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L’émiettement politique du Soudan occidental

MODALITES DE REGULATION POLITIQUE AU MALI ET AU NIGER

2) L’émiettement politique du Soudan occidental

La toile de fond des organisations politiques ayant succédé au vide hégémonique songhay est d’abord constituée des royaumes bambara (Ségou, Kaarta284), des cités commerçantes Haoussa et du royaume « dual » du Kanem-Borno.

284 Pour des raisons de longueurs, et de cohérence pour notre objet d’étude, nous choisissons de ne traiter ici que l’organisation politique du royaume de Ségou (pouvoir en association). Le pouvoir confrérique privilégié au Kaarta nous semble en effet moins pertinent pour la compréhension « normative » des modalités contemporaines de régulation politique au Mali et au Niger.

Carte : « Les entités politique du sahara à l’équateur au XVIIe siècle », in OGOT B. A. (dir.), Histoire Générale de l’Afrique, Tome V, Paris, Unesco, 1998, p. 59.

a) Les royaumes bambara de Ségou et du Kaarta entre le XVIème et le XIXème siècle

Sur les ruines de l’Empire Songhay, les Bambara (ou Bamana), peuple mandingue non islamisé, établissaient au XVIIème siècle deux principautés sous l’impulsion de deux frères de la branche Koulibali. A l’instar d’un grand nombre de « légendes d’origine » du continent, c’est la « traversée du fleuve » par Baramangolo et Niangolo Koulibali qui introduit le récit bambara285. Poursuivis par un ennemi que l’histoire n’a pas retenu, les deux frères parvinrent in extremis à traverser le fleuve et à se réfugier, l’un sur la rive droite (proche de Ségou), l’autre sur la rive gauche (proche du Kaarta), en territoire marka et soninké. Les Marka étaient des commerçants installés depuis plusieurs siècles, peu portés vers le métier des armes, « profession » des nouveaux venus. C’est cette complémentarité originelle qui allait asseoir la domination bambara sur cette partie du Soudan. De part et d’autre du fleuve, on a assisté au « passage (graduel sans doute) du statut de demandeur d’asile à celui de protecteur de ses hôtes puis à celui de maître. Ce processus apparaît nettement à travers la plupart des récits sur les origines du pouvoir bambara286 ». Pas question pour autant pour les Koulibali d’unifier les rives du Niger. Les agressions réciproques de Ségou et de Kaarta allaient ainsi alimenter les chroniques pendant de très longues années. Sur la rive gauche du fleuve, Niangolo se serait établi près de Mourdia pour fonder la dynastie des Koulibaly Massassi qui régna sur la Kaarta. C’est Benefali, arrière petit-fils de Niangolo (1710-1745), qui étendit le

285 Nous reprenons les développements de OGOT B. A. (dir.), op. cit., 1998, pp. 238 ss.

plus le pouvoir des Massasi287 par des méthodes « alliant la vie patriarcale des champs à la brutalité des raids militaires288 ». Sur la rive droite, l’histoire attribue la fondation du royaume de Ségou à Biton (ou Mamari) Koulibali (1712-1755), arrière petit-fils de Baramangolo. Il aurait été le premier souverain de Ségou, le premier aussi à avoir fait reposer son autorité sur des bases associatives (ton).

a.a.) Le pouvoir en association

C’est à partir du ton et de la communauté restreinte des chasseurs qui l’entourait, que Biton est parvenu à asseoir le monopole de sa domination à l’ensemble de la population. Par la constitution embryonnaire d’une force armée, Biton Koulibaly parvint à étendre progressivement les obligations « associatives » aux villages et aux familles des environs immédiats de Ségou, et à transformer son royaume en Etat guerrier : « Après l’association des jeunes, [Biton] entreprendra de réduire celle des vieux, puis les villages alentours ; il se fera nommer fama, roi puissant, et transformera ses frères de l’association (ton), en tondyon, captifs de l’association, en inférieurs, ou en obligés289 ». C’est la combinaison d’une force militaire permanente et d’une organisation sociopolitique renouvelée, qui permit à Ségou de mener une véritable politique de conquête à l’intérieur du bassin du Niger (soumission du Macina, de Djenné et de Niani en 1751). A sa mort en 1755, l’armée allait ouvrir deux décennies de crises qui allaient aboutir à la prise de pouvoir par une nouvelle dynastie en 1776. C’est un affranchi de Biton, Ngolo Diarra (1776-1789), qui s’empara du royaume en éliminant les descendants des fondateurs originels, et en rétablissant la force des Tondyon. Jusqu’en 1860 et les assauts djihadistes d’El Hadj Omar Tall, le royaume bambara de Ségou parvint à résister aux intrigues fratricides et aux différentes luttes d’influence sous-régionales.

La « formule politique » de l’association permettait la conciliation « des usages bambara avec les impératifs inhérents à la vie de royaumes pluri-ethniques de grande envergure290 ». Contrairement aux principes gérontocratiques ou claniques qui prévalaient à l’époque dans la plupart des systèmes (proto-) politiques, le ton se caractérisait par l’égalitarisme de ses membres. Aussi, à l’organisation hiérarchique traditionnelle, la vie sociale des bambaras hissait l’entraide et la mise en commun des moyens aux rangs de valeurs fondamentales de la communauté. C’est l’élargissement de ce noyau originel qui permit au ton de correspondre plus ou moins

287 Dérivé de Massa, petit-fils de Niangolo, qui sut rallier à lui un nombre important de dépendants.

288 OGOT B. A. (dir.), op. cit., 1998, p. 241.

289 KESTELOOT L., DIENG M., Les épopées d’Afrique noire, Paris, Karthala, 1997, p. 160.

parfaitement avec « la force publique de l’Etat bambara291 ». L’association de départ s’est ainsi progressivement transformée en une sorte de gouvernement informel, dont l’attribution du titre de

faama à Biton Koulibaly constituait l’aboutissement. Mais, au-delà de cette seule structure

générationnelle, le faama présidait aussi un Sénat de quarante membres composé de guerriers et d’agents religieux, au rôle essentiellement consultatif. Cette assemblée constituait le versant politique de l’organisation Bambara, prodiguant des conseils au souverain et lui servant d’intermédiaire avec les chefferies avoisinantes. Parallèlement à ce Conseil, un conseil des chefs militaires était aussi chargé d’élaborer avec le Faama les différentes politiques de conquêtes du royaume et d’encadrer l’armée, la première institution permanente de ce type au Soudan. Outre une cohabitation quelquefois problématique entre ces deux organes, c’est l’expansion territoriale de Ségou qui a le plus lourdement pesé sur le fonctionnement du royaume. Le recul des frontières et l’éloignement des membres du conseil du centre politique, ont amené un « déplacement » progressif de l’autorité vers la périphérie. L’éclatement des structures d’autorité a contribué à affaiblir le pouvoir central de Ségou et à susciter une concurrence entre les Conseils. Pour prévenir ces mouvements de diffusion de l’autorité, le souverain s’est appliqué à convoquer ces assemblées au moins une fois l’an, au cours desquelles chaque membre devait réitérer ses « serments de loyalisme292 » et accomplir les rites religieux permettant au royaume d’actualiser sa cohésion.

a.b.) Le Primus inter pares et ses obligations coutumières

Souvent analysé en termes « démocratiques », le royaume de Ségou pèche cependant par un aspect trop exclusivement guerrier, qui organise le territoire et arbitre l’ensemble des relations de pouvoir. La question n’est alors plus de savoir si la forme associative privilégiée par Biton Koulibaly constituait les prémisses d’une régulation concertée, et donc non despotique, du pouvoir royal293, mais de comprendre ce qui, dans la société de Ségou, prémunissait contre l’arbitraire de l’exécutif. Biton ne s’était pas imposé au ton, mais avait été désigné par ses pairs qui lui reconnaissaient des qualités à même de servir leur projet politique. Le conflit qui éclata à la mort de Biton relève parfaitement de cette constatation. Lorsque son fils Jekoro s’est installé à la tête de l’Etat, les ton-den (compagnons du Fama) réagirent très durement, contestant la nature héréditaire du pouvoir et refusant de servir une autorité qui ne relevait plus directement de leur désignation. En conséquence, si la nature fortement personnelle du pouvoir de Biton ne fait

291 Ibid, p. 243.

292 Ibid, p. 244.

aujourd’hui l’objet d’aucun doute sérieux, il convient en revanche d’en souligner la conditionnalité à la personne du souverain et à ses succès guerriers. Il pouvait ainsi revenir au Sénat et au conseil militaire d’assumer un rôle préventif de contre-pouvoir, en s’imposant comme des acteurs incontournables de la légitimité du souverain et de son maintien à la tête du royaume. Mais, une fois encore, ces deux institutions étaient complétées par une troisième structure, de type confrérique, qui était supposée assurer une cohésion à la communauté autour de croyances partagées, et de rites collectifs. Si le roi s’imposait comme le chef de ces confréries, il leur était néanmoins soumis en retour du fait de l’observance de certaines règles qui alimentaient sa légitimité. Le « Bambara », observe Jean Bazin, « se sent tenu à observer une certaine conduite, à éviter certains défauts trop choquants qui lui attireraient des reproches, éloigneraient de lui ses amis, lui créeraient au milieu des siens une situation pénible ». S’il n’existait aucun code formel pour régir la vie sociale à l’intérieur de la communauté, la coutume se faisait ainsi fortement ressentir dans la pratique quotidienne de tous les acteurs. « Fil mystérieux, à la fois fragile et fort, qui enchaîne l’une à l’autre les générations, [la coutume] soutient l’individu à son insu, si bien que, hors de la coutume, il est complètement désemparé. Léguée par les ancêtres, conservée superstitieusement, elle s’impose par la crainte du châtiment que déclenche sa transgression294 ». Le pouvoir dans le royaume n’était alors pas parfaitement despotique, ni parfaitement isonomique ; il englobait un continuum large de pratiques institutionnelles qui actualisaient sans cesse le pouvoir royal. Alors qu’une victoire militaire participait au pouvoir du Prince, la nomination d’agents non méritants précipitait sa dépréciation. C’est ce mouvement de balancier entre deux « extrêmes » institutionnels qui intéresse notre étude, dans la mesure où il témoigne la nécessité pour les dirigeants sahéliens de trouver un « point d’équilibre » entre des répertoires stratégiques (consolidation du pouvoir) et normatifs (comportement approprié) d’actions.

b) Les Cités-Etats Haoussa du Soudan occidental entre le XVIème et le XIXème siècle :

Dans l’histoire des cités Haoussa, c’est le voyage d’un héros blanc venu de l’Est, Abou Yaziz, qui introduit le récit légendaire. « Venu de Bagdad » vers la fin du Xème siècle ou au début du XIème, il aurait libéré « la reine de Daoura de la présence d’un monstre aquatique qui empêchait la population de puiser l’eau. La reine l’épouse et lui donne, de plus, sa servante. Leurs fils et descendants fondent les cités-Etats de Daoura, Kano, Rano, Katsina, Gobir, Zara et Biram, c’est-à-dire les sept « Haoussa légitimes » et aussi les sept « bâtards » dont certains ne sont, en fait, haoussa ni de langue, ni de culture295 ». La Chronique de

294 BAZIN J., Les Bambara du Ségou et du Kaarta, Paris, Ed. Maisonneuve et Larose, 1977, pp. 129-130.

295

Ces-derniers étant constitués des cités de Kebbi, Noupé, Gouari, Yeloua, Llorin, Kouararafa et Zamfara. STAMM A., op. cit., 1997, p. 47.

Kano, seule source écrite épargnée par l’invasion Peul de la fin du XVIIIème siècle, mentionne trente-trois souverains depuis la fin du Xème siècle. Nous savons aussi que l’ensemble de ces cités recouvrait une superficie de quelques 400 000 kilomètres carrés et qu’elle concentrait à son apogée près de quatre millions d’habitants296. Contrairement aux royaumes Bambara, ces cités, malgré les luttes qui les ont opposées, sont toujours parvenues à maintenir entre elles un certain « équilibre des puissances297 ». C’est par un processus de cristallisation des chefferies que les cités-Etats allaient progressivement émerger. Ce mouvement s’étendit sur plusieurs siècles (1200-1600), et offrit à ces ensembles l’opportunité de jouer un rôle fondamental, au plan économique principalement298, dans l’ensemble du Soudan. Parler alors de cités-Etats permet de « distinguer un certain nombre de villes (…), dont la particularité réside dans leur caractère intangible, sinon sacré, symbolisé par une enceinte qui ne fait pas seulement office de rempart, mais délimite aussi l’espace où se concentrent les organes de l’Etat et où s’exerce la citoyenneté299 ».

Si elles disposaient d’armées de métier, la faiblesse de leurs effectifs dut les contraindre à concentrer leurs forces dans des politiques non-offensives, l’objectif étant de résister aux assauts répétés du Songhay et du royaume du Bornou. L’histoire des Haoussa est ainsi faite d’une succession d’épisodes guerriers, qui ont chaque fois contribué à modifier l’équilibre des forces ex

ante300. A partir du XVIIIème siècle, une puissance allait pourtant parvenir à s’imposer sur ces cités. L’hégémonie peule en voie de constitution s’apprêtait à évincer ses concurrents songhay et bornouan dans la zone. Disposant depuis le XIVème siècle d’une communauté nombreuse, les Peuls « s’étaient peu à peu constitués (…) en une aristocratie guerrière et religieuse prête à diffuser la loi de Mahomet par la force de l’épée301 ». C’est Ousmane Dan Fodio, originaire lui-même de la cité-Etat du Gobir, qui mena les Peuls à dominer, entre 1804 et 1808, les cités de Katsena, Kano, Zaria et Gobir. Appuyé par de nombreux autres groupes, tels les Mandingues orientaux, les Songhay du Kebbi, les Touaregs immigrés en territoire haoussa et les Toucouleurs, Dan Fodio mena contre ces cités d’incessants combats, dont les djihads du XIXème siècle marquaient les points culminants. Le tournant décisif se situa entre 1804 et 1808, lorsque Dan Fodio commanda la destruction totale d’Alkalawa, la capitale de l’Etat « guerrier » du Gobir. Après lui, les dernières

296 Voir KAKE I. B., La dislocation des grands empires. L’Afrique occidentale du XVIème au XVIIIème siècle, Paris, ABC, 1977, p. 51.

297 C’est du moins l’analyse que développe Virginie Baudais, in BAUDAIS V., op. cit., 2006, p. 93.

298 Tremearne croit par exemple savoir que les Etats de Kano et Rano produisaient essentiellement des textiles, que Katsina et Daura (concentrant les principaux marchés) commercialisaient ces produits, que Zaria fournissait la main d’œuvre en esclaves et que Gobir assurait leur protection, in TREMEARNE A. J. N., Hausa Superstitions and

Customs : An Introduction to the Folklore and the Folk, Londres, Bale and Daniels, 1913, cité in NIANE D. T. (dir.), op. cit., 1985, p. 298.

299 HOLDER G., « De la « cité-Etat » en Afrique noire », Cahiers d’Etudes Africaines, n°166, 2002, p. 257.

300 Au XVème siècle par exemple, le royaume du Bornou obligea la grande cité de Kano à reconnaître sa suzeraineté, et à renoncer à son autorité sur les royaumes du Sud, à Kouararafa et Noupé notamment.

poches de résistances furent rapidement balayées, Katsina, Kano et Zaria tombant toutes au tout début de l’année 1807. Fort de ces succès, Dan Fodio devait s’installer à Sokoto pour y instaurer la capitale de « la dernière des grandes hégémonies du Soudan occidental, celle des Peul302 ».

b.a) Le rôle politique de l’Islam : l’affaiblissement des chefferies traditionnelles

La religion occupait une place importante dans la vie de ces cités. Deux communautés religieuses se partageaient l’ensemble du territoire. L’ancien animisme, présent dans les chefferies avant leur constitution en cités-Etats, et l’islam, dont la diffusion passait presque exclusivement par les populations peules, particulièrement zélées en ce domaine. La religion musulmane devait aussi être amenée à jouer un rôle de premier plan dans le processus de centralisation du pouvoir politique Haoussa. En encourageant un transfert des lieux d’autorité, généralement associés aux différents cultes traditionnels, vers une structure centralisée nouvelle, l’islam a marqué le déclin des chefferies politiques, et l’institutionnalisation de nouveaux pouvoirs (proto-) étatiques. Ce « succès » institutionnel s’explique aisément au regard de sa compatibilité avec des schèmes religieux anciens. On peut ainsi affirmer que « l’islam s’est intégré aux schémas religieux africains parce qu’il n’était pas considéré comme une religion étrangère, ou incompatible avec la vision religieuse du monde des Hawsa, et – ce qui est plus important – parce que la société musulmane ne revendiquait pas à cette époque l’exclusivité de son idéologie religieuse et était prête à s’accommoder de nombreux traits des croyances et des coutumes traditionnelles ». Si la population rurale continua alors d’admirer des siècles durant le pouvoir des icônes traditionnelles, « il n’y eut aucune opposition, apparemment, à la nouvelle religion, du moins tant que les juristes musulmans n’exigèrent pas la transformation de certaines des formes de vie sociale et culturelle anciennes303 ».

b.b.) « Checks and Balances » des Cités-Etats

Aux plans politique et administratif, il semble exister entre ces cités et le royaume kanembou (cf. infra) des similitudes frappantes qui en caractérisent l’organisation. Ces cités n’ont jamais hésité à emprunter au Kanem-Bornou certains de ses modèles institutionnels ou culturels, conservant même quelquefois les appellations originelles (cf. infra). Parfaitement assumés, ces branchements politiques ont donné naissance à une structure administrative fortement hiérarchisée, à la tête de laquelle le Chef (sarki) constituait l’autorité sacrée. Au bas de cette

302 STAMM A., op. cit., 1997, p. 48.

hiérarchie, le pays se divisait en communautés locales restreintes (Kankuya) qui regroupaient l’ensemble des familles massées sur le territoire autour d’un maigari, ou chef local. Au deuxième niveau, on retrouvait les villages (garuruwa), plus grands et surtout plus stables que les communautés locales d’agriculteurs. Ils étaient dirigés par un chef (sarki gari), qui pouvait aussi être assisté d’un chef de district (mai-unguwa). Enfin, au sommet, la capitale de la cité (birni) abritait le siège du pouvoir du sarki kasa, « soit le chef du pays, dont l’autorité s’étendait naturellement à tous les chefs de niveaux inférieurs304 ». Pour exercer son autorité, le souverain haoussa était entouré d’un collège restreint chargé de sa désignation, et de son conseil pendant la durée de son règne. S’il disposait en théorie d’un pouvoir quasi-absolu sur l’ensemble de la cité et de ses dépendances, le souverain partageait néanmoins son pouvoir avec des personnalités de son aristocratie. Si les membres en étaient discrétionnairement désignés par le sarki, ces conseils regroupaient aussi « de droit » les gouverneurs des principales villes et régions, quelques hauts fonctionnaires et certains représentants dynastiques.

Le partage (apparent ?) du pouvoir entre le souverain et plusieurs membres de son « aristocratie » intéresse au premier plan notre étude. Nous avons ainsi pu constater que le chef de la cité était, le plus souvent, désigné par un conseil qui faisait office de véritable collège électoral. Pourtant, plusieurs moyens permettaient au sarki de résister, avec plus ou moins de force, aux velléités exécutives des membres de cette structure. Il pouvait par exemple décider, comme dans le cas de la cité de Kano sous le règne du sarki Rumfa, de nommer des éléments entièrement dévoués à sa personne, comme ses propres esclaves et eunuques. Sa souveraineté n’était alors pas, à proprement parler, strictement absolue, même si des aménagements lui permettaient en pratique d’en conserver certains attributs essentiels. C’est finalement les divergences d’appréciations relatives à la pratique politique et à la finalité du pouvoir qui ont contribué à introduire un dialogue institutionnel entre le souverain et son conseil. Si le souverain disposait du pouvoir de nommer à de très hautes fonctions des personnalités parfaitement acquises à sa personne, le conseil pouvait en retour appuyer l’émancipation du galadima, et marginaliser alors le sarki. La recherche d’un équilibre institutionnel était ainsi rendue indispensable afin de limiter les risques de divisions politiques, forcément préjudiciables dans un contexte territorial réduit et perméable aux influences externes. Nul doute alors que la longévité et la force de ces cités répondaient au compromis institutionnel initial négocié entre le souverain et son aristocratie. C’est un point essentiel, et sur lequel nous reviendrons, si l’on veut comprendre l’étonnante capacité de ces Etats à résister aux assauts songhay et bornouans. Par conséquent, plus que

l’organisation en conseil (que nous avons volontairement privilégiée jusqu’ici), c’est la recherche (indirecte) d’un modus operandi institutionnel viable entre les principaux acteurs, qui caractérise le mieux la limitation effective de ce pouvoir précolonial. L’exigence impérative de survie rendait la conclusion d’un pacte indispensable, qui limitait – ou annulait – les potentiels de nuisance des différents acteurs du champ.

c) Les royaumes du Kanem et du Bornou

Respectivement situés à l’Est et à l’Ouest du Lac Tchad, les royaumes du Kanem et du Bornou occupent une place centrale dans l’histoire de l’Afrique soudanaise, même si la faiblesse des sources écrites a rendu leur étude malaisée305. Avant de fusionner avec l’Etat du Bornou, le