures agricoles selon des objectifs spécifiques locaux

La région peut être un échelon de mise en cohérence des programmes et mesures agricoles, autour d’objectifs définis sur plusieurs années en fonction du contexte régional. L’échelon européen a eu une influence significative en la matière, via les fonds structurels (Dwyer et al., 2006) puis la constitution, depuis 1999, de programmes pluriannuels de développement rural dans les Régions ayant en charge le 2nd pilier. On constate d’ailleurs un regroupement progressif des mesures agricoles. Par exemple, en Hesse, les mesures agro-environnementales, au début des années 90, étaient gérées de manière séparée (jachère, extensification,…). Elles ont été regroupées peu à peu dans quelques programmes thématiques, puis dans un seul programme intégré. En Ecosse, toutes les mesures du 2nd pilier devraient être intégrées à partir de 2007 dans un seul Land Management Contract signé par chaque bénéficiaire, permettant, sur le modèle du contrat Territorial d’Exploitation français, d’intégrer et d’harmoniser les objectifs économiques, sociaux et environnementaux du projet (cf. encadré 2). Dans la même logique, la Catalogne prévoit des Contrats Globaux d’Exploitation.

Mais paradoxalement, ce type de modalité s’essouffle là même où l’expérience est la plus ancienne, comme pour les Contrats d’Agriculture Durables (ex-CTE) français. Par

ailleurs, le programme hessois du 2nd pilier reste un catalogue de mesures diverses sans stratégie d’ensemble, réfléchies avant tout pour une maximisation des possibilités de

cofinancements (Grajewski, 2005). En Ecosse, des mesures au sein même du 2nd pilier

demeurent fortement contradictoires quant à leurs effets C’est par exemple le cas des aides aux zones défavorisées, qui sont conditionnées à un chargement minimal, non compatible avec les conditions d’autres mesures agro-environnementales (Ward, 2002). Dans les régions françaises, l’absence de programmes régionaux de développement rural161 accentue l’effet catalogue des mesures. Si la délibération-cadre en Rhône-Alpes a permis de tracer quelques grandes lignes d’organisation des mesures agricoles, en Pays-de-la-Loire et encore plus en Alsace les aides sont saupoudrées sans réels objectifs structurants. Les aides régionales étant gérées en dehors de cadres pluriannuels, la fluctuation des subventions régionales est très importante d’une année sur l’autre (MAP, 2005a), les conseils régionaux jouant le rôle de « pompiers » (Berriet-Solliec, 2002) face aux fluctuations de l’économie mais aussi des politiques nationales et européennes. Ainsi, suite à l’épisode de la crise de la vache folle, le budget agricole a quasiment doublé dans beaucoup de régions. De même, l’Alsace, en deux ans, a débloqué près de 10 % de son budget agricole pour les dégâts liés à la sécheresse et la

chrysomèle du maïs. Cette fluctuation des aides est renforcée par le fait que de gros

investissements sont parfois entrepris « par à coup » par la Région (travaux fonciers, hydrauliques,…), avec des effets importants sur un budget agricole total faible.

Dans ces conditions, on ne peut conclure que la régionalisation s’accompagne d’une mise en cohérence des soutiens agricoles à une échelle régionale ni qu’elle permet leur structuration sur plusieurs années autour d’objectifs préétablis selon le contexte régional. Au contraire, quand la régionalisation n’est que partielle, l’effet peut être inverse. Ainsi, en Angleterre, se dessine une coupure entre les mesures agro-environnementales (qui resteront gérées au niveau national au sein d’une agence, Natural England) et mesures socio-économiques (qui seront gérées au niveau régional par les Regional Development Agencies), fragilisant ainsi une approche intégrée du lien entre agriculture et territoires (Ward, Lowe, 2004).

1.2.2 Soutien des activités agricoles peu aidées par les échelons national et

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