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Coordination des acteurs régionaux du secteur

INTRODUCTION DU CHAPITRE IV

1. RENFORCEMENT DE LA DIMENSION TERRITORIALE DANS LA REGULATION SECTORIELLE

1.1 Le territoire comme élément de renouvellement de l’utilisation des ressources

1.1.2 Coordination des acteurs régionaux du secteur

Les ressources spécifiques du territoire ont été définies par leur lien à un processus de production particulier partagé par les acteurs locaux. Elles peuvent être soit intrinsèques au territoire soit construites, issues des interactions sociales en son sein (identité territoriale, savoir-faire, relations particulières dans les coordinations économiques, connaissances spécifiques). Colletis et Pecqueur (2005) insistent sur le fait que ces ressources, pour être valorisées, doivent être activées149. Ils distinguent ainsi ressources et actifs spécifiques : « par actif, on comprendra des facteurs « en activité », alors que par ressources il s’agira de facteurs à exploiter, à organiser, ou encore à révéler » (p.55). Dans le développement économique, une combinaison de ressources spécifiques données ne suffit pas si celles-ci restent cachées, éparpillées ou mal utilisées (Hirschman, 1986). Leur activation repose alors sur la capacité des groupes à s’organiser et à élaborer des processus d’activation des ressources.

Dans ce cadre, les collectivités régionales peuvent jouer un rôle important en coordonnant les acteurs locaux et en contribuant ainsi à former un espace d’intelligibilité et d’action. En ce sens, les politiques des Régions dérogent aux fonctions classiques de l’Etat, « entrepreneur » et « régulateur », créateur de règles et initiateur de dépenses et de recettes publiques (Cooke, Morgan, 1998 ; Delorme, André, 1983) : la Région devient plutôt animatrice, créatrice d’un cadre institutionnel incitant à une modification des comportements et une amélioration des liens entre les acteurs publics, privés et parapublics. Elle met en place des coordinations aux formes complexes, visant la construction de réseaux d’acteurs et leur mobilisation dans la prise de décision publique (Cooke, Morgan, 1998 ; Gualini, 2002). Cette évolution correspond au passage d’une configuration de gouvernement à celle de gouvernance (telle que définie dans le chapitre 2). L’Etat s’inscrit de cette façon dans une nouvelle transition macro-économique post-fordiste fondée sur les réseaux et la concertation (Jessop, 2002). Enfin, la Région correspond à une échelon à la fois suffisamment important pour regrouper une masse d’acteurs et d’activités significative sur le plan socio-économique, et

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Ces deux auteurs reprennent le cadre williamsonien d’analyse des actifs spécifiques, en l’adaptant à une étude du développement territorial.

suffisamment petit pour faire jouer la proximité géographique, facilitatrice des coordinations entre acteurs (Colletis, Pecqueur, 2005).

Plus précisément, les interventions des Régions peuvent viser différentes finalités : - l’organisation du partenariat entre acteurs publics et privés et entre acteurs privés

eux-mêmes : association des différents intérêts dans la prise de décision publique, organisation du financement des actions, articulation des filières de la production à la consommation, définition et protection des produits de qualité par des cadres contraignants (Marangon, 1996) ;

- la transmission de l’information, savoir-faire ou innovation technologique : création de sphères de discussions, soutien des organisations de recherche, de développement et de formation (Amin, Thrift, 1993 ; Scott, Storper, 2003 ; Cooke, Morgan, 1998) ; - la mise en cohérence des différentes actions pour constituer une image cohérente du

territoire : complémentarité entre biens privés et publics, accès aux biens publics locaux, diversification et extension du panel des produits et services qui contribuent à l’image spécifique du territoire (Mollard, 2003).

L’intervention publique régionale se voit donc attribuer, du moins en théorie, un rôle central dans l’animation des coordinations économiques. Qu’en est-il dans le secteur agricole ?

Association des acteurs du secteur dans la prise de décision publique

L’organisation du partenariat entre les acteurs concernés relève d’abord de leur association dans la prise de décision publique. Les instances de discussion et de décision publiques se veulent plus ouvertes aux différentes organisations publiques et privées du secteur, au-delà du couple co-gestionnaire traditionnel Etat - syndicat agricole majoritaire (Coulomb et al., 1990). Certes, cette évolution n’est pas spécifiquement régionale, mais également nationale et infrarégionale. Ainsi, en France, les CDOA et les SAFER, qui déclinent à l’échelle locale les politiques agricoles nationales, incluent des acteurs publics et privés divers. De telles arènes de concertation existent également au niveau des structures intercommunales ou encore des Parcs Naturels Régionaux. Par ailleurs, cette ouverture plus grande des instances de discussion et de décision est influencée par le niveau européen, dans le cadre du 2nd pilier de la PAC (cf. encadré 3).

Ainsi, les Länder allemands et l’Ecosse, gestionnaires du 2nd pilier de la PAC, ont créé des instances ouvertes qui ont permis de confronter, sur les questions relatives au développement rural, des acteurs économiques divers du secteur. De même, hors cadre européen, des groupes ad hoc tels que l’Agriculture Strategy Group en Ecosse (qui depuis quelques années définit la stratégie régionale agricole), associent différents syndicats et groupements agricoles, les acteurs de l’aval et l’amont, la recherche dans le secteur agricole,

les consommateurs. Dans les régions françaises, de telles instances ont été impulsées par les échelons européen et national dans le cadre des programmes régionaux d’objectif 2, associant les collectivités régionales. Par ailleurs, des partenaires diversifiés du secteur sont consultés pour la définition des grandes lignes des politiques agricole régionales. C’est le cas depuis 2004 en Pays-de-la-Loire et Rhône-Alpes dans le cas, respectivement, des assises régionales et de l’élaboration de la délibération-cadre régionale sur l’agriculture, qui visent à repenser les politiques agricoles dans un contexte de changement de couleur politique au Conseil Régional.

Plus encore, cette coordination des acteurs est la fonction centrale et quasi unique attribuée aux Regional Development Agencies anglaises. Sans réelles marges de manœuvre budgétaire et réglementaires (cf. chapitre 2) et sans assise politique (elles ne sont pas élues), elles assurent essentiellement un rôle d’animateur pour l’élaboration collective de stratégies et la coordination des multiples actions privées et publiques à tous les échelons, en particulier dans les domaines agricole et rural. Ainsi, elles sont un acteur important dans les multiples instances de concertation pour la déclinaison locale des politiques nationales, réunissant divers acteurs publics et privés du secteur (Marsden, Parrott, 2006). C’est le cas de certaines mesures du 2nd pilier (Ward, Thompson, 2002) et de la Strategy for Sustainable Farming and Food (programme d’aides d’Etat). Les Regional Development Agencies, catalyseurs de l’action (Ward et al., 2003), sont présentées par le rapport Haskins (2003) comme devant être à terme les instances principales de coordination et de mise en cohérence. Ces partenariats aboutissent parfois à des actions innovantes. Cependant, toutes ces interventions concernent des sommes infimes au regard d’une politique du 2nd pilier décidée par un nombre restreint d’acteurs nationaux. Ainsi, les aides agro-environnementales et aux zones défavorisées sont définies entièrement au niveau national. Les autres sont élaborées au niveau national et déclinées au niveau régional au sein des Regional Appraisal Panels, constitués de représentants de l’Etat national déconcentré et des Regional Development Agencies. Enfin, au-delà de cette profusion d’instances participatives, il conviendra de se poser la question de leur réelle portée dans la prise de décision publique.

Encouragement du cofinancement privé

Dans l’organisation du partenariat entre acteurs, un autre objectif tient à la stimulation

du cofinancement privé. L’Union Européenne, via le 2nd pilier de la PAC, y a largement

contribué en incitant à associer des organisations parapubliques et privées aux montages financiers des programmes d’intervention publique. De même, sauf pour quelques mesures, les subventions du 2nd pilier impliquent toutes une participation des bénéficiaires, de façon

obligatoire ou optionnelle150. Au total, dans les régions françaises, la part des fonds privés dans les programmes régionaux d’objectif 2 s’élève par exemple à un tiers des financements totaux. Les variations sont cependant très fortes entre types d’aides mais aussi entre régions. Ainsi, cette part s’élève à environ 17 % en Rhône-Alpes, 36 % en Alsace et 45 % en Pays de Loire sur 2000-2005 (estimations à partir de données CNASEA).

A côté de ce partenariat financier s’est également développée une délégation des tâches incombant traditionnellement à la collectivité régionale vers des acteurs parapublics ou privés. Le modèle britannique est le plus illustratif en la matière, puisque ce sont des agences quasi autonomes qui sont en charge de la définition et la mise en œuvre de la plupart des aides agricoles et rurales. En Angleterre notamment, la gestion des mesures les plus importantes du 2nd pilier relève de ces agences. En particulier, l’English Nature gère les mesures e (zones défavorisées) et f (agro-environnement). Ces agences sont pilotées par des membres nommés par le gouvernement mais sont quasi autonomes des instances publiques et sont composées d’un grand nombre de représentants du privé (Loughlin, Peters, 1997 ; Jones, 1998). C’est le cas en particulier des Regional Development Agencies151. Le gouvernement local est ainsi réinventé dans un « private sector-style » (Jones, 1998). En Ecosse, les agences Scottish Natural Heritage et Scottish Entreprise versent également certaines aides agricoles, mais dans une moindre mesure. Elles restent en lien étroit avec le ministère de l’agriculture écossais, qui les contrôle de plus en plus. Les agences écossaises sont en effet moins importantes et réputées politiquement plus proches du gouvernement, dans une région traditionnellement plus attachée au secteur public (Keating, 2005). Quant aux paiements européens, ils ne sont pas délégués à une agence comme en Angleterre (à la Rural Payment Agency). De même, le conseil n’est pas privatisé (alors qu’une partie l’est en Angleterre) et le ministère se base plus sur les collectivités locales que sur les agences parapubliques et le secteur volontaire pour la production des services publics.

Par contre, en Hesse, depuis les années 90, l’administration du Land en charge de l’agriculture a clairement diminué au profit d’une délégation croissante des tâches à des organismes parapublics, notamment de conseil et de formation (au Landesbetrieb Landwirtschaft Hessen et à l’Agrarmarketing Gesellschaft), de gestion des systèmes informatiques, d’une partie de la politique agro-environnementale (à l’Ökopunkt Agentur), et dans les années à venir, des paiements de la PAC (à une banque privée). Ce processus de délégation progressive se développe plus particulièrement dans les Länder allemands et en

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Les mesures b (installation), d (formation), e (zones défavorisées) et f (agro-environnement) n’impliquent pas de participation des bénéficiaires. Au contraire, pour les mesures a (investissements) et g (transformation et commercialisation), cette participation est obligatoire.

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Dans celle du Nord-Est, sur les 15 personnes composant l’instance décisionnaire, 8 sont représentantes d’entreprises privées.

France, notamment dans le conseil agricole (Labarthe, 2006). En France, cette sous-traitance est également importante du fait du peu de moyens administratifs accordés aux affaires agricoles par la collectivité régionale. En Pays-de-la-Loire notamment, ce manque de ressources conduit à la sous-traitance de la gestion d’une partie des mesures. Cependant, cette sous-traitance est confiée avant tout à des organismes publics et parapublics (en particulier le CNASEA, les chambres d’agriculture, l’Etat national déconcentré et les offices de produits).

Développement des soutiens indirects

Une autre logique de fond portée par les collectivités régionales concerne les soutiens indirects, par opposition aux soutiens dits directs. Les soutiens directs sont définis par la juridiction administrative française comme des mises à disposition de moyens financiers aux entreprises bénéficiaires, avec des conséquences comptables dans leur compte de résultats immédiates ou potentielles152. Dans les politiques agricoles des Régions, il s’agit de tous les soutiens versés directement aux agriculteurs (aides aux zones défavorisées, agro-environnementales, aux investissements, compensation suite aux calamités agricoles…) et aux entreprises agro-alimentaires153. Les soutiens indirects comprennent toutes les autres formes d’aides consistant à mettre à la disposition des entreprises des biens immeubles, à améliorer leur environnement économique et à faciliter l'implantation ou la création d'activités. Il s’agit notamment d’aides de fonctionnement ou d’investissement versées aux structures d’encadrement (groupement de producteurs, chambre d’agriculture, organisme d’étude, de conseil ou de formation, association…) ou aux collectivités locales.

Il est très difficile de quantifier la part des soutiens directs et indirects puisqu’ils peuvent coexister dans le cadre d’un même type de mesure ou de programme (par exemple les programmes intégrés de développement agricole en Rhône-Alpes). Une analyse budgétaire détaillée des budgets en 1995 a estimé à 70 % la part d’aides indirectes dans les budgets agricoles des conseils régionaux français (Berriet-Solliec, 1999), part qui a augmenté depuis : par exemple, les soutiens aux chambres d’agriculture et aux Associations Départementales pour l'Aménagement des structures des Exploitations Agricoles (ADASEA) ont été multipliés par 3 entre 1992 et 2002 (MAP, 2005a).

Par ailleurs, apparaît clairement dans les entretiens menés dans les régions européennes, une volonté de transfert des soutiens au revenu et à la production vers des soutiens à l’encadrement. Une des raisons avancée par les conseils régionaux français est celle de l’encadrement réglementaire très strict des aides directes au regard des aides indirectes

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Site internet du sénat français : http://www.senat.fr/rap/r99-447-1/r99-447-1137.html.

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Le mode de versement de l'aide directe n'agit pas sur sa qualification : qu'une aide directe soit attribuée par une collectivité locale au travers d'un organisme-écran est sans effet sur la nature réelle de l'aide.

(Berriet-Solliec, 1999) et la volonté d’inscrire les aides dans un cadre légal (cf. encadré 4). De la même façon, les Regional Development Agencies versent essentiellement des aides indirectes à la transformation et la commercialisation des produits agricoles (animation, conseil, promotion d’une marque régionale de qualité et de la vente directe, encouragement de contrats entre producteurs locaux et écoles). Dans les régions allemandes et l’Ecosse, les marges de manœuvre budgétaires et réglementaires sont beaucoup moins contraignantes, notamment dans le cadre du 2nd pilier et la part des aides indirectes s’avère bien plus faible par rapport aux aides aux investissements, aux zones défavorisées et à l’agroenvironnement. Ces aides indirectes représentent dans tous les cas moins de 50 % des aides totales (cf. annexe 7). Mais aux dires des acteurs rencontrés dans ces régions, cette part est amenée à augmenter. Par ailleurs, le poids des aides indirectes dans les budgets régionaux est bien plus important que dans les budgets nationaux allemand, français et britanniques (cf. tableau 8), ce qui dénote une spécificité forte des Régions en la matière.

Les aides indirectes s’inscrivent également dans une logique de filière qui s’affirme de plus en plus dans les régions soumises à enquêtes. Cette logique repose sur la coordination des acteurs amont, aval et de la production agricole. La dernière délibération-cadre sur l’agriculture en Rhône-Alpes prévoit ainsi de renforcer l’animation et la structuration de chaque filière régionale. De même, les Pays-de-la-Loire envisagent de conditionner une partie importante des soutiens à une organisation solide de la filière et cherche à mieux lier les industries agro-alimentaires de la région avec ses agriculteurs. Ainsi, depuis peu, les acteurs de la filière s’adressent directement aux Conseils régionaux pour qu’ils soutiennent leur organisation par des aides indirectes (mise à disposition, notamment, d’un animateur). C’est le cas par exemple des filières hippique et apicole en Pays-de-la-Loire.

Au final, la coordination des acteurs sectoriels régionaux est en phase de développement et se généralise dans toutes les régions soumises à enquêtes, par le biais de l’association des acteurs du secteur dans la prise de décision publique et par le biais de l’appel au cofinancement privé et de la mise en place d’aides indirectes.

1.1.3 Soutien de nouvelles formes de réduction des coûts de production et

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