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INTRODUCTION DU CHAPITRE II

2. DEFINITION D’UN CADRE D’ANALYSE DES POLITIQUES AGRICOLES DES REGIONS

2.2 Problématique et hypothèses

Les recherches de Berriet-Solliec (1999) ont conclu sur l’idée que les politiques

agricoles des collectivités locales françaises fournissent « des bases pour repenser

élargie, approfondie et discutée à l’échelle européenne où les Régions ont dans certains Etats-membres encore davantage de marges de manœuvre. Elle peut être plus largement insérée dans un contexte macro-économique de crise des politiques agricoles. Partant du questionnement initial (les politiques infranationales, en particulier régionales, soutiennent-elles de nouvsoutiennent-elles formes de régulation en agriculture ?), nous avons analysé l’Etat comme le produit de compromis institutionnalisés. Nous avons également avancé l’idée d’une crise de la PAC, issue de l’absence d’un compromis stable aux échelons actuels de définition des politiques agricoles. Cette crise appelle alors « un nouveau compromis fondateur » (Boyer, 1995). Ces éléments permettent de préciser la problématique : en l’absence d’un compromis

stable aux échelons traditionnels de définition des politiques agricoles, les politiques infranationales, et plus précisément régionales, permettent-elles l’émergence de nouveaux compromis autorisant, à l’échelle régionale, de nouvelles formes de régulation en agriculture ?

La décentralisation apparaît non seulement comme le vecteur d’un changement d’échelle mais aussi d’un changement des formes de politique (Perrat, 2004 ; Cooke, Morgan, 1998). Le fédéralisme expérimental, de même que certaines analyses institutionnalistes, avancent l’idée des régions laboratoires, lieux privilégiés d’innovations institutionnelles70. Plusieurs raisons justifient ce point de vue : (i) du fait de la diversité des contextes historiques et socio-économiques régionaux qui influencent les politiques, la régionalisation ouvre la porte à autant de trajectoires institutionnelles et de politiques différenciées (Gualini, 2002) ; (ii) la région est le lieu de conjonction de dispositifs institutionnels européens, nationaux et locaux, et de cette « hybridation d’échelle » découlent des formes d’intervention publique régionale pouvant présenter une extrême diversité, selon la combinaison et la déclinaison diverses de ces dispositifs (Tallard et al., 2000) ; (iii) l’échelon régional est marqué par une reconfiguration des rapports de pouvoir entre acteurs et constitue ainsi un lieu privilégié de construction de formes de gouvernance porteuses d’innovations dans la prise de décision publique (Cooke, Morgan, 1998 ; Peters, Pierre, 1998) ; (iv) le niveau régional constitue un échelon de mise en œuvre moins risqué pour des politiques innovantes au sens où moins de citoyens sont concernés par rapport aux échelons national et européen (Oates, 1999).

Tous ces éléments nous amènent à penser que c’est « par le canal de médiations institutionnelles local - global, spécifiques de la gouvernance locale, que peuvent se diffuser […] les principes émergents (du local vers le global) en période de crise. » (Gilly, Lung, 2004, p. 12) Autrement dit, c’est notamment en période de crise que les innovations institutionnelles peuvent se propager au niveau supra-régional, les niveaux national et

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L’innovation institutionnelle au niveau régional recouvre, au sens classique du fédéralisme financier, une politique régionale se démarquant de celles traditionnellement mises en œuvre aux niveaux supra-régionaux.

européen étant incapables de produire des solutions institutionnelles viables (Boyer, 1995). En bref, le local, et plus précisément les régions, apparaissent aujourd’hui comme des laboratoires potentiels en matière de régulation agricole, préfigurant le devenir possible des politiques agricoles européennes.

Selon les schémas théoriques précédents, les marges de manœuvre supplémentaires que les Régions ont acquis récemment leur permettraient d’être davantage autonomes par rapport aux niveaux supra-régionaux. Ceci amène à notre première hypothèse : les Régions

ont à présent les moyens budgétaires, réglementaires et plus largement institutionnels pour mettre en œuvre des politiques agricoles spécifiques à leurs situations propres.

Encore faut-il comprendre la portée de ces politiques. Suite au cadre analytique que nous venons d’exposer, « the question is whether place-based politics and policies are appropriate or sufficient for securing acceptable levels of local social and economic well-being » (Amin, Thrift, 1993, p. 413). Bien que les principes de production dominants tendent à s'imposer au niveau régional, les espaces régionaux et leur puissance publique auraient une capacité croissante à s'adapter et à agir sur les structures macroéconomiques. La dimension territoriale apparaît, à la suite du cadre théorique déroulé dans les paragraphes précédents, comme un élément potentiel de renouvellement et d’adaptation des politiques agricoles décentralisées. Elle peut même être considérée comme la base potentielle d’un nouveau compromis post-fordiste en émergence à des échelles infra-nationales (Pecqueur, 2001). En découle la seconde hypothèse : au travers de la dimension territoriale, les politiques

agricoles des Régions permettent d’affranchir les dynamiques agricoles régionales des principes dominants à une échelle supra-régionale.

Enfin, la région serait le lieu de formes de gouvernance régionale renouvelées, à travers des rapports de pouvoir modifiés entre les acteurs institutionnels régionaux, mais aussi entre acteurs régionaux, infra- et supra-régionaux. Ces formes de gouvernance conduiraient à une prise en compte, dans les politiques agricoles des Régions, de certains bénéficiaires et activités, pas ou peu reconnus par les échelons national et européen (Berriet-Solliec, 1999). De ce fait, les politiques agricoles des Régions privilégieraient davantage la cohésion régionale, permettant de réduire les disparités au sein de leur espace. Dans cette perspective, la dernière hypothèse avance que les politiques agricoles des Régions ont un caractère de

cohésion plus affirmé que les politiques supra-régionales, par le biais de rapports de pouvoir modifiés entre acteurs institutionnels.

Pour autant, de fortes réserves ont été soulevées par rapport aux analyses tendant à faire de la région et du territoire des lieux privilégiés de règlement des problèmes économiques. En particulier, la diversité des régions et leur différence de capacité à s’adapter

au contexte global ont été soulignées. Cette diversité s’intensifie avec l’internationalisation et l’affaiblissement des Etats-nations (Pecqueur, 2001 ; Amin, Thrift, 1993) : moins les Régions sont dépendantes des Etats centraux, plus elles ont les moyens de stratégies propres, mais plus elles sont dépendantes des lois du marché et de leurs propres ressources économiques, politico-administratives, juridiques, socioculturelles. Ceci pose la question des disparités régionales.

Il nous faut donc interroger en profondeur les processus de régionalisation et de territorialisation. Il peut se dégager deux interprétations opposées de la régionalisation. Est-elle porteuse de nouveaux compromis, synonymes de politiques agricoles et d’un modèle de développement nouveaux qui constituent des contre-poids aux effets de libéralisation et d’ajustement structurel du secteur ? Au contraire la régionalisation est-elle vectrice de la libéralisation et de l’ajustement structurel agricoles ? Les trois hypothèses que nous avons posées précédemment vont dans le sens de la première interprétation. Mais le choix a été fait de se détacher d’une vision idéalisée de la région et du territoire. Certaines limites ont déjà été soulignées et seront développées pour éprouver la validité des trois hypothèses qui ont été formulées et comprendre dans quelle mesure la seconde interprétation (la régionalisation et la territorialisation, vectrices de la libéralisation et de l’ajustement structurel agricoles) permet une meilleure prise en compte des réalités observées.

2.3 Les politiques agricoles des Régions : synthèse et prolongement

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