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Mise en évidence à partir de l’objectif de cohésion

3. L’ÉVOLUTION DE LA PAC EN CONTRADICTION AVEC LES INTERETS MULTIFONCTIONNELS

3.2 Mise en évidence à partir de l’objectif de cohésion

La notion de cohésion économique et sociale apparaît comme un objectif de l’Union Européenne dans l’Acte Unique Européen en 1987, puis dans le Traité de l’Union Européenne en 1992. La cohésion ne concerne pas seulement les politiques régionales financées par les fonds structurels, mais également l’ensemble des politiques des Etats-membres et de l’Union Européenne. En particulier, il est indiqué dans le traité de l’Union Européenne que la réalisation de la cohésion économique et sociale doit être soutenue par l’action menée dans le cadre du Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA), et donc par la PAC. Ceci est nouveau pour une politique dont les objectifs originels (Traité de Rome, 1957) ne comportent pas la notion de cohésion, excepté, de façon indirecte, à travers l’assurance d’ « un niveau de vie équitable à la population agricole ». Certes, dès 1975 sont apparues dans le cadre de la PAC des mesures agricoles de soutien aux zones défavorisées. De même, dès 1988, les mesures du volet agricole et rural des programmes d’objectif 5b ont visé spécifiquement les zones rurales fragiles. Mais ces mesures restent marginales, et dans l’ensemble, la PAC a été fortement mise en question en matière de cohésion par une série de rapports européens : le 1er rapport sur la cohésion, confirmé par les 2ième et 3ième, puis le rapport Sapir, qui a fini de condamner l’incapacité de la PAC à gérer la diversité croissante des systèmes agricoles en proposant de la renationaliser. Depuis, l’Union Européenne

s’intéresse de plus près aux impacts de l’ensemble des politiques européennes, et en particulier des politiques agricoles, en matière de cohésion44.

3.2.1 Mise en évidence à partir de l’objectif de cohésion interrégionale

L’Union Européenne est aujourd’hui confrontée à des disparités interrégionales croissantes en matière d’activité agricole. L’accentuation de la concentration et de la spécialisation régionale des productions agricoles45 s’accompagne d’une augmentation des disparités interrégionales entre structures agricoles. Il se produit ainsi un « clivage entre les régions du sud et du nord de l’Europe […] : les vingt régions les plus faibles, toutes situées en Grèce, en Espagne, en Italie ou au Portugal, voient la dimension économique moyenne de leurs exploitations régresser de 2,2% en quatre ans quand, pour la même période, celle des vingt régions les plus élevées, toutes situées dans les grands pays agricoles du nord, s’est accrue de 24,6% » (2ième rapport sur la cohésion économique et sociale, p. 85). Selon ce même rapport, les agricultures régionales qui présentent des tailles trop faibles d’exploitation sont d’ores et déjà vouées à la marginalisation.

Cette spécialisation des espaces s’inscrit dans le processus d’internationalisation et de libéralisation de échanges agricoles et de la baisse des prix qui en résulte. Plus précisément, en fonction des caractéristiques physiques et économiques des régions, les exploitations tendent à adopter le même système productif permettant la meilleure productivité, pour assurer leur renouvellement. Or, la baisse des prix tendancielle et donc la hausse du seuil de renouvellement ont mené à une restriction de plus en plus forte autour d’un ou de quelques systèmes selon les régions (Mazoyer, Roudart, 1997).

La PAC, bien loin de contrecarrer le renforcement de ces disparités interrégionales, l’accompagne voire le renforce. En effet, elle permet certes une compensation vers une profession souffrant d’un revenu qui sans cela serait bien inférieur à la moyenne des autres revenus, mais elle profite surtout aux exploitations et aux régions les plus prospères. Ainsi, aides indirectes et directes confondues, de nombreuses régions (au niveau spatial NUTS 346) du Nord de l’Union Européenne reçoivent plus de 25000 euros d’aides par actif agricole en moyenne, quand la plupart des régions du Sud en reçoivent moins de 10000 (Shucksmith et

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C’est ce qui a motivé le financement d’un « Observatoire en Réseau de l’Aménagement du Territoire en Europe » (ORATE/ESPON en anglais), dont un des volets porte sur l’impact territorial de la PAC (Shucksmith

et al., 2005). 45

Par exemple, ces processus ont été mis en évidence en Europe par Brasili et Fanfani (1996) sur la période 1985-1995 dans les cas des bovins, porcs et volailles

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cf. annexe 6 pour une explication du niveau spatial NUTS (Nomenclature des Unités Territoriales Statistiques).

al., 2005). Les aides directes, qui constituent l’essentiel du 1er pilier suite aux réformes de 1992 et 1999, renforcent l'avantage initial des régions les plus productives, au détriment notamment des régions méditerranéennes, en aidant certaines productions massivement (grandes cultures, viande bovine, ovine et caprine) et proportionnellement aux volumes livrés. Elles créent un effet cumulatif sur les revenus, sur les capacités de financement et sur la situation économique des exploitations (Léon, Quinqu, 1996 ; Commission Européenne, 2000 ; Chatellier et al., 2004). Au final, les réformes de 1992 et 1999 ont un effet redistributif faible voire nul par rapport à l'ancienne PAC fondée sur le soutien des prix. Les réformes de 2000 et 2003 réaffirment cette répartition régionale des aides, notamment en fixant le montant d’aides découplées selon des références historiques et en plafonnant le soutien au 2nd pilier à seulement 10 % du budget 2000-2006 de la PAC.

3.2.2 Mise en évidence à partir de l’objectif de cohésion infrarégionale

Ce n’est pas seulement la cohésion interrégionale mais également la cohésion infrarégionale qui a été mise à mal par cette PAC. La PAC renforce les inégalités non seulement entre espaces régionaux mais également entre actifs agricoles de mêmes espaces, au détriment de la cohésion au sein de la profession agricole (Shucksmith et al., 2005). Ainsi, dès les années 90, il est admis que seuls 20 % des agriculteurs européens reçoivent 80 % du volume d’aides de la PAC (Commission Européenne, 1996). Surtout, cette politique s’avère incapable de répondre aux tensions qui se sont renforcées entre producteurs agricoles et autres usagers de l’espace rural. En effet, depuis la période fordiste, les producteurs agricoles ont modelé l’espace rural selon l’objectif de productivité au détriment d’autres fonctions sociales et environnementales. Les tensions ont pu se développer au fur et à mesure que le poids socio-économique des agriculteurs a diminué au sein des espaces ruraux (cf. § 2.4). Elles ont été accentuées par les épisodes de calamités agricoles, comme celui de la fièvre aphteuse, qui ont détourné au profit de l’agriculture des masses budgétaires importantes pour financer la gestion des crises et l’indemnisation des producteurs. Il en résulte une impression largement partagée par les citoyens britanniques, à savoir que le rural aurait été sacrifié pour l’agricole. D’où l’appel de certains chercheurs à considérer le développement agricole réellement comme une composante du développement rural et plus largement du développement régional (Ward et al., 2003 ; Marsden, Bristow, 2000). Pour cela, il s’avère nécessaire de repenser les frontières du secteur agricole.

Le lien entre agriculture et développement rural et régional repose notamment sur la capacité d’emplois du secteur. Or, l’agriculture ne représente qu’environ 4 % de la population active dans les anciens Etats-membres, mais plus de 12 % dans les nouveaux (Commission Européenne, 2005a). La baisse continue du nombre d’emplois agricoles affecte en particulier

des zones rurales qui ont déjà tendance à accuser un retard concernant un certain nombre d’indicateurs socio-économiques. Cette baisse se fait surtout dans un contexte européen de chômage de masse, atteignant en moyenne près de 9 % de la population active en 2005 dans l’Union Européenne à 25 (donnée Eurostat). Or, les dernières réformes de la PAC ne corrigent pas la baisse continue de l’emploi agricole. Bien au contraire, il se peut que la réforme de la PAC 2003 et le principe de découplage mènent à une concentration des droits à primes, à des difficultés de transmission des exploitations agricoles et d’installation, donc à une diminution encore plus rapide du nombre d’exploitations et d’actifs agricoles (Kroll, 2005).

Au vu de l’ensemble de ces éléments, les politiques agricoles européennes actuelles ne répondent pas à l’objectif de cohésion, que ce soit entre espaces européens, entre agriculteurs ou entre agriculture et espace rural. Plus généralement, si la PAC a pu depuis sa création et sous certains aspects soutenir des objectifs ponctuels de durabilité et de cohésion (Blogowski, 2004), elle tend globalement à les remettre en cause, s’opposant ainsi radicalement aux intérêts multifonctionnels. Comme le précise Zaccaï (2002), l’objectif de développement durable, tout comme celui de cohésion, peuvent être mobilisés dans le discours comme couverture, de façon stratégique, sans modifier aucunement les fondements et modalités d’une action, ou encore être utilisés pour justifier une recombinaison des fondements ou des modalités. Mais au vu de l’évolution actuelle de la PAC, une réelle adéquation aux objectifs de développement que sont la durabilité et la cohésion, en somme une réponse véritable aux intérêts multifonctionnels, passe par une modification en profondeur des fondements et modalités des politiques agricoles, qui va bien au-delà, voire à l’encontre des réformes engagées.

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