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Le chapitre 2 a montré que les marges de manœuvre réglementaires et budgétaires des Régions leur offrent les moyens, certes à des degrés différents selon chacune, de réaliser des choix spécifiques en matière de politiques agricoles. Ces éléments nous amènent à nous interroger sur la manière dont ces moyens sont mobilisés par les Régions. En quoi l’intervention publique des Régions se différencie-t-elle des interventions nationales et européenne ? Les Régions mobilisent-elles leurs moyens réglementaires et budgétaires pour différencier leurs interventions agricoles selon leurs contextes propres ? Dans ce cas, quelles sont les grandes formes régionales d’intervention agricole qui se dégagent dans l’Union Européenne ? Quelles sont les différentes logiques économiques qui les sous-tendent ? Ces choix sont-ils liés à des situations régionales particulières ? L’objectif de ce chapitre est d’apporter une série d’éclairages à ces différentes questions. Le chapitre 2 a montré comment certaines approches régulationnistes s’étaient intéressées à la dimension régionale en distinguant notamment différentes formes d’Etat local. De la même façon que des modèles nationaux de politiques ont été mis en évidence dans le secteur agricole (Bonnet et al., 1996), ce chapitre107 vise à distinguer différentes formes régionales d’intervention agricole108.

Les choix des Régions s’expriment en particulier dans les montants des budgets consacrés à l’agriculture et dans leur répartition entre différentes mesures. Dans un premier temps, nous identifierons les principaux leviers d’intervention agricole des Régions à partir de la littérature en économie rurale. Ceci nous permettra de construire la trame principale d’une nomenclature plus détaillée des « aides agricoles régionales » permettant de mieux les caractériser. Dans un second temps nous analyserons la diversité des formes régionales d’intervention agricole, à partir de l’étude statistique des montants 2nd pilier. Les régions européennes étudiées seront classées selon différentes combinaisons des leviers d’intervention identifiés auparavant. Cette classification sera ensuite interprétée à la lumière d’indicateurs socio-économiques régionaux. Dans un dernier temps, l’analyse sera complétée par la comparaison des choix régionaux hors 2nd pilier en matière d’intervention agricole. L’analyse se terminera par une synthèse générale des formes régionales d’intervention agricole, à partir des différents éléments évoqués ci-dessus, en lien avec les groupes d’intérêts économiques identifiés dans le chapitre 1.

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Ce chapitre est issu d’un travail qui a donné lieu à deux chapitres d’ouvrage collectif (Berriet-Solliec et al., 2006b ; Berriet-Solliec et al., 2006c).

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Il n’est pas possible à cette étape d’évoquer des formes régionales de politique agricole. En effet, selon notre définition des politiques (cf. chapitre 1), leur analyse nécessite de coupler l’étude des formes d’intervention publique et celle des formes de gouvernance (donc des relations entre acteurs).

1. SPECIFICITE DE L’INTERVENTION AGRICOLE DES

REGIONS : MISE EN EVIDENCE A PARTIR DE LA NATURE

ET DES MONTANTS D’AIDES

1.1. Construction d’une nomenclature des aides agricoles régionales

L’exploitation de la bibliographie existante apporte des éclairages diversifiés sur les différentes logiques économiques qui peuvent sous-tendre l’intervention agricole des Régions, qu’il s’agisse par exemple d’une distinction :

- entre les 3 axes du Règlement de Développement Rural 2000-2006 : préservation de l’environnement et du patrimoine rural, renforcement des secteurs agricoles et forestiers, augmentation de la compétitivité des zones rurales ;

- entre différents modèles de politiques agricoles des conseils généraux et régionaux français : politique traditionnelle d’équipement rural, politique de modernisation agricole et politique de développement territorial (Berriet-Solliec, 2002) ;

- entre zones rurales organisées sur la base d’une consommation de masse, sur des démarches de produits de qualité, sur le développement de liens entre agriculture et territoires, enfin sur une restructuration autour du développement non agricole (Marsden, 1998) ;

- entre les campagnes « ressources », « cadres de vie » et « réserves de nature » (Perrier-Cornet, Hervieu, 2002) ;

- entre « zones grises » d’agriculture compétitive, « vertes » d’agriculture

multifonctionnelle et « bleues » où toute activité agricole est abandonnée (Mahé, Ortalo-Magné, 2001) ;

- entre régions agricoles de type « classique » ou « agrarien », d’ « agriculture de luxe » et de « désengagement » (Perraud, 2000) ;

- entre scénario d’adaptation de la situation actuelle, de libre concurrence, de

valorisation de la qualité d’origine et de « renaissance rurale » pour insérer

l’agriculture dans les dynamiques de développement local (Lacombe, Guihéneuf, 2000).

Ces éléments de cadrage peuvent être étayés par des études monographiques des politiques agricoles des Régions, en particulier les études réalisées dans le cadre du programme de recherche européen PACREGIO, puis de programme de l’INRA PSDR sur les innovations institutionnelles et les politiques régionales (Berriet-Solliec et al., 2006a).

Cette typologie des logiques économiques selon lesquelles peuvent s’organiser les interventions des Régions nous aident à construire une nomenclature des « aides agricoles régionales ». Il n’existe pas à notre connaissance de cadre de référence normalisé, qui s’impose dans la littérature pour différencier les formes d’intervention publique selon les logiques économiques qui les sous-tendent. Les travaux d’évaluation des politiques pourront utiliser la notion d’ « objectif stratégique » (Daucé, 1998). Mais celle de levier d’intervention nous paraît mieux adaptée pour ordonner notre observation de la réalité. La notion de levier d’intervention ou plus précisément de « levier d’action » (mais nous considèrerons les deux termes comme équivalents) a été développée dans des études empiriques sur l’intervention des collectivités locales (Aubert et al., 2001), puis pour la construction d’un référentiel des effets attendus du futur Règlement de Développement Rural (axe 3), où sept leviers ont été identifiés (Aubert et al., 2006). Ces leviers ont été définis comme « les ressorts opérationnels de l’intervention publique qui sont mobilisés pour atteindre l’objectif visé » (Aubert et al., 2001, p. 19)109

. En l’occurrence, on peut s’accorder pour identifier le développement agricole comme l’objectif principal visé, la finalité globale des politiques étudiées. Nous avons défini en annexe 2 le développement agricole comme l’amélioration par les activités agricoles des conditions de vie des actifs agricoles et de la population globale. Une telle définition reste suffisamment vaste pour pouvoir prendre en compte la diversité des objectifs visés par les Régions en matière agricole. La suite du chapitre visera justement à préciser ces différents objectifs, par l’analyse de la littérature existante et l’observation empirique des interventions agricoles des Régions.

À la lumière des différents travaux qui viennent d’être passés en revue, nous identifions, dans notre recherche, quatre leviers d’intervention des Régions dans le développement agricole :

- Un premier levier vise une valorisation des externalités positives de la production

agricole en matière d’environnement et d’aménagement de l’espace. Il est fondé

sur des aides agro-environnementales et des soutiens aux zones défavorisées, dans une vision des campagnes avant tout comme « réserves de nature » et « cadres de vie » (Perriet-Cornet, Hervieu, 2002) ;

- Un second levier vise la compétitivité sur les marchés nationaux et mondiaux des

exploitations agricoles par la baisse des coûts de production, dans une vision de la

campagne fournisseuse de ressources, dans laquelle la production agricole est centrale. Elle favorise les soutiens à la modernisation et la restructuration des exploitations ;

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L’analyse des leviers d’intervention peut être inscrite dans un cadre analytique plus large, celui de l’évaluation des politiques publiques et de la théorie de l’action, définie comme un ensemble de conceptions et d’idées qui inspirent ses concepteurs et/ou ses acteurs quant à ses mécanismes, ses relations de causes à effets entre les mesures prises et leur impact social attendu (Conseil Scientifique de l’Evaluation, 1996).

- Le troisième levier se situe également dans une vision de la campagne fournisseuse de ressources. Mais il s’appuie cette fois-ci sur la compétitivité par la qualité des

produits agricoles et le soutien aux circuits de transformation et de commercialisation110

;

- Un quatrième levier correspond à la diversification des activités des exploitations

agricoles et des économies rurales et à l’amélioration des conditions de vie dans l’espace rural. Les aides visent des objectifs non sectoriels de développement rural et

peuvent bénéficier à des acteurs extérieurs au secteur agricole, par exemple pour des services rendus à la population rurale ou encore à la rénovation des villages.

Les leviers principaux d’intervention pour l’agriculture qui ont été identifiés précédemment aident à construire une nomenclature plus détaillée des « aides agricoles régionales ». Ceci s’avère d’autant plus utile qu’il n’existe pas aujourd’hui de nomenclature complète et reconnue par l’usage, qui s’accommode de celle du Règlement de Développement

Rural et de celle des Etats-membres étudiés111. Or, l’harmonisation de ces différentes

nomenclatures est indispensable pour comparer, entre Régions européennes et entre Régions et Etat-membres, les budgets et plus largement les interventions en agriculture. La grille qui en résulte (cf. tableau 7) doit en outre respecter la délimitation des « aides agricoles régionales » définie dans le chapitre précédent.

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Dans ce cas, il s’agit non seulement d’une compétitivité sur les marchés agricoles, mais également d’une compétitivité par la reproduction et l’insertion des exploitations dans un contexte donné (cf. note de bas de page n° 32).

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Un essai a été réalisé dans le cadre d’un programme européen sur les politiques agricoles régionales (Perraud, 2000). Nous nous en inspirons en partie, mais cette nomenclature (nommée « transfert ») n’apparaît pas suffisamment fonctionnelle dans cette étude.

Tableau 7 : Nomenclature des « aides agricoles régionales »

1.2. Intervention agricole des Etats-membres et des Régions :

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