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POLITIQUES AGRICOLES DES REGIONS ET NOUVELLES FORMES DE REGULATION : LES LIMITES

INTRODUCTION DU CHAPITRE IV

3. POLITIQUES AGRICOLES DES REGIONS ET NOUVELLES FORMES DE REGULATION : LES LIMITES

3.1 Diversité et limites de la territorialisation des politiques agricoles

des Régions

Le tableau 16 reporte les résultats empiriques qui viennent d’être développés, pour chaque région soumise à enquêtes et chaque forme de territorialisation des politiques agricoles. Ces résultats nous apportent des éléments de réponse quant à la question de l’émergence d’une nouvelle forme de régulation territoriale dans les politiques agricoles régionales. Tout d’abord, l’hétérogénéité des degrés de territorialisation dans les régions soumises à enquêtes n’apparaît pas liée directement à l’appartenance à un Etat-membre particulier. Ceci confirme notre première hypothèse selon laquelle les Régions ont à présent les moyens pour mettre en œuvre des politiques agricoles spécifiques à leurs situations propres. Pour autant, peut-on affirmer qu’au travers de la dimension territoriale, les politiques agricoles des Régions permettent d’affranchir les dynamiques agricoles régionales des principes dominants à une échelle supra-régionale ? Ont-elles un caractère de cohésion plus affirmé que les politiques supra-régionales ? Certes, nous avons montré que la dimension territoriale est vectrice de nombreuses innovations allant dans ce sens. Mais au regard des résultats de ce chapitre, la réponse à ces deux hypothèses mérite d’être fortement nuancée, ceci pour plusieurs raisons.

Premièrement, cette dimension territoriale est présente de façon très hétérogène selon les formes de territorialisation et selon les régions observées (cf. tableau 16). Ainsi, si la coordination des acteurs économiques sectoriels est une tendance forte dans toutes les régions que nous avons enquêtées, cela n’est pas le cas de la mise en cohérence des politiques de développement régional, rural et agricole. De même, l’adaptation aux spécificités régionales passe effectivement par la réponse à des demandes de biens et services locaux marchands et non marchands, mais très peu par le soutien d’actifs agricoles non ou peu soutenus par la PAC. Par ailleurs, les politiques agricoles bavaroises, et dans une moindre mesure écossaises, sont marquées par le renforcement de la dimension territoriale dans la régulation sectorielle mais non par la désectorisation des politiques agricoles. L’inverse tend à se produire en Schleswig-Holstein. Enfin, ni le renforcement de la dimension territoriale dans la régulation sectorielle, ni la désectorisation, ne caractérisent les politiques agricoles de l’Alsace et des Pays-de-la-Loire. Au contraire, ces deux formes principales de la territorialisation marquent simultanément les politiques agricoles de Rhône-Alpes, de Hesse et du Nord-Est anglais.

Ainsi, la territorialisation, notamment dans sa première forme (renforcement de la dimension territoriale dans la régulation sectorielle), a tendance à être cantonnée aux régions où dominent les zones défavorisées et une petite agriculture multifonctionnelle. Cette hétérogénéité des degrés de territorialisation des politiques agricoles des Régions pose la question des ressources régionales : toutes les Régions n’ont pas la même capacité à territorialiser leurs politiques agricoles. L’état de la structure productive agricole, l’identité territoriale, la place socioculturelle de l’agriculture, le pouvoir d’achat, la sensibilité des consommateurs à une alimentation de qualité et locale, comptent dans la capacité de la région à produire et à dégager des débouchés pour des biens et services dits territorialisés.

Deuxièmement, cette dimension territoriale, ou du moins l’application qui en est faite dans les régions, pose question quant à la capacité de rupture avec les principes dominants à des niveaux supra-régionaux. Par exemple, lorsque les soutiens régionaux à la qualité reposent sur des connaissances et processus technologiques, ceux-ci sont tout à fait exportables dans une autre région (Mollard, 2003). Même liée à des ressources spécifiques, la protection face à la concurrence extrarégionale n’est pas non plus assurée, du moins en circuit long : protégés par un cadre juridique et des effets de réputation, les produits peuvent être concurrencés par d’autres produits du même type provenant d’autres régions. Ils peuvent être produits par des entreprises qui dépassent largement le cadre régional (Marsden, 1998)197. En outre, malgré les efforts de coordination des collectivités, le rapprochement entre producteurs et industries agro-alimentaires des régions reste un vœu pieu, puisque les Régions n’ont pas les marges de manœuvre réglementaires pour contrôler ces entreprises. Dans ces conditions, seuls le face-à-face (vente directe, paniers, marchés) et les circuits de proximité (coopératives, restaurants, cantines) (Renting et al., 2003) échappent réellement à la concurrence directe de l’extérieur. Or ces deux mécanismes sont peu développés et les soutiens des Régions ne s’orientent pas en priorité vers eux. Par ailleurs, ces circuits courts restent fortement dépendants du problème de débouchés (Mollard, 2003 ; Knickel, 2006). Or, les Régions ne soutiennent pas ou très peu l’information aux consommateurs et leur sensibilisation à des pratiques alternatives d’achat et de consommation.

Troisièmement, les Régions innovent peu en matière agricole, ou du moins ne le font-elles qu’à la marge. Les mesures proposées par les Plans de Développement Rural régionaux ne proposent souvent guère plus d’innovations que dans les plans nationaux. Ainsi, en Hesse

197

Au Royaume-Uni, en Suède et au Danemark, 70 à 80 % de l’agriculture biologique est vendue par les grands distributeurs, de la même façon que de nombreux autres produits supposés différenciés territorialement. D’où des risques de pression sur les prix, de dilution de la qualité et de concurrence par des produits aux caractéristiques semblables (Renting et al., 2003).

ou en Ecosse (Ward, 2002), la plupart des programmes et mesures sont antérieurs à 1999 et ont été adaptés pour entrer dans les cadres de financement nationaux et européens. En

Angleterre et en Ecosse, la création d’un système d’aides 2nd pilier à l’hectare peu

contraignantes augure d’une logique visant à calquer peu à peu le 2nd pilier sur le 1er et à réduire encore davantage son potentiel innovateur. Dans ce contexte, les niveaux infrarégionaux apparaissent parfois plus innovants dans leurs politiques agricoles, que ce soit aux niveaux des conseils généraux français198, des Landkreise allemands ou des counties britanniques. Pour autant, hors du cadre du 2nd pilier, des innovations sont mises en œuvre par les Régions, notamment en France (Berriet-Solliec, 2002) : les conseils régionaux soutiennent (certes à la marge) des productions considérées comme marginales et non soutenues à l’échelle nationale mais qui représentent un poids important dans l’économie locale. En l’occurrence, il semble que les règles associées au 2nd pilier européen représentent davantage un frein qu’un moteur de l’innovation (le chapitre 5 développera cette idée).

Enfin, l’évolution actuelle des politiques agricoles des Régions ne permet pas d’être plus optimiste sur la prise en compte de la composante territoriale. Certes, les Pays-de-la-Loire, Rhône-Alpes et dans une moindre mesure la région Nord-Est anglaise développent les mesures qui s’inscrivent dans une dimension territoriale, mais avec des marges de manœuvre très réduites. Par ailleurs, que ce soit dans ces régions ou dans les autres, la part du levier « diminution des coûts de production des exploitations agricoles » reste dominante. La Hesse et le Schleswig-Holstein se dirigent de plus en plus vers une politique de réduction des coûts de production par les aides aux investissements et le soutien des exploitations les plus productives et les plus restructurées. Dans une moindre mesure, l’Ecosse, si elle évolue sous certains aspects vers une meilleure prise en compte d’acteurs agricoles et ruraux jusque là marginalisés, privilégie toujours les bénéficiaires traditionnels. Ce qui fait dire à Ward et Lowe (2002, p. 127) que dans les nations britanniques, en matière de politiques agricoles et rurales, « there is evidence that devolution has reinforced agricultural sectoralism, rather than fostered ‘joined-up working’ in parts of the UK ». Certes, dans les discours des Régions, le lien entre agriculture et territoires apparaît central et nécessaire pour continuer à légitimer les soutiens. Mais il reste marginal dans les politiques mises en œuvre. De plus, toutes ces Régions se trouvent confrontées à une réduction des fonds agricoles nationaux et européens, ce qui pourrait conduire à une focalisation sur les mesures existantes (du fait des obligations de paiement en cours et des coûts de gestion associées à de nouvelles politiques) et empêcher toute innovation, notamment dans le cadre du futur 2nd pilier.

198

Par exemple, le dispositif Gerplan du Bas-Rhin, appelé à être renforcé et qui permet d’élaborer des plans de développement agricole et rural par territoires selon des besoins cernés au préalable, apparaît bien plus innovant que ce qui peut être fait dans la région Alsace.

Tableau 16 : Schématisation des degrés de territorialisation des politiques agricoles dans les régions d’enquêtes

Mécanismes de territorialisation RA PDL Alsa Hess SH Bavi Ecos NE

Renforcement de la dimension territoriale dans la régulation sectorielle Soutien de la qualité fondée sur les

ressources spécifiques ++ - - + - - ++ + ++

Coordination des acteurs sectoriels + + ~ + + + + ++

Soutien de nouvelles formes de réduction des

coûts de production - - - - + - - + + ?

Réponse à des demandes diversifiées en

biens et services locaux ++ ~ ? + ~ + + ?

Zonage infrarégional des aides + - ? - + - + ?

Développement d’une logique de projet + + + ~ + + - +

Soutien d’actifs agricoles non ou peu

soutenus par la PAC + + - ~ - + - ?

Désectorisation des politiques agricoles Ouverture du cadre organisationnel aux

acteurs non agricoles (publics et privés) + + - + ++ - ~ +

Ouverture des soutiens à des bénéficiaires

non agricoles ~ - - + ++ ~ - +

Soutien des territoires de projet + + + + ++ - - ?

Mise en cohérence des politiques de

développement régional, rural et agricole - - - - - ~ ~ ~ ~ ~

++, +, ~, -, - - : degrés d’application (du plus fort au plus faible) des mécanismes de territorialisation dans les politiques agricoles des Régions

Collectivités régionales : RA=Rhône-Alpes, PDL=Pays-de-la-Loire, Alsa=Alsace, Hess=Hesse, SH=Schleswig-Holstein, Bavi=Bavière, Ecos=Ecosse, NE=Nord-Est anglais (Regional Development Agency)

3.2 Quelques autres leçons tirées du fédéralisme fiscal

Le fédéralisme fiscal et l’économie publique locale ont développé, dans un cadre néo-classique, les avantages et limites que représente la décentralisation de l’intervention publique (cf. annexe 3). Le chapitre 2 explique en quoi ces cadres d’analyse sont peu appropriés à notre objet de recherche. De fait leurs conclusions sont difficilement vérifiables empiriquement dans le cadre de cette thèse. Cependant, certains points nous permettent de mettre en lumière quelques limites associées à l’intervention agricole des Régions.

La décentralisation de l’intervention publique peut entraîner, du fait de la multiplication des niveaux d’intervention de l’Etat, une complexité et une opacité

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