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Le début de la contestation et l’échec annoncé des régimes prétoriens

AUX PREMIERS AUTORITARISMES POLITIQUES

B. La ressource de la légitimité technocratique et apolitique : les régimes militaires

3) Le début de la contestation et l’échec annoncé des régimes prétoriens

L’appareillage institutionnel supposé protéger le régime des volontés déstabilisatrices des « traîtres » à la révolution ou à son chef allait – paradoxalement ? – amener le développement d’espaces critiques clandestins au Mali et au Niger. La multiplication des arrestations, variant au gré des tentatives d’« atteinte à la sûreté de l’Etat », et la psychose généralisée au sommet de l’Etat, allaient ainsi conduire à une dilution des arènes de contestation en micro-unités disparates. L’effet cumulatif a ici joué à plein, les rumeurs de complots entraînant les arrestations qui, à leur tour, ont renforcé les velléités contestataires, encourageant au final l’Etat à durcir la répression. Ce mouvement doit toutefois être nuancé à la lumière de l’analyse menée par Achille Mbembe et relative au fonctionnement des systèmes autoritaires en vase clos. Selon lui, ce type de régime impose « un mode de pensée propre à une société close, où conduites et opinions sont constamment censurées, le soupçon permanent du complot où des mouvements de révolte prédisposant les gens du commun à la délation et à la dénonciation498 ». Toutefois, des pans entiers de la vie domestique étaient laissés hors le giron de l’Etat, permettant le développement de « niches » de réflexions subversives qui allaient servir de base aux mouvements de contestation.

a) Le développement de formes populaires de contestation

Les contempteurs des partis uniques et des systèmes-Etat se contentèrent dans un premier temps de mettre au point de « nouvelles stratégies d’indiscipline populaire499 », que Jean-François Bayart a décrit sous le vocable de Modes populaires d’action politique. Cette dernière expression recouvre toutefois une acception plus large, englobant une dimension davantage politique, supposée être en mesure de faire émerger plus directement une offre alternative crédible. Mais, au-delà du simple mouvement d’humeur, ces logiques de contestation ont aussi résulté d’une crise interne au régime. Parce que les structures partisanes des régimes prétoriens n’ont pas su – ou pas voulu – intégrer l’ensemble des citoyens, elles ont contribué à capturer l’appareil politique au bénéfice d’un « clan ». C’est alors la captation, par une minorité de patrons, de l’Etat et de ses démembrements qui a motivé la constitution d’espaces populaires domestiqués. Ce sont ces lieux

498 MBEMBE A., « Notes provisoires sur la postcolonie », Politique Africaine, n°60, décembre 1995, p.94.

499 L’expression est de MONGA C., « L’émergence de nouveaux modes de production démocratique en Afrique noire », Afrique 2000, 7, novembre, p. 112 ; Repris par THIRIOT C., op. cit., 1999, p. 142.

qui ont ensuite permis aux individus de s’approprier les « logiques et mythologiques500 » des pouvoirs militaires : « Le parti unique, dont la principale fonction, négative, consiste à inhiber toute forme autonome d’organisation de la société civile, n’est pourtant pas seulement un instrument d’oppression politique. (…) Là où il est le mieux institutionnalisé, il offre souvent aux petites gens un recours contre l’arbitraire de l’administration ou de la police, et il est capable de médiatiser des compétitions individuelles, au niveau parlementaire ou présidentiel, aussi bien que la participation plus ou moins conflictuelle de groupes sociaux501 ». Un rapide détour sur l’organisation et le fonctionnement de ces « revanches » sociétales s’impose alors afin de saisir le rôle qu’elles ont été amené à tenir lors des « vagues démocratiques » de la fin des années 1980.

La problématique « du bas » en science politique africaniste occupe une place bien particulière de la réflexion. Développée au début des années 1980 (cf. la revue Politique

Africaine), la démarche propose, non plus de rendre seulement compte des activités politiques des

sociétés subsahariennes, mais de mettre en avant leurs dynamiques concrètes, en s’appuyant sur les formes populaires qu’elles recouvrent. L’objectif était, à ce moment, d’échapper aux visions par trop englobantes des Etats d’Afrique noire : « dans cette perspective, il ne fallait certainement pas négliger la lourde pression exercée par l’autoritarisme d’Etat sur la population ni les ramifications internationales de la configuration postcoloniale. Mais l’idée centrale est que, précisément à cause de cette lourde pression, les gens s’efforcent de créer leurs propres champs d’action politique en dehors de la sphère politique formelle contrôlée par le régime. Les réactions populaires devaient plutôt être recherchées dans les marges de la scène politique : elles étaient par définition insaisissables, subtiles, et exprimées dans des domaines sociaux plus difficilement contrôlables par l’Etat. Mais bien qu’elles paraissent assez imprécises et floues, leurs effets sur les nouvelles relations de domination n’en étaient pas moins concrets502 ».

Si nos développements précédents (cf. chapitre 1) se sont attachés à mettre en lumière les contre-pouvoirs « politico-psychologiques » qui encadraient les activités politiques, les situations prétoriennes invitent à s’intéresser au développement de micro-espaces relativement autonomes du pouvoir central qui, tout en subissant les influences de celui-ci, sont parvenus à faire émerger de véritables dynamiques de contestation. Comme le rappelle Jean-François Bayart, « les situations de contrôle politique accentué, qui dominent en Afrique noire sous les formes des régimes de parti unique, des régimes dits « militaires » des dictatures civiles et des régimes ségrégationnistes n’évacuent jamais complètement l’intervention des groupes sociaux subordonnés503 ». Une erreur serait ici de ne pas voir au sein de ces

500 Selon l’expression, désormais consacrée, de LE ROY E., « L’introduction du modèle de l’Etat en Afrique francophone : logiques et mythologiques du discours juridique », in COQUERY-VIDROVITCH C., FOREST A. (dirs.), op. cit., 1984, pp. 81-122.

501 BAYART J.-F., « La revanche des sociétés africaines », art. cit., octobre 1983, p. 97.

502 GERSCHIERE P., « Le politique “par le bas”. Les vicissitudes d’une approche », in KONINGS P., VAN BINSBERGEN W., HESSELING G. (dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000, pp. 96-97.

espaces quelques traces politiques, mais simplement la cristallisation progressive d’un mécontentement sociétal. Les logiques d’escapisme répondent en effet directement d’une situation politique et en constituent même l’une de ses manifestations immédiates. Elles recouvrent ainsi des domaines strictement politiques, mais englobent aussi des préoccupations sociétales découlant directement de l’activité politique des dirigeants. Konaté décrit bien ce phénomène dans les champs économiques maliens et montre finalement le large panel d’actions de contournement de l’Etat par l’ensemble des acteurs sociaux : « petits commerçants, mères de famille, chômeurs, fonctionnaires besogneux ont, en l’espace de quelques années, constitué un réseau illicite d’importation et de distribution qui, parce qu’il échappe à tout contrôle des services économiques ou les contourne en les corrompant, a réussi à créer un marché adapté à la bourse du Malien moyen, un marché fondé sur des prix bas et des formes ingénieuses de crédit qui ne craignaient pas l’irrégularité du paiement des salaires dérisoires504 ». Il s’agira alors plus généralement de « reconnaître comme « politiques » des démarches qui ne s’affirment pas [directement]

comme telles, dans des contextes où la menace du pouvoir contraint les acteurs sociaux à « aller à pas de caméléon pour aboutir à la solution »505 ». L’une des « révolutions » les plus substantielles aura été de donner à voir plus clairement les phénomènes d’appropriations collectives du fait politique et le détournement, parfois créatif, des méthodes autoritaires déployées par l’Etat prétorien. Il ne s’agit donc pas de voir comment la base populaire de ces sociétés est finalement parvenue à se penser en dehors « du haut », mais bien de comprendre leur articulation première, l’interaction qui leur donne sens. Une fois encore, l’Etat est en quelque sorte placé au cœur du raisonnement, la convoitise qu’il suscite, les responsabilités qu’il organise et les ressources qu’il distribue prenant une dimension essentielle dans la « revanche des sociétés africaines506 ». L’idée est bien ici de considérer le point nodal de l’inégalité sociale comme ferment et vecteur de la résistance ; c’est elle qui, en dernier ressort, amène le passage d’une situation politique subie à une action, d’abord détournée, de contournement des règles. Que l’on envisage alors les Modes populaires d’action politique ou, comme Denis-Constant Martin, les « Objets politiques non identifiés507 », il s’agit chaque fois d’étudier les réactions populaires à une forme dominante de (supposée) gouvernementalité. Aussi, l’ensemble des pratiques de « dérision politique », des anti-discours aux parodies a-officielle s’inscrivent dans ce type de réactions508.

504 KONATE M., op. cit., 1990, p. 92.

505

BAYART J.-F., art. cit., octobre 1983, p. 111.

506 Pour reprendre ici le titre d’un célèbre article de BAYART J.-F., art. cit., octobre 1983.

507

Voir par exemple MARTIN D.-C., Tanzanie. L’invention d’une culture politique, Paris, Presses de la FNSP, 1988 ; « A la quête des OPNI, comment traiter l’invention du politique ? », Revue française de science politique, vol. 39, n°6, décembre 1989, pp. 793-814 ; « Les cultures politiques », in COULON C., MARTIN D.-C., Dirs, Les Afriques

politiques, Paris, La Découverte, 1991, pp. 157-171 ; MARTIN D.-C., op. cit., 2002.

508 Voir par exemple TOULABOR C., « Jeu de mots, jeu de vilains : lexique de la dérision politique au Togo »,

Politique Africaine, vol. 1, n°3, 1981, pp. 71ss ; MBEMBE A., art. cit., décembre 1995, pp. 78 ss ; YOUNG C., The African Colonial State in Comparative Perspective, New Haven, London, Yale University Press, 1994, pp. 7 ss ;

NYONGO P. A., Afrique : la longue marche vers la démocratie. Etat autoritaire et résistances populaires, Paris, Publisud, 1988.

Dans les deux pays de notre étude, les mouvements « spontanés » d’étudiants occupèrent une place privilégiée dans le processus d’émergence et d’affirmation de revendications sociales. En dépit de l’institution d’organisations de jeunesse affiliées au régime et à la limitation d’espaces « non captés », ces groupes surent très tôt mettre en forme leurs revendications. Au Mali par exemple, l’émergence d’une contestation allait être rendue possible par la mésentente croissante entre les différents mouvements officiels de représentation, l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) et l’Union nationale des Jeunes du Mali (UNJM), l’une contestant à l’autre sa prétention totalisante. De façon générale, les manifestations des élèves et des étudiants, notamment à partir de janvier 1991, « prolongeaient vingt années de tensions entre les élèves et l’armée, entre des « cadets » toujours plus exclus des bénéfices du pouvoir et des « aînés » qui utilisaient leur position dominante pour faire prévaloir une conception patrimonialiste de la gestion de l’Etat509 ». Ces mouvements n’amenèrent cependant pas à eux seuls, loin s’en faut, la chute des gouvernements autoritaires. Outre les organisations étudiantes, les syndicats – officiels ou non -, les intellectuels – organiques ou critiques -, les organes de presse (La Roue au Niger, Les Echos au Mali pour ne citer qu’eux), ce fut surtout aux partis politiques clandestins de contribuer à l’organisation d’une demande sociétale collective. Au Mali par exemple, dès 1969 et la création par Maître Demba Diallo de l’Union des forces démocratiques, une offre politique s’était structurée. En 1974, le Regroupement des patriotes maliens voyait le jour puis, en 1981, le Parti malien pour la révolution et la démocratie. Parmi les dénominateurs communs à ces organisations, des thèmes très généraux comme la lutte contre la dictature ou le combat pour le multipartisme. Les premières organisations locales revendiquant clairement l’avènement de la démocratie ne se créèrent véritablement qu’à partir de l’automne 1990. Ainsi, le Comité d’initiative pour la démocratie (CNID) était crée le 19 octobre, suivi de quelques jours par l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA) puis, enfin, l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM). Ces trois associations occupèrent un rôle prédominant dans la chute de l’UDPM et de son chef, Moussa Traoré. C’est toutefois à l’extérieur du pays que les organisations les mieux structurées sont apparues. Ce furent elles en effet qui permirent l’éclosion future d’organisations politiques localement situées. Ainsi, le Front démocratique des patriotes maliens (1979), le Front national démocratique et populaire (1987), etc. allaient contribuer à l’émergence d’une alternative politique crédible sur lesquelles les organisations locales allaient pouvoir s’appuyer. Peu après leur création, les nouveaux partis maliens disposaient de suffisamment d’audience pour prendre l’initiative d’organiser des manifestations. Le 9 décembre 1990, la première marche populaire était organisée par l’ADEMA ; un millier de personnes y participaient, malgré les menaces du

509 LE ROY E., « Mouvement paysan et transition démocratique dans le sud du Mali (avril 1991-avril 1992) »,

régime et la présence des militaires. Le 10 décembre, la manifestation du CNID regroupait déjà dix fois plus de participants. Puis, lors de la marche commune aux deux mouvements, près de 50 000 personnes s’étaient regroupées pacifiquement pour exiger la démocratisation dans le pays. Au même moment, une contre-marche du parti unique ne réunissait que 6 000 participants. Face à la faiblesse visible du parti au pouvoir à mobiliser ses troupes, le mot d’ordre des partis se radicalisait, il s’agissait désormais de « terroriser les militaires jusqu’à la chute du général Moussa Traoré510 ». Cela fut chose faite le 26 mars 1991.

Au Niger en revanche, le régime n’a pas attendu que s’organise une « société civile » consistante pour prendre conscience de la fragilité de ses bases. Dans les deux cas cependant, le constat est le même ; les partis uniques, qui avaient fondé leurs actions sur une idéologie développementaliste en rupture avec l’ancien régime, n’ont pas été en mesure d’accomplir leur projet : « porte-parole uniques, omniscients et donc omnipotents d’une société proclamée unanimiste, les « pères de la nation » s’étaient attachés à verrouiller le système, étouffant sinon niant une société civile impuissante à s’affirmer et même à s’exprimer. Maîtres de la parole, détenteurs de la force, dispensateurs de prébendes, ils contrôlaient tous les leviers du pouvoir, encensés par leurs griots et protégés par leurs prétoriens. Mais, envolés les rêves de l’indépendance et dissipées les illusions du développement, l’Etat – source et moyen de ce pouvoir- apparaît de plus en plus comme une excroissance prédatrice d’une société désarticulée511 ».

b) Généralisation contestataire et les réponses des régimes prétoriens

Loin de constituer l’unique trame active de l’érosion, puis de la chute, des gouvernements militaro-politiques, l’action de ces mouvements doit aussi être comprise à l’aune de leurs agencements avec d’autres « points de pression ». Dans les deux pays en effet, les échecs économiques aggravés par l’évolution défavorable de la conjoncture internationale ne suffisent pas à expliquer l’accroissement des formules répressives d’administration. Moins visibles, les contestations internes aux régimes prétoriens n’en constituent pas moins de précieuses illustrations sur la présence de « contre-pouvoirs » au sein des appareils d’Etat. Au Niger, les trois tentatives avérées de coup d’Etat (1975, 1976 et 1983) constituent l’aboutissement de leurs actions. Pour y parer, le chef (militaire) de l’Etat dispose néanmoins d’un indéniable atout : l’organisation prétorienne des pouvoirs fait de lui l’unique « agenceur » institutionnel légitime. Il peut ainsi choisir de remanier à sa guise son équipe et proportionner l’influence des différents

510 DIARRAH C. O., Vers la troisième République du Mali, Paris, L’Harmattan, 1991, p. 96.

511 RAYNAL J.-J., « Les conférences nationales en Afrique : au-delà du mythe, la démocratie ? », Revue Penant, n° 814, 01/04, oct.-déc. 1994, p. 310.

groupes suivant sa volonté. Après la deuxième tentative de coup en 1976512, Seyni Kountché a par exemple choisi de remanier profondément son pouvoir. Sur les 16 membres du gouvernement n’ont désormais figuré plus que sept militaires (contre dix auparavant), le président ayant discrétionnairement choisi de contrebalancer leur influence au bénéfice des civils jugés mieux contrôlables. Conscient du potentiel de neutralisation des nuisances de cette décision, Seyni Kountché a choisi de la faire suivre presque immédiatement par plusieurs mesures de détente. Boubou Hama, ancien président du PPN-RDA et ancien président de l’Assemblée nationale bénéficia par exemple d’une libération anticipée. Par ailleurs, de nouvelles institutions furent créées à l’instar de la « Société de développement » (1979), qui constitua la concrétisation du nouveau programme développementaliste de l’Etat et la volonté présidentielle de diversifier les bases de sa légitimité. L’instauration d’un Premier ministre en 1983 participa également de ce constat. Sans modifier l’équilibre des pouvoirs, qui restaient concentrés entre les mains du Président, la multiplication des postes/institutions est revenue à diluer les responsabilités et à prévenir l’émergence de môles autonomes de contestation.

D’une façon générale, la civilisation d’un gouvernement est supposée marquer la mutation progressive d’un régime politico-militaire de nature prétorienne à un régime davantage politisé (« thermidorien ») et donc mieux adapté aux préoccupations (économiques notamment) du moment. En butte à une hostilité grandissante, les dirigeants prétoriens devaient se parer d’une nouvelle légitimité, qui était susceptible de garantir leur survie politique et de tranquilliser les champs internes et externes (relations internationales) de leur autorité. Dans la phase « thermidorienne », les dirigeants malien et nigérien ont ainsi tâché d’apparaître comme les seules « options » envisageables pour conduire le changement démocratique. Néanmoins, « cette phase n’est en rien une transition vers la démocratie mais elle a permis un apaisement, un reflux de l’autoritarisme et surtout la réintroduction de l’idée de renouvellement des hommes au pouvoir, de manière pacifique, grâce à l’organisation de consultations électorales ». De façon plus concrète, explique-t-elle, « sur le plan diplomatique, les relations sont renouées avec l’ancienne puissance coloniale ; sur le plan intérieur, les nouveaux dirigeants tentent de normaliser la vie publique et les institutions en rétablissant notamment l’ordre constitutionnel513 ». Il s’agit alors, ni plus ni moins, qu’une libéralisation de façade, c’est-à-dire une « phase de maturation des revendications et de prise de conscience des intérêts de chacun des camps », « un rapport de force qui détermine (…) les conditions de la transition514 », mais de façon limitée et insuffisante.

512 Pour un développement de cet épisode, voir notamment NIANDOU-SOULEY A., « L’armée et le pouvoir »,

Politique Africaine, n°38, 1990, pp. 40-50.

513 BAUDAIS V., op. cit., 2006, p. 273.

Nous verrons ainsi dans quelles mesures l’adoption de projets constitutionnels a pu, à ce moment précis de l’histoire politique au Mali et au Niger, permettre aux dirigeants militaires d’institutionnaliser, ou non, leurs desseins étatiques.

b.a.) Au Niger

En 1983, alors que le nouveau gouvernement nigérien ne comprenait désormais plus que trois militaires, l’exécutif multipliait les effets d’annonce sur une future charte nationale ou la constitution d’une Assemblée constituante. L’adoption d’un texte constitutionnel constituerait en effet la pièce manquante à l’entreprise de cosmétique institutionnelle débutée quelques années plus tôt. Cet « enrobage » ne devait pour autant pas faire considérer le régime « politico-militaire » comme un pouvoir institutionnel parfaitement routinisé (i.e. qui peut se passer de toutes fonctions coercitives exagérées). A défaut de militarisation au plus haut niveau de l’Etat, et afin d’empêcher le développement de nouveaux champs de contestation, le régime ne relâchait pas sa vigilance et privilégiait le renforcement de son pouvoir policier, les tentatives de coups d’Etat étant opportunément venues rappeler l’envie suscitée par le pouvoir et les ressources qui lui sont liées. Elles ont témoigné qu’aucune formule autoritaire ne pouvait empêcher le mécontentement interne, latent au régime, de muer en action violente. Nous avons déjà vu dans ce pays la manière dont la Société de développement avait figuré, pour Seyni Kountché, la voie privilégiée pour renouveler sa légitimité et encadrer l’action des militaires. Coiffée par un Conseil national de développement (CND), le projet se voulait comme un « modèle nigérien de développement et comme [un] cadre d’organisation de la démocratie participative ». L’objectif du régime était ici, une fois encore, de parer la contestation grandissante dans le pays en faisant appel à un modèle traditionnel mythifié, connu et apprécié des Nigériens, supposé servir l’union nationale et parer aux projets institutionnels néocolonialistes. Ainsi, le CND se voulait « la vision purement nigérienne de gestion de la société selon un mode unanimiste rejetant antagonismes et contradictions ». Il en découlait « une recherche systématique du consensus par la prise de décision et la mise en place de structures locales de concertation, participation et mobilisation des populations515 ». Parmi les différentes structures qui relevaient désormais du CND, on trouvait l’ensemble des conseils de village, de canton, d’arrondissement et de commune. La société dans son entier était à présent placée sous le « contrôle » du pouvoir d’Etat, l’adhésion du plus grand nombre étant la condition sine qua non de la réussite de ce « nouveau modèle de démocratie » et, par conséquent, de la pérennisation au pouvoir de son fondateur. Pour être accepté, le modèle était néanmoins contraint de se parer