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Soundjata Keïta, héros politique mandingue

MODALITES DE REGULATION POLITIQUE AU MALI ET AU NIGER

3) Soundjata Keïta, héros politique mandingue

Suivant une tradition plus ou moins fiable, Allakoï Keïta (ou Keyta) aurait fondé l’Etat mandingue en 1213, qui allait plus tard être connu sous le nom d’Empire du Mali. Ce n’est au

222 IBN KHALDOUN, op. cit., p. 115.

223 KI-ZERBO J., NIANE D. T. (dirs.), Histoire Générale de l’Afrique, tome IV. « L’Afrique du XIIème au XVIème siècle », Paris, Présence Africaine, Edicef, Unesco, 1991, p. 102.

départ qu’un petit royaume situé sur le territoire de l’actuelle Guinée. Vingt-cinq ans plus tard, Soundjata Keïta allait le transformer en première puissance du Soudan. En 1240, Soundjata prit et détruisit la capitale du royaume de Sumaoro Kante, pour établir sa propre autorité un peu plus au Sud, probablement à Niani, sur le Haut-Niger. Lui et ses successeurs devaient par la suite régner pendant un siècle sur la plus grande partie du Soudan occidental.

L’Etat mandingue est l’une des organisations politiques les plus commentées du continent. Des auteurs arabes comme El-Bekri, Ibn-Batouta, Ibn-Khaldoun, Al-Omari, Léon l’Africain, les rédacteurs du Tarikh-es-Soudân et du Tarich-el-Fettâch, en firent tous mention. Plus tard, ce fut le tour de savants/administrateurs coloniaux comme Delafosse ou Monteil de se pencher sur le Mande et la dynastie de Keïta. Ce fut enfin, un peu plus tard encore, aux Mandingues eux-mêmes de faire parler leurs historiens afin que le récit de cette période ne leur échappe plus, et que des griots comme Bamba Suso, Banna Kanute, Dembo Kanute, Mamadou Kouyaté, Kélé Monzon et Wâ Kamissoko puissent désormais écrire les nouvelles pages des manuels scolaires.

a) La construction du mythe : l’enfant infirme devenu Empereur

De 1050 à 1200 environ, l’histoire soudanaise ne retint le nom que de trois princes mande qui « régnèrent sans éclat224 » sur le pays. Le dernier pourtant, Naré Famaghan, sembla avoir courageusement tenu tête aux armées de Sumaoro pour que celui-ci décide à sa mort, d’en faire assassiner tous les fils, à l’exception du douzième et dernier, Soundjata, enfant infirme né de Naré Famaghan et Sogolon Diata. Victime, parmi beaucoup d’autres de la fadenia (rivalités entre fratries de familles polygames), l’enfant vit exilé de Niani, dans le village de Néma. Ainsi commence la légendaire épopée du futur Mansa (chef) du Manden, l’enfant infirme devenu le plus puissant des Empereurs soudanais. Après avoir recouvré santé et force, Soundjata fut rappelé par les populations de son pays, en proie aux exactions de Sumaoro, le « forgeron esclavagiste » du Sosoe225. Placé à la tête d’une armée par le roi de Néma, Soundjata revint triomphant à Niani, où l’attendait la victoire finale. C’est en 1235 que les deux puissances s’affrontèrent, à Kirina, près de Koulikoro. Tué après d’incroyables péripéties, la mort de Sumaoro Kante fit de Soundjata le maître incontesté du Sahel. Le griot Lansine Diabaté relate ainsi cette victoire : « Quand Sumaworo tendit sa main [pour manger une perdrix], la guerre commença. L’armée de Magan Sunjara [Soundjata]

pénétra dans la ville de Soso. Il la brisa et Magan Sunjara chassa Sumaworo. Il alla à Kunkun, il le suivit, il le

224 LABOURET H., L’Afrique précoloniale, Paris, PUF, 1959, p. 52.

225 ROUCH J., préface à l’ouvrage de CISSE Y. T., KAMISSOKO W., Soudjata : la gloire du Mali, la grande geste

poursuivit. Il alla à Bantamba, il le poursuivit. Et à Niyani. A travers Niyani, il alla jusqu’à la berge de Kulikoro, il se retourna alors et il vit, derrière lui, Magan Sunjara. Il accrocha quelque chose à son cou et il se transforma en rocher. Son étalon se transforma aussi en rocher. (…) Magan Sunjara dit : « Tu l’as fait ainsi, si tu ne l’avais pas fait ainsi, je ne t’aurais pas laissé ici au Manden. » Même aujourd’hui, les gens de Kulikoro font des sacrifices dans ce lieu dit ‘Kulikoro Nyanan’. Sumaworo n’est pas mort. Ce n’est pas un mensonge. Sumaworo, chef de Danni226 ».

Toujours est-il qu’après s’être assuré le contrôle de l’ancien royaume de Kanté, Soundjata revint sur ses terres pour y administrer un territoire s’étendant sur une grande partie de la Gambie, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Mali et de la Guinée227.

Carte : KI-ZERBO J., NIANE D. T. (dirs.), Histoire Générale de l’Afrique, tome IV, Paris, Présence Africaine, Edicef, Unesco, 1991, p. 115.

Jusqu’à sa mort en 1255, Soundjata Keïta parvint « à faire du Manden un pays uni, c’est-à-dire « solidaire comme les doigts de la main et en harmonie avec lui-même comme le sont les dents et la langue dans la bouche »228 ». Il fallu attendre 1307 pour que l’empire se dota d’un souverain « à la hauteur » de Soundjata, Kankan Moussa. Avec lui, l’Empire connu sa plus grande extension pour s’étendre désormais plus avant en territoire nigérien, « entre la vallée du Bani à l’Est et le pays de Tékrour sur le Sénégal moyen à l’Ouest ; au Sud, les peuplades voisines de la forêt lui payaient tribut ainsi que les anciennes dépendances du Gana, le pays sonrhaï, les régions de Oualata, Arouane, Tichit, Tadmekket, Tekedda et Agadès229 ». Le nouveau roi fut, par ailleurs, celui qui contribua le plus fortement à la renommée

226 JENSEN J., Epopée, histoire, société : Le cas de Soundjata, Mali et Guinée, Paris, Karthala, 2001, pp. 274-275.

227 « En allant vers le Worodoudougou, pays de la kola, l’autorité de Soundjata s’arrêta à Kissi-Nkènèma, en Guinée. En allant

vers le Sahel, elle s’arrêta à Nêma. En allant vers l’est, l’autorité de Soundjata s’arrêta à Bla, près de la rivière Bani. En allant vers le couchant, son autorité s’arrêta à Banjul en Gambie », in CISSE Y. T., KAMISSOKO W., op. cit., 1988, p. 283.

228 Ibid, p. 31.

de l’Empire à l’extérieur de ses frontières, notamment avec les Etats musulmans de Maroc et d’Egypte. Ibn-Khaldoun fournit à ce sujet de précieuses descriptions, notamment pour la partie concernant son pèlerinage à la Mecque (1324), où ses prodigalités aurifères contribuèrent à la chute du cours égyptien.

Lorsque son fils, Maghan, hérita de l’Empire en 1332, l’histoire ne retint ni son courage, ni son intelligence politique, mais l’incroyable maladresse qui allait précipiter la chute du Grand Mande. En laissant échapper les princes songhay capturés par son père, Maghan allait ouvrir une période de guerres civiles et de luttes fratricides qui devaient, vers la fin du XIVè siècle, réduire l’empire à sa plus simple expression.

b) Des codes sociaux imprescriptibles : la charte de Kurukanfuga

Plus que le récit détaillé des glorieuses épopées soudanaises, c’est bien les modes d’administration privilégiés par ces souverains qui sont les plus susceptibles d’intéresser nos « objets » politiques contemporains. Les quelques vingt années de règne de Soundjata Keïta constituent, plus que n’importe quelle autre période de l’histoire soudanaise, un temps politique extrêmement fort, tant aux plans institutionnel que culturel. Baptisé tantôt Mari Diata (seigneur lion), Simbon Salaba (maître chasseur à la tête vénérable) ou, en langue soninké, Maghan Sounjata (Roi Soundjata), il a laissé à la société malienne d’importants héritages. D’abord, la tradition lui a attribué la codification des normes sociales et politiques qui régissent en partie encore les peuples mande. C’est en tout cas l’analyse de Gordon Innes qui écrit : « Pour les malinkés, Soundjata est (…) l’homme qui a établit l’architecture sociale de la société d’aujourd’hui (…). Son influence est ressentie directement sur la vie quotidienne230 ». Niane insiste aussi sur l’actualité des normes

soudjatesques ; pour lui, l’Empereur « a laissé pour toujours sa trace sur le Mali, et ses tabous continuent de guider les hommes dans leurs comportements231 ».

Tout débuta avec l’unification des différents clans mandingues. C’est ainsi « dans une grande plaine proche de Kangaba, à Kurukanfuga que la tradition situe le Gbara, c'est-à-dire le grand rassemblement, et en l’occurrence l’assemblée constituante des clans mandenka232 ». Lors de ce rassemblement des douze régions composant le territoire du Mali, allaient être discutés les principes directeurs fondamentaux appelés à régir les domaines principaux des vies politique et sociale. Il fallut d’abord que Soundjata fut intronisé roi suprême du Mande ; pour cela, les rois

230 INNES G., Sunjata : Three Madinka Versions, Londres, Ed. Redwood Burn Limited, Trowbridge & Esher, 1974, pp. 32-33. Traduit par nos soins.

231 NIANE D. T., Soundjata, an Epic of Old Mali, London, Ed. Longman, 1971, p. 83. Traduit par nos soins.

des douze autres royaumes durent collectivement abdiquer en sa faveur pour devenir simples

Farin (gouverneurs) dans leurs provinces. Ensuite, il fut prévu que, désormais, le principe

dynastique prévalait dans l’Empire suivant la voie collatérale de frère à frère, le Mansa suprême devenant le Père de tous les habitants de l’Empire (Nfa Mansa). Puis, les dignitaires s’attelèrent à repenser l’organisation sociale du Mande ; seize clans furent désignés porteurs de carquois, cinq clans maraboutiques institués gardiens de la foi, et quatre clans regroupaient les hommes de métiers (griots, cordonniers, forgerons et tisserands233). Enfin, Kurukanfuga fut aussi le lieu où la tradition acta l’institutionnalisation des correspondances entre les noms claniques, plus connue sous le nom de parenté à plaisanterie (Sanankuya). Il s’agissait d’évacuer les tensions qui pouvaient survenir entre les groupes sociaux, en établissant entre eux une parenté artificielle obligeant à la raillerie et à la solidarité mutuelle. On trouve finalement dans la charte constitutive de l’Empire Mande « une vision du monde, une esthétique, mais aussi des méthodes de gestion de la nature ainsi qu’un code juridique appelé à orienter les rapports entre les communautés et leurs membres234 ». Il convient ici de préciser que la Charte du Mande est le résultat d’un processus de codification sociale débuté avec le serment du Mande (Mande Malikan), qui réglementait alors le mode de vie de l’influente communauté des chasseurs. L’acte d’association qui liait entre eux les clans mandenka constitua finalement l’extension à l’ensemble des communautés « nationales » d’un code réglementé d’entente, une sorte de code juridique général des relations de tous les groupes communautaires. Soundjata partageait de cette façon le monde soudanais, chaque groupe connaissant l’ensemble des droits et des devoirs qui régiraient désormais l’intégralité de la collectivité impériale.

Pour ce qui concerne plus directement notre étude, il y a dans cette rapide histoire de l’Empire Mande, des éléments institutionnels et sociaux qui méritent une attention particulière. Ainsi en est-il par exemple de la parenté plaisante, dont l’histoire évènementielle attribue l’institutionnalisation à Soundjata. Il est néanmoins possible avant lui de mettre en lumière une origine familiale de la parenté plaisante. Babacar Sedith Diouf raconte par exemple qu’au départ de cette institution, était une génisse offerte comme dot à une sœur. Confiée comme de coutume au frère, l’animal fut ensuite laissé aux bons soins de ses « enfants-bergers », jeunes cousins des désormais « enfants-patrons ». En rétribution de ce travail, les bergers devaient solliciter de leurs « patrons » des cadeaux rituels, « usant de farces et de paroles amusantes, pour mériter la faveur de leurs bienfaiteurs ». Ainsi, « il se crée, par l’échange de dons rituels contre des quolibets à détendre un bourreau, les conditions d’une succession sans heurt dès le décès de l’oncle, dont les enfants, brusquement appauvris, restent

233 Les pêcheurs Bozo furent quant à eux consacrés « maître des eaux ».

234 NIANG M., « Un mécanisme de gouvernance endogène pour la prévention des conflits : la charte de Kurukan Fuga », in Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, Forum intergénérationnel sur la gouvernance endogène en

intégrés, malgré tout, au sein de la famille, en toute dignité et en toute harmonie ». Et, « quelles que soient les dimensions de la famille, c’est le même principe qui en maintient la cohésion sous le nom de « parenté plaisante »235 ». Sans avoir alors jamais véritablement inventé l’éthique des cousinages à plaisanterie, l’Empereur mandingue en a néanmoins fait l’usage retenu par l’histoire ; il l’a constitutionnalisé, à travers les équivalences patronymiques, dans la charte scellant la naissance de son Empire : « Je scelle à jamais l’alliance des Kamara de Sibi et des Keïta du Manding. Que ces deux peuples soient désormais frères, le bien des Kamara sera désormais le bien des Keïta. Que jamais le mensonge n’existe plus entre un Kamara et un Keïta236 ». Vainqueurs de Sumaoro, Soundjata et ses compagnons eurent avec ces dispositions, l’intention relativement claire de prévenir de nouveaux conflits claniques ou communautaires et d’édicter des règles de gouvernement mettant les hommes hors l’arbitraire « tensiogène » de leurs dirigeants. Ainsi, pour reprendre la définition de Raphaël Ndiaye, la parenté plaisante est un « ensemble de liens conviviaux, privilégiés établis par l’Ancêtre, activés dans une démarche personnelle renouvelée et qui fonctionne sur la base de l’humour et de la dérision courtoise ». Elle s’illustre « à l’intérieur du système de parenté horizontalement en inter reliant les parallèles cousins croisés, alliés matrimoniaux etc. et verticalement avec les échelles générationnelles, classe d’âge grands parents et petits enfants237 ». Elle recouvre ainsi plusieurs manifestations : il peut s’agir d’abord de la plaisanterie entre clans (Diop et N’Diaye, Guindo et Dienta, Camara et Sylla, etc.). C’est l’équivalence patronymique stricto sensu ; un Diop du Sénégal s’appellera alors Traoré au Mali, au Burkina Faso ou en Côte d’Ivoire. Il est désormais inenvisageable qu’il y ait une quelconque confrontation entre eux, sauf à vouloir se combattre soi-même238. Elle peut embrasser aussi les relations familiales (entre beaux-frères et belles-sœurs par exemple) ; enfin, elle ordonne certaines relations entre les peuples. Dogons et Bozos s’appelleront tour à tour esclave ou maître, de même que les Malinké et les Peuls, ou les Toucouleurs et les Sérères. Cohabitent ainsi dans la parenté à plaisanterie – mais sans jamais se confondre – « des idées comme l’identité des partenaires, le nivellement social en âge et en hiérarchie, l’éthique du partage et du respect de la dignité de l’autre, une option claire en faveur de l’harmonie sociale dans la justice et la vérité par un bon usage du sens de la mesure et, en prévision des conflits, la confession, le pardon et la réconciliation239 ». Aussi, plus qu’une simple distraction patronymique, la parenté plaisante implique un ensemble étendu de droits et devoirs entre les communautés. Une fois l’équivalence « familiale » établie, certains comportements ne sont en

235 DIOUF B. S., « La parenté plaisante. « Maat » ou le règne de l’harmonie sociale originelle », in Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, op. cit., mars 2006, Tome 2, p. 19.

236 Cité par DIOUF M. M., Lances mâles, Celtho, Niamey, 1996, p. 36.

237 NDIAYE R., Pluralité ethnique, convergences culturelles et citoyenneté en Afrique de l’Ouest, Enda Tiers-Monde, 2004. Cité par NIANE D. T., « Un mode de prévention et de régulation en Afrique de l’Ouest : la parenté à plaisanterie », in Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, op. cit., mars 2006, Tome 2, pp. 10-11.

238 AGUESSY H., « Formes endogènes de gouvernance et de prévention des conflits en Afrique de l’Ouest », in Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, op. cit., mars 2006, Tome 2, p. 60.

239 DIOUF B. S., « La Parenté plaisante. « Maat » ou le règne de l’harmonie sociale originelle », in Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, op. cit., mars 2006, Tome 2, p. 17.

effet plus envisageables. Il est par exemple interdit de faire couler le sang d’un « cousin » ou, entre certains groupes, de se marier (entre Peul et Forgerons par exemple). Il est intéressant de noter, qu’aujourd’hui encore, cette raillerie institutionnelle continue de guider la plupart des rapports sociaux en Afrique sahélienne. Si les manifestations divergent d’un lieu à l’autre, il s’agit chaque fois d’inciter une pacification des liens entre les communautés.

Sanakunya pour les Mandingues, Dendiragu pour les Peuls, Mangu chez les Dogons, Kal

chez les Wolofs, ou Maasir chez les Sérères, le cousinage moqueur fut aussi quelquefois amené à s’inviter dans le champ politique des Etats africains. Niane rappelle ainsi que, lors du conflit opposant – au milieu des années 1970 – les Présidents malien et burkinabé, Moussa Traoré et Sangoulé Lamizana, Sékou Touré eut l’idée de faire appel au célèbre griot, Sory Kandia Kouyaté. En rappelant le pacte d’amitié liant les clans Bambara (Moussa Traoré) et Samogo (Sangoulé Lamizana), le griot parvint à calmer le courroux guerrier des deux chefs qui se tombèrent mutuellement dans les bras240. Plus qu’une simple fiction familiale, la parenté plaisante doit s’appréhender alors dans un cadre normatif plus large à l’intérieur duquel on trouve également des techniques plus générales de discussion et de décrispation sociale, telles la palabre, et son pendant politique, la médiation. Ces mécanismes doivent finalement tous s’appréhender à l’aune de leurs poids respectifs dans les « systèmes » cognitifs des acteurs (social learning frames) et de leur dimension, ou non, instrumentale dans des conjonctures politiques données.

c) Le modèle politique des Assemblées et des grands Conseils

Au plan strictement politique, il apparaît que Soundjata ait aussi introduit certaines innovations institutionnelles qui ne semblaient pas avoir existé du temps des précédentes hégémonies. Suivant les mots de Bovill, l’Empire du Mali était « un Empire qui, dans l’histoire des Etats purement africains, était aussi remarquable par ses dimensions que par sa richesse, et qui fournissait un exemple frappant de l’aptitude du nègre [sic] à l’organisation politique241 ». Ainsi, sur le modèle de l’assemblée constituante, Soundjata décida qu’une fois l’an, la capitale de l’Empire devait héberger l’assemblée « des dignitaires, des notables de tous les clans et des rois de l’Empire242 ». Dans l’esprit du Mande nouveau, la gestion des affaires ne pouvait plus être l’affaire d’une seule famille, mais devenir celle « de tous » ; qu’il convenait à présent « que les chefs de guerre et de

240 Voir NIANE D. T., « Un mode de prévention et de régulation en Afrique de l’Ouest : la parenté à plaisanterie »,

in Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, op. cit., mars 2006, Tome 2, p. 10.

241 BOVILL E. W. (ed.), The Golden Trade of the Moors: West African Kingdoms in the Fourteenth Century, London, Oxford University Press, 1958. Cité par DAVIDSON B., L’Afrique ancienne. I, Paris, Maspero, 1978, p. 106.

lignage qui ont combattu ou tenu tête à Soumaworo se constituent en une seule assemblée qui arrêtera ce qu’il y a lieu de faire243 ». Niani devenait alors le siège du « parlement » impérial annuel où « tout ce qui devait être fait, dit ou aboli dans le pays faisait l’objet de débats au terme desquels le Mansa indiquait la voie à suivre et décrétait les lois à mettre en œuvre244 ». L’image de justice que continue aujourd’hui de recouvrir le règne de Soundjata est le résultat « culturel » de ce fonctionnement institutionnel. En convoquant une fois l’an l’ensemble des dignitaires du pays, c'est-à-dire les rois et tous les notables, l’Empereur s’assurait que la justice prévalait loin de Niani. Si les rois rendaient des comptes sur leur administration, les dignitaires, quant à eux, parlaient de leurs rois au Mansa ; aussi, ces derniers avaient-ils « annuellement » peur d’être dénoncés245.

Le Mansa entourait également son administration d’un grand conseil pour l’aider dans la gestion régulière de son empire. Composé des compagnons qui avaient combattu avec lui, ce conseil était essentiellement chargé de régir les deux régions militaires qui composaient le territoire, suivant « les us et coutumes de leurs ancêtres246 ». Si quelques éléments « institutionnels » ont indéniablement survécu au règne de Soundjata – notamment pour ce qui concerne les rapports sociaux entre les communautés -, la pratique collégiale de l’autorité (du moins, telle que l’histoire l’a retenu) semble quant à elle avoir cédé un peu de terrain sous le cérémonial et le faste ayant entouré les souverains suivants. Al-Omari, contemporain de Kango Moussa, décrit par exemple des séances de doléances entourées d’un cérémonial imposant et d’un bourreau ne quittant jamais l’empereur247.

C’est à l’aune de ces longs acquis institutionnels que l’épopée de Soundjata doit être entendue. Non qu’elle en soit la seule origine, ni qu’en certains « endroits » un griot n’ait pu