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Ouverture du cadre organisationnel aux acteurs non agricoles

INTRODUCTION DU CHAPITRE IV

2. DESECTORISATION DES POLITIQUES AGRICOLES

2.1 Ouverture du cadre organisationnel aux acteurs non agricoles

La question de la décentralisation est, dans l’économie publique locale, également reliée à celle de la démocratie : celle-ci pourrait être plus forte dans des systèmes décentralisés, où les instances seraient plus sensibles aux changements de préférences des agents, jugés plus proches du politique (Gérard-Varet, 1996). Or, la régulation territoriale va de paire avec la fragilisation des élites agricoles, qui fait entendre de nouvelles revendications (Coulomb, 1991). Ce processus s’inscrit dans la transition d’une configuration gouvernementale vers une configuration de gouvernance multi-acteurs (Van der Ploeg et al.,

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Dans le chapitre 1, nous avons distingué deux composantes des politiques agricoles : l’intervention publique dans le secteur agricole (instruments mobilisés dans le cadre des politiques agricoles) et le cadre organisationnel de l’intervention (nature et organisation interne des organismes ou agences en charge de la conception et/ou de la conduite de l’intervention publique).

2000). Entre marché et encadrement strict politico-administratif, cette configuration hybride se base sur la mise en relation de tous les acteurs concernés (Eggers et al., 2005). Cette ouverture des sphères de décision publique s’effectuerait surtout vers des acteurs extérieurs au secteur agricole. Dans un contexte général de fragilisation du modèle de cogestion entre acteurs publics et syndicat agricole majoritaire, la décentralisation accentuerait ce processus, avec l’implication nouvelle d’acteurs publics hors services agricoles et la mise en relation directe de l’Etat avec les citoyens (Müller, 1990 ; Gualini, 2002).

Dans une démocratie qui deviendrait participative, les citoyens ne seraient plus dans une position d’objets mais de sujets du développement agricole et rural (Marsden, Bristow, 2000). La démocratie participative est non seulement un moyen pour divers intérêts extra-sectoriels de faire entendre leur voix, mais c’est aussi une chance pour les pouvoirs publics régionaux de faire comprendre aux citoyens leurs interventions en agriculture, d’instaurer une confiance renouvelée des citoyens envers les pouvoirs publics (c’est d’ailleurs un argument du rapport Haskins (2003) pour la régionalisation des politiques agricoles et rurales) et de relier les enjeux de la politique agricole régionale à ceux d’autres politiques. Enfin, cette ouverture permet de substituer à un climat de concurrence et de défiance un climat de coopération et de confiance entre les différents acteurs du développement rural. Sur la base de ces arguments, le cadre organisationnel s’ouvrirait à des acteurs non agricoles à la fois publics et privés (Marsden, Bristow, 2000).

Ouverture à des acteurs publics non agricoles

Cette ouverture peut d’abord passer par la reconfiguration des services de l’Etat. De façon extrême, le ministère de l’agriculture et de la forêt du Schleswig-Holstein a été supprimé en 2003. Ce sont les ministères régionaux de l’intérieur et de l’environnement qui ont alors repris la gestion des politiques agricoles. De même, en Ecosse et Angleterre, les affaires agricoles ont été intégrées en 1999 (en Ecosse) et en 2001 (en Angleterre) dans un ministère qui ne comporte plus de référence directe à l’agriculture : le ministère de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation anglais est devenu celui de l’environnement, l’alimentation et l’espace rural (Toke, Mccough, 2005), tandis que s’est créé le ministère de l’environnement et de l’espace rural écossais. De la même façon, l’intervention agricole est traitée dans les Regional Development Agencies anglaises dans le cadre d’un service des affaires rurales. En Pays-de-la-Loire, l’agriculture est gérée par la « direction action économique ». Dans les autres régions soumises à enquêtes, l’agriculture est restée dans le nom attribué au ministère ou à la direction en charge des politiques agricoles. Mais ce nom

comporte à présent une référence directe à l’environnement, au rural, aux territoires, à la forêt et/ou au tourisme172.

Au-delà de cette réorganisation des services, ressort des entretiens menés dans les régions soumises à enquêtes une proximité plus forte qu’auparavant entre les acteurs publics en charge des affaires agricoles d’une part, et les acteurs publics en charge des affaires rurales, environnementales et économiques d’autre part. Ces acteurs sont de plus en plus associés dans les prises de décision concernant les politiques agricoles des Régions, notamment dans le cadre du Plan de Développement Rural. Cette observation a été faite pour d’autres régions européennes, notamment la Catalogne (Clément, 2003) et plus largement les régions espagnoles : la prise en charge d’une partie des mesures agro-environnementales par les services environnementaux des Régions a entraîné une évolution importante de ces politiques, davantage orientées vers des objectifs environnementaux que vers des objectifs strictement sectoriels (Mazorra, 2001).

Ouverture à des acteurs privés non agricoles

De la même façon, les sphères de décision s’ouvrent davantage à des acteurs privés extérieurs au secteur agricole (Dwyer et al., 2006). Les entretiens menés en Ecosse convergent sur ce point : la dévolution s’est accompagnée d’une implication plus grande des différents acteurs concernés hors du secteur agricole, notamment des parcs naturels (Thompson, 2005) et des acteurs environnementaux et du développement local (groupes Leader, collectivités infrarégionales, chefs de petites et moyennes entreprises, artisans …). Divers groupes élargis à ces nouveaux acteurs ont été créés pour le suivi de la politique agricole écossaise, notamment l’Agriculture Strategy Group173 (depuis 2002). L’expertise technique par les associations environnementales à la demande du ministère en charge des affaires agricoles s’est développée. La politisation des affaires agricoles a été un vecteur important de cette désectorisation : suite à la dévolution, les questions agricoles ne sont plus restées cloisonnées dans l’administration et ont pu être débattues au parlement et dans la commission sur le développement rural.

On retrouve cette ouverture progressive vers des acteurs extérieurs au secteur dans les autres régions que nous avons enquêtées. C’est ce qui ressort de l’étude comparative de deux régions françaises dans le cadre du programme européen PACREGIO (Le Pape, Smith, 1998) et de nos enquêtes en Pays de Loire et Rhône-Alpes. Dans ces deux régions, les assises

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Ce lien montre d’ailleurs la conception qui est faite de la politique agricole dans chacune de ces régions. Ainsi, l’agriculture apparaît avant tout comme une action économique dans les Pays-de-la-Loire et comme une composante de l’aménagement du territoire en Rhône-Alpes.

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régionales et l’élaboration de la délibération-cadre sur l’agriculture ont réuni de nombreux

acteurs de la société174. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que des acteurs

environnementaux demandent la régionalisation du 2nd pilier en France175. Enfin, en

Angleterre, il existe une profusion de groupes locaux de débats sur les politiques agricoles et rurales, incluant les acteurs non agricoles.

Encadré 3 : L’évolution du principe de partenariat entre l’ancien et le nouveau Règlement de Développement Rural

Le partenariat s’est vu conférer une place et des modalités d’application nouvelles dans le nouveau Règlement de Développement Rural. Le règlement de 1999 ne fait en effet qu’évoquer les consultations des différents acteurs socio-économiques. L’article 43 indique seulement que les Plans de Développement Rural doivent comporter « les résultats des consultations et la désignation des autorités et organismes associés ainsi

que les partenaires socio-économiques aux niveaux appropriés ». Ces consultations sont définies bien plus

précisément dans l’article 6 du nouveau Règlement de Développement Rural, qui indique que l’aide du FEADER est mise en œuvre dans le cadre d'une concertation étroite avec les autorités et les organismes désignés par l’État membre, c’est-à-dire avec les partenaires économiques et sociaux et tout autre organisme approprié représentant la société civile, les organisations non gouvernementales, y compris environnementales, ainsi que les organismes chargés de la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes. L'Etat-membre désigne les partenaires les plus représentatifs au niveau national, régional, local, dans le domaine économique, social, environnemental ou autre. Il crée les conditions nécessaires à une participation large et efficace de tous les organismes appropriés, conformément aux règles et pratiques nationales. Le partenariat porte sur l'élaboration et le suivi du plan stratégique national ainsi que sur l'établissement, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation des programmes de développement rural. Les États membres associent chacun des partenaires concernés aux différentes phases de la programmation, en tenant dûment compte du délai fixé pour chaque étape.

Dans toutes les régions et en particulier celles qui gèrent le 2nd pilier, l’Union Européenne a fortement influencé ces nouveaux partenariats. Le principe était déjà inscrit dans la politique régionale européenne. Il s’est imposé peu à peu dans la mise en œuvre des programmes du 2nd pilier (cf. encadré 3). Dans les faits, les divers acteurs socio-économiques hors secteur agricole interrogés dans les enquêtes se considèrent plus impliqués qu’avant dans la préparation du futur 2nd pilier. Les consultations se sont davantage structurées. La Hesse par exemple a davantage anticipé l’information et les consultations des partenaires économiques et sociaux, avec un plus grand souci de transparence et de formalisation des débats176.

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Dans les Pays-de-la-Loire, certaines sessions consacrées à l’agriculture, dans le cadre des Assises Régionales, ont ainsi rassemblé au moins un tiers de participants hors secteur agricole.

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C’est ce qui ressort de la lettre de Décembre 2005 de l’Association des Régions de France adressée au ministre de l’Agriculture.

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Quand, pour la préparation du programme 2000-2006, il s’agissait de demander aux partenaires de simples avis écrits, pour 2007-2013 des conférences-débats ont été organisées aux niveaux régional et infrarégional et le projet final sera présenté et débattu lors d’une grande séance. Pendant toute la période de la programmation, les

Enjeux et limites de l’ouverture du cadre organisationnel aux acteurs non agricoles

Il ne s’agit pas ici d’entreprendre une analyse d’impact approfondie de cette ouverture du cadre organisationnel. Néanmoins nos enquêtes amènent quelques éclairages sur ce point. Pour certains acteurs, l’ouverture à de nouveaux partenaires a bien permis une évolution de l’intervention agricole régionale. En Schleswig-Holstein par exemple, des marges de manœuvre importantes ont été déléguées à des acteurs extra-sectoriels dans le cadre des mesures de développement rural intégré du 2nd pilier, entraînant de fait une réorientation importante des aides. En Ecosse, l’ouverture du cadre organisationnel à des acteurs non agricoles aurait permis selon certains une meilleure prise en compte du 2nd pilier (par rapport au 1er pilier) et un poids budgétaire plus important de l’axe 3 (qualité de la vie en milieu rural et diversification de l’économie rurale) et de l’axe 4 (programme Leader) du futur 2nd pilier. Néanmoins on peut rétorquer que pour ces axes il n’est pas prévu au final de parts budgétaires plus importantes pour 2007-2013 que celles exigées par le Règlement de Développement Rural. Dans les régions que nous avons enquêtées, ces nouveaux acteurs sont souvent absents des instances de décision portant sur des questions centrales. C’est ce qui ressort des entretiens menés en Bavière et dans une moindre mesure en Ecosse, de même que des études empiriques réalisées dans les Marches (Picard, 2004) et dans deux régions françaises (Le Pape, Smith, 1998) : les représentants associatifs et citoyens ne siègent que dans des commissions consultatives, sans réel pouvoir ni influence. Les instances de décision portant sur des questions centrales (comme en Ecosse sur les aides aux zones défavorisées [Ward, Thompson, 2002] et le 1er pilier177) restent très fermées. Les décisions se prennent directement entre décideurs publics régionaux et organisations agricoles traditionnelles178.

Les modalités concrètes de consultation de ces acteurs non agricoles posent également question : il est souvent reproché par ces acteurs le peu de temps pour réagir sur les propositions des décideurs publics, le peu d’informations concrètes données, notamment budgétaires, le jargon utilisé dans ces instances et la multiplication de ce type de lieux de débats qui empêche certaines organisations d’assister à tous. La forme des débats, avec un nombre souvent pléthorique d’acteurs consultés179, conduit de fait à une faible prise en compte des intérêts de chacun (Ward, 2002), noyés dans une profusion d’avis parfois très

partenaires devraient être informés et consultés par le ministère. Une « plate-forme internet » sera disponible pour les remarques des partenaires. Enfin, des comités de suivi regroupant les partenaires seront mis en place par thème.

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En outre, il n’y a pas eu en Ecosse d’instance large de suivi du 2nd pilier comme en Angleterre avec le

National Strategic Group (Ward, 2002). 178

Ainsi, la réglementation européenne impose ces larges consultations dans le nouveau Règlement Développement Rural…mais ne dit pas comment les prendre en compte.

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Par exemple, 95 représentants participent aux consultations sur le 2nd pilier en Hesse, une soixantaine dans le

particuliers. Voilà pourquoi « la revitalisation du local (micro-région et région) comme source de démocratie et de participation publique mérité d'être traitée plus comme hypothèse que comme affirmation » (Abdelmalek, 2002, p.139). L’ouverture à ces nouveaux acteurs pose aussi question en matière d’organisation et d’efficience, puisqu’elle peut s’opérer au détriment d’une démarche professionnelle (Knickel, Jahn, 2006) et peut mener à une dilution des responsabilités (Boussard, 2002 ; Rhodes, 1996). Enfin, si l’objectif est d’insérer les acteurs du monde agricole dans des logiques plus larges de développement rural, il existe aussi un danger qu’ils se retrouvent peu à peu exclus (y compris de leur propre chef) de ces instances, au profit d’une nouvelle classe politique représentant les nouveaux résidants et usagers des campagnes (Buller, 2003b)180.

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